Assassinat de Sankara 24 ans après : la France va-t-elle enterrer le dossier?

Ce 15 octobre, les sankaristes du monde entier rendent hommage au Capitaine Thomas Sankara. Il suffit de taper son nom sur n’importe quel moteur de recherche sur Internet pour se rendre compte de l’ampleur des programmes de manifestations d’hommage à cet «illustre et digne fils de l’Afrique» dans plusieurs pays à travers le monde : Montpellier, Lyon, Toulouse, Paris (France), Lomé (Togo), Montréal (Canada) Niamey (Niger), Bruxelles (Belgique), Genève (Suisse), Washington (USA), etc. Bien sûr, au Burkina Faso, en plus des traditionnelles retrouvailles des héritiers et sympathisants au cimetière de Dagnoën à Ouagadougou, où repose le défunt président du Faso, d’autres villes ne seront pas en reste. Pendant ce temps, du côté de la Justice, c’est le statu quo. Mais le dossier est de plus en plus embarrassant pour le pouvoir en place et les autorités françaises. Les événements prennent une nouvelle tournure, avec l’exigence pressante d’une enquête parlementaire par une trentaine de députés français et burkinabè. La veuve et les deux orphelins, malgré ces 24 longues et usantes années, ne perdent pas espoir que la vérité retentisse un jour de tous ses éclats.

«Thomas Sankara a légué aux générations futures la verve et l’énergie de l’espoir, l’emblème de la probité et la conscience historique de l’inaliénabilité de la lutte contre toutes oppressions». C’est par cette phrase que s’ouvre l’une des pages web dédiées à la mémoire du Président Sankara. Sur ce site, la liste des manifestations commémoratives de ce triste anniversaire que d’autres célèbreront, peut-être, à coup de champagne, si bien sûr, ils ont encore la force et la tête à la fête. Ceux qui ont rectifié la révolution par le sang de Thomas Sankara qui n’était plus à leurs yeux suffisamment révolutionnaire, se sont en effet révélés être de bon jouisseurs accrocs de fêtes bien arrosées. Sankara, lui, avait clairement fait le choix: «Nous ne pouvons pas être la classe dirigeante riche d’un pays pauvre. Il faut choisir entre le champagne pour quelques-uns et l’eau potable pour tous». C’est ce choix que lui reconnaissent aujourd’hui ces millions de personnes à travers le monde qui lui rendent hommage pour ce qu’il a été et ce qu’il leur inspire, aujourd’hui comme demain.

Elle est déjà loin, la période où les vainqueurs avaient confisqué toutes les tribunes, les micros et les espaces pour se flageller les méninges par tant d’efforts à diaboliser un homme qui, hier, était leur camarade, mieux, leur ami. Ils se sont fatigués à se battre contre des moulins à vents en prêchant à des convertis et des convaincus qui savaient pertinemment qu’aussi longtemps que durera la nuit, le jour finirait par apparaître. C’est Senen Andriamirado qui avait raison: en tuant Sankara, on en a fait «un mythe inoxydable». Et c’est justement parce qu’il est devenu ce mythe inoxydable que son ombre poursuit ses tombeurs depuis 24 ans et ne les lâchera jamais tant que chacun ne fera pas sa part d’efforts pour permettre à son âme de reposer en paix.

