Prince Johnson : " Blaise Compaoré ne peut plus rien contre moi "

 

En plus de l’article de Rémi Rivière et l’interview de Stephen Ellis (voir à http://thomassankara.net/?p=0677), nous vous proposons cet article du bimensuel burkinabé Le Libérateur qui n’est pour l’instant pas présent sur le web mais dont la rédaction a bien voulu nous envoyer un exemplaire. On y trouvera de nouvelles révélations qui contredisent quelque peu les déclarations tonitruantes de l’interview donnée à RFI le 25 octobre 2008. Notons qu’il est dit ici que les libériens ont été arrêtés et même torturés au Burkina Faso. Des déclarations nouvelles qui contredisent ce qu’a dit Johnson à RFI mais qui confirment ce ne nous avait confié Ernest Nongma Ouedraogo, le cousin de Thomas Sankara et ministre de l’intérieur pendant la révolution qui dans une interview dans le cadre de la préparation de la biographie de Thomas Sankara (voir à l’adresse http://thomassankara.net/?p=0441), à savoir qu’il avait cotoyé des libériens en prison. Le moins qu’on puisse dire c’est que toute la lumière n’est pas faite sur la participation des libériens à l’assassinat de Sankara le 15 octobre 2007 devant toutes ces déclarations contradictoires. L’investigation doit se poursuivre et sérieusement au-delà de la recherche des scoops sensationnels. RFI a choisi d’interview Stephen Smith pour commenter les déclarations de Johnson. Il a certes enquêté sur place après le 15 octobre, mais s’est empressé un peu vite de nier l’existe d’un complot extérieur. Stephen Smith semble s’être arrêter à cette enquête d’il y a 21 ans et ne pas avoir eu connaissances des éléments nouveaux, (voir par exemple le témoignage de Bernard Doza à l’adresse http://thomassankara.net/?p=0189) ou le témoignage d’un journaliste français affirmant avoir été manipulé par Guy Penne afin de donner une mauvaise image de la révolution burkinabé  (voir à l’adresse http://thomassankara.net/?p=0625) et la chapitre consacré au complot extérieur dans la biographie de Thomas Sankara cité plus haut.  Bravo en tout cas à l’équipe du Libérateur d’avoir fait son travail en essayant, plutôt que de reprendre des extraits d’interview, d’aller à la source malgré le manque criant de la presse libre au Burkina Faso. Cette interview contient par contre des éléments nouveaux sur les dissensions au sein de la rébellion dirigée par Charles Taylor. B. J.

 


 

On l’avait presque oublié, et il aura fallu qu’il ouvrît la bouche lors des journées de la "Truth and Reconciliation commission" de son pays pour qu’il nous revînt encore à l’esprit. Sans détour et sans langue de bois, Prince Johnson n’a pas hésité à dénoncer le rôle qu’il a joué avec certains de ses camarades dans l’assassinat du président Thomas Sankara. Nous avons bravé mille et une difficultés pour le rencontrer chez lui, sur le chantier de la nouvelle maison qu’il construit à Paynesville, un quartier de la banlieue Est de Monrovia, au Liberia. Notre objectif, au départ, était d’obtenir de lui une interview, il refusera pour ne, selon lui, créer des troubles au Burkina Faso. Nous vous donnons dans ce présent numéro, la substance de notre entrevue avec lui, l’assassinat du président Sankara, ses relations avec Charles Taylor, mais aussi et surtout la guerre au Liberia et en Sierra Leone.

 

"Blaise Compaoré ne peut plus rien contre moi, je suis aujourd’hui un élu de mon pays, et si je refuse de parler c’est juste qu’il a fait beaucoup pour moi, et je ne veux pas détruire l’amitié qui existe entre nous. Je sais que mes déclarations à la TRC ont semé des troubles au Burkina, mais je devais le dire, car j’avais juré sur la bible." Voici la phrase par laquelle Prince Johnson nous met au parfum de la nature de ses relations avec Blaise. Elles sont si fortes qu’il ne veut absolument pas les détruire.

