Rendre compte des souffrances du peuple palestinien mais aussi des combats pour mettre fin à son calvaire et dénoncer la politique d’Israël envers ce peuple, tout cela prend toute sa place sur notre site consacré à Thomas Sankara, qui a évoqué ce conflit dans de nombreux discours, en y exprimant une orientation tout à fait claire. D’ailleurs nous avons voulu rassembler quelques unes de ces paroles consacrées aux palestiniens dans un article que vous trouverez à l’adresse http://www.thomassankara.net/… . Vous trouverez ci-dessous le récit de 3 militantes de SURVIE qui ont participé à une marche internationale pour Gaz Les animateurs du site . Elle devait partir du Caire pour se rendre à Gaza mais les autorités égyptiennes ont interdit le passage à Gaza. Les animateurs du site
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Militantes de SURVIE Paris Ile de France, nous avons participé à la marche pour Gaza organisée par une association américaine codepink. Elle avait invité tous les pays à participer dans le but de rappeler les bombardements de décembre 2008, de dénoncer et de faire cesser le blocus de Gaza. Nous étions près de 1400 personnes de 43 nationalités du 27 décembre 2009 au 3 janvier 2010.
Le groupe français « Cap-jpo europalestine », était organisé par Olivia Zemor (librairie Résistances à Paris 17éme), constitué d’environ 300 personnes de toutes origines (français des cités et français« dits de souche », âges (18 à 82 ans) culture, (musulmans chrétiens et athées de toutes nuances) et milieux sociaux. Arrivés samedi 26 à l’aéroport vers midi, nous avions rendez-vous le dimanche 27 devant l’ambassade de France à 19 h pour monter dans des cars et prendre la route de Gaza ; à 21 h ils n’étaient toujours pas là. Cependant, après discussions et arbitrage de l’ambassadeur, la compagnie de bus semblait en mesure d’effectuer les prestations prévues (et payées). Une petite délégation partait chercher et escorter chauffeurs et bus depuis l’entrepôt en lointaine banlieue. Une heure plus tard, la mauvaise nouvelle s’imposait : les bus ne viendraient pas. Soucieuses de maintenir leur soutien au blocus qu’Israël impose à Gaza, les autorités Égyptiennes avaient interdit le mouvement de ces cars. Nous apprîmes plus tard que les autorités avaient lancé cette interdiction de sortir, à l’instant même ou les véhicules quittaient l’entrepôt. Ainsi nous étions bloqués sur place.
Stupeur et colère, pour protester, voire faire annuler l’interdiction, nous avons envahi l’avenue Charles de Gaulle devant l’ambassade, bloquant la circulation sur cet axe à quatre voies. Plus tard, nous avons su qu’une telle insoumission ne s’était pas exprimée ainsi au Caire depuis des décennies !
Nous étions assis, aplatis sur la chaussée, se tenant l’un à l’autre par les avant-bras, en rangées parallèles. Rapidement la police égyptienne avait détourné le trafic et vidé toute l’avenue, nous étions coincés entre les policiers et l’ambassade. Un représentant de l’Autorité a demandé en français et au porte-voix que les femmes sortent des rangs. C’est alors que nous avons ouvert nos tentes et nous sommes installés pour dormir sur le bitume. (le matériel de camping minimum était prévu pour le désert)
Plus tard, nous acceptâmes de regagner le trottoir, des camions équipés de canons à eau s’étaient rangés en face de nous, de nombreux militaires, casqués, armés de boucliers et de matraques nous menaçaient. Bientôt tous ces policiers s’avancèrent, installant des barrières et se plaçant au coude à coude sur 3 rangs pour nous enfermer. Nous étions sur un trottoir aux pavés roses, long de 85 mètres, large de 5, devant l’ambassade. Nous ne savions pas alors que nous y resterions jours et nuits jusqu’au départ. Nous ouvrîmes à nouveau sacs de couchage et tentes et dormîmes sur place.
Photo : source http://www.europalestine.com/spip.php?article4620
Au matin, nous étions coincés entre la police et le mur de l’ambassade. L’ambassadeur, en urgence, proposait un hébergement au lycée français du Caire. Cette proposition camouflait un blocus à l’intérieur du lycée ; c’était un piège, là nous aurions été retenus, cachés, empêchés de protester. Le refus fût unanime, nous aurions perdu dès ce moment tout espoir de nous faire entendre. Nous étions déterminés, nous étions venus soutenir Gaza, nous ne succomberions pas à la première intimidation ! (Ni aux autres).
