Affaire Thomas Sankara Les révélations embarrassantes de Prince Johnson

 

Par Idrissa Barry

 

Les propos de l’ancien chef de guerre libérien, Prince Johnson, ont suscité un peu partout dans le monde des réactions diverses. Pourquoi maintenant ? Ses propos sont-ils crédibles ? Voici des questions que certains se posent. Avant de porter une quelconque appréciation sur la crédibilité de l’homme et ses "aveux tardifs", il convient de savoir ce qu’il a exactement dit. D’abord devant la Commission "Vérité et réconciliation", ensuite sur les ondes de radio France internationale (RFI).

C’était le 19 août dernier à Monrovia, devant les membres de la Commission "Vérité et Réconciliation". Le sénateur le plus connu du Libéria, Prince Johnson, doit s’exprimer sur son rôle dans la guerre civile qui a ensanglanté son pays de 1989 à 2003. Acteur de premier plan de cette tragédie, le récit de l’ancien chef de guerre et compagnon de Charles Taylor est très attendu. La salle où siège la Commission est prise d’assaut par 500 personnes alors qu’elle a une capacité de 300 places. D’autres spectateurs se massent dehors pour écouter la vedette du jour, converti au protestantisme depuis qu’il a raccroché. Il a troqué la kalach à la Bible. C’est d’ailleurs sur cette dernière qu’il va prêter serment avant de commencer son récit de repentance. Le récit est long, mais très intéressant. On retient que son aventure a débuté en 1985 avec le coup d’Etat raté du jeune général Thomas Quiwankpa dont il était l’aide de camp. Ayant échoué dans sa tentative de renverser le président Samuel Doe dont il avait contribué à installer au pouvoir en 1980, ce dernier le fait exécuter. C’est ainsi qu’une poignée de ses fidèles s’en fuit pour d’autres cieux, notamment la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso.

 

La rencontre des Libériens à Ouaga

 

Les chemins de Prince Johnson et de Charles Taylor se croisent alors à Ouagadougou. Ils ont une cause commune : renverser le président Samuel Doe. Les autres Libériens sont mis au courant du projet. Ils rejoignent leurs chefs au Burkina. "On était à la recherche d’une base d’entraînement au Burkina Faso. On nous a dit qu’il fallait se débarrasser de Thomas Sankara pour pouvoir y installer notre base. C’est ainsi que nous avons aidé ceux qui ont renversé l’ancien président burkinabè." Jusque-là calme, malgré la narration de Prince Johnson sur les circonstances de la mort atroce du président Samuel Doe, ses propos sur la participation des Libériens dans l’assassinat du président Sankara provoquent des cris d’étonnement dans la salle de conférence. Les Libériens ne croient pas à leurs oreilles, ils souhaitent davantage de précisions, mais l’ancien chef de guerre ne revient pas là-dessus. Des questions restent donc en suspens. Qui est ce "on" qui leur a demandé de participer à l’assassinat de Sankara ? La réponse semble se trouver vers la fin de ses propos. Il dit en effet : "…C’est ainsi que nous avons aidé ceux qui ont renversé l’ancien président burkinabè." Ceux qui ont renversé Sankara sont connus dès le soir du 15 octobre 1987. Mais pour certains, ce bout de phrase n’est pas suffisant pour se faire une idée sur l’identité du " on ". Il faut encore des précisions. Deux mois après, soit le 27 octobre, RFI va diffuser son "scoop" de fin d’année où Johnson cite explicitement les noms de ceux qui ont exigé leur participation dans l’assassinat de Sankara. Avant de révéler les noms de ces personnes, il demande au journaliste qui l’interroge la permission de s’acquitter d’un devoir, rendre hommage au président Sankara. Pour Johnson, "Sankara était un homme exceptionnel, aimé par son peuple et par le monde extérieur ". Puis il enchaîne : "La seule option pour notre formation, rester au Burkina puis aller en Libye, était de répondre positivement à la requête de Blaise, c’est-à-dire se débarrasser de Thomas Sankara qui était contre notre présence au Burkina". Ces révélations vont plus loin, elles mettent directement en cause l’ancien président ivoirien, Félix Houphouet Boigny, dans le coup du 15 Octobre 1987 : " Il voulait la chute de Sankara pour que nous puissions suivre notre formation et retourner au Libéria pour tuer Doe parce que Doe a tué son beau-fils, William Tolbert Junior…". Blaise et Houphouet seraient donc les commanditaires de l’assassinat de Sankara. On savait que le courant ne passait plus entre Blaise et Sankara vers la fin de la révolution. On savait aussi que le "vieux" de Yamoussoukro ne portait pas Sankara dans son cœur. A la mort de Sankara, les opinions africaines ne s’étaient pas embarrassé de scrupule pour désigner Blaise et son parrain ivoirien comme les chefs d’orchestre de l’assassinat du capitaine. Mais jusque là, aucune voix officielle ne les avait mis directement en cause. Cette fois-ci, un acteur parle. Pour Johnson, l’assassinat de Sankara est lié à la question libérienne. Houphouët en voulait à Samuel Doe pour deux raisons. Celui-ci a non seulement renversé et tué son ami le président William Tolbert qui lui aurait offert de vastes champs de plantation au Libéria, mais aussi parce que Doe a fait exécuter le fils de son ami qui est aussi son beau-fils. Adolphus Tolbert était marié à Désirée Delafosse, filleule d’Houphouet. Adolphus avait participé au coup d’Etat raté du général Thomas Quiwonkpa en 1985. Houphouet tient à se venger de Samuel Doe et récupérer ses biens confisqués. Pour cela, il ne peut compter sur Sankara qui refuse d’aider les exilés libériens chargés de la mission. Mais son numéro deux n’est pas de son avis. C’est une aubaine pour le "Vieux". Faire une pierre deux coups : se débarrasser du Sergent de Monrovia et surtout du Capitaine de Ouaga qui l’agace au plus haut point. Pour l’ancien chef de guerre, le contexte sécuritaire se prêtait au renversement du président Sankara car, dit-il, "franchement, Sankara n’était plus qu’un chef cérémonial, c’est Blaise Compaoré qui contrôlait tout, les casernes et la garde présidentielle, donc il était très facile de s’infiltrer". Seulement, si Blaise contrôlait toutes les casernes du Burkina, on se demande pourquoi il aurait encore besoin de recourir aux mercenaires pour exécuter son coup. La vérité est qu’il avait la main sur le camp de Pô, mais n’était pas sûr de la réaction des autres camps militaires.

