L’observateur , 12 Octobre 2012 08:45

Un quart de siècle après le 15 octobre 1987, quels enseignements peut-on tirer de la Révolution d’août 1983 ? Pouvait-il en être autrement pour cette Révolution que de manger ses fils ? Que ce serait-il passé si Thomas Sankara était toujours en vie ? Ce sont, entres autres, les questions que nous avons posées à quelques personnalités du monde politique, médiatique et scientifique qui ont marqué leur disponibilité dont vous lirez les réactions ci-après.

Cheriff Sy, Directeur de publication de l’hebdomadaire «Bendré» : «Tout pouvoir, même quand sa gestion est négative, apporte sa brique à la construction du pays dans lequel il est exercé»

L’on peut et l’on doit retenir de la révolution d’août 1983 et des quatre glorieuses années qui l’ont suivie des transformations significatives au niveau des Burkinabè et du Burkina. Il y a eu changement par rapport à l’appropriation de la gouvernance politique par les populations, une prise de conscience politique très dynamique qui a amené le Burkinabè de l’époque à devenir protagoniste de sa propre histoire, protagoniste de son devenir. Ainsi elle a apporté une amélioration progressiste des conditions de vie de nos populations. Malheureusement ceux qui sont arrivés au pouvoir n’avaient pas les mêmes rêves : il y avait d’un côté ceux qui pensaient qu’il leur fallait tous les attributs et les avantages du pouvoir et de l’autre ceux qui étaient venus travailler pour leur peuple. Il y a eu un clash entre les deux approches et la révolution a pris fin.

Je ne fais pas de fixation sur un homme quelles que soient ses capacités. Thomas Sankara est un homme comme tous les autres avec son intelligence, ses qualités et ses défauts. Mais ce qu’on ne peut pas lui dénier, c’est qu’il aimait son peuple et avait une vision pour son pays, une vision pour l’Afrique. Si nous regardons ce qui a été réalisé en quatre ans par tous ceux-là qui partageaient l’idéal de la révolution, on peut penser que nous aurions continué à faire ces petits bonds qualitatifs qui transforment la vie des Burkinabè en améliorant leurs conditions de vie. Tout pouvoir, même quand sa gestion est négative, apporte sa brique à la construction du pays dans lequel il est exercé. Les régimes qui ont précédé la révolution ont joué leur partition, peut-être qu’ils pouvaient mieux faire. Les acteurs du pouvoir en place posent des actes qui, d’une certaine manière, peuvent apporter un certains nombre de changements structurels qu’on ne peut pas nier. Mais, les faits sont là, têtus et bêtes. A deux générations près nous sommes tous des enfants de paysans, personne n’est fils d’un émir ou d’un cheik de pétrole. Des fonctionnaires qui touchent mensuellement 180 000 FCFA ne peuvent pas dormir dans une maison de 300 000 FCFA et rouler une voiture avec 60 000 FCFA d’essence. C’est ça, la gouvernance aujourd’hui au Faso des théoriciens de la rectification ou de l’émergence.

Newton Ahmed Barry, Rédacteur en chef du bimensuel “L’événement” : «On ne pouvait plus faire du Sankara sans Sankara»

La révolution a connu cette malédiction qui veut que ceux qui viennent au pouvoir ensemble n’arrivent pas au bout ensemble ou ne cheminent pas longtemps ensemble. La compétition qui s’est engagée entre les quatre leaders de la révolution a fini par bouffer les uns et les autres, et le seul survivant est Blaise Compaoré. Pour ceux qui ont fait le 15 octobre, la révolution déviait et le pouvoir se personnalisait. De mon point de vue, ils n’avaient pas la légitimité historique et intellectuelle de la révolution d’août 1983. Sans Thomas Sankara, qui était le principal théoricien même s’il s’était entouré de quelques conseillers, il était donc difficile de faire du Sankara sans Sankara. C’est pourquoi la Rectification, qui aurait dû être un approfondissement de la Révolution, était obligée de refondre le pouvoir pour le rendre beaucoup plus légitime. Ainsi la base sociale du pouvoir du Front Populaire a commencé à changer en réhabilitant un certain nombre de forces sociales qui avaient été malmenées par le CNR (Conseil national de Révolution) pendant les quatre années : à partir d’octobre 1987, Blaise Compaoré rappelle les chefs coutumiers et traditionnels, réhabilite certains syndicats, composent avec les anciennes forces politiques qui avaient été bannies sous la Révolution… une sorte de compromis entre une révolution édulcorée et des anciennes forces politiques existantes pour reconstruire un projet nouveau.