Longue marche de la Justice à la politique

En juin dernier, des députés burkinabè ont obtenu le soutien d’une vingtaine de leurs collègues français pour solliciter de l’Assemblée nationale de France, l’ouverture d’une enquête parlementaire sur l’implication de cette ancienne puissance colonisatrice dans l’assassinat de Thomas Sankara. Depuis, certains ont le sommeil léger. D’autant que l’aile protectrice de l’Elysée ne couvre plus totalement le corps de ses anciens protégés. Cette nouvelle tentative qui intervient dans un contexte où le pouvoir Compaoré a perdu de sa superbe et de sa bonne image dans l’Hexagone inquiète. D’autant plus que le pouvoir français lui-même empêtré dans ses affaires politico-judiciaires internes et son engagement bien suspect dans la mise à mort des dictatures dans le monde arabe, pourrait faire d’une pierre deux coups en accédant à la requête des parlementaires. Cette situation pourrait lui permettre de résoudre une double équation. D’une part, donner aux Africains des signes forts d’une volonté de solder son passé trop «françafricain» et que tous les gouvernements, de gauche comme de droite, traînent comme un éternel boulet à leurs pieds; d’autre part, se donner les moyens de faire pression sur le pouvoir burkinabè qui ne semble plus jouir, à leurs yeux, d’une réputation fréquentable. Dans tous les cas, l’affaire Thomas Sankara semble devenir également une affaire franco-française. La principale motivation de la requête des parlementaires concerne la lumière sur le rôle présumé de la France, notamment ses services secrets dans l’assassinat de Sankara. Et ce sont des parlementaires français qui demandent à leur Assemblée la création d’une commission d’enquête. “Pourquoi Thomas Sankara a-t-il été assassiné ? Comment cet assassinat a-t-il été possible ? Quels rôles ont joué les services français et les dirigeants français de l’époque ?”. Ce sont, entre autres, les questions qui ont motivé la démarche des députés français saisis par leurs collègues burkinabè.

La France va-t-elle étouffer l’ultime espoir ?

BLAISE_CLa décision d’accepter ou non la création de cette enquête relèvera d’une logique purement politique. Car au-delà de la lumière tant attendue par la famille et les millions de sympathisants, c’est au gré des intérêts politiques de la France ou de ses autorités que la décision sera prise. L’Etat est, certes, une continuité mais l’Union pour la majorité présidentielle de Nicolas Sarkozy qui détient la majorité à l’Assemblée nationale, au prétexte de n’être pas comptable des actes posés par le pouvoir en place en 1987, a-t-elle plus intérêt à bloquer ou à autoriser une telle procédure ? Le Président Sarkozy et les siens pourraient-ils y voir une occasion de réaliser une de leurs promesses électorales de 2007 quand ils affirmaient vouloir changer les relations entre la France et l’Afrique ? La question de fond est de savoir jusqu’où sont-ils prêts à aller dans le sens de la réalisation de cette promesse. Surtout quand on sait que cette affaire Thomas Sankara pourrait éclabousser bien des acteurs et pas des moindres. Dans tous les cas, s’il advenait que la commission voit le jour, la France ne serait pas la première à s’essayer à la réparation des torts causés à une ancienne colonie. La Belgique l’a déjà fait avec la RD Congo dans le cas de l’assassinat de Patrice Lumumba, à travers une enquête parlementaire qui a conclu à sa responsabilité dans ce drame. La Belgique a d’ailleurs reconnu ses torts et présenté des excuses au Congo en 2008. Certes, la Belgique n’est pas la France et la RD Congo n’est pas le Burkina. Mais sait-on jamais !

Quoi qu’il en soit, au moment où se commémore le 24e anniversaire de la mort de Sankara, les regards sont tournés vers la France où vivent d’ailleurs la veuve Mariam Sankara et ses deux fils. Va-t-elle étouffer cette nouvelle graine d’espoir après toutes les vaines péripéties tant au niveau des juridictions nationales burkinabè que du côté de l’ONU ? La flamme est pour le moment entretenue. Pour combien de temps ? Attendons de voir.

Par Boureima OUEDRAOGO

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Les voies de la justice obstruées

En 1997, à quelques semaines de la prescription du crime commis contre Sankara, sa veuve et ses enfants ont porté une plainte contre X au Burkina pour «Assassinat et faux en écriture administrative». L’affaire venait juste d’échapper à l’enterrement définitif sur le plan judiciaire. Mais pour autant, le parcours allait se révéler long, trop long et trop pénible. Pourtant, dans l’imaginaire populaire, les faits sont têtus et connus. Quelqu’un a tué Sankara pour le pouvoir et peut-être bien d’autres choses.

