Prince Yormie Johnson, Philippe Sawadogo et Thomas Sankara

 

Pabèba Sawadogo

 

L’affaire Thomas Sankara n’a jamais cessé de défrayer la chronique d’abord chez l’opinion publique nationale et internationale puis dans les arcanes judiciaires du pays et de l’ONU. Ces derniers temps, des révélations persistantes de l’ancien seigneur de guerre libérien Prince Johnson sur l’assassinat du président du Conseil national de la révolution dérangent dans certains milieux. Et comme il fallait s’y attendre, des intellectuels de service ne se gênent point d’user de leur rhétorique pour dédouaner leur mentor. Il y a des affaires qu’on n’étouffe guère malgré l’ingéniosité dans la dissimulation des preuves. Et l’affaire Sankara en est une !

La seule option pour notre formation, rester au Burkina puis aller en Libye, était de répondre positivement à la requête de Blaise, c’est-à-dire se débarrasser de Thomas Sankara qui était contre notre présence au Burkina ».

Ces propos de Prince Yormie Johnson ancien war lord aux côtés de Charles Taylor et actuel sénateur du Libéria sur RFI le 25 octobre dernier semblent avoir horripilé le ministre de la Culture, du tourisme et de la communication, porte parole du gouvernement, M. Philippe Sawadogo. Ce dernier, sur les mêmes ondes le 27 octobre réplique :

« Depuis quelque temps, il y a comme un disque qui revient. On reparle en boucle d’une histoire qui est plus proche de mon point de vue d’objectif non avoué et même d’affabulation. Donc de mon humble avis, le Burkina Faso qui a œuvré à la réconciliation des cœurs et des fils de ce pays à travers plusieurs mécanismes de dialogue, cela vient comme une intention d’atteinte à notre image tout simplement. »

Le journaliste le relance en lui demandant si les accusations de Prince Johnson sont-elles vraies ou fausses ? Et le ministre d’y aller avec sa voix la plus angélique pour dire « Pour moi, ce ne sont pas des accusations avérées parce que 21 ans avec des affirmations basées sur des éléments dignes de fiction, je me dis qui est derrière ces affabulations. ».

On peut comprendre qu’un ministre veuille conter fleurette, mais il faut tout de même y mettre un peu de bon sens. Un adage de chez nous dit que lorsque le crapaud sort de l’eau pour dire que les yeux du crocodile sont rouges il faut le prendre au sérieux.

 

Que dit Prince Johnson ? Il confirme

D’abord que lui et certains de ses compagnons dont Taylor sont venus au Burkina pour organiser et entreprendre le renversement de Samuel Doé. Que pour ce faire, on leur a mis un marché entre les mains, celui de contribuer à la disparition de Sankara.

En quoi cela sont des accusations basées sur de la fiction ? Parce qu’elles viennent vingt et un ans après ?

Pour ceux qui s’intéressent à autre chose que de la littérature à l’eau de rose, l’affaire n’est pas nouvelle. Des sources de service de renseignements de l’époque font état d’un dispositif sécuritaire de forces étrangères à Ouagadougou le 15 octobre 1987, chose connue par les Burkinabè qui ont suivi de près les événements de ce jeudi sanglant.

Du reste, le premier élément de confirmation d’un complot pour l’assassinat de Sankara est venu de la Conférence Nationale souveraine du Togo en juillet 1991 ou un officier togolais parlait de leur présence à Ouagadougou la semaine du 15 octobre par rapport à l’assassinat de Sankara. La parole lui fit retirée car selon les censeurs, cette question n’était pas à l’ordre du jour.

En 1992, dans son livre “ Operation Liberty, the Story of Major General Joshua Nimyel Dogonyaro”, le journaliste nigérian Nkem Aguetua établissait un lien entre Charles Taylor et l’assassinat de Sankara. En 1999, c’est le grand historien Steven Ellis dans son best Seller “The Mask of Anarchy : The Destruction of Liberia and the Religious Dimension of an African Civil War, éd. New York University Press – 355p.,”, à la page 68 « Prince Johnson et Samuel Varney (…) étaient parmi les déserteurs de l’armée libérienne présents au Burkina Faso. Ces libériens ont alors été approchés par Blaise Compaoré qui a sollicité leur aide pour un coup d’Etat contre le président du Burkina, Thomas Sankara. Selon un ancien assistant de Compaoré, Houphouet Boigny était au courant des ambitions de Compaoré. Le 15 octobre 1987 des soldats burkinabé sous le commandement de Compaoré, avec l’aide d’un groupe d’exilés libériens incluant Prince Johnson, tuèrent Thomas Sankara. ».

