Le 5 février 1986, le président Thomas Sankara participe, aux côtés de son homologue français François Mitterrand, à la conférence internationale sur l’arbre et la forêt organisée à Paris. En marge de cette conférence internationale, le Président du CNR livre une conférence de presse devant les représentants des divers organes de presse basés à Paris.

Durant cette conférence qui a suscité beaucoup d’engouement, Thomas Sankara a, avec le franc-parler qu’on lui connaît, abordé plusieurs thèmes d’actualité: la situation intérieure du Burkina Faso, ses relations avec la France, son regard sur la francophonie, le conflit avec le Mali, la politique africaine du Burkina, etc. 

Suivie d’une projection de documentaires sur la guerre de Noël réalisée par la Télévision burkinabè, la conférence a permis aux dizaines de journalistes présents de mieux comprendre certains aspects importants de la politique intérieure et extérieure du Burkina Faso. 

Nous vous proposons quelques extraits de cette conférence de presse dont le compte rendu a été fait par Serge Théophile Balima. Le fichier audio a été retranscrit par les membres de l’équipe du site, notamment: Guibien Cléophas Zerbo, Ikakian Romuald Somé, Amado Gérard Kaboré, Guy Innocent Nana, Achille Zango, Joagni Paré et Bruno Jaffré.

On trouvera le reportage complet de cette conférence (audio et retranscription) réalisée par Serge Théophile Balima à https://www.thomassankara.net/participation-remarquable-de-thomas-sankara-a-la-conference-internationale-sur-larbre-et-la-foret-organisee-a-paris/

Joagni Paré


Ci-dessous le fichier audio. Appuyez sur la flèche pour écouter

 


 

Thomas Sankara : Je m’en vais vous répondre, d’abord sur ces trois premières questions. Les sacrifices que nous demandons aux Burkinabè sont les sacrifices pour la construction d’un Burkina Faso meilleur. Le prix de l’indépendance, le prix du bonheur d’un peuple, est l’affaire de ce peuple-là. Trop malheureusement, on nous a habitués à attendre de l’extérieur des aides ou des solutions miracles, des panacées qui en réalité ne sont que des formes d’asservissement. Tant que nous ne serons pas maître de nos besoins, tant que nous ne serons pas également maîtres, tant que nous n’aurons pas pu décider nous-mêmes de ce que nous serons capables de consentir comme sacrifices et efforts, eh bien, nous ne pourrons jamais dire que nous nous développerons. On ne peut pas se faire développer par autrui. Bien entendu, nous espérons très bien que les sacrifices actuels ne seront pas continus, et que, enfin nous pourrons trouver des lendemains meilleurs.

Journaliste: Monsieur le président, confirmez-vous les rumeurs qui circulent quant à votre intention d’aller au FMI? 

Thomas Sankara : Quelqu’un me demandait également si je confirme  les rumeurs qui circulent quant à notre intention d’aller au FMI. Nous ne savons pas si nous irons ou si nous n’irons pas au FMI. Toujours est-il que nous cherchons des solutions au niveau burkinabè, entre Burkinabè. Nous ne pouvons pas penser que le FMI soit essentiellement préoccupé de l’intérêt du développement du Burkina Faso exclusivement, du succès, du triomphe de la Révolution burkinabè mieux que les Burkinabè. Par conséquent, c’est d’abord aux Burkinabè que nous devons nous adresser. Si demain, il s’avérait indispensable de compléter ces efforts-là par d’autres efforts, par exemple ceux du FMI, nous étudierons la question. Mais en tous cas, nous nous gardons de faire, de nous comporter comme celui-là qui s’en remet à un charlatan pour se faire guérir dans le désespoir. C’est vous dire que nous aurions pris toutes les dispositions pour que les efforts, les sacrifices que le FMI nous demanderait, soient des sacrifices contrôlés, contrôlables, avec des conséquences également contrôlables. Autrement, il ne sert à rien de s’en remettre à un FMI si c’est pour se retrouver face à un peuple qui n’en sent pas la nécessité et qui endure les douleurs. 

