Sankara FR3 interview Richard TRIPAULT

Le 5 février 1986, Thomas Sankara participe à la conférence internationale sur l’arbre et la forêt organisée à Paris. Le compte rendu de cette visite remarquée et inoubliable du président Sankara a été fait par Serge Théophile Balima. Nous l’avons reçu en audio et le travail de retranscription a été fait par des membres de l’équipe du site thomassankara.net, notamment: Guibien Cléophas Zerbo, Ikakian Romuald Somé, Amado Gérard Kaboré, Guy Innocent Nana, Achille Zango, Bruno Jaffré et Joagni Paré. Bonne lecture! 

Joagni Paré


Ci-dessous le fichier audio. Appuyez sur la flèche pour écouter


 

 

Table des matières

Le Président Sankara reçu avec tous les honneurs dus à son rang 

Une occasion pour le Burkina de relancer le dialogue avec la France 

Les propositions du président Mitterrand pour sauvegarder de l’environnement

Le président sénégalais Abdou Diouf sur l’importance de l’arbre et la forêt

Les propositions du président Sankara en faveur de l’arbre et la forêt

Le président Sankara s’entretient avec une trentaine de personalités

Thomas Sankara, la vedette des chaînes de télévision françaises

Sankara donne une conférence de presse qui suscite l’engouement

“Le prix de l’indépendance d’un peuple est l’affaire de ce peuple-là”

Les normes de développement que l’on nous impose ne sont pas toujours valables en Afrique

Sankara situe la vision de l’Institut des peuples noirs (IPN) 

“L’affaire Diawara se trouve à Ouagadougou, au Burkina Faso!”

Sankara se prononce sur la politique libyenne à l’égard de l’Afrique

Le rôle de Houphouët Boigny dans la méditation entre le Burkina Faso et le Mali 

Le regard critique de Sankara sur la Francophonie

L’absence du Burkina Faso au dernier sommet France-Afrique

Il faut changer toute la stratégie de la coopération entre la France et le Burkina

Sankara sur les nouveaux accords de coopération entre la France et le Burkina Faso

Thomas Sankara: “J’ai cherché à éviter le conflit avec le Mali.”

Thomas Sankara : “Je ne me mêle pas des problèmes aquatiques.”


 

Le Président Sankara reçu avec tous les honneurs dus à son rang 

Le président du Faso, le camarade Thomas Sankara, a pris part le 5 février 1986 à la conférence internationale sur l’arbre et la forêt, organisée à Paris à l’initiative du président français, François Mitterrand. 

Accueilli dès sa descente d’avion par un représentant du gouvernement français en la personne du ministre délégué à la Jeunesse et aux sports, monsieur Alain Calmant, le capitaine Sankara a eu tous les égards de dignité. 

Contrairement au premier déplacement du président Sankara en 1983, caractérisé par un grave incident protocolaire, cette visite a revêtu d’essence et considération de la part des autorités françaises. 

Durant la cérémonie d’accueil on remarquera la parfaite exécution du champ de la victoire—Ditanyè—par la fanfare française qui le faisait pour la première fois depuis que notre pays s’est doté de ses attributs de souveraineté véritable.  

Après le salon d’honneur où l’attendaient les membres de notre ambassade à Paris et les ministres Basile GUISSOU, Béatrice DAMIBA et Mamadou TOURÉ, le cortège présidentiel s’est rendu à l’hôtel de Crillon où devait séjourner le président du Faso. 

Aussitôt installé dans son hôtel, le capitaine Thomas Sankara a ouvert un carnet d’audience qui conduira des dizaines de personnalités françaises à son appartement. 

Le jour-même de son arrivée à Paris dès 15h30 minutes, le Président du Faso est reçu à l’Élysée par François Mitterrand. C’est la première fois que le capitaine Sankara gravit les marches de l’Élysée depuis son avènement au pouvoir, rompant ainsi avec une tradition de l’Afrique francophone qui veut que tout nouveau président se précipite dans les salons de la présidence française. 

Cette originalité dans la conduite née de la personnalité du nouveau pouvoir confère à cette visite du président Sankara un intérêt majeur. 

Une occasion pour le Burkina de relancer le dialogue avec la France 

Depuis le sommet de Vittel 1983, les deux hommes d’État ne s’étaient plus rencontrés. Beaucoup de choses ont été dites sur ce que la presse française a appelé « la bouderie du Saint Juste de l’Afrique ».

Après le climat d’incompréhension qui a caractérisé les rapports entre Paris et Ouagadougou, la poignée de main entre François Mitterrand et Thomas Sankara prend un intérêt certain. Cette rencontre avec le président Mitterrand intervient au lendemain de la signature des nouveaux accords de coopération avec la France, ce qui donne un cachet particulier à ce qui peut être dit entre les deux hommes d’État. 

Cet intérêt politique conduira la presse française à interroger le président du Faso sur les sujets abordés lors de ses entretiens avec le locataire de l’Élysée.

Thomas Sankara: « Nous avons parlé de nos questions bilatérales. La France a d’immenses relations à travers le monde, le Burkina Faso aussi. Et le laps de temps que nous avons passé n’aurait pas suffi à faire le tour du monde. Nous sommes venus pour l’arbre et la forêt et nous en profitons pour rencontrer la France ».

Dans ce contexte, la participation du camarade président à la conférence internationale  sur l’arbre et la forêt est une occasion pour relancer le dialogue avec la France et surtout pour discuter des problèmes en suspens entre les deux États. 