Après s’être acquitté de leur tâche dans le coup d’Etat du 15 Octobre 1987, les Libériens vont avoir leur base au Burkina, puis en Libye où ils iront parfaire leur formation avant de lancer leur attaque contre le Libéria en décembre 1989. C’est le début de la guerre civile au Libéria qui ne prendra fin qu’en 2003. Elle a fait des dizaines de milliers de morts et provoqué des centaines de milliers de déplacés dans les pays de la région ouest-africaine. C’est du Libéria qu’une autre guerre civile sera préparée et déclenchée, celle de la Sierra Léone avec les tristement célèbres soldats du RUF de Foday Sanko qui amputent les membres de leurs victimes. Sanko est mort dans sa cellule à freetown et Taylor est traduit pour crime contre l’humanité devant le Tribunal spécial pour la Sierra Leone qui siège à La Haye aux Pays-Bas.

 Les sceptiques de l’affaire

 Cette chronologie des faits et de l’histoire est contestée par le porte-parole du gouvernement burkinabè, le ministre Fhilipe Sawadogo. Pour lui, les révélations de Johnson sont des " affabulations, des affirmations basées sur des éléments un peu dignes de fiction ". Il croit savoir les intentions qui se cachent derrière les propos du sénateur libérien : "A mon humble avis, le Burkina qui a œuvré à la réconciliation des coeurs et des fils de ce pays à travers plusieurs mécanismes de dialogue, ces affirmations viennent comme une atteinte à notre image tout court." Il s’interroge enfin sur l’identité de la puissance qui se cache derrière ces révélations. Le journaliste Stéphen Smith interrogé par RFI, lui, conteste les propos de Johnson sur un point, celui de l’identité de ceux qui ont tiré sur le président Sankara et ses 12 compagnons. Selon l’ancien correspondant de RFI à Abidjan et du journal Libération, au lendemain du 15 Octobre, il y a eu des enquêtes indépendantes qui convergent toutes sur l’identité burkinabè des exécutants du président Sankara et ses camarades. Pour lui, Prince Johnson et ses compatriotes n’étaient pas aux premières loges dans l’assassinat de Sankara. Mais Johnson a-t-il affirmé avoir tiré sur Sankara et ses collaborateurs ? Les propos diffusés sur RFI ne sont pas explicites là-dessus. Ce qu’il dit sans ambiguïté, c’est qu’ils ont participé au renversement de Sankara. Quel rôle ont-ils exactement joué ? Etaient-ils devant, dedans ou derrière le Conseil de l’Entente ce jeudi soir ? Il faut peut-être qu’il nous éclaire davantage. Mais ce qui est sûr et admis par tous, c’est qu’il y avait des Libériens le 15 Octobre 1987 à Ouagadougou.

L’autre question à polémique, c’est l’onction ou non d’Houphouët à l’élimination de Sankara. Amara Essy, ancien ministre des Affaires étrangères de la Côte d’Ivoire, réfute la participation du " vieux " dans le renversement du président Sankara. Pour lui, Houphouët était très respectueux de la souveraineté des Etats voisins, il ne s’immisçait pas dans leurs affaires intérieures. En 1987, Essy était ambassadeur de son pays auprès des Nations Unies. Il était aussi l’intermédiaire de son président auprès de Sankara. Il reconnaît quand même que les relations entre les deux chefs d’Etat n’étaient pas très cordiales comme celles qui ont existé entre le " vieux " et le successeur de Sankara.