Journaliste : À propos de votre intervention hier sur TF1, vous avez dit qu’on ne comprenait pas les problèmes africains. Qu’est-ce que vous voulez dire par là ?

Thomas Sankara : Je veux m’ériger là contre le système qui nous a été imposé, qui a ses mérites mais qui a essentiellement beaucoup de limites. Nous les Africains, nous avons été entraînés dans une mouvance que nous n’avons pas choisie et que nous ne contrôlons pas. Nous avons été entraînés dans une civilisation dont nous ne contrôlons pas les éléments. Les normes de développement que l’on nous impose sont des normes qui sont valables ailleurs et pas toujours valables en Afrique si bien que l’on nous soumet à ce rythme de développement extrêmement infernal pour nous, surtout que nous n’en avons pas toujours les moyens. 

En plus, et surtout, je constate que le débat avec l’Afrique se passe toujours à travers les mêmes canaux qui ne veulent pas changer, qui ne veulent pas évoluer. Or, l’Afrique a changé, l’Afrique a évolué ; l’Afrique d’hier est une Afrique qui était essentiellement représentée par, j’allais dire, de grands électeurs. Aujourd’hui la plupart des Africains sont devenus des grands électeurs. Et c’est avec cela qu’il faut compter, et c’est cela qu’il faut écouter. Et comme vous, vous êtes des journalistes d’Afrique nouvelle, c’est justement avec l’Afrique nouvelle qu’il faut compter. 

Thomas Sankara : A propos de la RAN, oui il y a un problème avec la RAN. C’est exact. Vous savez que le chemin de fer qui va d’Abidjan à Ouagadougou est un chemin de fer qui est partagé par le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire et il est question que chaque pays gère sa portion. Initialement, nous avions ensemble, la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso, engagé un programme important de développement de ce réseau. Ce programme devait nous permettre de moderniser la voie depuis Abidjan jusqu’à Ouagadougou. La partie ivoirienne l’a été. La partie burkinabè pas encore. Mais, nous pensons que si rupture il doit y avoir, eh bien, cela doit se faire après que chaque portion ait bénéficié des avantages du programme de restructuration. 

Toujours est-il que, je pus l’assurer en accord avec le président Houphouët Boigny de la Côte d’Ivoire, nous avons préféré mettre cette question à l’écart, le temps de nous concerter et de trouver un accord entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso. Mais le projet du chemin de fer au Sahel, la bataille du rail comme nous l’appelons à Ouagadougou qui doit nous conduire de Ouagadougou jusqu’à Tambao, vise à désenclaver la région Nord, vise également à exploiter les richesses qu’il y a là-bas au Nord, à Tambao, le manganèse. Ce projet se poursuivra. Nous le poursuivrons toujours. 

Journaliste: Pourquoi l’Institut des peuples noirs (IPN)? 

Thomas Sankara: Si une ligne des États noirs vise à récréer une conscience de l’Homme noir comme élément devant participer à un développement communautaire avec les autres hommes de l’Humanité, cela devient plus que mieux que de la cohabitation, cela devient de la participation. Alors, nous sommes pour. Et c’est ainsi qu’au Burkina Faso, nous avons lancé une idée qui fait son chemin, à savoir, l’institut des peuples noirs (IPN). 

L’institut des peuples noirs vise chez nous, à situer le rôle, la place du Noir dans le développement de l’Humanité. D’où vient le Noir ? Que fait-il aujourd’hui ? Et que peut-il apporter aux autres ? Cet institut a la prétention de créer un dialogue entre les Noirs et les autres hommes. Ces autres hommes qui viendront nous dire à nous Noirs comment ils nous perçoivent. Il est nécessaire que nous sachons par exemple comment le Blanc perçoit le Noir, comment l’Arabe perçoit le Noir. 

Il est aussi normal que nous puissions dire comment nous percevons les autres et ce qui nous paraît être source d’incompréhensions. Le Noir a beaucoup apporté à l’Humanité dans tous les domaines : dans le domaine de la science, dans le domaine de la culture, dans le domaine de l’art militaire, etc. Nous ne pouvons donc continuer qu’à développer, à mieux cerner ces valeurs noires pour mieux les intégrer à un développement de l’Humanité. Je répète encore une fois, dans un sens de participation et non pas dans un esprit sectaire et d’exclusion. 