Parti de l’Élysée 15 minutes après le temps imparti à l’audience, le président du Faso précédera le président de la conférence internationale sur l’arbre et la forêt de quelques instants à l’amphithéâtre de la Sorbonne. Là, tous les chefs d’État et de gouvernement et les chefs de délégation étaient déjà rassemblés. Ils ont réservé au capitaine Sankara un accueil remarqué et surtout beaucoup d’attention pour celui que la presse européenne décrit déjà comme le chef d’État de la nouvelle génération africaine. 

Les propositions du président Mitterrand pour sauvegarder de l’environnement

Dans l’amphithéâtre de la Sorbonne, beaucoup de regards sur le capitaine Sankara, et pas des moindres. Ouvrant officiellement la conférence internationale sur l’arbre et la forêt, le président François Mitterrand plaide la cause de l’arbre qu’il décrit comme un être vivant ayant sa propre sensibilité. Une allocution bien dite qui débouche sur quatre propositions concrètes.

Première proposition: la France doublera sur cinq ans le montant annuel de son aide  à la forêt des pays agressés par la sécheresse, pays africains notamment. 

Deuxième proposition: la France participera à la mise en place d’un réseau européen de recherche sur l’arbre, Eurosylva. 

Troisièmement, monsieur Mitterrand propose aux États riverains nord et sud de la méditerranée de coopérer dans la lutte contre les feux de forêts. 

Quatrièmement enfin, il propose à ses partenaires d’identifier et de décider les mesures susceptibles de réduire les émissions d’hydrocarbures et d’oxyde d’azote dans l’atmosphère. Et le président Mitterrand de terminer son allocution pleine d’émotions et d’épanchement sentimental  par un appel—un appel à la conscience de l’humanité pour un nouvel ordre international de l’environnement.

Le président sénégalais Abdou Diouf sur l’importance de l’arbre et la forêt

Lui succédant, le président Abdou Diouf du Sénégal, président en exercice de l’OUA,  a souligné l’importance de l’arbre et de la forêt dans ses fondements sociaux, économiques et culturels, mais aussi dans sa contribution à la pharmacopée, à la tradition et aux légendes en Afrique noire. Pour lui, la sauvegarde de l’arbre est un critère de responsabilité sociale d’une époque. 

Écoutons le président Sénégalais: « La pérennité de l’arbre et de la forêt reste une menace car les décisions que nous prenons et les actions que nous menons ne sont pas toujours ce qu’elles doivent être surtout en cette période de calamités naturelles qui viennent aggraver les conséquences désastreuses de nos systèmes inappropriés d’exploitation des ressources naturelles. Dans beaucoup d’États européens, d’immenses superficies de forêts se dégradent de façon inquiétante, mais la situation est encore plus alarmante au Sénégal, au Sahel et dans toute l’Afrique [inaudible]… cesse, pour qu’elle se ramène en définitive au problème fondamental de la survie même de l’homme. Selon la FAO 125000 km² de forêt sont perdus chaque année à travers le monde à cause des cultures itinérantes, des pluies acides, des incendies et des extractions abusives. En Afrique, le déboisement effréné des zones forestières—environ 20000 km² par an—et la surexploitation des zones arides et semi-arides posent des problèmes d’autant plus inquiétants qu’ils sont directement liés à une population en forte croissance ainsi qu’à une urbanisation galopante ». 

Tous les orateurs qui se sont succédé à la tribune ont déploré la dégradation de la nature et la nécessité de déployer les moyens pour sauvegarder notre environnement. Helmut Kohl, à son tour, s’engage à porter le volume de son aide aux forêts africaines à 150 millions de Deutsche Mark pour les 5 ans à venir, soit plus de 22 milliards de francs CFA. 

Les propositions du président Sankara en faveur de l’arbre et la forêt

Le président du Faso, prenant la parole à cette occasion, a prononcé un discours plutôt concret axé sur les efforts accomplis au Burkina Faso depuis ces dernières années. Se refusant à théoriser dans l’abstrait, le capitaine Sankara a d’abord fait le bilan de la lutte concrète engagée sur le terrain contre le phénomène de la désertification avant de dénoncer courageusement l’égoïsme des plus nantis vis-à-vis des pays victimes des catastrophes naturelles. 

Parlant au nom d’un peuple qui refuse de mourir, le président du CNR décrit notre expérience avec force détails qui ont accaparé l’attention d’un auditoire qui avait fini par somnoler à force d’entendre le même refrain. Puis le capitaine Sankara de traduire sa foi en la lutte pour l’arbre et la forêt: « Je suis venu à vous, parce que nous espérons que vous engagez un combat d’où nous ne saurions être absents, nous qui sommes quotidiennement agressés et qui attendons que le miracle verdoyant surgisse du courage de dire ce qui doit être dit. Je suis venu me joindre pour déplorer les rigueurs de la nature. 

« Je suis venu à vous, pour dénoncer l’homme dont l’égoïsme est cause du malheur de son prochain. Le pillage colonial a décimé nos forêts sans la moindre pensée réparatrice pour nos lendemains. La perturbation impunie de la biosphère par des rallyes sauvages et meurtriers sur terre et dans les airs se poursuit et l’on ne dira jamais assez combien tous ces engins qui dégagent des gaz propagent les carnages. Ceux qui ont les moyens technologiques pour établir les culpabilités n’y ont pas intérêt et ceux qui y ont intérêt n’ont pas les moyens technologiques. Ils n’ont pour eux que leur intuition et leur intime conviction. 

