15 octobre 1987 Les vraies causes
L’impérialisme : à bas ! Le néocolonialisme : à bas ! Les pintades orgueilleuses : à bas ! Les hiboux au regard gluant : à bas ! Les caméléons équilibristes : à bas ! Les renards terrorisés : à bas ! Les lépreux qui ne peuvent que renverser les calebasses : à bas ! La petite bourgeoisie affolée : à bas ! A bas ! A bas ! A bas ! Et on finit abattus un jeudi 15 octobre 1987. Mais à qui profite l’assassinat du Président du CNR et de ses douze disciples d’infortune ? Pourquoi le 15 octobre 1987 ? Quelles sont les vraies causes ?
<<Le Front populaire, regroupant les forces patriotiques, décide de mettre fin en ce jour 15 octobre, au pouvoir autocratique de Thomas Sankara, et arrêter le processus de restauration néocoloniale, entrepris par ce traître de la révolution d’août. Le Conseil national de la révolution est dissout ! Le gouvernement est dissout ! L’organisation militaire révolutionnaire est dissoute ! Le président du Faso, le secrétaire général national des Comités de défense de la révolution, et les commissaires politiques sont démis de leurs fonctions. La patrie ou la mort, nous vaincrons ! >>
C’est en ces termes que le Front populaire a annoncé la fin de la révolution au soir du 15 octobre 1987. Cinq mois plus tard, en mars 1988, le Front populaire fait publier un "Mémorandum sur les événements du 15 octobre 1987." Les informations contenues dans ce mémorandum sont rédigées sous la direction de Jean-Pierre Palm. Extrait : "Le président du CNR, battu et isolé sur le plan politique, s’était résolu à faire usage de la force pour asseoir son pouvoir personnel. (…) La réunion de l’OMR du 3 septembre 1987, au cours de laquelle le capitaine Blaise Compaoré et ses compagnons de résistance furent à tort accusés d’être les auteurs de tracts d’opposition au président du CNR, a incontestablement incarné les moments les plus tendus dans les annales de la crise. C’est au cours de cette réunion que le capitaine Blaise Compaoré a publiquement dénoncé l’OMR comme un regroupement militariste incompétent dans les questions de la mobilisation, de l’organisation et de la sensibilisation du peuple. Il dénonça également l’arbitraire qui frappait les révolutionnaires non militaires. Mais aucune leçon ne fut tirée de cette réunion qui se termina dans. (…) La réunion au siège du Conseil de l’entente, le jeudi 8 octobre à 19 heures, qui avait regroupé les chefs historiques de la révolution sur convocation du président du CNR et l’atmosphère qui l’a caractérisée, avaient achevé de convaincre que la résolution démocratique de la crise était désormais impossible."
Donc parce qu’une "résolution démocratique était impossible", il fallait tuer. Et on traite Sankara de mener un "jeu de fourberie et de démagogie."
Cette haine verbale qui cachait en réalité une autre finissait de convaincre les plus sceptiques que la révolution d’août 1983 était faussée dès le départ. Les autres, ces opportunistes aux multiples vestes, n’étaient venus que pour gérer un pouvoir, et jouir des avantages. Rien que. Ils n’avaient ni la formation politique nécessaire, ni la volonté de réussir une révolution mal préparée, encore moins une idéologie révolutionnaire. En effet, de source généralement bien informée, trois groupes voulaient s’accaparer du pouvoir au moment de la crise que traversait le gouvernement militaire du Conseil du salut du peuple, après l’arrestation de Sankara le 16 mai 1983. Il fallait donc faire vite, être les premiers à réussir le coup d’Etat. Blaise Compaoré se réfugie à Pô. Fidèle Guiébré tente une médiation entre le pouvoir de Jean-Baptiste Ouédraogo et la "rébellion" des para-commandos de Pô. Blaise Compaoré pose alors trois conditions : primo, la libération de Thomas Sankara et des autres militaires arrêtés en même temps que lui. Secundo, convoquer en assemblée générale les autorités militaires pour gérer la crise. Et tertio, que les militaires fidèles à Jean-Baptiste Ouédraogo se retirent des alentours du camp Guillaume Ouédraogo qu’ils ont assiégé.
En militaire bien averti, Blaise Compaoré choisit finalement le coup de force pour libérer son "ami". Le 03 août 1983 à 16 heures, le commandant Jean-Baptiste Ouédraogo avait finalement trouvé une solution de sortie de crise. Sankara l’accepte et envoie une délégation dire à Blaise de suspendre le coup de force. Trop tard : les militaires de Pô étaient en route pour Ouagadougou. Le plan du coup d’Etat était le suivant :
-19h45, coupure d’électricité sur toute la ville de Ouagadougou.