Journaliste: Où en est-on avec l’affaire Diawara? 

Thomas Sankara: L’affaire Diawara, quelqu’un me demandait tout à l’heure où en est l’affaire Diawara. Alors, l’affaire Diawara se trouve à Ouagadougou, au Burkina Faso (rires dans la salle). C’est-à-dire que nous sommes sur le point de juger monsieur Diawara qui, de concert avec d’autres personnes, a eu à dilapider des fonds de la CEAO—FOSIDEC (Fonds de solidarité et d’intervention pour le développement de la communauté). 

Mais je crois que c’est de façon erronée que l’on parle, que l’on présente cette affaire comme l’affaire Diawara tendant à culpabiliser Diawara. Je ne veux pas le défendre, mais je ne voudrais pas non plus que l’on le présente comme le seul coupable. En fait, Diawara peut tout au plus, mais les juges le diront mieux que moi, être taxé de receleur. Mais, il y a bien eu des gens pour ouvrir les coffres, sortir l’argent, et le remettre à Diawara. Ceux-là aussi devraient être jugés. Et ils sont nombreux. Le Burkina Faso n’a nullement l’intention de ramollir ou d’être complaisant dans cette affaire. Nous avons reçu pour mission de juger Diawara, nous le jugerons selon le droit burkinabè, selon les juridictions normales du Burkina Faso et avec fermeté. 

Donc avec le respect que nous avons pour les autres membres de la CEAO, nous prendrons contact ça et là pour nous mettre en accord avec eux et nous jugerons Diawara. Maintenant quant à la période, je ne puis vous le dire. Cela dépendra des résultats des contacts que nous allons prendre et très bientôt, nous publierons le calendrier. Mais le dossier technique, je peux vous le dire, est prêt.

Journaliste: Que pensez-vous de la politique libyenne à l’égard de l’Afrique?

Thomas Sankara: La politique libyenne à l’égard de l’Afrique. Eh bien, je crois qu’il y a beaucoup d’incompréhensions à propos de la Libye. La Libye est pour le Burkina Faso un pays ami et frère et nous entretenons des relations excellentes avec ce pays. Nous ne nous en cachons pas. Maintenant sur le plan concret, avec la Libye comme avec n’importe quel pays, chacun de nous reste insatisfait. Je ne connais pas de pays qui puisse dire que sa coopération donne satisfaction, que son carnet de commande, ou ses requêtes sont à 100% satisfaites selon qu’il s’adresse à tel ou tel pays. La Libye n’échappe pas à cette règle, la Libye est comme les autres pays.

Et nous savons également que nous ne pouvons pas nous arrêter simplement à ces insatisfactions sur des demandes qui n’ont pas reçu de réponses concrètes ou qui ont tardé à recevoir des réponses ou qui restent uniquement dans le domaine des déclarations de bonnes intentions.

Je crois aussi que l’on ne fait pas suffisamment d’effort pour discuter avec tous les pays. L’exclusive est très dangereuse. Le rejet est très dangereux. Il faut être suffisamment ouvert pour accepter le dialogue même avec ceux-là dont on ne partage pas les points de vue. Et nous, nous le pratiquons. Nous, nous le pratiquons et c’est ce qui fait que nous fréquentons et la Libye et ceux qui sont contre la Libye.

Journaliste: Que pensez-vous du rôle du président Félix Houphouët Boigny dans la méditation entre le Burkina Faso et le Mali ?

Thomas Sankara: Quelqu’un m’a demandé qu’est-ce que je pense du rôle du président Félix Houphouët Boigny dans la méditation entre le Burkina Faso et le Mali ? Tout effort qui vise à instaurer la paix en Afrique et ailleurs mérite d’être salué d’où qu’il vienne. Et à ce titre nous avons salué les efforts du président Houphouët Boigny, nous avons salué les efforts des autres présidents, des autres chefs d’Etat notamment ceux de l’ANAD, mais également ceux du Nigeria et de la Libye. Nous les avons salués comme étant des actes positifs, des actes qui rapprochent davantage et qui créent une solidarité, qui créent une conscience internationale, qui garantit un certain nombre de règles.