 Quels effets peuvent avoir ces révélations ?

 Si le porte-parole du gouvernement ne voit que des " affabulations et des éléments dignes de fiction " dans les propos de Prince Johnson, il n’en est pas de même pour la famille Sankara. Les avocats de Mariam Sankara et ses enfants comptent verser cette nouvelle pièce dans le dossier Sankara pendant devant la justice burkinabè depuis 2004. Ils avaient déposé une plainte contre X devant les juridictions civiles. Après une longue procédure devant les différentes Cours, on leur avait signifié que c’est la justice militaire qui est seule compétente car " il est de notoriété au Burkina que Sankara est mort dans une caserne ". On laissait entendre alors que ce sont des militaires qui sont les coupables. Avec les révélations de Prince Johnson, cette thèse se confirme. C’est un élément capital pour les avocats de la famille Sankara. C’est la première fois que quelqu’un revendique son implication dans l’assassinat du leader de la révolution burkinabè. Mieux, il donne les noms des commanditaires de cet assassinat. Devant n’importe quelle justice crédible, ces charges sont suffisamment graves pour ne pas faire bouger le dossier. Seulement, ce qui bloque le dossier Sankara, ce n’est pas l’insuffisance de preuves. C’est le manque de volonté d’instruire le dossier. Pour des raisons évidentes, les ministres de Défense qui se sont succédés refusent de dénoncer l’affaire devant le tribunal militaire comme les y enjoignent les textes. Sur le plan international, devant le Comité des droits de l’homme des Nations Unies, il n’est pas certain qu’il reconsidère sa position. Surtout que le Burkina siègera bientôt dans cette instance onusienne.

Les effets inévitables des révélations de Johnson, c’est l’image de Blaise Compaoré sur le plan international et même au niveau national. Au niveau international, sa réputation de "faiseur de paix" dans la sous région risque d’être sérieusement écornée. Ce témoignage de l’ancien chef de guerre vient s’ajouter aux nombreux rapports internationaux le mettant directement en cause dans les différents conflits de la région et même au-delà (Angola, Tchad). C’est la prétention à un prix de reconnaissance de la communauté internationale qui se trouve ainsi ruinée. C’est un coup très dur pour les différents réseaux de lobbyistes en France et aux Etats-Unis qui travaillaient depuis des années dans ce sens. Les Français Jean Guion, Guy Penne, Jacques Barrat et l’Américain Hermann Cohen sont pris au dépourvu. Du coup, on s’interroge sur la tenue du sommet des étoiles à Ouagadougou en novembre 2009. S’il a lieu, ce sera sans une bonne brochette de personnalités annoncées. On annonce déjà des défections comme celle du français Pierre Rabi, homme dont les avis comptent dans l’écologie. L’artiste Tiken Jah Facoly a aussi fait savoir qu’il ne participera pas à ce sommet. Il s’insurge d’ailleurs sur le fait qu’on ait associé son nom dans le projet sans demander son avis.

Sur le plan national, on sait désormais qui de Sankara et de Blaise était le belliqueux, celui qui privilégiait la violence dans la résolution des différends politiques. Si Sankara était opposé au recourt à la violence hors du Burkina pour résoudre des différends politiques, que dire alors sur le plan intérieur ? On sait qu’il a envoyé un émissaire, le soir du 4 Août 1983, dire à Blaise d’arrêter la marche des commandos sur Ouagadougou parce qu’il aurait trouvé un accord politique avec le président Jean Baptiste Ouédraogo. C’est une preuve que l’homme privilégiait avant tout le dialogue dans la résolution des différends politiques. On peut penser que c’est cette démarche qu’il aurait proposé au groupe des Libériens en rupture de ban avec le président Samuel Doe. Ces derniers n’étaient pas sûrs qu’elle aboutisse et des forces extérieures n’y trouvaient pas non plus leurs intérêts. Et comme Sankara s’opposait à l’utilisation du sol burkinabè et de l’expertise des officiers burkinabè pour la formation des Libériens, il fallait se débarrasser de lui. Ce qui fut fait. Prince Johnson ne connaît pas faire de la fiction avec ses exploits. Il fait du cinéma réel. Pour preuve, le film sur la mise à mort de Samuel Doe. Cet homme, pour cynique qu’il soit, a cette réputation de franchise sur ses actes. Ses révélations peuvent donc être prises comme très dignes de foi.

Idrissa Barry

Source : L’Evènement N°151 du 10 Nov. 2008 http://www.evenement-bf.net/pages/dossier_1_151.htm

 

 

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