La révolution a marché sur le volontarisme. Il fallait marquer la rupture même à pas forcés, montrer l’existence d’une autre possibilité de gouverner basée naturellement sur le respect du bien public, le désintéressement de l’élite dirigeante. Mais cela a été possible en quatre ans. Est-ce que les choses allaient changer si ce régime existait toujours? On ne le sait pas. Compte tenu de la personnalité de Sankara, des idées qui étaient les siennes, je pense qu’il aurait évolué comme Rawlings* s’il avait pu créer les conditions d’une démocratisation et s’il avait profondément réussi à bouleverser la société burkinabè pour que les rôles changent et les consciences soient plus fortes.

Zéphirin Kpoda, Directeur de publication de “L’Hebdo du Burkina” : «Aujourd’hui, nous avons besoin d’une révolution mentale»

Mettre fin à la Révolution était nécessaire mais le dénouement tel qu’il a été opéré avec des pertes en vie humaine est déplorable. C’est une tragédie que tout le monde regrette, y compris ceux qui ont mis fin à la révolution. Du reste, elle était essoufflée, car la population était démobilisée et le pays avait besoin de démocratie, d’un retour à l’ordre constitutionnel normal. Du point de vue de la construction d’un Etat démocratique, sur l’existence des libertés politiques, concernant les progrès économiques, le Burkina a fait des bonds qualitatifs ces vingt-cinq (25) dernières années, ce qui me fait penser que le 15-Octobre était une situation salutaire. Cependant nous devons noter que la Révolution a réussi la mobilisation populaire, les Burkinabè étaient interpellés à s’investir de façon individuelle et collective dans le cadre du développement. Cela reste un acquis incontestable.

Aujourd’hui nous avons besoin d’une révolution mentale, car beaucoup de personnes s’attendent à des miracles là où il est difficile de faire des réalisations ex nihilo. Il faut que les Burkinabè se disent qu’ils sont dans un pays qui a des difficultés et nous devons travailler avec le peu de ressources disponibles pour faire de grandes choses.

Jean Léonard Compaoré, député à l’Assemblée nationale : «La Révolution a fait beaucoup de choses dans ce pays»

Je crois que la question est très compliquée parce que la Révolution d’août 83 est dépassée et nous sommes dans la dynamique de la renaissance démocratique avec le président Blaise Compaoré. Comme vous le savez, en 2007 nous avons célébré les 20 ans de cette renaissance démocratique ; nous sommes passés de la phase de la Révolution jusqu’à la Rectification, et aujourd’hui nous sommes dans une renaissance démocratique. On peut dire que le Burkina est arrivé à asseoir une démocratie stable. Ce que nous avons pu obtenir en 25 ans de vie démocratique et de liberté tout court dépasse largement les acquis des trois (3) autres Républiques passées. Le peuple burkinabè est dans une stabilité démocratique qui permet aux générations présentes et futures d’espérer en des lendemains meilleurs. A tous les niveaux on peut célébrer la renaissance démocratique, y compris dans le milieu de la presse. L’Observateur et «Le Pays» sont les deux (2) premiers journaux que j’ai autorisés en 1989, parce que j’étais au ministère de l’Administration territoriale, et cela a consacré la renaissance de la liberté de parole. Je crois que le mot Paalga de votre journal traduit cet état de fait, ce concept de réhabilitation. Dire que la révolution a mangé ses fils, ce sont des expressions qui passent d’âge en âge et de génération en génération. Mais ce qu’il faut retenir, c’est que l’histoire est faite de soubresauts, de flux et de reflux, et les peuples doivent seulement savoir en période de difficultés se ressaisir. La Révolution a fait beaucoup de choses dans ce pays ; avec le président Blaise Compaoré au côté du président Thomas Sankara nous avons engrangé des acquis. On peut citer la ZACA (NDLR : Zone d’activités commerciales et administratives), j’étais au ministère de l’Equipement à l’époque, le mot ZACA vient des années 86 et il transcende l’histoire et continue de nos jours. Il y a Sig-Nonghin où nous avons relogé les déguerpis de Bilbanbilin. C’est pour dire que la Révolution, à travers le Programme populaire de développement, à travers le plan quinquennal de développement populaire, a réalisé beaucoup de choses. Il y a des acquis économiques, politiques et sociaux, et du point de vue de l’ouverture de la conscience des Burkinabè. Peut-être que vous, vous en avez entendu parler, mais nous, nous en avons été des acteurs. Le Programme populaire de développement a été lancé dans les années 83-84, et la base de la Révolution, c’est le Discours d’orientation politique (DOP) qui trône devant le lycée Marien N’Gouabi. C’est un acquis Collectif, et ses rédacteurs sont toujours vivants, même si, par les vicissitudes de l’histoire, nous avons eu des tragédies. Concernant le phénomène du 15-Octobre, si vous vous référez au discours du président Blaise Compaoré du 19 octobre 1987, vous vous rendrez compte que c’est un événement qui a dépassé tout le monde, et tout le monde en était ébranlé et, peut-être plus que quiconque, lui en premier.

