«Ciel, un revenant!» aurait-on pu dire, en écoutant l’autre jour Prince Johnson lui-même déblatérer sur RFI, «La radio mondiale». Après une première tentative il y a quelques semaines devant la commission nationale de réconciliation libérienne, Prince Johnson a tenu à remettre ça, décidé qu’il est à se rappeler au bon souvenir de Blaise Compaoré.
Le seigneur de guerre libérien et saigneur de Samuel Doe n’en démord pas: il a participé à la mise hors d’état de nuire de Thomas Sankara, celui qui, à l’époque, voulait les empêcher de se rebeller en rond au Burkina. A l’en croire, leur participation au coup d’Etat sanglant du 15 octobre 1987 était la condition posée par Blaise Compaoré pour les autoriser à rester au Burkina pour se former et plus tard aller sévir au Liberia. Tout cela aurait été mis en œuvre avec la bénédiction du «Vieux» Félix Houphouët-Boigny, le voisin côtier que les révolutionnaires ne se privaient pas de qualifier de «vieux crocodile au regard gluant», qui dormait d’un œil que nos impétueux capitaines menaçaient de crever, à en croire Amara Essy, son missi dominici de l’époque.
Comme certains commentaires l’ont soutenu à l’époque et comme le rapporte Prince Johnson aujourd’hui, le «vieux crocodile» aurait fini par manger les jeunes capitaines. En tout cas, c’est la thèse remise au goût du jour par le pasteur Johnson. Vrai ou faux? 21 ans après, il est difficile de séparer le bon grain de l’ivraie. En tout cas, pour le porte-parole du gouvernement burkinabè, Filippe Savadogo, tout cela n’est que pure fiction. Principe Johnson serait donc un affabulateur; une maladie qu’il a sans doute contractée au Burkina car une autre ‘’Excellence’’, l’ambassadeur Alain Deschamps qui a vécu ces périodes de braise au Burkina, avait dit de nos compatriotes qu’ils sont des affabulateurs. Voilà au moins un dénominateur commun. Car le reste serait à prendre avec des pincettes.
En effet, la thèse de Prince Johnson, si elle n’est pas la plus surréaliste de toutes celles qui courent sur ce ténébreux épisode de notre histoire récente (que dirait-on de celle qui soutient que la tête de Sankara a été transmise à Eyadema comme trophée!), elle n’en est pas moins un peu tirée par les cheveux. On imagine difficilement Blaise Compaoré que l’on a toujours connu prudent comme deux Sioux s’ouvrir de sombres desseins de fratricide, car c’est de cela qu’il s’agit, aux pieds nickelés que devaient être à l’époque ces apprentis rebelles. Quand on connaît un peu le brouillard qui régnait à cette époque des longs couteaux où on s’épiait entre camarades, il paraît peu probable que Blaise, qui se méfierait de sa propre ombre, fasse confiance à ces saltimbanques politiques qui juraient de voir installer plus de justice au Liberia. D’un.
De deux, comme l’affirme Prince Johnson lui-même, Blaise, en tant que numéro deux et vrai chef militaire de l’époque (n’oublions pas que c’est lui qui a fait le coup d’Etat du 4 août pendant que Thom Sank était en résidence surveillée!), n’aurait certainement pas eu besoin d’une légion étrangère pour mener son projet à bien. A moins qu’il n’ait pas eu confiance en ses propres éléments.
Vingt et un ans après cette tragédie, il est sans doute trop tôt pour que l’histoire lève la chape de plomb sur le vrai scénario et les acteurs de ce sanglant après-midi du 15 octobre 1987. Cela peut paraître long, mais il n’y a qu’à rappeler que dans des sociétés moins opaques que la nôtre, comme les Etats-Unis, on en est encore à se demander quels sont les vrais tenants et aboutissants de l’assassinat de John Kennedy! Et de temps en temps, selon les besoins de la cause et de quelque margoulin qui sait exploiter ce filon toujours vendable. Commercialement ou politiquement.
Dans cette logique, pour certains commentateurs la détermination de RFI à faire du «buzz», ne serait pas innocente. Car après les premiers extraits des déclarations de Prince Johnson rapportés quelques semaines plus tôt par son correspondant à Monrovia, c’est à une exclusivité qu’on a eu droit avec l’interview-choc du désormais pasteur de Monrovia. Et coup sur coup, on a eu droit à des témoignages tout aussi inédits de Stephen Smith (qu’on ne présente plus quand il s’agit des dossiers noirs de la Françafrique) et d’Amara Essy, présenté comme un homme de missions secrètes du président ivoirien à cette période. Quand on sait comment fonctionne «la radio mondiale», on note que c’est ainsi qu’elle procède quand elle veut faire «mousser un dossier».
Mais dans quel intérêt RFI, directement liée à la diplomatie française (plus de 50% de son financement serait assuré par le ministère des Affaires étrangères), jouerait-elle à réveiller les vieux cadavres? Blaise Compaoré paierait-il ainsi le prix de ses virées américaines comme le supposent certains? Peu probable, à quelques jours d’un voyage annoncé du locataire de Kosyam à l’Elysée.
A qui profite alors le rappel du crime? Les déclarations de Principe Johnson que les partisans de la famille Sankara n’ont pas manqué de présenter comme des éléments probants peuvent-elles relancer ce dossier «inclassable»? Peu probable aussi. L’ONU a plus ou moins définitivement tranché la question. D’une façon contestable, dira-t-on, mais elle s’en est lavé les mains. Reste les juridictions militaires à qui a été jetée la patate chaude. Mais avec au commandement Yéro Boly, non moins sioux que son patron, il est tout aussi peu probable que le scénario-fiction de Prince Johnson ait une quelconque suite. Ce ne serait donc qu’un pétard mouillé que le pasteur Johnson a lancé. Qui a eu jusqu’ici pour seul impact de toucher le pauvre Filippe dans son rôle ingrat de porte-parole d’une affaire qui concerne au premier chef la «grande muette».
En tout cas, Prince Johnson, qui se veut aujourd’hui un pasteur respectable, a intérêt à se tenir tranquille. Sinon, Filippe va lui envoyer son ami Bilélé, celui qui avait été correspondant de l’AIB au Liberia aux heures chaudes de la guerre civile libérienne et qui, à son retour, nous avait certifié que Prince Johnson, entré en dissidence, avait été envoyé «ad patres» par ses ex-frères d’armes. Et cette fois-ci, Bilélé ne va pas se tromper de cadavre!
A. TraorÈ