« Nous ne sommes pas contre le progrès, mais nous souhaitons que le progrès ne soit pas anarchique et criminellement oublieux des droits des autres. Nous voulons donc affirmer que la lutte contre la désertification est une lutte pour l’équilibre entre l’homme, la nature et la société. A ce titre, elle est avant tout une lutte politique et non pas une fatalité. La création d’un ministère de l’Eau qui vient compléter le ministère de l’environnement et du tourisme dans mon pays, marque notre volonté de poser clairement les problèmes afin d’être à même de les résoudre. Nous devons lutter pour trouver les moyens financiers afin d’exploiter nos ressources hydrauliques—forages, retenues d’eau et barrages—qui existent. 

« C’est le lieu de dénoncer les accords léonins et les conditions draconiennes des banques et des organismes de financement condamnant nos projets en la matière. Ce sont ces conditions prohibitives qui provoquent l’endettement traumatisant de nos pays interdisant toute marge de manœuvre réelle. Ni les arguments fallacieux du malthusianisme—et j’affirme que l’Afrique reste un continent sous-peuplé—ni l’économie de vacances pompeusement et démagogiquement baptisées opération de reboisement ne constituent des réponses. 

« Nous et notre misère, nous sommes refoulés comme des pelés et des galeux dont les jérémiades, les clameurs perturbent la quiétude feutrée des fabricants et des marchands de misère. C’est pourquoi le Burkina Faso a proposé et propose toujours, qu’au moins 1 % des sommes colossales sacrifiées dans la recherche de la cohabitation avec les autres astres serve à financer de façon compensatoire les projets de lutte pour sauver l’arbre et la vie. Nous ne désespérons pas qu’un dialogue avec les martiens puisse déboucher sur la conquête de l’Eden. Mais en attendant les terriens que nous sommes avons aussi le droit de refuser un choix qui se limite à la simple alternative entre l’enfer et le purgatoire.

 « Ainsi formulée, notre lutte pour l’arbre et la forêt est d’abord une lutte populaire et démocratique car l’excitation stérile et dispendieuse de quelques ingénieurs et experts en sylviculture n’y fera jamais rien. De même, les consciences émues, même sincères et louables, de multiples forum d’institutions ne pourront reverdir le sahel, lorsqu’on manque d’argent pour forer des puits d’eau potable à 100 mètres et l’on en regorge pour forer des puits de pétrole à 3 000 mètres. Karl Marx le disait, on ne pense ni des mêmes choses ni de la même façon selon que l’on vit dans une chaumière ou dans un palais. Mais cette lutte pour l’arbre et la forêt est surtout une lutte anti-impérialiste. 

« Messieurs les présidents, mesdames, messieurs, c’est pour que le vert de l’abondance, de la joie et du bonheur conquiert son droit, que nous nous sommes appuyés sur ces principes révolutionnaires de lutte. Nous croyons à la vertu de la révolution pour arrêter la mort de notre Faso et pour lui ouvrir son destin heureux.

« Oui, la problématique de l’arbre et de la forêt est exclusivement celle de l’équilibre et de l’harmonie à réaliser entre l’individu, la société et la nature. Ce combat est possible, ne reculons pas devant l’immensité de la tâche, ne nous détournons pas de la souffrance des autres car la désertification n’a plus de frontière. Ce combat, nous pouvons le gagner si nous choisissons d’être architecte et non pas abeille, ce sera la victoire de la conscience de l’instinct. Et l’auteur de cette comparaison, l’auteur de cette dualité entre l’abeille et l’architecte me permettra de continuer et de donner libre parole à la dialectique pour déboucher sur la critique de l’abeille, l’architecte et l’architecte révolutionnaire. La patrie ou la mort, nous vaincrons! Je vous remercie ».

Le même soir à 20h00 au palais de l’Élysée, les chefs d’État et de gouvernement, les chefs de délégation, sont conviés à un dîner avec le président Mitterrand. Prenaient part à ce dîner, la camarade Béatrice Damiba de l’environnement et du tourisme, le chargé d’affaires de l’ambassade du Burkina Faso à Paris. Un dîner qui a fait l’objet de contacts fructueux autour de la table. 

Le président Sankara s’entretient avec une trentaine de personalités

Le lendemain, jeudi 6 février, le président du Faso poursuivra ses audiences à l’hôtel. Au total, une trentaine de personnalités sera reçue. On remarquera Lionel Jospin, premier secrétaire du parti socialiste; Roland Dumas, ministre des relations extérieures, Jean-Pierre Cot, avocat du Burkina à la Cour internationale de justice, Edgard Pisani, chargé de mission à l’Elysée et bien d’autres responsables de divers horizons. 

Visiblement satisfait de son contact avec le capitaine Sankara, monsieur Lionel Jospin, premier secrétaire du parti socialiste, nous parle des relations entre son parti et les autorités révolutionnaires du Burkina: « Moi j’ai toujours considéré que ces relations étaient bonnes. D’ailleurs, dès 83, j’avais envoyé Jacques Huntzinger, le secrétaire international de l’époque au Burkina Faso, qui avait rencontré le président Sankara. Depuis, il y a eu de nombreux contacts entre des responsables de formation, notamment avec le ministre des Affaires étrangères. Mais il est clair que le fait que le président m’ait reçu lors de cette visite à Paris, qu’il ait discuté avec le secrétaire international Louis Le Pensec et moi-même, c’est une nouvelle étape. Et comme en plus votre président est un homme franc, amical qui s’exprime sans détour que je crois aussi que j’ai ce caractère. Nous nous sommes bien compris ». 