D’abord, en pareille circonstance, la question que se pose l’homme de la rue avec sa connaissance sommaire de la Justice est : à qui profite le crime ? Et pour lui, le ou les bénéficiaire(s) sont bien connus de tous.

Ensuite, le certificat de décès, signé par le médecin commandant Alidou Diébré le 17 janvier 1988, mentionnait clairement que le «camarade Sankara Thomas Isidore Noël est décédé le 15 octobre 1987 à 16h30 de mort naturelle». C’est écrit noir sur blanc et ça a été publié partout dans le monde entier. Or, tout le monde sait qu’il a été tué dans le coup d’Etat qui a conduit Blaise Compaoré au pouvoir. N’est-ce pas clair qu’il y a eu faux en écriture administrative ici ? Le Commandant Diébré ? La Justice l’a-t-il entendu ?

Mais pour le reste, ce fut une série de micmacs judiciaires. Les tribunaux de droits communs reconnaissent que les faits ont effectivement eu lieu mais dans une caserne militaire. Eux sont donc incompétents pour instruire les dossiers de militaires. Le ministre de la Défense devait donc ordonner l’ouverture d’une enquête, comme ce fut le cas dans l’affaire David Ouédraogo. Mais la veuve et ses enfants ont attendu en vain que les différents ministres qui se sont succédé à ce département prennent la dite ordonnance. Aujourd’hui, ce département est géré personnellement par le Président Compaoré himself. Soulagera-t-il enfin la douleur de la famille de son ancien «ami et frère» ? C’est peut-être trop lui demander. Mais sait-on jamais !

Bref, convaincus qu’il ne faut rien attendre des juridictions nationales, Mariam Sankara et ses avocats se sont tournés vers celles internationales, notamment le Comité des droits de l’homme de l’ONU. Là, la plainte a été déposée contre l’Etat burkinabè «pour violation du Protocole facultatif du Pacte international relatif aux droits civils et politiques». Elle a été jugée recevable. Le 5 avril 2006, le Comité des droits de l’Homme de l’ONU a relevé que le gouvernement burkinabè avait violé les dispositifs du Pacte. Il lui a alors demandé «d’élucider l’assassinat de Thomas Sankara, de fournir à la famille les moyens d’une justice impartiale, de rectifier son certificat de décès, de prouver le lieu de son enterrement, de compenser la famille pour traumatisme subi, d’éviter que pareille tragédie ne se reproduise et de divulguer publiquement la décision du Comité».

Le 7 mars 2006, le tribunal d’arrondissement de Baskuy a établi un jugement supplétif d’acte de décès au nom de «Thomas Isidore Sankara, décédé le 15 octobre». Une indemnisation de 43 millions de F CFA a été proposée à la famille qui, naturellement, a refusé. Et c’est tout !

Coup de tonnerre ! Le 21 avril 2008, le Comité des droits de l’homme de l’ONU a jugé satisfaisantes les réponses du gouvernement à la plainte de la famille Sankara. Il a ainsi mis fin à la procédure engagée et a oublié les autres point de son injonction au gouvernement burkinabè.

L’initiative des députés burkinabè et français sonne comme un ultime recours pour la famille. Si elle échoue, il ne lui restera que la justice divine qui, elle, échappe à la raison d’Etat et aux intérêts des hommes, aussi puissants soient-ils. Il y a aussi le tribunal de l’Histoire qui prend le temps qu’il faut pour rendre à la vérité ses droits et aux justes, la justice.

Boureima OUEDRAOGO

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Proposition de résolution déposée par des députés français le 10 juin 2011 à l’Assemblée nationale française

On trouvera le texte de la résolution à l’adresse http://thomassankara.net/?p=1097

Source : Le Reporter N°80 du 15 au 31 octobre 2011 http://www.reporterbf.net/index.php/diagnostic

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