Les deux hommes, de l’avis du sénateur libérien, se seraient rencontrés dans le cadre de la préparation des coups d’Etat contre les présidents Samuel Doe et Thomas Sankara. "Nous avons rencontré Blaise Compaoré dont je connaissais l’épouse, dans le cadre de notre ambition de renverser le président Samuel Doe, mais pour bénéficier de son soutien, nous

devrions l’aider à éliminer le président Thomas Sankara". C’est sans équivoque, et nous pensons qu’il est désormais clair, l’assassinat du président Thomas Sankara a bien été commandité par ses frères d’armes, et ce n’est donc plus un jeu qui aurait tourné en sa défaveur comme Blaise Compaoré avait bien voulu le faire croire au lendemain du 15 octobre.

Un assassinat bien planifié Dès que fut décrété le projet d’assassinat du président Thomas Sankara, c’est pourtant au Burkina même que le commando chargé de la basse besogne se préparera. C’est en plusieurs groupes que ce commando déploiera ses hommes à Pô. Prince Johnson lui-même fera partie du 5e contingent. Combien étaient-ils? Nous ne saurons vous le dire, tant notre homme n’est pas du genre à se laisser tirer les verres par le nez. Toujours est-il que toute l’opération se préparera sous nos cieux. Mais une fois au Burkina, le commando libérien est arrêté et menacer de mort n’accepte pas de participer à l’élimination du président Sankara. Les différentes connexions tant à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur finiront par la suite par jouer pleinement leur rôle.

Même si nous n’avons pas été surpris par le rôle que joua le président Houphouët dans cet assassinat, nous avons été, par contre, bien étonnés d’apprendre que le colonel Kadhafi de la Libye y avait également joué un grand rôle. "Tout était prêt, nous devrions nous rendre en Libye, après l’assassinat de Sankara, pour intégrer un camp d’entraînement commando afin de lancer notre offensive sur Monrovia". Nous comprenons donc difficilement la réaction de Kadhafi vis-à-vis de Blaise les premières heures après le 15 octobre. Les relations entre Sankara et Kadhafi n’étaient pas, à nos yeux, aussi conflictuelles au point où le dernier cité se joigne à d’autres pour le mettre à mort. Kadhafi faisait-il faux jeu en faisant mine de ne pas accepter la mort du président Sankara? Nous avons toujours du mal à comprendre parfaitement toutes les connexions et les ramifications du système mis en place par Taylor et Blaise pour parvenir à leurs fins. Que Blaise ouvre ses frontières pour soutenir un "ami", nous pouvons comprendre, mais que Kadhafi ouvre ses portes pour soutenir un homme soutenu par les Etats-Unis contre un autre qu’il considérait comme un ami, il y a véritablement un jeu de dessous de table et de fortes intrigues que nous ne maîtrisons pas.

Blaise, pour sa part, avait l’habitude de se rendre souvent en Libye, pour encourager son ami Charles Taylor et ses hommes. Il y a quelques années, toutes les connexions n’étaient pas connues pour faire la lumière sur cette affaire, mais maintenant, nous espérons qu’un jour, justice sera rendue. Le rôle du président Houphouët, de Blaise Compaoré et de bien d’autres n’est plus à démontrer.

La guerre du Liberia et le divorce d’avec Charles Taylor Arrêtés et torturés dans une cellule quelque part au Burkina avant le carnage du 15 octobre, les Libériens prirent la direction de la Libye quelques temps après leur forfait, "nous avions été arrêtés et torturés dans une cellule, je ne sais jusqu’au jour d’aujourd’hui pourquoi encore moins vous dire par qui, c’est seulement après l’assassinat de Sankara que nous serons conduits en Libye où nous attendait déjà Charles Taylor et un autre groupe d’hommes." Une fois en Libye, surgissent les premières divergences ; Prince Johnson et ses camarades ne savent pas qui est leur leader. Taylor tente, pour sa part, de s’imposer mais doit faire face à un groupe de dissidents qui refusent de l’accepter.