Monsieur Jean-Pierre Cot est venu, quant à lui, et s’entretenir de l’évolution du dossier burkinabè à la Cour internationale de justice de La Haye. Il est plutôt confiant quant à l’issue de cette affaire. Écoutons le: « Je suis venu voir le président Sankara pour le tenir au courant de l’évolution de la situation et lui indiquer mon sentiment sur l’ordonnance qui a été rendue par la Cour internationale de justice, titre provisoire, et après le conflit du mois de décembre. Et je lui ai dit que je considérais pour ma part que la course était largement rendue aux arguments avancés par le Burkina Faso et que je pensais que, de ce point de vue, la situation était une situation qui s’engageait plutôt bien. Mais enfin, c’est une ordonnance à titre provisoire. Il faudra ensuite, sur le fond, que la Cour tranche pour pouvoir dire le droit. C’est ce que demande le Burkina Faso en cette affaire. Alors maintenant nous préparons le contre-mémoire pour répondre à l’argumentation malienne et nous devons, au mois de juin plaider… enfin d’ici l’été, parce que les dates ne sont pas fixées. Nous irons plaider à La Haye le fond du dossier pour que la Cour puisse dire le droit en cette affaire. Je suis confiant que le Burkina Faso verra son bon droit reconnu ».

Thomas Sankara, la vedette des chaînes de télévision françaises

Un autre fait marquant de la visite du président Sankara à Paris aura été l’empressement de la presse qui, de bout en bout, l’a talonné pour connaître sa position sur les problèmes de notre temps. Sollicité de toutes parts, le président du CNR s’est montré ouvert, s’exprimant dans un langage direct avec le sens de la manipulation des symboles et l’esprit de réplique. C’est ce trait de l’homme d’État réputé pour déranger l’ordre ancien en Afrique, qui a fait de lui la vedette des chaînes de télévision. 

Le soir, le président du CNR a rencontré la colonie burkinabè. Pendant 01h 30 minutes, le capitaine a parlé des réalisations au Burkina Faso et répondu à toutes les questions posées par les militants. Ces questions, toutes d’intérêt national, ont porté sur la situation après la guerre de Noël, nos relations avec la France, les problèmes de logement au Burkina et les conditions d’accès aux nouvelles habitations, le cas du pointer et j’en passe. Autant de sujets qui ont été expliqués à nos compatriotes, visiblement attachés aux transformations en cours dans leur patrie. Le camarade président les a invités à se conformer aux lois françaises, à respecter le gouvernement de la France et à s’intéresser à la vie politique au pays. Il a dénoncé les mauvais esprits et les mauvaises pratiques au sein de la colonie burkinabè et lancé un appel à l’union de tous les Burkinabè de France. 

Dans la même nuit, le président Sankara devait intervenir en direct de la troisième chaîne de télévision au cours du journal de 22 heures, confirmant l’intérêt que son séjour a suscité en France. 

Le vendredi 7 février, jour du départ pour Ouagadougou, le président s’est donné un emploi du temps toujours chargé. Au petit-déjeuner, il rencontre les animateurs et responsables de la Presse Africaine à son hôtel. Échanges de points de vue, discussions décontractées qui permettront aux journalistes africains de corriger certaines erreurs de perception ou d’interprétation des actions menées au Burkina.

Sankara donne une conférence de presse qui suscite l’engouement

Suivra une conférence de presse donnée par le camarade président devant les représentants des divers organes de diffusion basés à Paris. Cette conférence, qui a regroupé des dizaines de journalistes, a suscité un engouement prévisible découlant de deux facteurs essentiels. Premier facteur, l’originalité du Burkina constitue un capital d’intérêts pour les observateurs de la politique africaine. Second facteur, le franc parlé du capitaine Sankara. 

Fidèle à cette tradition révolutionnaire, le camarade président a abordé plusieurs thèmes d’actualité: situation intérieure, relations avec la France, francophonie, conflit avec le Mali, politique africaine du Burkina. Cette conférence, suivie d’une projection de documentaires sur la guerre de Noël réalisée par la Télévision burkinabè, a été riche en informations. L’auditoire dans sa diversité a apprécié le langage du capitaine Thomas Sankara et a pu comprendre certains aspects de notre politique intérieure et extérieure. Suivons quelques extraits de cette conférence de presse: 

“Le prix de l’indépendance d’un peuple est l’affaire de ce peuple-là “

Thomas Sankara : Je m’en vais vous répondre, d’abord sur ces trois premières questions. Les sacrifices que nous demandons aux Burkinabè sont les sacrifices pour la construction d’un Burkina Faso meilleur. Le prix de l’indépendance, le prix du bonheur d’un peuple, est l’affaire de ce peuple-là. Trop malheureusement, on nous a habitués à attendre de l’extérieur des aides ou des solutions miracles, des panacées qui en réalité ne sont que des formes d’asservissement. Tant que nous ne serons pas maître de nos besoins, tant que nous ne serons pas également maîtres, tant que nous n’aurons pas pu décider nous-mêmes de ce que nous serons capables de consentir comme sacrifices et efforts, eh bien, nous ne pourrons jamais dire que nous nous développerons. On ne peut pas se faire développer par autrui. Bien entendu, nous espérons très bien que les sacrifices actuels ne seront pas continus, et que, enfin nous pourrons trouver des lendemains meilleurs.

