S comme Sankara

 Henri Levent

Cet article est l’éditorial du N° 26 Octobre 2006 du journal Burkinabé LE LIBERATEUR. “Henri Levent” est un pseudonyme inspiré de celui que Nobert Zongo de son vivant utilisait, à savoir “Henri Sebgo”. Or, “Sebgo” (qui vient du mooré) signifie ”Vent”. Donc ”Henri Levent” en français n’est autre qu’un éditorialiste burkinabé qui a voulu poursuivre l’oeuvre de Norbert Zongo.

Qui l’aurait cru ! ” Votre petit Sankara est fini. ” C’est le communiqué qui a annoncé la mort de Thomas Sankara le 15 octobre 87. Pourtant, quelques mois auparavant, Ouagadougou bruissait de rumeurs d’un coup d’Etat contre la personne du Président du Faso. Et Sankara lors d’une conversation confesse à sa femme : ” Si Blaise veut me tuer, il me tuera. Je l’attendrai au ciel. ”

Homme d’action et de foi, Sankara l’était. Lui et Blaise étaient devenus des frères. Le sens de l’amitié qui les liait était si fort que lors de la guerre des tracts dans les années 86-87, Thomas ayant découvert l’implication de Blaise dans la rédaction de tracts fustigeant directement le PF aurait dit à des proches : ” J’ai peur pour Blaise. Maintenant qu’on a des preuves contre lui, il risque de prendre la fuite. Il est même capable de se suicider. ” Nous étions en septembre 87. Convaincu que ” du choc des idées naîtra la vérité ” et croyant naïvement en la perfectibilité de l’âme humaine, Thomas va voir son ami Blaise à son domicile ” pour soutenir son moral “. Lui-même l’avait dit dans son message d’adieu aux Burkinabé : ” Ce n’est pas parce qu’un homme a trébuché qu’il est forcément incapable de marcher. Ce n’est pas parce qu’un homme a commis une faute, même prouvée qu’il est incapable de s’amender et devenir meilleur. ” Si seulement son frère et ami avait compris la portée de ce cri de coeur… Lui, a préféré le cri des armes. Sankara est mort, à 38 ans, assassiné par des para-commandos venus de Pô. Deux impacts de balles au front l’ont tué. Son corps gisant dans le sang avec ses 12 autres suppliciés, Blaise avance, le regarde pour la dernière fois et ordonne de l’enterrer au cimetière de Daghnoën. Pour le pouvoir, on tua. Pour le pouvoir, on tuera…

Le combat tricontinental que Sankara avait engagé aux côtés des Africains, des Asiatiques et de l’Amérique latine lui avait valu une popularité au-delà des simples frontières de sa Haute-Volta natale. Et ceux qui ont pensé qu’en le tuant le peuple se réjouirait se rendent compte aujourd’hui du contraire. L’assassinat de Sankara a créé un vide jusque là incommensurable.

Même si la révolution d’août 83 avec ses ” quatre bandes ” n’a pas réussi de grandes performances économiques, sur le plan social le Burkina n’aura jamais réalisé ni auparavant, ni jusqu’à nos jours de telles performances.

Thomas Sankara laisse derrière lui des idées fortes mais simples : justice sociale, probité, moralisation de la chose publique, lutte contre la corruption, la santé pour tous, l’éducation pour tous, la nourriture, l’eau, l’habillement et le logement pour tous… Chacun vise un idéal, mais il lui en coûte de le réaliser ; il se contente alors de fixer l’horizon et d’aller à son rythme.

Sankara, lui, avait voulu que tous bondissent vers l’horizon, convaincu, disait-il que ” tout ce qui sort de l’imagination de l’homme est réalisable par l’homme. ”

Des ambitions peut-être trop simples pour être réalisables “, conclut son ami Sennen.

Parce que l’exemple du sacrifice pour la patrie devrait venir d’en haut, Sankara touche 138.736Fcfa comme salaire et roule en Renault 5.

La guerre des numéros était pourtant prévisible, il en a toujours été ainsi des révolutions. La nôtre ne fera pas exception. En 87, lors de son voyage en France, Chantal Compaoré confiera à un journaliste étranger : ” Alors, tu as vu ton ami Thomas ? Avec lui maintenant, c’est le pouvoir personnel ! ” A quelques amis proches, le journaliste dit à peine : ” Si Chantal dit ce que Blaise pense, il va y avoir des problèmes. ”

Parce que Sankara avait voulu faire faire à son pays en quatre ans ce qu’il n’a pas fait en 40 ans, il se heurta à la résistance de ses tombeurs. Eux, n’étaient pas venus pour faire une révolution, mais plutôt pour gérer un pouvoir et tout ce qui en découle comme avantages. La preuve, la révolution ne survivra pas après Sankara. La conspiration était donc en marche ! L’exécution préméditée.

19 ans après, l’inévitable question hante Blaise Compaoré et sans doute pour le reste de sa vie : Qui a ordonné de tirer sur Sankara le jeudi 15 octobre 1987 au Conseil de l’Entente? Le saurions-nous enfin un jour ?

On cherchera en vain à accuser l’homme d’être un dictateur. Le trop de zèle d’un certain Léopold Sédar Senghor qui ne l’avait jamais porté dans son coeur fut un échec total. Malgré le soutien de la France, il n’a jamais pu convaincre que Sankara était de ceux qui ”bâillonnent leurs peuples”.

Certes, l’homme a-t-il commis des erreurs. Ses méthodes parfois sans diplomatie n’étaient pas du goût de tous. Néanmoins, il incarne et incarnera l’espoir à travers ce qu’on peut aujourd’hui qualifier de ”Modèle Sankara” : Rompre systématiquement avec le diktat occidental.

19 ans après son assassinat, l’image de Sankara va crescendo, ses fans se comptent par millions dans toute l’Afrique et le reste du monde. Malheureusement, notre justice veut enterrer le dossier Sankara. ” Quand les peuples auront fini de perdre leur âme, c’est par la justice qu’on le saura ” disait un griot mandingue en 1946. On peut dire avec certitude aujourd’hui que la postérité gardera de lui ” l’image d’un homme qui a mené une vie utile pour tous. ”

Repose en paix. Thomas.

 

Henri Levent

2 COMMENTAIRES

  1. > “S comme Sankara” de Henri Levent
    A la mort de Thomas Sankara une radio clamait avec sanglots :”l’Afrique a perdu son premier fils”. Ceci est sans conteste que Sankara etait le premier fils de l’Afrique.Il n’etait pas seulement burkinabè,ni même africain mais mondial,c’etait un homme qui croyait en l’afrique et au changement du monde.Mais qu’est ce que nous faisons de ses idées,de son combat,de son abnegation,de son sacrifice pour tous? Faisons de sorte qu’il ne soit pas mort pour rien.Cela sera la pire des remerciements que nous lui devrons.Alors il nous appartient à tous de refuser le joug de la dictature des dictateurs de nouvelle formule.Il nous revient de continuer l’idéale de Sankara tout en nous demarquant des luttes intestines de classes et de positionnement.Tout comme l’on disait:”Tuer sankara et demain il yaura mille sankara” Je crois fermement qu’aujourd’hui on a des Tom’sank en miniature et qui grandissent avec reelle patriotisme et avec une ferme volonté de liberation réelle pour l’afrique.Je crois fermement à l’Afrique et je ne suis pas de ceux qu croient que l’Afrique est maudite.Non!Nous marchons vers l’horizon du bonheur.Mais pour y arriver il faut que des gens acceptent aussi de se battre.Se battre aujourd’hui pour economiser le sang de demain.Merci mon Dieu pour l’Afrique qui se leve.

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