15 octobre 87 : La part de Jacques Chirac et de la droite française

20ans après, les citadelles continuent de tomber autour du 15 octobre 1987. Une à une. Lentement, mais irrésistiblement. La dernière en date, étant "l’aveu" de l’implication de la gauche, mais surtout de la droite française. Un observateur nous avait prévenu : "à partir du 20e anniversaire, vous allez en entendre beaucoup". Les faits sont en train de lui donner raison.Lors de la commémoration du 20e anniversaire de l’assassinat du Président Sankara, les participants au symposium organisé par les sankaristes ont demandé l’ouverture des archives d’un certain nombre de pays au nombre desquels figurent la Côte d’Ivoire et la France. Et l’on comprend bien le pourquoi d’une telle exigence…

 

Paris, le 14 juillet 1995. Avenue des champs Elysées. Jacques Chirac, récemment élu à la présidence de la République française dans une élection où personne pourtant ne le voyait à l’arrivée, inaugure la première fête nationale de son septennat. A ses côtés, Blaise Compaoré, le président burkinabè, au pouvoir depuis 1987. Il est le seul chef d’Etat africain convié à ces festivités, dont les convives sont rarement choisis au hasard. Une chose est certaine, le symbole est fort. Si fort qu’on a du mal à oublier qu’en 1986, la France vit une ère de cohabitation, incarnée par deux personnalités politiques de premier plan : le socialiste François Mitterrand en poste à l’Elysée depuis 1981, et son nouveau Premier ministre, le gaulliste Jacques Chirac. Le retour de la droite aux affaires, celle que Lionel Jospin avait malencontreusement qualifiée d’ "esclavagiste", est bien le signe que les Français réclament un changement de cap. Ou tout au moins, une certaine clarté dans les orientations stratégiques de leurs gouvernants. Jacques Chirac l’a bien compris. Selon toute vraisemblance, la droite reprochait à la gauche une certaine mollesse sur le plan de l’affirmation de l’image de la France ; c’est de bonne guerre, dirait-on. En particulier, concernant le cas de certains régimes qui, à force de "déranger", sont entrés dans l’œil du cyclone : sont de ceux-là, le régime révolutionnaire du Burkina Faso, avec sa rhétorique anti-impérialiste, particulièrement irritante en direction de Paris et de son pré carré.

François Mitterrand, quoi qu’on en dise, restait admiratif devant la fougue des jeunes révolutionnaires burkinabè, qui lui rappelaient une certaine époque de son propre engagement militant. Quand j’avais votre âge, disait dit-il à Sankara, j’étais comme vous. La réponse de Sankara n’a pas tardé comme il fallait s’en douter : il aimerait avoir la sagesse de son vis-à-vis lorsqu’il aurait son âge, répondit-il. De là, à penser qu’il y ait eu un début d’affection entre les deux hommes politiques auxquels l’humanité reconnaît, du reste, un génie politique sans commune mesure, il y a un pas qu’il serait particulièrement hasardeux de franchir. Ceci pour une raison très simple : les Etats, pas plus que les chefs d’Etat du Nord et du Sud, n’ont pas d’amis. Ils n’ont que des intérêts. Ils ont des intérêts qu’ils ne sont pas prêts à mettre en danger. Et surtout, pas pour les jolis vers "impertinents" d’une révolution au langage particulièrement acerbe. Le vieux renard conseillera d’ailleurs au jeune  leader burkinabè "de ne pas trop en faire quand même" après lui avoir reproché de trop trancher dans le vif. Ça veut tout dire…En d’autres termes, Mitterrand reconnaissait à Sankara, le talent et la logique d’un engagement sincère. Mais il le prévenait dans le même temps que la patience de la France avait des limites. Et qu’il y aurait des moments où la seule sympathie de gauche ne suffirait pas à le mettre à l’abri des foudres de la géopolitique et de ses rapports de force.

