Dans le texte ci-dessous, R.A. Simba TIMMERMAN, adepte du marxisme léninisme pur et dur, tente de dresser ce qui reste, idéologiquement, de l’œuvre de Thomas Sankara, 25 ans après son assassinat. Il le compare à Ernesto Che, le faiseur de révolution, mort les armes à la main.
Les années passent, les modes changent, aux modernismes succèdent les post-modernismes, les dictateurs sont remplacés par des dèmocradures, le keynésianisme par le néo-libéralisme, le mur de Berlin par le mur de l’argent. Mais le message de Thomas Sankara, 25 ans plus tard, contient un noyau incandescent qui continue à brûler. Nous pleurons un grand ami, un camarade exemplaire, un militant héroïque. Il est entré vivant dans l’histoire qui couvrira de mépris le nom de son assassin. Karl Marx, qui lutta toute sa vie pour l’unité de la théorie et de pratique, aurait été fier de Thomas.
L’ETINCELLE QUI NE S’ETEINT PAS
Il ya quelque chose dans la vie et le message du capitaine qui inspirera des milliers de militants de par le monde. Sinon, comment expliquer cette pléthore d’ouvrages, articles, films et débats ? Ce n’est pas un simple effet commémoratif de son assassinat. Sankara est-comme «El Che » Guevara, Emiliano Zapata, Augusto Sandino… une de ses figures qui sont tombés débout, les armes à la main, et sont devenues, pour toujours, des graines d’avenir, des étoiles dans le ciel de l’espérance populaire, des charbons ardents sous les cendres du désenchantement.
Lorsque Sankara accède aux plus hautes fonctions du pouvoir à 34 ans, la situation semble sensiblement la même du Burkina qu’à Cuba en 1956 : un petit pays très corrompu aux mains de riches pilleurs venus d’ailleurs où règnent l’injustice sociale, l’analphabétisme et le manque d’infrastructures pour une population surexploitée… Face à cette situation, les engagements et les réalisations de Sankara sont indéniables. On peut citer entre autres son combat contre la corruption, son refus de structures féodales tribales comme de l’impérialisme, l’amélioration de l’éducation et la santé en faisant construire écoles et hôpitaux, l’autonomie prise vis-à-vis des anciens colons, la reforme agraire redistribuant des terres aux paysans, la compagne de reboisement pour lutter contre la désertification et la modification du statut des femmes en interdisant l’excision, en leur donnant accès à la vie politique et en réglementant la polygamie. Comme à Cuba, tribunaux populaires de la révolution (TPR) et autre comités fleurissent.
MAIS POURQUOI LE SUD-AMERICAIN ERNESTO « CHE » GUEVARA EST PLUS VISIBLE DANS NOTRE PAYS QUE THOMAS SANKARA ?
L’exercice du pouvoir assoit la contestation dans la lumière de la légitimité. Or l’état de révolution est un état temporaire qui ne peut et ne doit pas durer. Le révolutionnaire est marginal, caché, actif souvent héroïque, en lutte. A l’autre côté l’homme politique gouverne. La mise en pratique des propositions contenues dans toute révolution semble faire perdre l’impermanence rebelle, les hommes s’installent dans le pouvoir, se fixent et perdent ainsi l’aura de leurs jeunes années révolutionnaires.
Depuis 1967, le roi des révolutionnaires c’est le Che et cela fait quarante-cinq années que ce la dure grâce à une exploitation réellement étonnante de la photo ultra-célèbre de korda : le Che sur ton tricot, le Che sur ta casquette, ton agenda, ton foulard, ta tasse, ta moto, coiffé de sa boïna, les yeux au ciel braqués sur l’étoile rouge sang. On a bien vu pointer un temps le kapol de Massoud mais ça s’est vite calmé, quant au keffieh palestinien je compte sur les doigts d’une main ceux qu’il m’arrive de croiser en ville… Pourtant je n’ai pas vu que les jeunes d’aujourd’hui ont moins besoin de symboles qu’autrefois. Alors ?
Photographe officiel de Castro, Korda fit le portrait du « Che » durant une réunion du parti. Son journal « Revolucion » ne jugea pas bon de publier. Mais durant l’été 1967, Korda donne le cliché à l’éditeur italien Feltrinelli de passage à Cuba. Quand le Che fut assassiné quelques mois plus tard l’éditeur publia une affiche dont le succès fut immédiat. Le photographe n’a jamais reçu la moindre somme de l’exploitation de cette image et il ne s’est pas opposé à la diffusion hallucinante de visage, pensant ainsi répandre « l’esprit du Che ».
Sauf que, notre singulière époque ayant un talent fou pour transformer l’essentiel en accessoire, cristallisé dans son statut d’icône le Che, s’est transformé en gadget révolutionnaire car les objets sont morts et leur accumulation nous tue sans vivifier les idées. Ainsi tous ceux qui portent le tee-shirt du Che ne sont pas des graines de révolutionnaires socialistes (sinon on y serait déjà !) et on trahit les idées du Che en le laissant figé en beau et jeune ténébreux révolutionnaire en oubliant que Guevara a accompagné trois révolutions (à Cuba, au Congo, en Bolivie). Qu’est-ce qui circule donc par cette image ? Une lointaine révolution cubaine réussie qui n’a rien de romantique ? L’idéalisme (le revoilà) de la jeunesse qui ne dure qu’un temps mais qu’il faut chérir ? Le rappel de l’échec cuisant d’un certain socialisme face au capitalisme mondial ? Toujours est-il que pendant ce temps l’héritage de Sankara (lui aussi avec ses zones d’ombres, ses échecs et ses contradictions évidemment) attend dans l’antichambre de l’espoir.
Malgré lui le Che règne en monarque absolu sur l’imaginaire révolutionnaire et c’est peut-être aussi parce que le monde des blancs ne peut pas encore se reconnaître en Sankara. Le monde américain des blancs qui reste un grand pourvoyeur d’imagerie culturelle peut bâtir des légendes sur Malcom X, Martin Luther king ou Mohammed Ali parce que ces personnalités remarquables sont rattachées à un univers américain toujours avide de héros et qui se sont définit par leur lutte pour les noirs contre les blancs dans un pays largement blanc. L’histoire de Sankara parle d’un homme noir, dans un pays noir et qui travaille pour son peuple. Son aire d’activité ne concerne pas l’ennemi américain mais la vieille puissance européenne française, celle dont la mémoire est encore si menteuse à l’endroit de ses ancienne colonies, celle qui n’arrive pas à se sortir de son racisme ordinaire et où l’on voit que nulle part un homme noir de cette envergure n’a sa place.
En 1987 Thomas Sankara a connu le sort des révolutionnaires : trahit par son plus fidèle ami et frère d’armes, (…) assassiné lâchement (…) L’avènement du Mouvement de Rectification de la Révolution est alors instauré par Blaise Compaoré qui avait estimé que Sankara avait trahit l’esprit initial de la révolution burkinabè. Les circonstances exactes de la mort de Thomas Sankara n’ont à ce jour, toujours pas été élucidées, pas de procès, pas de poursuites. Au forum social altermondialiste africain de 2006 à Bamako et celui de Nairobi en 2007 Thomas Isidore Sankara a été proclamé modèle de la jeunesse africaine. Alors Sankara était un idéaliste courageux ? C’est certain. Révolutionnaire efficace ? Peut-être Homme politique inspiré ? Probablement… dans tous les cas un parcours à méditer.
R.A. Simba TIMMERMAN
Source : Le reporter N°103 du 1 octobre 2012 http://www.reporterbf.net/index.php/11-onde-de-choc/106-thomas-sankara