Quelqu’un me demandait également si je confirme  les rumeurs qui circulent quant à notre intention d’aller au FMI. Nous ne savons pas si nous irons ou si nous n’irons pas au FMI. Toujours est-il que nous cherchons des solutions au niveau burkinabè, entre Burkinabè. Nous ne pouvons pas penser que le FMI soit essentiellement préoccupé de l’intérêt du développement du Burkina Faso exclusivement, du succès, du triomphe de la Révolution burkinabè mieux que les Burkinabè. Par conséquent, c’est d’abord aux Burkinabè que nous devons nous adresser. Si demain, il s’avérait indispensable de compléter ces efforts-là par d’autres efforts, par exemple ceux du FMI, nous étudierons la question. Mais en tous cas, nous nous gardons de faire, de nous comporter comme celui-là qui s’en remet à un charlatan pour se faire guérir dans le désespoir. C’est vous dire que nous aurions pris toutes les dispositions pour que les efforts, les sacrifices que le FMI nous demanderait, soient des sacrifices contrôlés, contrôlables, avec des conséquences également contrôlables. Autrement, il ne sert à rien de s’en remettre à un FMI si c’est pour se retrouver face à un peuple qui n’en sent pas la nécessité et qui endure les douleurs. 

Les normes de développement que l’on nous impose ne sont pas toujours valables en Afrique

Journaliste : À propos de votre intervention hier sur TF1, vous avez dit qu’on ne comprenait pas les problèmes africains. Qu’est-ce que vous voulez dire par là ?

Thomas Sankara : Je veux m’ériger là contre le système qui nous a été imposé, qui a ses mérites mais qui a essentiellement beaucoup de limites. Nous les Africains, nous avons été entraînés dans une mouvance que nous n’avons pas choisie et que nous ne contrôlons pas. Nous avons été entraînés dans une civilisation dont nous ne contrôlons pas les éléments. Les normes de développement que l’on nous impose sont des normes qui sont valables ailleurs et pas toujours valables en Afrique si bien que l’on nous soumet à ce rythme de développement extrêmement infernal pour nous, surtout que nous n’en avons pas toujours les moyens. 

En plus, et surtout, je constate que le débat avec l’Afrique se passe toujours à travers les mêmes canaux qui ne veulent pas changer, qui ne veulent pas évoluer. Or, l’Afrique a changé, l’Afrique a évolué ; l’Afrique d’hier est une Afrique qui était essentiellement représentée par, j’allais dire, de grands électeurs. Aujourd’hui la plupart des Africains sont devenus des grands électeurs. Et c’est avec cela qu’il faut compter, et c’est cela qu’il faut écouter. Et comme vous, vous êtes des journalistes d’Afrique nouvelle, c’est justement avec l’Afrique nouvelle qu’il faut compter. 

A propos de la RAN, oui il y a un problème avec la RAN. C’est exact. Vous savez que le chemin de fer qui va d’Abidjan à Ouagadougou est un chemin de fer qui est partagé par le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire et il est question que chaque pays gère sa portion. Initialement, nous avions ensemble, la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso, engagé un programme important de développement de ce réseau. Ce programme devait nous permettre de moderniser la voie depuis Abidjan jusqu’à Ouagadougou. La partie ivoirienne l’a été. La partie burkinabè pas encore. Mais, nous pensons que si rupture il doit y avoir, eh bien, cela doit se faire après que chaque portion ait bénéficié des avantages du programme de restructuration. 

Toujours est-il que, je pus l’assurer en accord avec le président Houphouët Boigny de la Côte d’Ivoire, nous avons préféré mettre cette question à l’écart, le temps de nous concerter et de trouver un accord entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso. Mais le projet du chemin de fer au Sahel, la bataille du rail comme nous l’appelons à Ouagadougou qui doit nous conduire de Ouagadougou jusqu’à Tambao, vise à désenclaver la région Nord, vise également à exploiter les richesses qu’il y a là-bas au Nord, à Tambao, le manganèse. Ce projet se poursuivra. Nous le poursuivrons toujours. 

Sankara situe la vision de l’Institut des peuples noirs (IPN) 

Si une ligne des États noirs vise à récréer une conscience de l’Homme noir comme élément devant participer à un développement communautaire avec les autres hommes de l’Humanité, cela devient plus que mieux que de la cohabitation, cela devient de la participation. Alors, nous sommes pour. Et c’est ainsi qu’au Burkina Faso, nous avons lancé une idée qui fait son chemin, à savoir, l’institut des peuples noirs (IPN). 

L’institut des peuples noirs vise chez nous, à situer le rôle, la place du Noir dans le développement de l’Humanité. D’où vient le Noir ? Que fait-il aujourd’hui ? Et que peut-il apporter aux autres ? Cet institut a la prétention de créer un dialogue entre les Noirs et les autres hommes. Ces autres hommes qui viendront nous dire à nous Noirs comment ils nous perçoivent. Il est nécessaire que nous sachons par exemple comment le Blanc perçoit le Noir, comment l’Arabe perçoit le Noir. 

Il est aussi normal que nous puissions dire comment nous percevons les autres et ce qui nous paraît être source d’incompréhensions. Le Noir a beaucoup apporté à l’Humanité dans tous les domaines : dans le domaine de la science, dans le domaine de la culture, dans le domaine de l’art militaire, etc. Nous ne pouvons donc continuer qu’à développer, à mieux cerner ces valeurs noires pour mieux les intégrer à un développement de l’Humanité. Je répète encore une fois, dans un sens de participation et non pas dans un esprit sectaire et d’exclusion. 

“L’affaire Diawara se trouve à Ouagadougou, au Burkina Faso!”

