Publié dans le courrier Confidentiel (Ouagadougou) dans le numéro 24 du 25 décembre 2012

Voilà l’affaire Thomas Sankara qui refait surface ! Cette fois, c’est un juriste, Me Apollinaire Kyélem de Tambèla, avocat au Barreau du Burkina Faso et directeur du Centre de recherches internationales et stratégiques (C.R.I.S), qui donne un coup de pied dans la fourmilière. Il vient de publier, sans tambours ni trompettes, un livre d’une haute importance. Le titre ? «Thomas Sankara et la Révolution au Burkina Faso – Une expérience de développement autocentré». Et il fait des révélations. Halte sur l’assassinat de Sankara et les «mensonges» du Front populaire.

Ils cherchaient la peau du Président Thomas Sankara et ils ont fini par l’avoir. «Avant le 15 octobre 1987, plusieurs tentatives d’assassinat de Sankara avaient été planifiées, puis reportées pour des raisons d’opportunité. L’une d’elles était prévue pour se dérouler pendant les cérémonies du 4 août 1987 à Bobo Dioulasso. Sous prétexte d’assurer la sécurité des manifestations, Blaise Compaoré y avait fait transporter beaucoup de soldats de Pô. Flairant un piège, Sankara fit suivre les hommes de Pô par ceux du Bataillon d’intervention aéroporté (B.I.A) de Koudougou du Capitaine Boukary Kaboré. La tentative échoua…». Mais Sankara était toujours dans le viseur. Il était la cible à abattre… à tout prix.

Un autre plan d’assassinat sera vite mis en scelle. Deux mois après la première tentative, les intentions macabres des assassins refont surface. Et Me Kyélem le dit dans son livre: «Le 2 octobre 1987 à Tenkodogo, lors de la célébration du quatrième anniversaire du Discours d’orientation politique (DOP), un projet d’assassinat avait encore été élaboré mais abandonné une fois sur le terrain parce que les circonstances ne s’y prêtaient pas». Et ce n’est pas tout: il est aussi «question d’un autre projet qui était prévu pour le samedi 10 octobre 1987, lors de la soirée de clôture du Forum anti-apartheid qui s’était ouvert à Ouagadougou le 8 octobre en présence du fils de Che Guevara. Une autre tentative avait été ourdie pour se dérouler peu avant le 15 octobre à Kaya lors d’une manifestation. Informé à temps, Sankara s’abstint d’y aller». Et il n’y a pas que cela. «Cette liste est loin d’être exhaustive», précise Me Kyélem. Mais tout était planifié. Et «ils» ont fini par atteindre leur «cible» le 15 octobre1987. Ce jour-là, Sankara et 12 de ses compagnons sont assassinés.

Le Front populaire, créé et dirigé par Blaise Compaoré, et qui dit être venu «rectifier» la Révolution a-t-il menti sur les raisons du coup d’Etat ? Oui, si l’on en croit l’auteur du livre qui a effectué des recherches approfondies sur le sujet. Et il va droit au but: «Les causes de la tragédie du 15 octobre 1987 sont à rechercher ailleurs que dans les explications et les justifications du Front populaire». Et le voici qui égrène ses arguments. Point par point, il démontre que les explications brandies par le Front populaire pour justifier le coup d’Etat ne résistent pas à la critique. Morceau choisi: «Le massacre du 15 octobre 1987 a été célébré avec jubilation par le Front populaire. Ainsi, dans son éditorial du 19 octobre 1987, le quotidien gouvernemental Sidwaya, avec un certain cynisme, écrivait que ‘’les péripéties de l’action du 15 octobre ont ici peu d’importance sinon pour tous ceux qui, aujourd’hui, recherchent des détails lugubres pour satisfaire une curiosité morbide ou pour se répandre en effluves de paroles auprès de cœur à attendrir’’.

Qu’est-ce qui peut expliquer ou justifier tant de haine ?», s’interroge Me Kyélem. Et il feuillette aussitôt la «proclamation» signée par Blaise Compaoré, rendue publique le soir du 15 octobre. Voici le premier grief que les putschistes reprochent, dans ce document, au Conseil national de la révolution (CNR) et principalement à Sankara: «Le Front populaire, (…) décide de mettre fin ce jour 15 octobre au pouvoir autocratique de Thomas Sankara, d’arrêter le processus de restauration néocoloniale entrepris par ce traître de la Révolution d’Août». Sankara était-il donc un autocrate, un agent de la néocolonisation et un traître ? Réponse de Me Kyélem: «La Proclamation ne dit pas en quoi Sankara était un autocrate; aucun élément n’est donné pour permettre d’apprécier. On ne peut donc pas accorder beaucoup de crédibilité à une telle affirmation».

