Nous continuons la publication des articles de Mohamed Maïga, alors journaliste d’Afrique Asie, proche de Thomas Sankara. Il a publié de nombreux articles de décembre 1982 à décembre 1983, la période de préparation de la Révolution et les premiers mois de la Présidence de Thomas Sankara. L’interview que nous publions ci-dessous a été réalisée quelques jours après le 4 août 1983, la prise du pouvoir par Thomas Sankara et ses camarades, qui marque le déclenchement de la Révolution. Elle a été retranscrite par Achille Zango, membre de l’équipe du site. Vous trouverez l’ensemble des articles de Mohamed Maïga à https://www.thomassankara.net/?s=Mohamed+Ma%C3%AFga.

La rédaction


Interview réalisée par Mohamed Maïga

L’Occident, par la voix de médias au stéréotype facile, vous présente, ici et là/ comme l’agent de la Libye, l’homme de Kadhafi en Afrique occidentale…

TS : Je préfère croire que les propagateurs de cette image sont soit des détracteurs qui accomplissent la besogne qu’on leur a assignée, soit des « observateurs » incapables de comprendre les réalités africaines et les causes pour lesquelles nos peuples se battent. L’un et l’autre à la fois, peut-être. Dommage pour eux. Mais dommage aussi que de telles considérations soient développées et prédominent sur ma personne comme sur d’autres nationalistes africains.

Je ne suis l’agent de personne, Je considère, et n’ai pas crainte de le dire, que le colonel Kadhafi est un grand homme d’État qui, aidé et porté par son peuple, a réalisé des choses importantes. Les réalisations de la Libye sur tous les plans, politique, économique, social et culturel, ne peuvent être niés.

Nous aussi sommes soucieux du bonheur et du développement de notre peuple. Ne serait-ce que pour tirer les enseignements des succès et des échecs des uns et des autres, leurs expériences ne peuvent nous être indifférentes dans l’édification, que nous entendons mener à bien, de la Haute-Volta. Alors il est aujourd’hui trop commode d’utiliser, à des fins idéologiques, l’épouvantail Kadhafi pour barrer la route au progrès aux peuples africains. Ce seul élément appelle à la vigilance. Pour ma part, je ne suis l’agent de personne. Ou plutôt si ! Je suis l’agent de quelqu’un. Celui du peuple voltaïque.

Pourtant, partout on souligne que, lorsque vous étiez Premier ministre, c’est en Libye que vous avez effectué votre premier voyage officiel à l’étranger.

T.S : On souligne un fait inexact. Mon premier voyage officiel, je l’ai effectué au Niger un pays voisin, un pays frère. C’est de là que je me suis rendu en Libye. Certains, au plus pur mépris de la vérité, n’ont retenu que le voyage en Libye… N’est-ce pas pour le moins surprenant ? J’ajouterai de surcroît pour leur information, si tant est que ce soit à quoi ils aspirent, que ces voyages dans des pays ayant des conceptions politiques différentes n’étaient pas fortuits. Mais, à croire les pseudo-analystes et autres africanistes les africains aux théories sommaires, sont aujourd’hui incapables d’aspirer au progrès dans son sens le plus large sans être des « agents de Kadhafi ».

On dit que votre retour au pouvoir inquiète précisément le Niger et encore plus la Côte-d’Ivoire, un de vos voisins.

T.S : Mes premiers contacts téléphoniques avec les présidents Félix Houphouët-Boigny et Seyni Kountché ont été empreints d’un grand respect mutuel et d’encouragements de leur part, ce qui est intéressant par rapport aux commentaires qui peuvent en être faits et que vous soulignez. Mais, ce que je dois constater, c’est que l’attitude du peuple voltaïque, ses multiples marches de soutien au Conseil national de la Révolution, ses débordements d’enthousiasme témoignent de la confiance qu’il nous manifeste et du fait qu’il se sent rassuré. Pour nous, c’est cela l’essentiel.

Nos voisins ont bien sûr toute latitude de nous juger et de nous apprécier, mais ce qui nous inquiéterait le plus, ce serait que le peuple voltaïque, lui, nous désavoue.

Et le conflit frontalier Mali-Haute-Volta ?

T.S : Le conflit Mali-Haute-Volta ? Connais pas ! Je sais seulement qu’il existe une bataille commune à nos deux pays, à nos deux peuples contre toutes les formes de domination et d’exploitation. Et dans cette région, tout conflit ne peut être qu’une création de nos ennemis communs.

Peut-être, à Bamako, attend-on un geste du régime Sankara ?

TS : Notre régime veut être celui qui cultive, avec le Mali, les relations les plus solides, les plus courageuses sur toutes les questions, même celles qu’on a coutume de considérer comme taboues. Souhaitons que nos frères et amis maliens nous aident à démontrer à la face du monde que seul l’intérêt de nos peuples indissociables doit être pris en considération.

Interview réalisée par Mohamed Maïga réalisé quelques jours après le 4 août1983.

Source : Afrique Asie N° 302 du 15 août 1983

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