Aujourd’hui nous avons transcendé tout cela parce qu’on aurait pu entrer dans des périodes de troubles incessants. Aujourd’hui chaque corps social doit tirer le bilan à son propre niveau et prendre des résolutions afin que notre pays reste dans la stabilité. Ainsi chacun pourra progresser conformément à ses voeux dans une dynamique d’ensemble et du désir de vivre ensemble.

Basile Guissou, délégué général du CNRST : «Blaise Compaoré est un produit de la lutte des idées»

J’ai été successivement ministre de l’Environnement et du Tourisme, ministre des Relations extérieures, de la Coopération et ministre de l’Information du Conseil national de la révolution d’août 83. Je suis actuellement chercheur avec le grade de directeur de recherche en sociologie politique, et j’ai travaillé depuis 30 ans sur la construction de l’Etat postcolonial, prenant exemple sur le Burkina Faso. A ce titre, je peux donner mon opinion sur la Révolution. Cela dit, je pense, comme mon président dans la dernière livraison de jeune Afrique, que je ne regarde pas en arrière, je regarde vers l’avenir. Toutes les expériences négatives comme positives sont des écoles dont il faut tirer les meilleures leçons. Je ne pleure pas mon passé, je ne regrette pas mon passé, bien au contraire avec le recul de 25 ans, je dirais que s’il y avait à recommencer, je recommencerais en mieux. La révolution n’est pas tombée du ciel, c’est le fruit de 12 ans de lutte dans tous les milieux, notamment dans les universités et dans l’armée. Les contradictions dont on parle sont inhérentes à toutes actions révolutionnaires, la révolution veut dire boulverser les choses, les renverser et les transformer, et dans ce mouvement, on ne peut pas ne pas faire des victimes. Comme on le dit, ce ne sont pas des sages qui font les révolutions, mais de jeunes enthousiastes qui ont foi en quelque chose, qui sont prêts à mourir pour cet idéal. C’est ce qui s’est passé, donc il y a eu des morts, ça fait partie de la dynamique de l’action révolutionnaire et il n’y a pas à en pleurer. C’était le prix à payer, et nous l’assumons courageusement parce que ça fait partie de notre histoire. Tout les peuples qui ont une histoire authentique ont passé par là, il n’y a pas d’exception. Quant à la question de suivi, ce qui aurait pu se passer si Sankara était toujours vivant, je dirais que je suis un chercheur qui n’appartient plus à la catégorie de personne qui rêvent et spéculent inutilement. Je rêve utilement. Sankara n’est pas là, il n’est pas là, c’est tout, il n’est pas un objet de recherche. Mon pays est dirigé par quelqu’un qui vient d’être réélu pour un mandat de cinq (5) ans sur la base de la constitution, il dirige mais il ne règne pas comme vous le dites. Il est à la tête du Pays des hommes intègres et non du Pays dit des hommes intègres comme aime à l’écrire l’Observateur Paalga. Je n’ai pas ce mépris vis-à-vis de mon pays, que j’adore. Contrairement à ce que pensent les détracteurs, Blaise Compaoré est un produit de la lutte des idées dans notre pays, et par son action, nous avons connu une expérience la plus riche, la plus variée et la plus complexe. Cela dit, on ne doit pas dormir sur nos lauriers parce qu’on peut être surpris comme par la crise de l’an passé. Tous les acteurs politiques doivent s’accorder sur l’essentiel pour le bien du pays.

*Jerry Rawlings, né Jeremiah Rawlings John, est arrivé au pouvoir en décembre 1981 au Ghana après un coup d’État. En 1992, il instaura le multipartisme, fut élu la même année et en 1996 avant de passer dans l’opposition dans une alternance pacifique.

Propos recueillis par Abdoul Karim Sawadogo et Moumouni Simporé

Source : http://www.lobservateur.bf/index.php?option=com_content&view=article&id=18073:regards-croises-sur-la-revolution-burkinabe&catid=6:politique&Itemid=8

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