Nous avons été très … Je vous livre ici que dans cette affaire, ceux-là même que l’on soupçonne d’être des terroristes, je prends le cas du colonel Kadhafi, ont avec véhémence condamné et tenté même de nous faire un procès parce que disaient-il nous n’avions pas eu le courage de refuser, de répondre à l’agression. Cela nous a surpris mais cela devrait aussi étonner. 

Journaliste: Quel regard portez-vous sur la conférence sur la Francophonie?

Thomas Sankara: La conférence sur la Francophonie. Eh bien, nous nous sommes francophones, nous parlons le français. Mais ce que le Burkina Faso a à dire c’est qu’il y a deux français : selon que la conférence se tiendra en français national ou en français international nous verrons ce qu’il faudra faire.

Si c’est en français national ça serait une affaire intérieure et nous n’avons pas le droit de nous immiscer dans les affaires intérieures de la France. Si c’est le français international alors là nous viendrons aider à développer le français international. Je veux dire par là que, le français comme propriété d’une communauté beaucoup plus large que celle qui est confinée dans l’hexagone nous concerne. Et ce français-là est un français qui doit être dynamique. Ce français-là est un français qui ne peut pas résister contre les transformations inévitables. Ce français-là sera bien obligé de constater le dispatching …  [rires dans la salle] et d’admettre…En tout cas, ce sera l’affaire des reporters qui feront des scoops [rires dans la salle], là-dessus. Et il sera obligé aussi de comprendre et d’admettre que des mots comme “zatu” qui sont des mots burkinabè entrent et s’imposent au français international. 

Journaliste: Pardon… Zatu ça veut dire quoi? 

Thomas Sankara: Zatu, c’est le mot révolutionnaire qui traduit et dépasse le concept bourgeois et républicain de loi. [Rires] 

Journaliste: Pouvez-vous nous dire pourquoi vous avez été absent au dernier sommet France-Afrique?

Thomas Sankara: « Bien! Afrique Nouvelle me demande pourquoi, me demande d’abord si je peux m’expliquer sur notre absence au sommet France-Afrique, au dernier sommet qui s’est tenu. Et je profite pour dire qu’il est dommage que l’on ait observé notre absence à ce dernier sommet et que l’on n’a pas remarqué notre absence à l’avant dernier sommet. (Rires) Mais enfin, de façon déséquilibrée quand même, hein ! De façon déséquilibrée. Nous avons fait… Après Vittel nous avons fait une déclaration sur notre position vis-à-vis du sommet France-Afrique.

Et nous avons proposé qu’un cadre nouveau soit créé, soit engagé, soit recherché afin que le dialogue nécessaire entre les Français et les Africains puisse se tenir, mais en marge et, dans le rejet total des formules que même le parti socialiste à ses débuts en 81 en tout cas a essayé de mettre de côté.

C’est d’ailleurs ce qui explique que par euphémisme euh…le sommet franco, … jadis franco-africain soit devenu le sommet France-Afrique. Souvenons-nous de cet euphémisme-là très indicateur des rejets. Il y avait des germes de rejet. Maintenant, qui a tué ces germes? En tout cas ce n’est pas nous.

Journaliste: Est-ce que la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD) va quitter l’OUA?

La RASD (République Arabe Sahraouie Démocratique): Est-ce que la RASD quitterait l’OUA? Nous avons contribué, nous Burkinabè, avec d’autres Etats africains à installer la RASD à l’OUA. Je ne pense pas que la RASD puisse quitter l’OUA sans quand-même en débattre avec nous. Dans tous les cas, il appartient à la RASD de répondre et de clarifier sa position si oui ou non elle doit quitter l’OUA. Mais je ne crois pas non plus que la RASD se soit battue pour arriver à l’OUA pour enfin la quitter de façon cavalière. 

Journaliste: Vous vous êtes rencontrés avec le président François Mitterrand. Qu’est-ce que vous vous êtes dit? De quoi avez-vous parlé? 