En 2004, nous le soulignions dans notre édition n° 517 du 13 octobre 2008, c’est le général John Tarnue, ex chef des Forces armées libériennes qui expliquera devant le Tribunal spécial pour la Sierra Leone la rencontre qu’il y aurait eu en août 1987 entre Blaise Compaoré, Charles Taylor, Prince Yormie Johnson, Samuel Varney, Duopo et « d’autres membres entraînés des forces rapprochées du Liberia » et le deal qui s’est établi.

Enfin, il y a l’enquête riche et fournie menée par Bruno Jaffré et publiée dans “Biographie de Thomas Sankara, La Patrie ou la mort”, édition revue et augmentée. Dans cet excellent livre de référence un chapitre entier (http://www.thomassankara.net/article.php3?=0679 )) est consacré au complot extérieur pour l’assassinat de Thomas Sankara. Il y est dévoilé la conjonction et la conjugaison d’intérêts qui ont milité à l’avènement du 15 octobre.

Tout ceci ne serait qu’ « une histoire qui est plus proche … d’objectif non avoué et même d’affabulation » ? Peut être que la mort de Sankara ne serait aussi qu’une fable digne des contes des milles et une nuit ? Auquel cas il est vrai, et il faut le reconnaître, que cela viendrait juste « comme une intention d’atteinte à notre image tout simplement. » ? Encore que malgré les différents logiciels de retouche photos, quand vous photographiez un singe, vous avez beau faire, il n’en restera pas moins qu’une photo de singe.

Il est évident et cela se sait, que le commando qui a procédé à « l’anéantissement du capitaine Sankara était burkinabè ». Mais bien de faits prouvent qu’un dispositif externe a été mis en place pour contrer toute riposte. Et ce dispositif participait d’un vaste complot qui allait des réseaux de la françafrique à leur répondant dans la sous région. Aucun avis fut-il « humble » ne saurait voiler cette évidence !

Pabèba Sawadogo

Encadré : Les assassins de Thomas Sankara sont connus

Le dossier Sankara est d’autant plus clair, parce que le scénario du 15 octobre 1987 est connu de même que les exécutants. Est-il besoin de rappeler ici, cette journée macabre ? Rafraîchissons- la mémoire de notre ministre de la justice et de la Promotion des Droits Humains (PDH), et cela au risque de “ la solution par le mortel “ à notre endroit. Ce jour-là donc, Thomas Sankara se trouvait en réunion de travail avec quelques-uns de ses collaborateurs dans une salle au Conseil. A 70 mètres de là, toujours dans le conseil, une 504 blanche démarra. A son bord, 7 personnes. Le véhicule arrive au lieu de la réunion. Les quelques éléments de la garde devant la salle ne s’en inquiètent pas, parce que ce sont leurs collègues. Le véhicule se gare, en descendant : K.Y ; O.A.O ; N.N ; N.W ; O.N ; T. ; K.M. Ils ouvrent le feu immédiatement. Un gendarme et deux chauffeurs sont fauchés. Ils s’écroulent. Thomas Sankara se lève, son P.A à la main et dit à ses collaborateurs “restez, restez, c’est moi qu’ils veulent !” A peine a t-il franchi la porte qu’il est pris par la mitraille nourrie de K.M. Il s’écroule. S’arrête-t-on là ? Non. Les assaillants rentrent dans la salle et exécutent les collaborateurs.

Extrait de Bendré n° 158 du 19 novembre 2001

Pabèba Sawadogo

Source : Bendré du mercredi 12 novembre 2008, http://www.journalbendre.net/spip.php?article2495

Nos commentaires : On notera des élements intéressants dans cet article peu connus comme le témoignage d’un officier togolais durant la conférence nationale ou l’évocation "dispositif sécuritaire de forces étrangères à Ouagadougou le 15 octobre 1987". Les noms du commando dont n’apparaissent dans l’article que les initiales sont été dévoilés dnas l’ouvrage de l’avocat de Mariam Sankara, maitre Dieudonné Nkounkou intitulé "L’affaire Thomas Sankara, le juge et le politique" (voir la présentation à l’adresse http://thomassankara.net/?p=0182). Il s’agit de Ouedraogo Arzoma Otis, Nabié N’Soni, Nacolma Wanpasba, Ouedraodo Nabonsmendé, Tondé, Kabré Moumouni et Hyacinthe Kafando. Plusieurs d’entre eux sont décédés. Celui qui aurait tiré sur Sankara serait Nabié. Haycinthe Kafando qui avait disparu du Burkina Faso pour des différents avec Gilbert Diendéré, dont dépendait les hommes de ce commando, est aujourd’hui député de l’assemblée nationale. B. J.

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