Abdoul Salam Kaboré, qui a dirigé les Comités de défense de la révolution (CDR) au début, qui a occupé différents portefeuilles ministériels et qui était membre du CNR, cloue le bec aux putschistes du 15 octobre. Voici ses propos, cités par l’auteur du livre: «Sankara, c’était la force de l’argument et non l’argument de la force; il permettait le débat et le voulait aussi. Et c’était arguments contre arguments. Et le plus souvent, il était persuasif car ses arguments étaient percutants. Sans doute c’est pour cela que ceux qui ne pouvaient pas discuter avec lui, parce que ses arguments battaient les leurs, l’ont traité d’autocrate. L’autocrate dont on parle, je ne l’ai nullement perçu. Sankara tenait un langage, un raisonnement qui, en général, concordait avec ce qu’il y a de plus logique, de plus simple».

Pouvoir à vie ?

Et voici une question qui surgit de façon fracassante: «Peut-on être plus autocrate que Blaise Compaoré ?» C’est écrit, noir sur blanc, dans le livre de Me Kyélem. Les faits sont accablants. Et l’auteur du livre les épluche, sans complaisance: si l’on tient compte de l’année 2012, cela fait 25 ans que Blaise Compaoré est au sommet de l’Etat. 29 ans «si l’on tient compte des quatre années pendant lesquelles il a été le deuxième personnage de l’Etat sous le CNR. Pourtant, Blaise Compaoré n’envisage nullement d’abandonner le pouvoir. Il (s’est fait) élire le 21 novembre 2010 dans des conditions troubles pour un nouveau mandat de cinq ans. Le 27 janvier 1997, après dix ans de règne sans partage, il avait fait modifier la Constitution adoptée le 2 juin 1991, pour faire sauter la clause limitant le nombre de mandats présidentiels à deux, afin de pouvoir briguer indéfiniment la Présidence». Mais la manœuvre ne s’arrête pas là: «A la suite des manifestations consécutives à l’assassinat du journaliste d’investigation Norbert Zongo, dont la responsabilité est attribuée à son régime qui ne l’appréciait pas du tout, Blaise Compaoré a dû concéder une nouvelle révision de la Constitution en 2000 consacrant la limitation du nombre de mandats présidentiels à deux, d’une durée de cinq ans chacun au lieu de sept comme auparavant. Interprétant cette modification comme étant un nouveau point de départ, Compaoré imposa à l’opinion qu’il avait droit à deux nouveaux mandats de cinq ans chacun à l’expiration de son mandat qui était en cours en 2000 et qui expirait en 2005. En conséquence, il imposa sa candidature en 2005 et mit tout en œuvre pour être élu». Et voilà qu’un nouvel épisode semble être en préparation. «Sentant de nouveau le moment favorable, il envisage de faire procéder à une nouvelle révision de la Constitution pour faire sauter de nouveau la limitation du nombre de mandats qui lui fut imposée par la loi du 11 avril 2000», note Me Kyélem, avant d’ajouter que «seuls les soulèvements populaires qui ont embrasé le monde arabe à partir de décembre 2010, et qui ont abouti à la chute des présidents tunisien et égyptien, pourraient l’en dissuader». Au regard de tous ces éléments, «peut-on être plus autocrate que Blaise Compaoré ?», s’interroge l’auteur du livre.

Et que dire du fait que le Front populaire affirme, dans sa «Proclamation», être intervenu pour «arrêter le processus de restauration néocoloniale» ? Cet argument ne résiste pas non plus au regard critique de Me Kyélem. Il est plutôt creux ! «Sur ce point, explique l’auteur, il n’est pas dit en quoi consistait la restauration néocoloniale». Là aussi, le juriste crache ses vérités, droit dans les yeux des putschistes du 15-Octobre: «Pouvait-on sérieusement qualifier la politique économique, sociale et culturelle de Thomas Sankara de processus de restauration néocoloniale ? Consommer burkinabè, produire ce qu’on consomme, instaurer la rigueur et la transparence dans la gestion des ressources de l’Etat, planifier l’économie, mener une campagne active contre le paiement de la dette par les pays africains, réorienter la politique étrangère vers d’autres partenaires, promouvoir l’identité culturelle, le sport, l’habitat, l’assainissement des villes, le développement des villages et des campagnes, susciter l’éveil des citoyens, est-ce cela la restauration néocoloniale ?».

L’auteur pointe plutôt du doigt le président du Faso actuel: «Plus de vingt ans après, écrit-il,Blaise Compaoré est toujours au pouvoir et depuis l’indépendance du pays, aucun chef d’Etat n’a été autant servile dans la défense des intérêts étrangers, français et occidentaux notamment, au Burkina et en Afrique. Par des mues dont lui seul a le secret, Blaise Compaoré est devenu le partenaire privilégié de la France en Afrique francophone».