Très vite nous avons ressenti que notre espace était un « ghetto », nous étions enfermés sur le trottoir, derrière des barrières métalliques, encerclés par des militaires casqués, équipés de boucliers et de matraques. Les bus ne sont jamais venus, nous sommes restés. Nous avons campé, mangé et dormi par terre du dimanche 26, 19 heures au vendredi 1er janvier, 22 heures, départ vers l’aéroport.
Ces deux premiers jours, premières nuits, nous eûmes un aperçu de la vie en ghetto, nous étions des civils non-violents, sous surveillance administrative et militaire. L’accès restreint aux toilettes est une atteinte immédiate à la dignité. L’ambassadeur nous accordait une assistance minimale. Nous devions laisser nos sacs pour accéder à un unique WC (équipé d’un lavabo), mis à disposition de 250 à 300 personnes, après contrôle d’identité et passage par 5 points de sécurité, cela donnait des queues de plus de 2 heures. Il nous suffisait de penser aux palestiniens sous contrôle militaire depuis plus de 50 ans, aux habitants de Gaza, privé d’eau potable, pour considérer notre situation plus drôle, qu’inconfortable, pour estimer que c’était l’administration qui manquait de dignité, pour elle-même, dans l’exercice de sa mission. Plus tard, taquinée par la presse qui commençait à parler de nous, (peut-être ont-ils repris un de nos slogans : « pissotières sans frontières ») l’ambassade s’apaisa. Dans la journée du mercredi, elle nous donna accès à 2 autres WC, puis en fin de journée installa 4 toilettes de chantier dans une petite cour annexe (ou les contrôles de sécurité disparurent). Nous appréciâmes le confort !
La charte de non-violence signée par chacun avant le départ, était respectée, malgré les diversités culturelles et la promiscuité, dormir habillé sous le ciel, avoir froid, ne pas se laver, être traité avec mépris par l’ambassadeur et son personnel, il n’y a eu aucun débordement ni agressivité ni violence entre nous. Pas de bousculade ni de mouvement d’impatience, certains même estiment que les bonnes et longues conversations permettent de faire connaissance. La cohésion du groupe commençait.
Le regard incessant des soldats était difficile, voire impossible, à supporter ; ils étaient au coude à coude, le long des barrières sur une à trois rangées, et ils nous regardaient. Le dernier regard avant le sommeil, c’est pour un militaire, la première personne quand vous ouvrez l’œil, c’est un militaire, heureusement pour nous qui ne parlons pas arabe, ils restaient anonymes, abstraits. Très pesants tout de même ces regards, quand vous utilisez des lingettes pour la toilette du matin dans le sac de couchage, ou quand vous changez de tee-shirt, mais aussi la nuit, quand vous titubez vers les toilettes, escomptant que l’attente sera réduite.
Là encore, nous nous souvenions du sort des populations palestiniennes, soumises à des contrôles incessants, pour trouver la juste appréciation de notre petite infortune. (Et reconnaissons-le honnêtement, nous escomptions que l’épreuve serait courte, la douche et le bon lit samedi !)
Peu à peu, l’étau s’est desserré ; de façon aléatoire, les soldait permettaient ou interdisaient que l’on sorte, seul, puis en groupe, pour les WC, le café …Puis nous étions libres d’aller et surtout de revenir.
Mais combien fut humiliant ce « petit chef » qui nous refusa notre sortie parce que nous n’étions pas suffisamment calmes, il voulait nous « voir disciplinées » avant de décider de nous laisser sortir. Sentiment inoubliable d’humiliation, il faudra quatre semaines avant d’avoir envie d’en rire. Preuve que la couleur de notre peau et notre allure générale nous épargne les habituels contrôles de police si fréquents pour ceux des français à qui on se permet de recommander d’aimer la France !
Nous sommes restées sur ce trottoir, n’avons fait aucun tourisme, pas même visité un musée ni les souks quand c’était devenu possible ; nous étions venues au Caire pour la marche de la liberté pour Gaza, nous étions bloquées à Giza (nom du zoo qui fait face à l’ambassade), mais notre temps, nos forces étaient mobilisées pour Gaza, pour ses habitants, contre le blocus. Notre marche de la liberté, nous la fîmes à Giza, sur les 85 m de trottoir. Bientôt nous apprîmes que les Palestiniens de Gaza nous soutenaient. Cette nouvelle fut précieuse.
Notre trottoir était devenu une vitrine en fête, slogans, sifflets, danses et instruments de musique, grandes pancartes et drapeaux visibles des automobilistes qui nous répondaient par des klaxons. Nous chantions : « Assignés à résidence devant l’ambassade de France … ».
