Cet article paru dans l’Evènement N°101 du 10 octobre 2006 revient assez longuement sur différents épisodes de la révolution burkinabé. Il rapporte des témoignages sur l’implication de la Libye de Khadafi dans le complot contre Sankara. Il donne la parole à certains des acteurs de la révolution, adoptent un ton particulièrement critique sur la politique internationale menée par Thomas Sankara et revient longuement sur la gestion des rapports avec les syndicats durant la révolution.

La rédaction

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Par Merneptah Noufou Zougmoré

Si tu échoues qu’au moins tu échoues en osant de grandes choses. De sorte que ta place ne soit parmi les âmes froides et timides qui n’auront jamais connu ni la victoire ni la défaite. ” Cette assertion est de l’homme de lettre Théodore Roosevelt. Le Président Thomas Sankara aimait à le paraphraser pour montrer jusqu’à quel point il était attaché a son rêve de révolutionnaire, 19 ans après les acteurs de cette Révolution Sankarienne de même que les pourfendeurs témoignent de la fin tragique d’une expérience de gestion de pouvoir qui n’a duré que 4 ans mais qui occupe une place de choix dans l’Histoire post-Indépendante de ce pays.

Le député Fidèle Toé a été un proche collaborateur de Thomas Sankara. Sous son régime il a été ministre du Travail et de la Sécurité Sociale Il avoue avoir connu le Président Thomas Sankara depuis 1962. Il fut son directeur de cabinet quand il était secrétaire à l’Information sous le Comité Militaire de Redressement pour le Progrès National (CMRPN), il a occupé également le même poste quand il était premier ministre sous le Conseil de Salut du Peuple (CSP). Militant de l’Union des Communistes Burkinabè (UCB) cet homme est demeuré attaché à l’idéal de Thomas Sankara, même après sa mort. Il donne un éclairage sur ce qui s’est passé le 15 octobre 1987 : “Avant la date fatidique du 15 il y avait un malaise et le fondement remonte à la lutte contre la corruption dont le Président Sankara avait fait son cheval de bataille“. Des gens voulaient puiser dans le couscoussier national[[L’expression est de Talla Sylla, homme politique sénégalais. Elle veut dire puiser dans les caisses de l’Etat.]], mais le Président du Conseil National de la Révolution ne l’entendait pas de cette oreille. D’où la crise.

Le Capitaine Thomas Sankara aimant les foules, auprès d’elle il était visible tandis que son cadet le Capitaine Blaise Compaoré était moins visible. Ce fait est apparemment anodin mais pour un homme ambitieux comme l’actuel Président ça pouvait constituer une source de frustration. Des gens proches du Président du Faso de l’époque ont tenté de l’alerter. Le Capitaine Jerry John Rawlings par exemple lui a dit qu’il sentait quelque chose de pourri au Burkina. Blaise profitant d’une visite en Libye s’est fait introduire chez le guide libyen pour demander de l’argent afin de pouvoir entretenir son bras armé. L’interprète qui avait de l’admiration pour Sankara s’en est ouvert a lui pour le prévenir que quelque chose se tramait et que ça sentait de la trahison. Quelques moments après pendant que tous les chefs historiques étaient là, Sankara attira leur attention sur l’argent qui a été pris en Libye chez Kadhafi. De plus Blaise n’étant pas passé par le Prytanie Militaire de Kadiogo (PMK), il faisait un singleton aux yeux de beaucoup de camarades de Thomas. Ce faisant, des inconditionnels du Capitaine Sankara comme le capitaine Michel Koama de l’ETIR (Escadron de transport et d’Intervention Rapide) n’ont pas manqué de prévenir Blaise Compaoré que s’il tente un complot, il va les trouver sur leur chemin. C’est pour cela que dès le 15 octobre dans la soirée on a trouvé Koama mort dans son salon. On avait infiltré parmi ses éléments à Kamboinsin, une taupe du nom de Nidar Gaspard Somé. Il s’illustrera d’ailleurs après le 15 octobre comme un des éléments les plus barbares de notre armée.

Le 15 octobre a été en fait la seconde tentative réussie La première avait été programmé pour le 9 octobre dans la soirée. Cette information vient de la bouche du père de Sankara. Des militaires auraient quitté Pô pour venir lui annoncer la conspiration. ”

J’ai eu Sankara au téléphone le 15 Octobre au soir à 16 heures et il me rappelait la reprise du sport de masse. Ces séances de gym que le régime imposait à tous les agents des services publics. Mais à mesure que la crise s’exacerbait au sommet, beaucoup avaient déserté les terrains. Dans cet entretien téléphonique, Sankara m’apprend la reprise du sport de masse mais aussi la tenue d’une réunion pour les jours à venir. C’est le dernier contact entre nous. Quelques minutes après le coup de fil, Sankara est assassiné “, affirme Fidèle Toé. Il est obligé de s’enfuir au Ghana, comme nombre de collaborateurs directs, survivants de Thomas Sankara. Le 25 octobre 1987 les autorités du Ghana organisent des funérailles grandioses pour le leader de la Révolution Burkinabè.

