Le titre original de cet article tel qu’il a été publié sur Afrikaexpress le 20 juin 2015 avec comme titre Interview de Bruno Jaffre, Biographe du feu Thomas Sankara (Burkina-Faso): « Le témoignage des officiers togolais intervenus dans l’assassinat de Sankara est capital. Et la pression étant forte, gare aux pays qui vont bloquer l’enquête ». Nous nous sommes permis de changer le titre. Les propos attribués à Bruno Jaffré, ne sont en effet pas dans l’interview, même si certains en sont proches.
La rédaction
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Publié dans Afrikaexpress 20 juin 2015 sous le titre Interview de Bruno Jaffre, Biographe du feu Thomas Sankara (Burkina-Faso): « Le témoignage des officiers togolais intervenus dans l’assassinat de Sankara est capital. Et la pression étant forte, gare aux pays qui vont bloquer l’enquête »
Bruno JAFFRE, lors d’une conférence à Paris. Crédit photo: Régis MARZIN pour Afrikaexpress
Prévu pour février 2015, c’est finalement en mai que les tombes de Thomas Sankara et ses compagnons ont été ouvertes et leurs restes exhumés. Objectif : identifier les corps et leur rendre l’hommage national mérité. Une promesse des autorités de la transition à Ouagadougou. Dans la foulée, la veuve de l’ancien président du Burkina Faso est reçue au parlement français. Bruno Jaffre a consacré des années de recherches au héros panafricain. Il revient sur l’événement, sa portée historique et politique, l’implication éventuelle ou non de la France, ce Français passionné de l’Afrique se confie à Afrikaexpress. Bonne lecture !
Il y a de cela quelques jours, on a exhumé les tombes du feu président Thomas Sankara et de ces 9 compagnons tués en Octobre 1987… Est-ce que c’est une bonne nouvelle pour le Burkina Faso et surtout pour les sankaristes?
C’est une bonne nouvelle pour beaucoup de monde, la famille, les avocats et tous ceux qui se battent pour la vérité et la justice à propos de l’assassinat de Thomas Sankara et de ses compagnons.
On y a retrouvé presque rien…
A ma connaissance on a trouvé des ossements, des morceaux de tissu, mais on n’a pas plus de détail, le juge demande aux familles et aux avocats de ne pas communiquer.
Puisque cette prospection de la tombe devrait être réglée depuis le mois de Février, selon vous, qu’est-ce qui bloquait le dossier?
Les promesses faites par les autorités issues de l’insurrection concernaient uniquement l’exhumation pour que la famille puisse être fixée sur le fait que Thomas Sankara était bien enterré dans la tombe supposée être la sienne. En réalité la famille Sankara, les avocats les militants ont demandé à plusieurs reprises qu’une véritable instruction soit ouverte. Notre réseau Justice pour l’Afrique a, par exemple, organisé une conférence de presse à Ouagadougou début mars en concertation avec les avocats qui en ont fait une autre de retour d’une réunion de concertation en France. Ensuite il a fallu que le nouveau ministère de la justice puis la justice burkinabè récupèrent le dossier. La seule procédure encore en cours était une procédure militaire et il a fallu nommer un juge d’instruction, ce qui n’a sans doute pas été facile du fait de problèmes internes à l’armée. De ce que l’on sait le commando était composé de membres du régiment de la sécurité présidentielle, or le chef de ce régiment de l’époque, le général Diendéré semble bénéficier encore de soutiens puisqu’il est resté à Ouagadougou. Certains officiers de ce régiment se sont permis, sans succès, de demander la démission du premiers ministre le lieutenant-colonel Zida, allant jusqu’à bloquer par deux fois le conseil des ministres
Êtes-vous confiant pour la suite? Est-ce que l’arrivera un jour à un procès Thomas Sankara?
Les avocats, Mariam Sankara se disent confiants, je m’en remets à eux sur cette question, Mariam Sankara ayant rencontré toutes les autorités du pays lors de son dernier séjour au Burkina. La convocation de Gilbert Diendéré ou non, ainsi que des membres présumés du commando, leurs noms ont déjà été dévoilés, il y a déjà de nombreuses années, sera un véritable test sur la capacité du juge militaire à résister aux pressions qui ne manqueront sans doute pas de s’exercer sur lui. Pour le procès, je doute qu’il puisse avoir lieu avant la fin de la transition. Il n’en a d’ailleurs pas encore été question, mais cela doit être une suite logique de l’instruction.
Ne craignez-vous pas que, étant souvent citée, la France ne perturbe les jeux pour éviter un projet qui puisse mettre à nu ses injonctions parfois incestueuses en Afrique?
La pression est forte dans le pays, comme on l’a constaté lors des exhumations où la population s’est massée aux abords du cimetière. C’est une affaire très sensible. Les jeunes qui ont constitué le gros des insurgés se réclament pour beaucoup de Thomas Sankara. Gare à ceux qui voudront tenter d’éviter que l’on aille jusqu’au bout de l’enquête.
Pour la France, nous menons campagne en France pour l’ouverture d’une enquête parlementaire, qui permettrait d’interroger les collaborateurs de l’époque de Jacques Chirac et de François Mitterrand mais aussi les chefs des services secrets. Par deux fois, en juin 2011 et une seconde fois en octobre 2012, les députés écologistes et ceux du Front de gauche ont déposé la demande qui n’a toujours pas été mise à l’ordre du jour. Mardi par exemple Mariam Sankara, va être reçue par les députés du Front de gauche. Elle sera accompagnée par son avocat, le responsable Afrique du PCF qui a organisé la rencontre, un membre de notre réseau et un membre du Balai Citoyen. Nous espérons que d’autres députés viendront la rencontrer. Nous avons appelé à un rassemblement pour la soutenir.
Par rapport au complot international, il est régulièrement question d’officiers togolais y ayant participé. On m’a confié aussi qu’un officier avait témoigné lors de la conférence nationale. Je voudrais profiter de cet interview lancer un appel pour retrouver ce témoignage, mais aussi pour que des témoins togolais racontent ce qu’ils savent si cette participation est avérée.
Plus de 28 ans après son assassinat, Thomas Sankara est toujours populaire, à quoi cela est dû? En quoi est-il un exemple pour les mouvements citoyens de jeunes en Afrique ?
Sankara a montré qu’il était possible d’inventer en Afrique un modèle original de développement autocentré et s’appuyer sur les richesses de son pays, en mobilisant les populations ; de parler franc aux grandes puissances, de donner confiance à son peuple, et par là à toute l’Afrique, et de centrer sa politique sur la satisfaction des besoins essentiels des populations, se nourrir, se soigner, s’éduquer ! Tout le monde se souvient de sa simplicité, de son engagement, de son intégrité, de son sacrifice. Il en est mort. Il reste le meilleur président du continent de la période post-coloniale à ce jour.
Propos recueillis à Paris (depuis Lomé) Par Firmin TEKO-AGBO
Source : http://afrikaexpress.info/?p=73454