Publié le 27 octobre 2015 sur http://www.courrierconfidentiel.net

Lorsqu’on parle des causes de la chute du Conseil national révolution (CNR), d’aucuns ont cette propension à achopper leur attention et leur analyse sur les exactions et les dérives militaires des Comités de Défense de la Révolution (CDR). En dehors des acteurs de premier plan qui étaient au parfum de ce qui se tramait et des chercheurs qui se sont consacrés de façon spéciale sur la question, la plupart des gens se laissent aller souvent à des analyses ne s’en tenant qu’aux apparences, aux on-dit et à l’anecdotique. Or, l’appréciation des causes du 15 octobre 1987 ne peut pas se faire dans la seule considération des dérapages des structures populaires de la révolution. Dans le cadre de nos recherches,

il nous a été loisible de constater que la problématique de la création d’un parti d’avant-garde a constitué l’un des mobiles essentiels ayant conduit au drame du 15 octobre 1987. Mieux, l’intrigue qui a conduit à l’assassinat de Thomas Sankara découlait de la conjuration d’un groupe de communistes dont le metteur en scène était le numéro deux du régime, le Capitaine Blaise Compaoré. La tragédie du 15 octobre 1987 fut l’épilogue d’une opposition entre deux individus, chacun avec son camp politico-militaire, Thomas Sankara et Blaise Compaoré. Véritable tragédie grecque !

Thomas Sankara était-il un autocrate ?

Les actions humaines sont toujours marquées par le sceau de l’imperfection. Dans la culture moaaga, l’on aime souvent dire : « L’Homme est neuf, il n’est pas dix ». Une métaphore qui évoque évidemment l’imperfection de l’Homme, et dans sa pensée, et dans son action.

Thomas Sankara était loin d’être un ange. L’on ne peut donc pas exclure que certains problèmes de la révolution aient pu procéder de sa responsabilité. Plusieurs témoignages s’accordent sur son impatience, son excentricité et son caractère improvisateur. Pour d’autres, il était « très autoritaire dans le travail » (Bruno Jaffré : 2006, p. 158). Bien qu’officiellement, la gestion du pouvoir incombait aux quatre chefs historiques de la révolution, Thomas Sankara, selon certains dires, avait quelquefois cette tendance à décider seul. « Un tel comportement ne pouvait durer longtemps sans avoir des conséquences sur l’unité des quatre dirigeants de la révolution » (Bruno Jaffré : 1989, p. 251).

Après son assassinat, ses contempteurs du Front populaire ont fait de la surenchère en surfacturant ses défauts afin de pouvoir soutenir des critiques sévères sur sa gestion du pouvoir et par ricochet justifier sa chute. Pourtant, à y voir clair, les accusations de personnalisation du pouvoir, l’autocratisme et la dérive droitière dont on l’a affublé manque crûment de tangibilité pour peu que l’on se réfère à la vie simple et frugale, policé sans fadeur comme le disait une figure de proue de la révolution française, Saint-Just. La conception de Thomas Sankara en matière de gestion du pouvoir était le service du peuple, d’où son rappel sans cesse à ses collaborateurs que la révolution était là pour servir et non pour se servir. « Tant que la révolution ne sera pas en mesure d’apporter bonheur matériel et moral à notre peuple, elle sera simplement l’activité d’un ramassis, d’un certain nombre de personnes avec plus ou moins simplement de mérite, mais qui représentent tout simplement des momies, qui représentent tout simplement un rassemblement statique de valeurs décadentes, incapables de mouvoir et de faire mouvoir la réalité ; incapables de transformer cette réalité », disait-il dans son discours du 04 août 1987.

Mais dans l’élite révolutionnaire de l’époque, des gens s’accommodaient difficilement à cette vision qui rimait avec décentrement de soi, sacrifice, austérité et ascétisme. En effet, le détachement de toute considération matérielle et pécuniaire dont Thomas Sankara faisait preuve n’était pas forcément partagé par certaines personnes de son entourage qui voulaient jouir des plaisirs du pouvoir. Naturellement, pour ces gens, Thomas Sankara était dérangeur.

Lézardes idéologiques et politiques sur la problématique de la création d’un parti d’avant-garde de la révolution

Le CNR, en tant qu’organe de conception et de direction de la révolution, n’avait pas les assises d’un parti fédérant toutes les sensibilités idéologiques et politiques. Il y avait donc ce défi de mettre en place un véritable parti d’avant-garde de la RDP. Mais il y avait des dissentiments. La vision de Thomas Sankara était de procéder à un élargissement de la base de la révolution à d’autres couches ou forces politiques afin d’aboutir à une certaine ouverture démocratique et populaire. Face à la situation de déchirures idéologiques et populaires, la panacée pour Thomas Sankara était la création d’un parti qui allait, par une gouvernance inclusive, garantir la prise en compte de tous les Burkinabè et leur participation véritable au processus révolutionnaire. Et en matière de modus operandi, la conception du père de la Révolution démocratique et populaire(RDP) était d’éviter une sorte de nomenklatura qui risquerait de tomber dans l’opportunisme, la restrictivité et la sélectivité. Il s’était rendu à l’évidence que ceux qui prônaient le purisme idéologique et politique n’étaient pas les plus authentiques révolutionnaires et les plus désintéressés.