L’affaire Diawara, quelqu’un me demandait tout à l’heure où en est l’affaire Diawara. Alors, l’affaire Diawara se trouve à Ouagadougou, au Burkina Faso (rires dans la salle). C’est-à-dire que nous sommes sur le point de juger monsieur Diawara qui, de concert avec d’autres personnes, a eu à dilapider des fonds de la CEAO—FOSIDEC (Fonds de solidarité et d’intervention pour le développement de la communauté). 

Mais je crois que c’est de façon erronée que l’on parle, que l’on présente cette affaire comme l’affaire Diawara tendant à culpabiliser Diawara. Je ne veux pas le défendre, mais je ne voudrais pas non plus que l’on le présente comme le seul coupable. En fait, Diawara peut tout au plus, mais les juges le diront mieux que moi, être taxé de receleur. Mais, il y a bien eu des gens pour ouvrir les coffres, sortir l’argent, et le remettre à Diawara. Ceux-là aussi devraient être jugés. Et ils sont nombreux. Le Burkina Faso n’a nullement l’intention de ramollir ou d’être complaisant dans cette affaire. Nous avons reçu pour mission de juger Diawara, nous le jugerons selon le droit burkinabè, selon les juridictions normales du Burkina Faso et avec fermeté. 

Donc avec le respect que nous avons pour les autres membres de la CEAO, nous prendrons contact ça et là pour nous mettre en accord avec eux et nous jugerons Diawara. Maintenant quant à la période, je ne puis vous le dire. Cela dépendra des résultats des contacts que nous allons prendre et très bientôt, nous publierons le calendrier. Mais le dossier technique, je peux vous le dire, est prêt.

Sankara se prononce sur la politique libyenne à l’égard de l’Afrique

La politique libyenne à l’égard de l’Afrique. Eh bien, je crois qu’il y a beaucoup d’incompréhensions à propos de la Libye. La Libye est pour le Burkina Faso un pays ami et frère et nous entretenons des relations excellentes avec ce pays. Nous ne nous en cachons pas. Maintenant sur le plan concret, avec la Libye comme avec n’importe quel pays, chacun de nous reste insatisfait. Je ne connais pas de pays qui puisse dire que sa coopération donne satisfaction, que son carnet de commande, ou ses requêtes sont à 100% satisfaites selon qu’il s’adresse à tel ou tel pays. La Libye n’échappe pas à cette règle, la Libye est comme les autres pays.

Et nous savons également que nous ne pouvons pas nous arrêter simplement à ces insatisfactions sur des demandes qui n’ont pas reçu de réponses concrètes ou qui ont tardé à recevoir des réponses ou qui restent uniquement dans le domaine des déclarations de bonnes intentions.

Je crois aussi que l’on ne fait pas suffisamment d’effort pour discuter avec tous les pays. L’exclusive est très dangereuse. Le rejet est très dangereux. Il faut être suffisamment ouvert pour accepter le dialogue même avec ceux-là dont on ne partage pas les points de vue. Et nous, nous le pratiquons. Nous, nous le pratiquons et c’est ce qui fait que nous fréquentons et la Libye et ceux qui sont contre la Libye.

Le rôle de Houphouët Boigny dans la méditation entre le Burkina Faso et le Mali 

Quelqu’un m’a demandé qu’est-ce que je pense du rôle du président Félix Houphouët Boigny dans la méditation entre le Burkina Faso et le Mali ? Tout effort qui vise à instaurer la paix en Afrique et ailleurs mérite d’être salué d’où qu’il vienne. Et à ce titre nous avons salué les efforts du président Houphouët Boigny, nous avons salué les efforts des autres présidents, des autres chefs d’Etat notamment ceux de l’ANAD, mais également ceux du Nigeria et de la Libye. Nous les avons salués comme étant des actes positifs, des actes qui rapprochent davantage et qui créent une solidarité, qui créent une conscience internationale, qui garantit un certain nombre de règles.

Nous avons été très … Je vous livre ici que dans cette affaire, ceux-là même que l’on soupçonne d’être des terroristes, je prends le cas du colonel Kadhafi, ont avec véhémence condamné et tenté même de nous faire un procès parce que disaient-il nous n’avions pas eu le courage de refuser, de répondre à l’agression. Cela nous a surpris mais cela devrait aussi étonner. 

Le regard critique de Sankara sur la Francophonie

La conférence sur la Francophonie. Eh bien, nous nous sommes francophones, nous parlons le français. Mais ce que le Burkina Faso a à dire c’est qu’il y a deux français : selon que la conférence se tiendra en français national ou en français international nous verrons ce qu’il faudra faire.

Si c’est en français national ça serait une affaire intérieure et nous n’avons pas le droit de nous immiscer dans les affaires intérieures de la France. Si c’est le français international alors là nous viendrons aider à développer le français international. Je veux dire par là que, le français comme propriété d’une communauté beaucoup plus large que celle qui est confinée dans l’hexagone nous concerne. Et ce français-là est un français qui doit être dynamique. Ce français-là est un français qui ne peut pas résister contre les transformations inévitables. Ce français-là sera bien obligé de constater le dispatching … [rires dans la salle] et d’admettre…En tout cas, ce sera l’affaire des reporters qui feront des scoops [rires dans la salle], là-dessus. Et il sera obligé aussi de comprendre et d’admettre que des mots comme “zatu” qui sont des mots burkinabè entrent et s’imposent au français international. 

Journaliste: Pardon… Zatu ça veut dire quoi? 