Sans jamais se résigner à vouloir être le chef, Taylor multiplie les voyages afin de rassembler le maximum d’hommes possibles à sa cause. C’est donc par un passage en force que Charles Taylor réussira à s’imposer. Lors d’un voyage courant 1989, Blaise Compaoré offre son soutien à Taylor : "Si tu ne peux pas commander ce petit groupe d’hommes, alors laisse-moi te donner des hommes à moi pour mener ton opération". Tout est bien dit, et lorsque Taylor décide de lancer l’assaut contre Doe, il prend le soin de se rendre en Sierra Leone afin de se constituer une base arrière dans ce pays. L’aventure en terre sierra léonaise se passe plus ou moins mal. Lors de son deuxième voyage dans ce pays, il est arrêté et emprisonné par les hommes du président Joseph Momo, et c’est justement dans l’une de ces cellules qu’il fera la rencontre d’un certain Foday Sankoh.

Les deux hommes se retrouveront en Libye par la suite, et à eux deux ils feront des milliers de morts. C’est bien évidemment avec le soutien de Taylor que Foday Sankoh déclenchera la guerre en Sierra Leone. Taylor ayant entre-temps déçu ses financiers, il fallait à tout prix trouver une autre source de financement, et les diamants du sud-est étaient appropriés.

Avec Foday Sankoh et l’ancienne star de la danse Sam Bockharie, Charles Taylor sèmera le trouble et le désespoir dans la région.

Ils feront tout pour que leur pays ne connaisse pas la stabilité en empêchant les populations de voter lors des scrutins, en utilisant la fameuse méthode des manches longues manches courtes".

La rixe entre Prince Johnson et Charles Taylor interviendra en décembre 1989 à quelques semaines du déclenchement de l’offensive contre Doe. En effet, Taylor avait pour ambition

d’éliminer tous ceux qui n’acceptaient pas son autorité, et le premier contingent envoyé à

Monrovia tombera dans une embuscade ; ayant flairé le coup, Prince Johnson décide d’abandonner son ami et de franchir seul la frontière ivoiro-libérienne pour monter vers

Monrovia. Le reste de l’offensive lancée par Prince Johnson est connue, le Liberia mettra des années pour se relever. Aujourd’hui, Prince Johnson justifie son action et ne se prive pas pour rappeler aux Libériens qu’il les a sauvés du péril, et dénonce ce qu’il appelle l’ingratitude

de ses concitoyens à son égard.

"Quand nous sommes rentrés à Monrovia, le peuple était affamé, il n’y avait plus rien à manger. Les gens mangeaient des chiens et plus tard, il n’y avait plus de chiens à manger et c’est moi qui suis allé ouvrir le port pour sortir les réserves que le pouvoir de Doe y cachait. Je suis surpris qu’aujourd’hui, on me traite de tueur…" Les relations entre Taylor et Prince Johnson n’ont jamais été au beau fixe. Nous avions toujours pensé que Prince était l’homme de main de Taylor, mais à l’analyse des déclarations de Prince Johnson, nous comprenons que le divorce était scellé avant même le déclenchement de l’offensive contre Samuel Doe.

Aujourd’hui, Prince Johnson est sénateur de l’Etat de Nimba et affirme avoir fait beaucoup pour son pays. Il ne comprend pas l’acharnement constaté autour de sa personne dans certains milieux.

Nous savons maintenant qui a fait quoi ou qui n’a rien fait dans les différentes crises qui ont secoué la sous-région, il serait donc temps que les uns et les autres arrivent à faire profil bas pour reconnaître leur crime et se mettre à la disposition de la justice.

Ce sera rendre d’importants services au monde entier, pour que pareilles situations ne se reconduisent plus.

Clovis Ferrand

Source : Le Libérateur N°66 du 20 octobre 2008 (Ouagadougou)

 

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