Thomas Sankara: La façon de poser votre question m’inquiète un peu. Parce que vous aviez dit que ça n’allait pas, j’ai été reçu par le président Mitterrand, donc ça va maintenant. Qu’est-ce que nous nous sommes dit? Euh… est-ce que tous ceux que le président François Mitterrand reçoit sont ceux avec lesquels il s’entend? Enfin il y a des gens ici même avec lesquels on fait de temps en temps, est-ce que cela veut dire qu’on s’entendent forcément ? Je ne crois pas que l’on puisse dire, “parce qu’il a été reçu, ça marche mieux.” Comme si hier il refusait de me recevoir ou je refusais de le voir. 

Mais également, vous me comprendrez. Collégialement, j’assure avec le président François Mitterrand la responsabilité du secret de nos entretiens. Et je ne peux pas unilatéralement trahir ces secrets là. Il faudrait que nous nous entretenions lui et moi et que nous donnions une conférence de presse, un duo en quelque sorte. Mais enfin. J’ai dit effectivement que nous nous sommes expliqués, nous nous sommes compris sur un certain nombre de questions. Le fait que nous ayons pu discuter est déjà positif. En tout cas, je le considère comme positif. Et j’ai dit que ça allait mieux.  Mais vous savez, quand on a 40° de fièvre et que l’on n’en a plus que 39, on peut dire que ça va mieux. Mais est-ce que l’on se porte pour autant bien ? 

Journaliste: Qu’est-ce qui ne va pas ?

Thomas Sankara: Alors, qu’est-ce qui ne va pas ? C’est tout un diagnostic qu’il faudrait faire. Et c’est cela le long chemin qui reste à parcourir. Euh, c’est la redéfinition de nos rapports. Nous avons eu hier des rapports conflictuels, des rapports de domination. La France nous a colonisés. Aujourd’hui, nous ne sommes plus une colonie française. Nous ne voulons plus non plus être une néo-colonie française. Cela amène à changer toute la stratégie de cette coopération entre la France et le Burkina, et cela ne peut pas se faire automatiquement, cela ne peut pas se faire non plus sans heurts. 

Combien sont-ils, les intérêts français qui n’admettraient pas que le Burkina Faso prenne le grand large par rapport à certaines conceptions ou certaines attitudes françaises? Et de même, combien sont-ils au Burkina Faso—mais j’allais dire, en Afrique en général—qui conçoivent également les relations entre l’Afrique et la France à travers les prismes de l’assistance et de la braderie de l’indépendance et de la souveraineté? C’est également ces questions-là qui se traduisent par des questions subsidiaires, par des faits, et qui amènent parfois des discussions j’allais dire un peu tendues, mais qui finissent toujours par se détendre. 

Journaliste 1: D’autre part, monsieur le Président, vous avez noté que dans les nouveaux accords de coopération qui remplacent ceux de 1961, il n’a pas été question d’accords de coopération militaire. Nous savons qu’il en existe un. Est-ce que vous êtes satisfait de celui qui existe ou bien est-ce que vous, vous pensez que dans un avenir plus ou moins proche, vous changerez aussi les termes de cet accord de coopération militaire ? 

Journaliste 2: Monsieur le Président, à propos de la coopération française, vous aviez déclaré l’année dernière que la coopération pour le développement a un long chemin à faire. Et vous venez de signer des accords de coopération avec la France, est-ce que ça veut dire que ce chemin a été fait et si oui, dans quel sens ? 

Thomas Sankara: Les nouveaux accords de coopération n’ont pas parlé d’accords militaires… Bon, c’est à dessein, vous savez que nous sommes l’un des rares pays africains francophones à ne pas avoir avec la France d’accords de défense, à n’avoir avec aucun pays d’accords de défense. Nous avions des accords militaires avec la France qui nous garantissait une assistance militaire française. Nous discutons pour que cette assistance militaire soit réciproque. Le jour où la France aura besoin d’assistance militaire burkinabè, que nous puissions venir vous défendre. Et je vous prie, mesdames et messieurs, de ne pas rire. Hier, nous vous avons défendus! C’était quand? Avant-hier c’était en 14, 18 (première guerre mondiale)! Hier, c’était en 39-45 (seconde guerre mondiale)! Et il n’est pas de Burkinabè qui n’ait dans sa famille le souvenir d’un homme, d’un oncle, d’un parent mort pour la France. Ce sont des accords également qui devraient exister et garantir des droits. Nous nous sommes battus, nous avons sué sang et eau pour que la France soit libre. Souvenez-vous de cela!