Mais les cadres de l’Union des communistes burkinabè (UCB) et du Groupe communiste burkinabè (GCB) qui étaient à la manœuvre pour le compte du Capitaine Blaise Compaoré nourrissaient une ambition antinomique. Le tandem UCB-GCB, appuyé plus tard par l’Union de lutte communiste (ULC)-La flamme, a constitué le principal sicaire politique du président du CNR dans sa volonté de pause et d’ouverture de la révolution. Pendant que Thomas Sankara, soutenu par l’Union de Lutte communiste reconstruite(ULCR), souhaitait la mise en place d’un parti d’avant-garde pluriel, certains militaires et les théoriciens du tandem UCB, GCB et ULC-La flamme désiraient un parti communiste unique de type soviétique ou chinois où ils allaient devenir les maîtres à penser. Ils voulaient faire de l’orthodoxie. Cette partie était également contre les mesures d’apaisement social que le président du CNR estimait opportunes de prendre afin de réconcilier la population avec la révolution. Ils critiquaient acrimonieusement la lettre n° AN V 00019 du président du CNR ordonnant la reprise des travailleurs licenciés. C’est tout naturellement qu’ils prônaient l’exclusion de l’ULCR et s’opposaient au retour du Parti africain de l’indépendance (PAI) dans le processus révolutionnaire en vue de la construction du parti. D’ailleurs, après l’assassinat de Thomas Sankara, l’UCB décalottait davantage son goût pour l’hégémonisme en ces termes : «Il y a nécessité objective pour les organisations de mener une lutte d’hégémonie sur le terrain afin d’aboutir en dernière analyse à une clarification conséquente et totale, indispensable pour la bonne poursuite de la révolution » (Cf T. G., « La vision mystique de l’unification et les leçons de la résistance » in Sidwaya n°893 du 06 novembre 1987, page 05). C’est une lapalissade de dire qu’en agissant à hue et à dia, les cadres du trio UCB, GCB et ULC-La flamme servaient bien entendu la conspiration dont le métronome était le Capitaine Blaise Compaoré.

Blaise Compaoré : conspirateur de première heure…

L’exploration de l’historiographie sur la période révolutionnaire divulgue un certain nombre de témoignages qui stipulent que dès l’avènement du 04 août 1983, Blaise Compaoré avait voulu occuper le devant de la scène, mais la conjoncture politique ne lui était pas favorable. Par le fait, l’on raconte qu’il avait dit à Vincent Sigué, un fidèle de Thomas Sankara, qui avait rallié les militaires de Pô pour préparer le coup d’Etat du 04 août 1983, que si l’opération réussissait, lui Blaise Compaoré deviendrait le président et Thomas Sankara occuperait la Primature. Selon d’autres indiscrétions, l’un des scenarii du 04 août 1983 prévus par Blaise Compaoré et ses ouailles était de faire en sorte que dans le feu de l’action, Thomas Sankara perde la vie. Ce qui allait permettre à Blaise Compaoré de faire de lui un héros et occuper tranquillement la Présidence de l’Etat. Selon toute vraisemblance, Blaise Compaoré voulait le pouvoir, mais il ne pouvait pas y accéder directement du point de vue de sa notoriété personnelle.

Que comprendre de cet extrait du livre de Jean René Guion, vraisemblablement commandé et généreusement financé, sur la personne de Blaise Compaoré : «Certes, le Capitaine Blaise Compaoré, sans lequel l’opération militaire et la mise en condition psychologique de la population n’auraient sans doute pas pu avoir lieu, était tout à fait désigné pour occuper la première place » (Jean René Guion, 1991, Blaise Compaoré : réalisme et intégrité, portrait de l’homme de la Rectification au Burkina Faso, Paris, Berger Levrault International, page 27).

A partir du mois de septembre 1987, Blaise Compaoré avait acquis le contrôle de toutes les organisations civiles membres du CNR à l’exception de l’ULCR. Voici ce que l’intéressé lui-même affirme dans le journal français Libération du 26 octobre 1987 : « Je savais que mon camp politique était fort. Thomas ne contrôlait plus l’Etat. » Avec cette donne, il n’était plus question de permettre au président du CNR de procéder aux réformes qu’il ambitionnait. Car si Thomas Sankara avait dépassé le cap de 1987, il n’était plus évident que l’on puisse le faire partir. Il avait prévu une augmentation des salaires en fin d’année, une véritable pause dans les projets révolutionnaires, la reprise effective des fonctionnaires licenciés ; et si toutes ses mesures avaient pu être prises, il était évident qu’il avait plus d’avenir pour des raisons évidentes fondamentales.