Thomas Sankara: Zatu, c’est le mot révolutionnaire qui traduit et dépasse le concept bourgeois et républicain de loi. [Rires] 

L’absence du Burkina Faso au dernier sommet France-Afrique

Thomas Sankara: « Bien! Afrique Nouvelle me demande pourquoi, me demande d’abord si je peux m’expliquer sur notre absence au sommet France-Afrique, au dernier sommet qui s’est tenu. Et je profite pour dire qu’il est dommage que l’on ait observé notre absence à ce dernier sommet et que l’on n’a pas remarqué notre absence à l’avant dernier sommet. (Rires) Mais enfin, de façon déséquilibrée quand même, hein ! De façon déséquilibrée. Nous avons fait… Après Vittel nous avons fait une déclaration sur notre position vis-à-vis du sommet France-Afrique.

Et nous avons proposé qu’un cadre nouveau soit créé, soit engagé, soit recherché afin que le dialogue nécessaire entre les Français et les Africains puisse se tenir, mais en marge et, dans le rejet total des formules que même le parti socialiste à ses débuts en 81 en tout cas a essayé de mettre de côté.

C’est d’ailleurs ce qui explique que par euphémisme euh…le sommet franco, … jadis franco-africain soit devenu le sommet France-Afrique. Souvenons-nous de cet euphémisme-là très indicateur des rejets. Il y avait des germes de rejet. Maintenant, qui a tué ces germes? En tout cas ce n’est pas nous.

La RASD (République Arabe Sahraouie Démocratique): Est-ce que la RASD quitterait l’OUA? Nous avons contribué, nous Burkinabè, avec d’autres états africains à installer la RASD à l’OUA. Je ne pense pas que la RASD puisse quitter l’OUA sans quand-même en débattre avec nous. Dans tous les cas, il appartient à la RASD de répondre et de clarifier sa position si oui ou non elle doit quitter l’OUA. Mais je ne crois pas non plus que la RASD se soit battue pour arriver à l’OUA pour enfin la quitter de façon cavalière. 

Il faut changer toute la stratégie de la coopération entre la France et le Burkina

Journaliste: (Question inaudible)

Thomas Sankara: La façon de poser votre question m’inquiète un peu. Parce que vous aviez dit que ça n’allait pas, j’ai été reçu par le président Mitterrand, donc ça va maintenant. Qu’est-ce que nous nous sommes dit? Euh… est-ce que tous ceux que le président François Mitterrand reçoit sont ceux avec lesquels il s’entend? Enfin il y a des gens ici même avec lesquels on fait de temps en temps, est-ce que cela veut dire qu’on s’entendent forcément ? Je ne crois pas que l’on puisse dire, “parce qu’il a été reçu, ça marche mieux.” Comme si hier il refusait de me recevoir ou je refusais de le voir. 

Mais également, vous me comprendrez. Collégialement, j’assure avec le président François Mitterrand la responsabilité du secret de nos entretiens. Et je ne peux pas unilatéralement trahir ces secrets là. Il faudrait que nous nous entretenions lui et moi et que nous donnions une conférence de presse, un duo en quelque sorte. Mais enfin. J’ai dit effectivement que nous nous sommes expliqués, nous nous sommes compris sur un certain nombre de questions. Le fait que nous ayons pu discuter est déjà positif. En tout cas, je le considère comme positif. Et j’ai dit que ça allait mieux.  Mais vous savez, quand on a 40° de fièvre et que l’on n’en a plus que 39, on peut dire que ça va mieux. Mais est-ce que l’on se porte pour autant bien ? 

Journaliste: Qu’est-ce qui ne va pas ?

Thomas Sankara: Alors, qu’est-ce qui ne va pas ? C’est tout un diagnostic qu’il faudrait faire. Et c’est cela le long chemin qui reste à parcourir. Euh, c’est la redéfinition de nos rapports. Nous avons eu hier des rapports conflictuels, des rapports de domination. La France nous a colonisés. Aujourd’hui, nous ne sommes plus une colonie française. Nous ne voulons plus non plus être une néo-colonie française. Cela amène à changer toute la stratégie de cette coopération entre la France et le Burkina, et cela ne peut pas se faire automatiquement, cela ne peut pas se faire non plus sans heurts. 

Combien sont-ils, les intérêts français qui n’admettraient pas que le Burkina Faso prenne le grand large par rapport à certaines conceptions ou certaines attitudes françaises? Et de même, combien sont-ils au Burkina Faso—mais j’allais dire, en Afrique en général—qui conçoivent également les relations entre l’Afrique et la France à travers les prismes de l’assistance et de la braderie de l’indépendance et de la souveraineté? C’est également ces questions-là qui se traduisent par des questions subsidiaires, par des faits, et qui amènent parfois des discussions j’allais dire un peu tendues, mais qui finissent toujours par se détendre. 

Sankara sur les nouveaux accords de coopération entre la France et le Burkina Faso

Journaliste 1: D’autre part, monsieur le Président, vous avez noté que dans les nouveaux accords de coopération qui remplacent ceux de 1961, il n’a pas été question d’accords de coopération militaire. Nous savons qu’il en existe un. Est-ce que vous êtes satisfait de celui qui existe ou bien est-ce que vous, vous pensez que dans un avenir plus ou moins proche, vous changerez aussi les termes de cet accord de coopération militaire ? 

Journaliste 2: Monsieur le Président, à propos de la coopération française, vous aviez déclaré l’année dernière que la coopération pour le développement a un long chemin à faire. Et vous venez de signer des accords de coopération avec la France, est-ce que ça veut dire que ce chemin a été fait et si oui, dans quel sens ? 

