Publié dans le Courrier Confidentiel N°44 du 10 octobre 2013

Est-ce bien le corps de Thomas Sankara qui se trouve dans la tombe érigée, à son nom, par l’Etat burkinabè, au cimetière de Dagnoën à Ouagadougou ? Cette question, lourde de sens, est à la recherche d’une réponse pour le moment introuvable. Le gouvernement affirme pourtant que c’est bien la tombe de Sankara. Mais la famille de ce dernier n’en est pas sûre. Les enfants de l’ex-président du Faso, Philippe et Auguste, âgés aujourd’hui de 32 et 30 ans, n’ont jamais vu le corps de leur père après le coup d’Etat du 15 octobre 1987. La veuve Sankara non plus. Ni aucun parent du défunt. Difficile, dans ces conditions, de faire leur deuil. C’est pourquoi, le 15 octobre 2010, ils ont adressé au président du Tribunal de grande instance de Ouagadougou, une «requête afin d’être autorisée à assigner à bref délai». Ils veulent une expertise afin de déterminer si le corps qui se trouve dans la tombe est bien celui de Sankara. Le dossier semblait perdu, depuis lors, dans les tiroirs de la Justice. Mais le juge de «mise en état» vient de relancer l’affaire.

Par Hervé D’AFRICK

Le Comité des droits de l’homme des Nations unies avait donné le ton le 5 avril 2006. Dans l’une de ses communications, il avait fait un triste constat: l’Etat burkinabè a allègrement violé le pacte relatif aux droits civils et politiques. Le Comité l’avait alors sommé de garantir à la famille Sankara, un libre accès à une justice équitable et indépendante. Il y avait aussi, dans le document, cette phrase digne d’intérêt : « L’Etat partie est tenu d’assurer un recours utile et effectif à Mme Sankara et ses fils,
consistant notamment en une reconnaissance officielle du lieu de sépulture de Thomas Sankara
». Mais c’était mal connaître le gouvernement burkinabè. Face au jeu pas clair des juridictions de droit civil sur la «plainte contre X pour assassinat et séquestration», la famille de Sankara avait saisi le Tribunal militaire.

Le ministre de la Défense devait alors signer un ordre de poursuite afin d’activer la
machine judiciaire. Mais les plaignants ont attendu, en vain, ce déclic. Les ministres se sont succédé à ce poste, sans qu’aucun d’entre eux ne donne de suite à cette affaire brûlante.

L’actuel ministre de la Défense, Blaise Compaoré, va-t-il franchir le rubicond ? Il ne faut pas trop rêver ! L’affaire est éminemment politique. Et elle risque de faire rouler par terre certaines têtes couronnées.

Blaise Compaoré, «ami» et «frère d’armes» de Sankara, pourrait ne pas, lui-même,
échapper. Ce volet du dossier est donc pour le moment bloqué au Tribunal militaire. Mais la famille de Sankara ne baisse pas pour autant les bras. Elle a saisi, en 2010, une autre juridiction, le Tribunal de grande instance de Ouagadougou. Pour un autre pan de l’affaire. Elle demande une expertise visant à «identifier le corps se trouvant dans la tombe dite de Thomas Sankara, érigée par le gouvernement du Burkina Faso». Suite à la mutinerie de 2011, le dossier semblait avoir disparu du Tribunal. Il a fallu que les avocats des ayants droit de Thomas Sankara «bousculent fort» pour s’entendre enfin dire que ce dossier brûlant avait été transféré, selon le Code de procédure, au juge de la mise en état. Selon nos sources, le président du Tribunal de grande instance avait botté en touche. Il avait refusé de prendre une ordonnance afin de désigner un expert pour «les prélèvements biologiques nécessaires à la comparaison des empreintes biologiques».

Mais le juge de mise en état vient de mettre au grand jour le dossier. En effet, le 18 septembre 2013, il a «donné injonction à l’Etat burkinabè de répliquer aux conclusions des demandeurs datées du 15 mars 2011». Et il précise que «l’Etat burkinabè devra communiquer ses écritures et pièces à la partie adverse, et transmettre la preuve de cette communication, ainsi que les mêmes écritures
et pièces au juge de la mise en état, en son cabinet, au plus tard le 16 octobre 2013,
à 12 heures 00 mn
». Si le juge accepte le principe de l’expertise, l’affaire sera renvoyée au Tribunal de grande instance pour être jugée. Cette expertise devrait permettre aux ayants droit de Thomas Sankara d’être enfin situés.

D’ailleurs, ils le souhaitent vivement dans leur requête. Voici un extrait: «Rien ne
permet d’affirmer que le corps se trouvant dans la tombe dont il est fait état dans le
mémorandum gouvernemental est bien celui de Thomas Sankara (…) Mme veuve
Sankara et ses enfants veulent donc avoir la certitude que le corps se trouvant dans la sépulture qui a été érigée par l’Etat du Faso est bien celui de Thomas Sankara (…) C’est la raison pour laquelle les requérants sollicitent une mesure d’expertise par la méthode des empreintes génétiques, celle du corps se trouvant dans la sépulture érigée par le gouvernement du Burkina Faso devant être comparée avec celles d’un ou des deux enfants de Thomas Sankara (…)
». Et, pour montrer combien ils tiennent à cette expertise, ils apportent, dans la requête transmise au président du Tribunal, cette précision : «Philippe et Auguste ont déjà satisfait aux prélèvements biologiques nécessaires à la comparaison des empreintes génétiques et les tiennent à la disposition de l’expert ou du laboratoire qui sera désigné».

Et ils ne s’arrêtent pas là. «Afin d’éviter toute contestation éventuelle, – d’une part, cette mission devra être confiée à un expert ou à un laboratoire internationalement reconnu, habilité à procéder à des missions d’identification par empreintes génétiques, – d’autre part, les prélèvements devront être réalisés de manière contradictoire». Et comme le gouvernement «s’est dit disposé à prendre toutes les mesures nécessaires pour donner suite aux recommandations du Comité des droits de l’Homme, (…) il est par conséquent de bonne justice, disent-ils, de mettre à la charge de l’Etat burkinabè les frais relatifs à cette mesure d’expertise».

L’affaire vient donc d’être relancée. Si le principe de l’expertise est acquis, elle devrait être, par la suite, jugée au Tribunal de grande instance. Affaire à suivre donc.

Hervé D’AFRICK

Source : Le courrier confidentiel N°44 du 10 octobre 2013

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