L’impossible conciliation au sommet de l’Etat

A partir du mois de septembre, tout s’était accéléré. Thomas Sankara, s’étant rendu compte, avec toutes les alertes venant de son entourage et de ses amis, que le danger était des plus imminents, tentait de prendre des dispositions palliatives en ouvrant le problème à ses plus proches collaborateurs. Non seulement il cherche à crever l’abcès avec ses camarades, mais encore il veut prendre des dispositions pour renforcer sa sécurité personnelle qui dépendait surtout des militaires commandés par Blaise Compaoré. Dès le 03 septembre 1987, a lieu une réunion particulièrement tendue de l’OMR sur le problème des tracts orduriers qui circulaient en ville. Thomas Sankara déclara que leurs auteurs étaient présents. Blaise Compaoré s’emporta alors et se plaignit que la réunion ait été convoquée pour l’accuser ; il reprocha à ceux qui étaient présents de ne rien comprendre aux problèmes politiques. La plupart des militaires s’exprimèrent et réaffirmèrent leur fidélité à Thomas Sankara. D’après Sennen Andriamirado, de jeunes officiers dont plusieurs furent abattus après l’assassinat de Thomas Sankara sont allés plus loin en accusant Blaise Compaoré de comploter contre le président du CNR : «Il n’ y a pas de numéro deux, lui avaient-ils lancé, il y a un président et c’est le Capitaine Thomas Sankara» et désormais, « qui s’attaque au président du CNR s’attaque à la révolution »(Sennen Andriamirado : 1989, p. 75).

Dans la volonté de renforcer la sécurité présidentielle qui dépendait de Blaise Compaoré, il y avait eu cet ancien projet de création de la Force d’intervention du ministère de l’Administration territoriale et de la Sécurité (FIMATS) dont le commandement devait revenir à Vincent Sigué. Le lundi 21 septembre 1987, au cours d’une réunion où le bureau politique du CNR décida de se doter d’un programme politique devant servir de base de travail à l’unification des organisations membres du CNR, Blaise Compaoré s’opposait cette fois-ci de façon ouverte et ferme à la création de la FIMATS sous les ordres de Vincent Sigué : « Que doit être cette FIMATS ? Une police politique puisqu’elle doit relever du ministère de la Sécurité ? Une milice ? Il va y avoir des interférences entre l’armée, la gendarmerie, les CDR – avec lesquels nous avons déjà des problèmes – et maintenant la FIMATS ! Et si l’on confie tout ça à Sigué qui n’est pas militaire, ce sera encore plus la pagaille

Le mois d’octobre 1987 fut le dernier virage dans cette lutte, pour la conservation du pouvoir dans le camp de Thomas Sankara et pour sa conquête dans le camp de Blaise Compaoré. Le 02 octobre 1987, lors de la commémoration du quatrième anniversaire du DOP à Tenkodogo, les protagonistes de la crise jetèrent en pâture leurs contradictions. L’expression des antagonismes sur la place publique compromettait désormais toute tentative conciliatrice. Le 08 octobre 1987, Thomas Sankara convoqua une réunion pour débattre du regain du climat de malaise créé par l’incident de Tenkodogo. Jean-Baptiste Lengani en partance pour une tournée dans l’Ouest n’y était pas présent. Devant le silence des deux autres, Thomas Sankara se leva et claqua la porte. Le dernier évènement déterminant de cette crise au sommet de l’Etat avant la tragédie du 15-Octobre fut le Conseil des ministres qui s’était tenu le 14 octobre. Blaise Compaoré absent, Thomas Sankara l’avait présidé, une première depuis le dernier remaniement gouvernemental. Le Conseil ratifie la création de la FIMATS.

Le 15 octobre 1987, aux environs de 16h30, Thomas Sankara est assassiné au cours d’une réunion avec ses compagnons. Après le coup d’Etat sanglant, l’on apprenait que le pouvoir était désormais aux mains de Blaise Compaoré avec pour organe de direction le Front populaire, lequel se fixait comme objectif de mener une politique de rectification de la révolution. Dans la toute première déclaration du nouveau pouvoir, Thomas Sankara est taxé de traître, de renégat, d’autocrate. Il est par la suite accusé de dérive droitière et d’avoir planifié un complot le 15 octobre 1987 à 20 heures dont l’exécution devait aboutir à la liquidation des trois autres chefs de la révolution. Jusqu’à nos jours, les preuves tangibles de ce complot dit de 20 heures se font attendre. Pendant ce temps, l’Histoire, elle, continue de réhabiliter Thomas Sankara. Comme quoi les faits sont vraiment têtus…

K. Marcel Marie Anselme LALSAGA, Chercheur & Journaliste, Doctorant à l’Université de Ouagadougou, Spécialiste d’Histoire politique et sociale

Auteur de : Pouvoir et société sous la révolution au Burkina Faso: le rôle des structures populaires dans la gouvernance révolutionnaires de 1983 à 1987, Sarrebruck(Allemagne), Editions Universitaires Européennes, 404 pages, ISBN : 978-613-1-56221-1

Source : http://www.courrierconfidentiel.net/index.php/decryptage/1150-blaise-compaore-thomas-sankara-la-pomme-de-discorde

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