Publié dans le N°759 du l’hebdomadaire Bendré daté du 14 octobre 2013
De Rémi Rivère
On ne dira jamais assez, au gré des commémorations, le caractère visionnaire et moderne de la courte expérience au pouvoir de la politique de Thomas Sankara. C’est qu’au fil des années, on en mesure la pertinence. 26 ans après son assassinat, le Sankarisme aurait encore été au premier plan de la politique internationale, en ce mois d’octobre 2013, quelques jours après la publication du rapport d’experts internationaux sur le climat (Giec). Une actualité planétaire qui efface toutes les autres par son caractère urgent et dévastateur mais qui peine à interpeler les gouvernants. Bien avant le sombre constat d’un réchauffement de la planète par l’activité humaine, Thomas Sankara s’inquiétait pourtant d’écologie, comme s’il pressentait que le respect de l’environnement était aussi une mesure sociale, partie prenante d’une refonte de la société et clé d’une considération de l’individu.
Dans un contexte économique difficile, on aurait tort de croire que le respect de l’environnement est une préoccupation de riches. C’est même tout le contraire. Les différents scénarii que suggère le bouleversement climatique s’accordent sur un péril
plus grand pour les plus pauvres de la planète, notamment à cause de la raréfaction des énergies et des matières premières. Cette situation économique sera d’autant plus tendue qu’il faudra en plus faire face aux emballements climatiques.
Au Sahel, la sécheresse va gagner du terrain, entraînant son lot de famines. Et les mesures à prendre d’urgences, selon les experts mondiaux, sont les mêmes qui, hier, étaient préconisées par les pionniers de l’écologie, dont certains ont fait école au sein de la Révolution burkinabè. Et nul ne pouvait encore mesurer le caractère
prophétique de la parole de Thomas Sankara lorsqu’en 1986, à Paris, le président des pauvres déclarait : « je ne suis ici que l’humble porte-parole d’un peuple qui refuse de se regarder mourir pour avoir regardé passivement mourir son environnement naturel ».
Nous y sommes, sauf qu’aujourd’hui, les gouvernements semblent dans l’incapacité d’agir pour enrayer le dérèglement climatique. Bien au-delà de l’actuel président du Faso, qui a tourné le dos aux mesures phares de la Révolution en faveur notamment de la reforestation ou de la préservation de l’eau, les dirigeants ne répondent plus aux attentes des peuples. Ils ont raté l’accord de Copenhague en 2009 et tenteront une hypothétique entente en 2015 à Paris.
D’ici là, ce sont les initiatives populaires qui naissent spontanément, dans une belle entente internationale et malgré l’incurie des pouvoirs, les citoyens tentent de briser la fatalité. C’est contre ce marasme qu’il faut se rappeler des mesures de la Révolution burkinabè. D’abord pour dire aux peuples que des solutions existent, que les pays ont le pouvoir de prendre leurs avenirs en main. Ensuite, particulièrement au Burkina, par devoir de mémoire envers un pays dont la majorité des habitants n’a pas connu la Révolution, pour raconter cette exemplarité, cette démarche d’avant-garde
si brutalement interrompue.
La vie pourrait être simple au pays des hommes intègres si les programmes de bon sens comme « les trois luttes » contre la déforestation, l’apprentissage des réflexes environnementaux à l’école, la création d’un bosquet par village, la récolte des semences forestières, l’existence de pépinières de villages avaient eu le temps de porter leurs fruits. Le Burkina serait alors un exemple des possibles. Et sans doute bien loin de cette image tragi-comique véhiculée dans un charabia politique par son président à vie, comme ce 25 septembre 2013, lorsque Blaise Compaoré affirme devant l’Organisation mondiale des Nations Unies : « le Burkina Faso s’attèle à conduire des politiques vigoureuses dans le cadre de la stratégie de croissance accélérée et de développement durable en vue d’impulser l’émergence et d’améliorer de manière significative la qualité de vie des Burkinabé». Tragique parce que les gens en meurent. Comique, parce qu’après 26 ans de pouvoir, être en train de donduire ces mesures, « en vue d’impulser l’émergence et d’améliorer de manière significative la qualité de vie des Burkinabé » relève de la bonne blague. Les premiers concernés ne peuvent évidemment y croire. Les autres savent désormais que toute « politique vigoureuse » ne passe désormais que par la préservation de l’environnement, la reforestation et ce rapport intime que devrait entretenir l’homme et l’arbre dans leur quête de racines profondes.
Rémi Rivière