Journaliste: Monsieur le président, la France est la puissance extra africaine que vous avez accusée d’être intervenue à côté du Mali. Pourquoi?

Thomas Sankara: Nous avons voulu indexer tous ceux qui ont apporté assistance au Mali avant, pendant et après; mais je m’étonne que la presse n’ait pas suivi les pérégrinations des autorités militaires en direction du Mali, des autorités militaires étrangères en direction du Mali. De toute façon, nous nous avons l’intention de revenir fermement sur cette question beaucoup plus en détail et nous avons l’intention de culpabiliser qui doit être culpabilisé. Parce que tellement de gens parlent de la paix, mais ne la désirent pas sincèrement. Dans une situation contentieuse entre deux États, tout ce que l’on apporterait comme coutelas et gourdin ne peut être considéré que comme un acte qui vise à encourager, à ajouter de l’huile sur le feu. Alors là, nous ne pourrons pas ne pas le condamner. 

Journaliste: Monsieur le président, avez-vous cherché à éviter le conflit avec le Mali?

Le conflit avec le Mali, vous m’avez demandé si j’ai cherché à l’éviter. Oui, j’ai cherché à éviter le conflit avec le Mali. Des démarches nombreuses ont été faites. Nous avons envoyé plusieurs fois des émissaires au Mali. Ils n’ont pas toujours été reçus. Je m’étais même préparé juste avant le conflit, à aller moi-même en visite au Mali. Auparavant, j’y avais été un certain nombre de fois. Et même une fois, j’y avais été clandestinement pour rencontrer le président et discuter avec lui. J’avais alors annoncé un envoyé spécial de la présidence et j’avais demandé par télex au président du Mali de bien vouloir recevoir personnellement cet envoyé. Et puis, c’était moi-même. Pour lui montrer à quel point j’étais préoccupé par la situation. 

Enfin, et comme preuve ultime de cette volonté d’éviter coûte que coûte le conflit avec le Mali: lorsque le Mali s’est plaint que les troupes dépêchées par nous pour protéger les agents de recensement constituent pour lui une espèce de menace ou d’escalade, eh bien, nous avons accepté de retirer ces troupes. Et j’ai été personnellement expliqué aux troupes qui n’entendaient pas tellement reculer pourquoi il fallait reculer. J’y suis parti le 24 décembre au soir. Le 25 décembre au matin, on nous a bombardés et j’étais sous le feu. 

Journaliste: Monsieur le président, quelle est votre appréciation de la nouvelle majorité éventuelle en France? 

Thomas Sankara: Quelqu’un me demande aussi l’attitude sur la nouvelle majorité éventuelle en France. Mais quelle pourrait être cette nouvelle majorité ? Quand est-ce que l’opération Barracuda a eu lieu ? C’était quand? C’était sous qui? Juste pour mon information, parce que je ne connais pas bien la politique intérieure française. C’était sous quel président? 

Journaliste: (Inaudible)

Thomas Sankara: Pardon? Dites-le plus fort! 

Journalistes: Giscard… (Valéry Giscard d’Estaing)

Thomas Sankara: Giscard? 

Journalistes: Oui!

Thomas Sankara: Merci! C’était donc des troupes qui étaient parties… Au Tchad c’était sous Mitterrand? 

Journalistes: Oui, l’opération Manta au Tchad c’était sous Mitterrand.

Thomas Sankara: Ah! Manta c’était sous Mitterrand? Manta c’est un poisson non?

Journalistes: Oui!

Thomas Sankara: Barracuda, c’est aussi un poisson?

Audience: Oui [Rires dans la salle]!

Thomas Sankara: Oui, ce sont des problèmes aquatiques, je ne me mêle pas de cela. [Eclats de rires dans la salle]. 

 

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