Après les funérailles, Fidèle Toé a voulu revenir au Burkina, mais les autorités ghanéennes le lui ont déconseillé fortement. C’est ainsi qu’il se résolut a partir au Congo Brazzaville où il a séjourné 7 ans, de 1987 à 1994. L’un des arguments des nouveaux maîtres d’alors, c’était la création de la FIMAT qui devrait constituer la force prétorienne de Thomas Sankara. Pourtant il n’en était rien selon Fidèle, la décision de la création de la FIMAT (Force d’Intervention du Ministère de l’Administration Territoriale) a été acceptée par tous. Elle devrait constituer la troisième force après l’armée et la gendarmerie. Sa gestion a été confiée à Sigué Askia Vincent. M Toé souligne que Sigué était un des pions de la Révolution d’Août 1983. Il avait œuvré à son avènement. Sankara avait envoyé Sigué dire à Blaise de ne pas marcher sur Ouagadougou parce qu’il avait trouvé un terrain d’entente avec le Président Jean Baptiste Ouédraogo. Sigué ne l’a pas suivi. Il a fait même le contraire, si bien que les premiers coups de feux ont surpris Sankara. Le même Sigué a été abattu quelques moments après la conspiration du 15 octobre à la frontière ghanéenne.

L’épisode du lion du Boulkièmdé

La suite des événements a été la rébellion du capitaine Boukary Kaboré dit le Lion du Boulkiémdé l’ex commandant du Bataillon d’Intervention Aéroporté (BIA), son adjoint le jeune lieutenant Daniel Kéré a voulu marcher sur Ouagadougou sitôt que la nouvelle leur est parvenue, mais le Lion l’en a empêché, parce que les vieux de Koudougou dit-il ont estimé que ça ne valait pas la peine, parce que Sankara était déjà mort. S’en est suivie après la prise de Koudougou, un carnage organisé où le même Daniel Kéré, Sanogo Elisé et plusieurs autres militaires ont trouvé la mort. Ils ont été précipités dans une fosse commune dans un des quartiers de cette ville. Le même sort a été réservé au capitaine Lamoussa Sayogo en poste à la troisième région militaire, tué par un explosif camouflé dans sa maison au petit matin. Un procès expéditif a été organisé et les éléments du BIA qui étaient de garde chez lui ont été reconnus coupables et exécutés.

Ton apaisant

Le lieutenant Omar Traoré a traité Sankara de renégat à la Radio, le soir du 15 octobre. Le 19 octobre Blaise Compaoré, dans un discours à la nation utilise un ton apaisant et parle de Thomas Sankara comme d’un révolutionnaire qui s’est trompé. Pour Fidèle Kientéga Président du Front Démocratique Sankariste ex conseiller diplomatique de Thomas Sankara. L’ ex Président du Faso a vaincu la mort et il le cite : ” Chacun doit faire ce qu’il a à faire du mieux qu’il peut. Au lieu de se préoccuper de la mort. Car de notre vivant nous ne connaissons pas la mort et mort nous ne savons plus que nous avons été vivant. Après nous il n y aura que les autres pour nous regretter ou nous haïr. ” Tel était selon lui la pensée du jeune leader révolutionnaire.

Adama Touré dit Lénine ancien dirigeant du parti de Amirou Thiombiano le Parti Africain de l’Indépendance (PAI) Professeur de Thomas Sankara au Prytanie Militaire de Kadiogo (PMK) et ministre dans le premier gouvernement du CNR, n’apprécie pas le Président Thomas Sankara. Après une année de participation active dans le CNR lui et ses camarades ont été expulsés pour cause de divergences politiques. Dans son ouvrage intitulé : Une Vie de Militant. Ma lutte du collège à la révolution de Thomas Sankara. Il expose sa vie de militant depuis le lycée jusqu’à la Révolution du 4 Août, sa participation, la rupture, la prison et la tentative de réconciliation et finalement la rupture finale avec le PAI. Il présente le président du CNR comme un hypocrite qui a plusieurs tours dans son sac. Par contre Blaise Compaoré semble sage et pondéré. Albert Salfo Balima, ex fonctionnaire des Nations unies, pense la même chose de Sankara et de Blaise Compaoré dans son livre intitulé : Légende et Histoire Des peuples Du Burkina Faso préfacé par Blaise Compaoré. Pour lui Sankara s’est illustré négativement tout le long de son règne à travers un comportement extravagant.

Politique aventuriste de Sankara

La charpente de sa politique étrangère était dangereuse pour le pays. La preuve selon lui est que : ” En 1983 quand Sankara s’est frayé un chemin pour récupérer le pouvoir, c’est la France qui fournissait à la Haute-Volta 40% de ses ressources budgétaires, soit 21 milliards et plus tard une rallonge de 3,5 milliards. ” Comparant Blaise Compaoré a Thomas Sankara feu Balima disait ceci : ” Thomas Sankara et Blaise Compaoré ne pouvaient pas s’entendre et ne pouvaient pas coexister. Sankara était un romantique comme Napoléon, toutes proportions gardées. Il voulait embrasser le monde. C’est une aventure. Blaise est un réaliste il a perdu les illusions de la jeunesse.”. Quant à l’opinion publique, elle déplorait la naïveté du Président Sankara compte tenu de sa jeunesse mais le tenait pour sincère et Révolutionnaire. Malgré son jugement assez sevère sur Sankara M. Balima ne manque pas d’indiquer : “avant de déclarer bienheureux un catholique promis à la sainteté le plus souvent, le Vatican donne le temps au temps. Sans doute devrons-nous suivre la même procédure, avant de porter des jugements définitifs.”

Malheureusement, le vieux Albert Salfo Balima n’est plus vivant pour voir et apprécier. Il aurait eu son mot à dire sur la place exacte du Président Thomas Sankara, dans notre Histoire. Allait-il le classer parmi les démons ou parmi les saints ? De toutes les façons les avis sont partagés sur cette expérience qu’a vécu notre pays. Un bonze du pouvoir actuel aurait dit que ” c’est les naïfs qui font les Révolutions et les opportunistes en profitent

Merneptah Noufou Zougmoré

Source : l’Evènement N°101 du 10 octobre 2006 http://www.evenement-bf.net/pages/dossier_2_101.htm

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