Cette vitrine était un point stratégique pour l’ensemble des marcheurs internationaux. Visiblement, les autres délégations codepink venaient nous rencontrer, participer, partager. (Ainsi Etty Epstein juive américaine de 85 ans, rayonnante, rescapée des camps de la mort.) Plus secrètement, nous préparions ou participions à de très nombreuses manifestations au Caire. La charte de non-violence était respectée ; toutes nos manifestations étaient pacifiques. Une de nos équipes a installé un immense drapeau palestinien à mi-hauteur d’une pyramide, sans violence, ni garde à vue, pas même confiscation du drapeau, mais photographies de la presse.
Beaucoup de journaux égyptiens ont publié photos et articles, puis tous les médias. Les journaux parlaient des manifestations de nos slogans et manières de vivre, repris par les journaux arabes et quelques français.
Cette vitrine était ainsi très regardée par les Egyptiens. Spontanément chacun de nous prenait en charge l’ordre et la propreté du trottoir et la distribution des repas. Notre façon de vivre suscitait étonnement et respect pour le peuple qui connaît le confort de vie de l’occidental. Cela donnait du poids à notre présence et à nos revendications. De plus notre détermination pour Gaza, rejoignait les vœux du peuple égyptien qui subit depuis des décennies, comme la Palestine, cependant sans occupation étrangère, une dictature militaire et policière féroce. Les Egyptiens manifestaient discrètement leur approbation. Quotidiennement des associations nous encourageaient pour révéler la détresse de Gaza (taux de chômage 80%, des milliers de gens sans maisons et sans matériaux pour les reconstruire, sans écoles, (les bombardements de décembre 2008 ont détruit 64 écoles, la plus importante université et 41 mosquées) sans soins, sans eau potable, sans usine d’épuration, plus de 85% des gazaouis vivent sous le seuil de pauvreté,…)Ainsi notre impertinence et nos désobéissances étaient appréciés. On nous saluait dans la rue dès que l’on remarquait nos tee-shirts « Palestine vivra ».
Chacun savait que notre présence et nos slogans étaient un défi, tant en Israël qu’aux gouvernements égyptien et français. L’un et l’autre complices du blocus, et la France plus coupable encore puisqu’elle n’est pas voisine d’Israël avec qui elle a de nombreux accords, dont plusieurs au détriment de la Palestine. En particulier elle fournit la technologie pour la construction du mur souterrain qui doit interdire l’activité, pourtant vitale, des tunnels.
« Yes we can », « Yes you can » n’étaient pas de notre répertoire, mais nous pensons que notre statut privilégié de riches internationaux dans un pays de tourisme, ami de la France, nous permettait à peu de risques et peu de frais, des actions d’impertinence et de désobéissance exemplaires. (Certaines nuits l’un ou l’autre qui connaît l’arabe, entendait les policiers s’exercer à trouver des slogans.).
Personnellement nous avons reçu d’autres témoignages de sympathie, ainsi des libanais nous ont parlé de leurs souffrances dans le sud du Liban. Puis, pour nous remercier de notre action ils ont réglé nos consommations ! Voyageurs, ils semblaient beaucoup plus aisés que nous, qui étions propres, mais peu soignées, vivant sans domicile sur le trottoir !
L’expérience de SdF, pour courte et volontaire qu’elle fut, nous a permis d’appréhender un peu le dénuement absolu et la force de ces gens qui n’ont que le sentiment de leur propre humanité pour trouver le courage de vivre au quotidien ! Là encore, modestement, nous nous sentions solidaires.
Pour conclure, nous revenons du Caire, fortes de cette expérience, plus déterminées que jamais à continuer la lutte, agir pour maintenir nos libertés tant qu’elles existent, et les élargir. Déterminées à ne pas oublier Gaza, ni la Palestine, ni tous ces peuples assujettis par la colonisation et qui subissent encore tous ces jougs que nous avons mis en place et dont nos entreprises corrompues et corruptrices veulent continuer à bénéficier en soutenant dictateurs et financiers.
Combien de temps encore et de quel droit, se permettra t-on demander à des français d’aimer la France ? Quand cesseront aux quatre coins du monde, en tous continents nos crimes, mensonges, compromis, trafics et trucages ?
Quand trouverons-nous la fierté d’être françaises ?
De nombreux participants regrettaient que Survie ne soit pas concernée officiellement par le combat pour Gaza.
Claude Chenaud, Françoise Dintinger et Marité Luciaga
Pour plus d’informations, consulter le site http://www.europalestine.com .