Dossiers sales

Me Kyélem ne fait pas non plus de cadeau aux putschistes du 15 octobre lorsque, sans donner d’éléments concrets d’appréciation, ces derniers traitent Sankara de «traître à la Révolution d’Août», l’accuse de «vision mystique quant aux solutions à apporter aux problèmes concrets des masses», autant d’éléments qui «ont engendré, disent-ils, la démobilisation au sein du peuple militant». Il qualifie cette perception de «logomachie qui révèle avant tout, les limites intellectuelles des auteurs du texte, tellement on peut se poser des questions sur son rapport avec la réalité».

Mais il n’y a pas que ça ! Le 19 octobre 1987, le Front populaire, en voulant, coûte que coûte, sauver la face, a publié un communiqué laconique dans le «quotidien gouvernemental» Sidwaya. Voici un morceau: «La politique extérieure fut marquée par un aventurisme et un enfantillage qui ont fini par nous ridiculiser auprès de bien des partenaires si elle n’a pas installé souvent une tension inutile avec les peuples voisins». L’auteur du livre estime qu’une telle déclaration n’a aucune crédibilité. Et il s’explique: «Si le reproche du Front populaire avait été fait de façon responsable, Blaise Compaoré aurait eu une politique extérieure différente de celle qu’il a menée jusque-là». Les faits sont suffisamment graves: «Le soutien ouvert et décisif de Blaise Compaoré à la rébellion du National Patriotic Front of Liberia (NPFL) de Charles Taylor n’est pas contesté. Fournitures d’armes, entraînement et encadrement des troupes, intervention directe de soldats burkinabè, autant d’éléments qui ont conduit à la prise du pouvoir au Liberia par Charles Taylor en 1997. En retour, les diamants et autres trésors du Liberia étaient disponibles pour Blaise compaoré». Et ce n’est pas tout. Me Kyélem égrène une pile d’exemples: «En Sierra Leone, la rébellion menée par le Front révolutionnaire uni (RUF) du Caporal Foday Sanko était soutenue par Charles Taylor, et il semble que la main de son parrain Blaise compaoré n’y était pas étrangère. Les affaires du Liberia et de la Sierra Leone suscitèrent contre le Burkina la colère des pays voisins de ces pays, et surtout celle des Etats-Unis et des Nations unies qui ont eu même à envisager des sanctions et des mesures concrètes de pression contre Blaise Compaoré et son régime».

Des choses pas du tout claires se sont également passées en Angola. Là aussi, l’auteur fait état de références bibliographiques selon lesquelles «le soutien de Blaise Compaoré à la rébellion de l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (UNITA) de Jonas Savimbi a été fondamental: fournitures d’armes, entraînement et encadrement de troupes, aide à l’obtention de documents contre les diamants de l’Angola. Cela provoqua également l’irritation de tous ceux qui espéraient une fin plus rapide du conflit angolais». En outre, «des ingérences de Compaoré dans les affaires internes du Mali et du Niger par Touareg interposés ont été relevées. Il est difficile également de mettre hors de cause Blaise Compaoré dans la rébellion du Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI) de Kigbafori Guillaume Soro, née à la suite de l’échec de la tentative de coup d’Etat du 19 septembre 2002 contre le président Laurent Gbagbo». Bref, la liste des ingérences est longue, très longue.

«Son petit frère, François Compaoré…»

Et voici Me Kyélem qui continue son diagnostic. Halte sur un autre passage du communiqué du Front populaire. Sankara y est traité de «népotisme». Cela a dû sans doute choquer l’auteur du livre. Sa réaction est sans ambages: «C’est à se demander si les rédacteurs de ces textes comprenaient vraiment le sens des mots qu’ils employaient».

Et il ne s’arrête pas là. Morceau choisi: «On sait que l’épouse de Sankara est restée très discrète, loin des allées du pouvoir; ce qui n’est pas le cas de l’épouse de Blaise Compaoré qui a inauguré au Burkina, l’appellation et la fonction de ‘’Première dame’’ du pays et qui est trop présente dans les médias», écrit Me Kyélem. Et il ajoute que «la famille de Sankara est également restée discrète et à l’écart des cercles du pouvoir. En revanche, Blaise Compaoré a placé le destin du Burkina entre les mains de sa famille et de ses proches». Ici également, l’auteur égrène des exemples: «Son petit frère, François Compaoré, est officiellement Conseiller à la Présidence. Mais la réalité de ses attributions et de son influence fait de lui, de fait, le deuxième personnage de l’Etat, au point qu’on prête à Blaise Compaoré l’intention de préparer secrètement son frère à sa succession si les circonstances venaient à le permettre». Et Alizèta Ouédraogo dans tout ça ? «La belle-mère de François Compaoré, Alizèta Ouédraogo, alias Alizeta gando, est devenue subitement une riche, influente et imposante opératrice économique», peut-on lire dans le livre, page 336.