Thomas Sankara: Les nouveaux accords de coopération n’ont pas parlé d’accords militaires… Bon, c’est à dessein, vous savez que nous sommes l’un des rares pays africains francophones à ne pas avoir avec la France d’accords de défense, à n’avoir avec aucun pays d’accords de défense. Nous avions des accords militaires avec la France qui nous garantissait une assistance militaire française. Nous discutons pour que cette assistance militaire soit réciproque. Le jour où la France aura besoin d’assistance militaire burkinabè, que nous puissions venir vous défendre. Et je vous prie, mesdames et messieurs, de ne pas rire. Hier, nous vous avons défendus! C’était quand? Avant-hier c’était en 14, 18 (première guerre mondiale)! Hier, c’était en 39-45 (seconde guerre mondiale)! Et il n’est pas de Burkinabè qui n’ait dans sa famille le souvenir d’un homme, d’un oncle, d’un parent mort pour la France. Ce sont des accords également qui devraient exister et garantir des droits. Nous nous sommes battus, nous avons sué sang et eau pour que la France soit libre. Souvenez-vous de cela!

Journaliste: Monsieur le président, la France est la puissance extra africaine que vous avez accusée d’être intervenue à côté du Mali. 

Thomas Sankara: Nous avons voulu indexer tous ceux qui ont apporté assistance au Mali avant, pendant et après; mais je m’étonne que la presse n’ait pas suivi les pérégrinations des autorités militaires en direction du Mali, des autorités militaires étrangères en direction du Mali. De toute façon, nous nous avons l’intention de revenir fermement sur cette question beaucoup plus en détail et nous avons l’intention de culpabiliser qui doit être culpabilisé. Parce que tellement de gens parlent de la paix, mais ne la désirent pas sincèrement. Dans une situation contentieuse entre deux États, tout ce que l’on apporterait comme coutelas et gourdin ne peut être considéré que comme un acte qui vise à encourager, à ajouter de l’huile sur le feu. Alors là, nous ne pourrons pas ne pas le condamner. 

Thomas Sankara: “J’ai cherché à éviter le conflit avec le Mali.”

Le conflit avec le Mali, vous m’avez demandé si j’ai cherché à l’éviter. Oui, j’ai cherché à éviter le conflit avec le Mali. Des démarches nombreuses ont été faites. Nous avons envoyé plusieurs fois des émissaires au Mali. Ils n’ont pas toujours été reçus. Je m’étais même préparé juste avant le conflit, à aller moi-même en visite au Mali. Auparavant, j’y avais été un certain nombre de fois. Et même une fois, j’y avais été clandestinement pour rencontrer le président et discuter avec lui. J’avais alors annoncé un envoyé spécial de la présidence et j’avais demandé par télex au président du Mali de bien vouloir recevoir personnellement cet envoyé. Et puis, c’était moi-même. Pour lui montrer à quel point j’étais préoccupé par la situation. 

Enfin, et comme preuve ultime de cette volonté d’éviter coûte que coûte le conflit avec le Mali: lorsque le Mali s’est plaint que les troupes dépêchées par nous pour protéger les agents de recensement constituent pour lui une espèce de menace ou d’escalade, eh bien, nous avons accepté de retirer ces troupes. Et j’ai été personnellement expliqué aux troupes qui n’entendaient pas tellement reculer pourquoi il fallait reculer. J’y suis parti le 24 décembre au soir. Le 25 décembre au matin, on nous a bombardés et j’étais sous le feu. 

Thomas Sankara : “Je ne me mêle pas des problèmes aquatiques.”

Quelqu’un me demande aussi l’attitude sur la nouvelle majorité éventuelle en France. Mais quelle pourrait être cette nouvelle majorité ? Quand est-ce que l’opération Barracuda a eu lieu ? C’était quand? C’était sous qui? Juste pour mon information, parce que je ne connais pas bien la politique intérieure française. C’était sous quel président? 

Journaliste: (Inaudible)

Thomas Sankara: Pardon? Dites-le plus fort! 

Journalistes: Giscard… (Valéry Giscard d’Estaing)

Thomas Sankara: Giscard? 

Journalistes: Oui!

Thomas Sankara: Merci! C’était donc des troupes qui étaient parties… Au Tchad c’était sous Mitterrand? 

Journalistes: Oui, l’opération Manta au Tchad c’était sous Mitterrand.

Thomas Sankara: Ah! Manta c’était sous Mitterrand? Manta c’est un poisson non?

Journalistes: Oui!

Thomas Sankara: Barracuda, c’est aussi un poisson?

Audience: Oui [Rires dans la salle]

Thomas Sankara: Oui, ce sont des problèmes aquatiques, je ne me mêle pas de cela. [Eclats de rires dans la salle]. 

D’une manière générale, cette seconde sortie du président Sankara en France s’est avérée concluante dans plusieurs domaines. Premièrement, en participant à la conférence internationale sur l’arbre et la forêt, le président du Faso montre son attachement à toute action concrète visant à une transformation positive du cadre de vie. 

Deuxièmement, cette présence à Paris met fin à une certaine campagne de presse qui tend à faire croire que le régime burkinabè n’est pas ouvert au dialogue sur le plan international. 

Troisièmement, en accordant une oreille attentive aux explications politiques du capitaine Sankara, le gouvernement français ouvre par là même une nouvelle période dans les relations entre Ouagadougou et Paris. 

Quatrièmement, les nombreuses rencontres et interviews sollicitées par les organes d’information ont apporté un éclairage nouveau sur notre pays, sur ses hommes et ses dirigeants. 

Cinquièmement enfin, le capitaine Sankara a achevé de s’imposer comme un interlocuteur avec lequel  nos partenaires doivent compter pour asseoir une coopération à long terme. 

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