– Occupation des zones sensibles et Feu nourri jusqu’à 20h.
– 20h00 cessez-le-feu, rétablissement de la lumière et déclaration de l’avènement du Conseil national de la révolution.
La déclaration du CNR était déjà rédigée le 03 août à 16h à Kolognaaba. Extrait : "Peuple de Haute- Volta, aujourd’hui encore, les soldats, sous-officiers et officiers de l’armée nationale et des forces paramilitaires se sont vus obligés d’intervenir dans la conduite des affaires de l’Etat pour rendre à notre pays son indépendance et sa liberté…"
En novembre 1983, Blaise Compaoré déclarait à des journalistes à Pô : "Nous ne sommes pas arrivés vierges à la politique. Depuis très longtemps, nous savions qui devait devenir chef d’Etat, ministre de ceci ou ministre de cela." La rumeur affirmait pourtant à l’époque que quand il a fallu choisir le résident du CNR, il se serait proposé candidat. Il se serait retiré sous la menace de Vincent Sigué, qu’il détestait et craignait à la fois. Le départ était donc faussé. Aucune idéologie ne fédérait l’artisan militaire du coup d’Etat et son jouisseur naturel. Seule leur formation militaire les avait uni. Tout le reste, ou presque les éloignait. Tandis que l’un aimait croquer la vie à belles dents, l’autre se voulait sobre. Un autre élément et non des moindres était l’implication extérieure (cf. Libérateur n°36 du 05 juillet 2007).
Le 15 octobre 1987, à la surprise générale, Thomas Sankara et 12 de ses camarades révolutionnaires sont assassinés. Pour la première fois de son Histoire, la Haute-Volta assistait à une prise de pouvoir aussi sanglante.
Ces assassinats en réalité n’ont profité qu’à la famille Compaoré et à ses plus proches collaborateurs. Le 15 octobre leur a permis de rester au moins vingt ans au pouvoir. Même si le président a pris des rides, il ne semble pas convaincu qu’il en est de même pour sa politique. Du moins, il a plus peur de son après-pouvoir que du cadavre de Thomas.
Un homme politique de la place que nous avons rencontré en mars 2006 réduisait l’Etat burkinabè à une "famille de deux cent personnes."
Tous les crimes commis depuis 1987, avec la bénédiction des mêmes traîtres qui ont court-circuité la révolution, en réalité, ont profité à Blaise Compaoré. Ses serviteurs se préparent à célébrer son 20e anniversaire depuis son accession au pouvoir, pour contrecarrer la célébration du 20e anniversaire de l’assassinat de Sankara.
Si le président actuel du Burkina a joui des avantages d’un pouvoir démocratique sur fond de diktat, il devra également assumer les effets collatéraux. Parmi lesquels il devra tôt ou tard répondre à l’interrogation suivante : qui a ordonné de tirer ce jeudi 15 octobre?
Pour certains observateurs, il serait en train de préparer son frère, conseiller économique à la présidence, pour assurer la relève en 2015. Si cela s’avérait réel, ce serait vraiment une insulte au peuple du Burkina. Et cela nous étonnerait qu’après les événements du 13 décembre 1998, le peuple burkinabè accepte à nouveau des compromissions de ce genre. Non pas parce que François Compaoré n’a pas le droit d’aspirer à la magistrature suprême. Mais nous ne sommes pas dans une dynastie, où l’on jongle avec le pouvoir, de frère en frère.
Les bonzes au pouvoir, en se convainquant que seul Blaise Compaoré est à même de diriger notre pays, pensent-ils seulement à toutes ces générations que le pouvoir en place a sacrifiées sur l’autel des intérêts personnels ?
Il est évident que les "preuves" apportées sur le "complot de 20h", justifiant la liquidation du 15 octobre ne convainquent personnes. Tout ceci, en réalité, met à nu le véritable visage de notre président : un homme d’orchestre, faisant de l’élimination physique son scénario. Dans ces conditions, il est clair que le peuple ne doit laisser entre les mains d’un tel homme, le monopole de gérer le destin des millions de Burkinabè. Qui a profité du crime, paiera au prix fort la disparition. On n’enterre pas un cadavre en laissant ses pieds dehors.
Henri Levent
Source : Le libérateur N°37 du 20 juillet au 04 août 2007