Le 15 octobre 1987, des bruits d’armes sont entendus. Sankara déclare à ces ministres : « Restez ici, c’est à moi qu’ils en veulent ». Il sort du palais, en short, les mains en l’air. On l’abat avec 12 personnes. On sait aujourd’hui que c’est bien Blaise Compaoré qui a ordonné cet assassinat d’après les déclarations du sénateur Johnson, ancien mercenaire libérien qui a participé au coup d’état avec Charles Taylor : “Le numéro deux, Blaise Compaoré, a demandé de l’aider à obtenir l’éviction du pouvoir de Thomas Sankara. Il a dit que c’était la seule façon pour nous de pouvoir vivre au Burkina sans aucune menace. Et Sankara a été tué. Nous l’avons fait parce que c’était le seul moyen pour nous de rester au Burkina et de préparer notre attaque contre Doe“, a-t-il déclaré.

Selon François Xavier Verschave de l’association Survie, l’élimination de Sankara aurait été le sacrifice fondateur de l’union Kadhafi-Houphouet Boigny-Taylor.

Thomas Sankara fut le jeune président d’un des pays les plus pauvres de la planète, la patrie des hommes intègres : le Burkina Faso. Capitaine, il avait combattu à Madagascar puis la lecture de « L’état et la Révolution » de Lénine, lui avait ouvert les yeux ; Pour autant il restait simple, capable de jouer de la musique avec Richard Taylor ou Rawlings. Il parlait de libérer le génie créateur des Africains. Idéal révolutionnaire, règne court ! Il n’eut que peu de temps pour changer son pays (entre 1983 et 1987). C’était le temps du Point Mulhouse, les communistes français avaient déjà un clown : Georges Marchais ! En 1986 toute une génération avait espéré refaire un looping à la 68 ! Tom Sank arbitrait alors un match de foot entre membres de son gouvernement, afin de secouer ceux que la fonction aurait pu alourdir.

Sankara décréta la gratuité des loyers durant toute l’année 85. Lors du sommet de l’OUA, raout de dictateurs en costumes, il prononça avec son humour habituel : « Je dis que les africains ne doivent pas payer la dette. Celui qui n’est pas d’accord peut sortir tout de suite, prendre son avion et aller à la Banque Mondiale pour payer. » On ne riait pourtant pas beaucoup chez celui qui menait une guerre à outrance à l’Erythrée, Mengistu. Provocateur, Sankara tendait le pied en lieu et place de la main à ces confrères dictateurs.

Sa politique était faite de générosité et de bon sens : reboisement du Sahel, ré-appropriation du savoir et de la culture vivrière en lieu et place des importations étrangères.

Extrêmement audacieux il l’est quand il condamne la polygamie et interdit l’excision dans un pays majoritairement musulman : « Une femme est exploitée comme une vache, une vraie vache.[[Delbrel Guy et De Decker Marie Laure dans L’Autre Journal, 1986]] » Un pays féodal pour les femmes disait-il.

Nihiliste philosophiquement, il était néanmoins extrêmement pragmatique pensant que les hommes avaient besoin autant de culture que de nourriture. Ce grand « Féticheur » avait conscience de la sociologie de son peuple mais tenait à bousculer les traditions quand elles étaient injustes.

Il entreprit de faire repeindre Ouaga en blanc ! Son humour justement quand Elisabeth Nicolini[[Nicolini, Elisabeth, Sur la littérature, « Jeune Afrique », Fev 1986]]. l’interroge sur ses lectures à propos de désertification, il répond: « Non c’est trop aride ! » Spécialiste des coups d’éclat il enflamme la jeunesse lors de ses tournées africaines ; il vend les voitures de luxe du gouvernement et organise des procès contre la corruption mais tranchant avec de vieilles habitudes du pouvoir, sans qu’aucune peine de mort ne soit prononcée. Soucieux de dignité et opposé au principe de l’aide alimentaire, il décide aussi d’interdire le passage du Paris-Dakar : « Les pompes sont un alibi qui cache des actions moins nobles.[[Delbrel Guy et De Decker Marie Laure dans L’Autre Journal, 1986]] » L’indépendance économique et la production locale étaient son credo.

