Publié sur http://www.lefaso.net le mercredi 5 août 2015
Par Tiga Cheick Sawadogo
Il y a 32 ans, le Burkina Faso entrait dans une révolution. Conduite par le Capitane Noel Isidore Thomas Sankara, le 04 août 1983 n’était que l’aboutissement d’une insurrection enclenchée le 17 mai 1983. A l’occasion de cet anniversaire, l’Union des révolutionnaires pour le Faso a organisé une conférence sur ce qui a marqué de façon indélébile le pays des hommes intègres. C’est un témoin proche, compagnon de Thomas Sankara, qui a animé les discussions ce 04 août 2015 à Ouagadougou. Valère Somé a fait des rapprochements entre l’insurrection du 17 mai 1983 qui a préparé à la révolution du 04 Août, et l’insurrection des 30 et 31 octobre qui est en fait « une révolution inachevée, confisquée, étouffée dans l’œuf », selon les termes du conférencier.
Valère Somé avec la verve qu’on lui connait, a d’emblée noté que la révolution d’août est le terme ultime de l’insurrection populaire déclenchée suite au complot impérialiste du 17 mai 1983, visant à endiguer la marée montante des forces démocratiques et révolutionnaires. Pour lui donc, « On ne peut comprendre la nature des événements du 04 août sans les lier aux événements du 17 mai ».
Dans la foulée d’une cohabitation difficile entre le premier ministre Thomas Sankara et le président Jean-Baptiste Ouédraogo, survint le coup de force du 17 mai 1983. « Les blindés, commandés par le capitaine Jean Claude Kambouélé, encerclèrent le domicile du premier ministre. Le commandant Boukary Jean-Baptiste Lingani fut aussi pris dans le filet ». C’était le début d’un processus qui allait conduire au 04 août 1984.
Par la suite, Sankara fut envoyé à Ouahigouya. La réaction populaire ne se fit pas attendre. Les 20, 21, et 23 mai, les élèves, les étudiants, relayés par l’ensemble de la jeunesse, manifestèrent sans désemparer dans les rues de Ouagadougou. Cette jeunesse arpentait les grandes artères de la capitale, criant, hurlant, brandissant des pancartes…, Pour exiger la libération des deux officiers arrêtés » .
Le président n’écoute pas la rue, estimant que les manifestants, un « groupe d’enfants » selon lui, étaient manipulés. A l’issue de tractations, le 30 mai, Thomas Sankara et Boukary Jean-Baptiste Lingani sont libérés. Leurs domiciles sont pris d’assaut par la population de jour comme de nuit. « Les jeunes ont pris d’assaut sa résidence derrière le stade municipal. L’affluence était tellement grande que la clôture de sa maison est tombée » a poursuivi le conférencier avant d’ajouter que « les tenants du pouvoir prirent peur et les firent incarcérer de nouveau le 9 juin pour leur sécurité ».
Blaise Compaoré depuis Pô, envoie une lettre pour dénoncer la situation. Les deux prisonniers sont encore libérés le 16 Juin. Sankara, Lingani et Zongo sont tous mutés. « La situation hybride dans laquelle on se trouvait, où il n’y avait ni de vrais vainqueurs, ni de vrais vaincus, ne convenait à personne et ne pouvait durer(…) on se trouvait dans une période où tout le monde se guettait et se surveillait, pendant que les observateurs politiques supputaient pour savoir d’où allait venir le coup… », selon Valère Somé.
Elimination physique de Sankara et de ses compagnons, ou son affectation, les pistes de dénouement sont à la pelle. Mais le temps presse, alors que le camp du Colonel Saye Zerbo est aussi suspecté d’organiser un coup d’Etat le 05 Août 1983.
Sankara et Somé eux aussi peaufinent une sortie de crise. « Le dénouement que Sankara et moi avons envisagé, c’est de faire une guerre populaire généralisée. On estimait que c’était trop facile de prendre le pouvoir en une journée de marche. Il fallait donc marcher en conquérant, village par village, ville par ville. J’ai rempli le coffre de ma voiture de livres pour rejoindre Sankara à son domicile afin que nous rejoignions Pô pour commencer la guerre populaire. Au dernier moment, Henri Zongo et Boukari Kaboré dit le Lion ont chambré Sankara sur cette solution à laquelle ils se désolidarisaient ».
Des négociations sont finalement entamées entre Thomas Sankara d’une part, l’Etat major et le président Jean Baptiste Ouédraogo de l’autre.
C’est dans cette atmosphère que le 04 août 1983 à 18h, les commandos du Centre national d’entraînement commando (CNEC) de Pô avec le capitaine Blaise Compaoré prirent la direction de Ouagadougou. A 21h, les opérations commencèrent et les points névralgiques de la capitale sont neutralisés. A 22h, tout était terminé et le Capitaine Thomas Sankara se présentait à la radio nationale pour annoncer la venue du Conseil national de la révolution qu’il va diriger.
31 ans après, une situation « presque » pareille
Valère Somé l’a martelé, la révolution du 04 août 1983 est seulement l’aboutissement, l’achèvement de l’insurrection du 17 mai de la même année. Le mûrissement a pris du temps, mais a accouché d’une révolution. Cette dernière n’aurait jamais été sans le 17 mai, a poursuivi le père du Discours d’orientation politique (DOP).
31 après, la situation a failli se répéter. Valère Somé a noté des points de similitude avec l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014. Le 17 mai était porté par la jeunesse, intrépide, qui a même présenté sa poitrine aux chars, tout comme lors des événements d’octobre 2014.
La grandeur, l’étendue de la mobilisation et la profondeur des instruments sont également des points communs que les deux événements partagent.
Mais la grande différence, c’est l’aboutissement des deux luttes. Le 17 mai a abouti à une révolution démocratique et populaire. Alors qu’en octobre 2014, la jeunesse a fait le travail, mais sa victoire a été volée. Selon Valère Somé, « la révolution est inachevée, confisquée, étouffée dans l’œuf ». Ceci par des forces qui n’étaient pas de la lutte, mais qui sont venues à la dernière minute récolter les fruits d’une lutte qu’ils n’ont pas menée.
Tiga Cheick Sawadogo