Et c’est tout ? Non ! La déclaration de Blaise Compaoré, sur RFI, au lendemain de la présidentielle de 2005, surgit dans les péripéties de l’affaire brûlante du 15 octobre. Voici ce que le Président Compaoré a dit le 14 novembre 2005 sur la radio mondiale: «Qu’est-ce que nous avons voulu faire pendant la Révolution ? C’était de construire des écoles, des dispensaires, tout ça ! Qu’est-ce qui a manqué à la Révolution ? C’est la liberté qui a manqué à la Révolution». Sacré Blaise ! Vous avez dit «liberté» ? Et bien, voici la réplique de Me Kyélem: «Si c’était un problème de liberté, que deviennent alors les insanités qui ont été déversées sur Thomas Sankara pour justifier son assassinat ? Pourtant la liberté n’a pas été promue après le 15 octobre 1987». Des exemples ? Il y en a à la pelle ! «Qu’on se rappelle du massacre de Koudougou le 27 octobre 1987, de l’exécution, le 19 septembre 1989, des deux autres chefs historiques de la Révolution, Jean-Baptiste Lingani et Henry Zongo, de l’assassinat, le 9 décembre 1991, de Oumarou Clément Ouédraogo, qui fut un temps, le deuxième personnage de l’Etat après le 15 octobre 1987, de l’assassinat du journaliste Norbert Zongo à Sapouy, le 13 décembre 1998, des dizaines d’autres assassinats politiques et de disparitions non élucidées sous son régime, des entraves portées à la manifestation de la vérité dans les dossiers sensibles soumis à la Justice».

Pourtant, les partisans de Compaoré affirment que le Burkina est un pays de liberté. Mais l’auteur du livre n’en est pas vraiment convaincu. Il s’empresse de faire une mise au point: «La liberté relative actuelle qui prévaut au Burkina n’a pas été voulue par Blaise Compaoré, même si lui et ses partisans déploient toutes leurs énergies pour faire croire qu’il en est l’architecte. Blaise Compaoré et son carré de fidèles serviteurs ont été contraints d’élargir les espaces de liberté à la suite du grand soulèvement populaire qui a failli emporter son régime après l’odieux assassinat du journaliste Norbert Zongo». Mais qui a assassiné Zongo ? Grande question !

Preuves introuvables ?

Ni dans l’affaire Zongo, ni dans l’affaire Sankara, la justice n’a été rendue. Et à propos de l’assassinat de Sankara, le Front populaire déclare, dans son communiqué, que Sankara avait prévu, à l’occasion d’une réunion qui devait se tenir le 15 octobre 1987, à 20h, au siège du CNR, «d’arrêter et d’exécuter tous les révolutionnaires qui refuseraient la soumission et la démission, le chaos pour notre peuple». Le hic, c’est que ce point n’a été «évoqué que le lendemain 16 octobre», remarque Me Kyélem. Et il en conclut que cela «fait douter de son sérieux et montre en tout cas qu’il n’a pas été le motif principal du coup d’Etat; sinon, il aurait figuré en bonne place parmi les déclarations. Ne s’agit-il pas là d’une tentative de justification à postériori ?», s’interroge l’auteur, avant d’ajouter ceci: «Sommées de fournir les preuves de leurs allégations, les autorités du Front populaire se confondirent dans des confusions et des contradictions. Interrogé sur ce point deux semaines après, Blaise Compaoré répondit, en novembre 1987 : «Nous sommes en train de rassembler certains éléments de preuves». Preuves introuvables ? En tout cas, jusqu’aujourd’hui, le Président Compaoré n’a brandi aucune preuve. 25 ans après le coup d’Etat.

Par Hervé D’AFRICK

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«Thomas Sankara et la Révolution au Burkina Faso-Une expérience de développement autocentré» Ce livre, publié par Me Apollinaire Kyélem de Tambèla aux Editions Harmattan, en septembre 2012, compte 430 pages. Et comprend trois parties.

– 1 De la Haute-Volta au Burkina Faso,
– 2 Le temps de la Révolution,
– 3 Les mérites et les limites de la gouvernance Sankara et l’émergence de la contre-révolution.

Il est disponible à la librairie Jeunesse d’Afrique et aux Editions L’Harmattan.

Source : http://www.courrierconfidentiel.net/index.php/decryptage/386-blaise-compaore-thomas-sankara

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