Lorsque Mitterrand lui rend visite, il le tance sur l’accueil de la France à Peter Botha, président de l’Afrique du Sud. Cette semonce totalement improvisée et contraire aux usages diplomatiques, c’était Tom Sank.

Ses initiatives soutenus par les CDR ont séduit la jeunesse, mais non pas empêché des erreurs telles que le remplacement de 2600 instituteurs par des révolutionnaires non qualifiés. Selon les uns, il musellera la presse, pour les autres, rendra coup pour coup au seul journal d’opposition « l’Observateur » qui subit un incendie en 1983 attribué aux CDR.

On se souvient encore de sa visite chez « ses frères » à Harlem, lui alors en visite à l’ONU ou quand il allait au Mali en exhortant la jeunesse à se révolter, à entreprendre par elle-même, à se défier de l’aide internationale.

Sankara fait encore la fierté des burkinabés parce qu’il leur a dit qu’après des siècles d’esclavage, de déportation, qu’après la colonisation, qu’il fallait retrouver leur dignité en faisant les choses par eux-mêmes ! Parce qu’il était de ses militaires qui obéissent en commandant.. Un air de Sous-Commandant Marcos balayait déjà l’Afrique sub-saharienne. Un douanier de la vieille génération me confiera : « Un beau jour moi qui étais dans l’armée, mon vieux, on nous dit que ce sont les soldats qui commandent, hein ? Tu imagines moi qui étais formé à l’école militaire française ! »

Sans ces années là certains se souviennent qu’Alpha Blondy avait mis le feu au stade du 4 septembre. En 2006, le chanteur a viré sa cuti et s’est prosterné devant Compaoré. Alpha Blondy estime qu’entre Sankara et Blaise Compaoré il s’agissait d’un duel de cow-boys, « C’est le premier qui a dégainé qui l’a emporté. » Outre que le fait que cette déclaration informe sur l’identité de l’assassin qui a toujours affirmé être indisponible aux moments de l’exécution, le reggeaeman applique la loi qui veut que ce soient les vivants qui refassent l’Histoire. A moins que John Wayne n’ait trouvé grâce à ses yeux.

Des artistes, il y en aura d’autres tels Black So man, chanteur des années 90, victime d’un étrange accident de voiture. Des journalistes tels Norbert Zongo, assassiné dans des conditions non-élucidées. C’est peut-être pour ça que Sam’s k Lejah, animateur sur Radio Ouaga n’est pas très tranquille, lui qui sort un album . L’année dernière le Fespaco n’a pas pu faire autre chose que d’accueillir le documentaire de Robin Shuffield, « Sankara l’homme intègre » projeté au Centre Norbert Zongo, où la foule s’est ruée.

Sankara est devenu un mythe. Lui qui voulait s’affranchir de la tutelle de la France, « sortir d’une misère asservissante » ne reconnaîtrait pas son pays devenu le bon élève de la Francafrique et le paradis de l’Humanitaire.

Il souhaitait connaître le Groenland. Il doit y être désormais, tant dans nos cœurs il fait froid. Nous, on était là avec nos amis sur cette décharge où ils avaient mis son corps et celui de ses fidèles ; il faisait chaud comme tous les hivers à Ouaga, l’air était sec, et il ne me venait aucune larme, sauf à l’intérieur.

Louise Mitchell

Source : [http://fourmesdediscours.over-blog.org/article-sankara-assassine-par-blaise-compaore-72476415.html
->http://fourmesdediscours.over-blog.org/article-sankara-assassine-par-blaise-compaore-72476415.html]

Les articles cités en note de Delbrel Guy et De Decker Marie Laure et de Nicolini, Elisabeth sont disponibles sur thomassanakra.net aux adresses respectivement http://thomassankara.net/?p=205 et http://thomassankara.net/?p=47

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