Car, c’est peu de dire que depuis 1983, c’est-à-dire depuis la prise du pouvoir par le capitaine Sankara et ses camarades (dont Blaise Compaoré, Boukary Lingani et Henri Zongo), la France ne sait plus à quel saint se vouer. Son ambassadeur en poste à Ouagadougou a toutes les peines du monde à trouver le sommeil. On lui fait voir de toutes les couleurs. Lui, le représentant de la "grande France", la France de Wangrin : la patrie des lumières et du contrat social. Cette France qui jadis, se donna pour ambition d’accomplir son œuvre civilisatrice sur le continent africain.

Se voir traitée à la limite du tolérable, et sans égard pour son rang?  Le choc est terrible. C’est même un euphémisme. Jamais, avant 1983, l’on avait assisté à un tel retournement de situation. Au point que le chef d’Etat d’un pays africain en visite officielle en France, refuse de se faire accueillir à l’aéroport par un fonctionnaire de seconde catégorie.

Ceci n’est d’ailleurs qu’une demi surprise, puisque dans sa feuille de route, le Conseil national de la révolution (CNR) appelait à une "rupture" dans les relations entre la France et ses anciennes colonies.

En prenant ses quartiers à Matignon, Jacques Chirac a une mission précise : affirmer l’autorité perdue et/ou contestée de la France, en Afrique de l’Ouest. Mais il serait naïf de croire à ce point, qu’il ait pu décider à lui tout seul, de quoi que ce soit. La politique étrangère en France, ayant toujours été peu ou prou, le domaine réservé du Président ; ce qui signifie qu’il ne peut pas ne pas avoir été informé de ce qui se tramait au nom des intérêts de la France. De fait, le Premier ministre Chirac rappelle aux affaires, un autre Jacques : Foccart celui-là.  Jacques Foccart, c’est l’homme des faux coups, des complots, des réseaux mafieux… En un mot, c’est un homme de l’ombre. Un traficoteur professionnel, un chasseur de prime comme on en rencontre dans n’importe quelle jungle. C’est un homme chez qui politique et morale n’ont jamais fait bon ménage. En bon crocodile, il affectionne spécialement, l’eau trouble de la Françafrique : celle des années 60, symbolisée par ses indépendances distribuées à tour de bras, comme de petits pains à des chefs d’Etat qui devraient par la suite témoigner de leur allégeance au "grand blanc". De bonne source, l’on affirme que quelques jours avant le coup d’Etat du 15octobre 1987 au Burkina Faso, la silhouette de Jacques Foccart aurait été aperçue quelque part aux alentours. Pour ne pas en dire plus. C’est pourtant là, un signe qui ne trompe pas les initiés : Foccart en laisse sur le continent africain, cela signifie que le sort du Président du pays en question est scellé. La suite des événements, il faut la suivre sur les ondes de la radio nationale.

Le tandem formé par les deux Jacques trouve en la personne de Houphouët-Boigny, président ivoirien, et représentant attitré de la métropole dans la zone ouest-africaine, une oreille plus qu’ attentive. Surtout que les relations entre Abidjan et Ouagadougou avaient largement dépassé le stade de la crise. Irrité par les deux révolutions qui lui pendent au nez (à l’est, celle du Ghana de Rawlings et au nord, celle de Sankara), le "vieil éléphant" de la brousse françafricaine supporte de moins en moins les outrecuidances du pouvoir burkinabè, qui n’en finit plus de lui témoigner ses amabilités. Houphouët-Boigny, qui a une peur bleue du pouvoir militaire, n’a pas oublié, encore moins digéré le renversement de son ami Maurice Yaméogo en 1966. Sa propre sécurité est d’ailleurs assurée par l’armée française, au détriment des soldats ivoiriens.

A la différence de François Mitterrand, Jacques Chirac n’a pas tergiversé. Sachant bien qu’il était plus urgent d’agir. La fin du film est pleine de faux suspenses : elle se déroule entre Ouagadougou, Abidjan et Paris…

Frédéric Marchand

Source : Le Libérateur N°43 du 05 au 19 nov. 2007

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