Jeudi 15 octobre 1987- jeudi 15 octobre 2009. Cela fait exactement 22 ans qu’une fusillade dans l’enceinte du Conseil de l’entente à Ouagadougou mettait fin non seulement à la vie du capitaine Thomas Sankara – et à celle d’une dizaine de ses compagnons d’infortune – mais aussi à la Révolution d’août 1983 qu’il avait déclenchée avec trois autres compagnons d’armes, capitaines de leur état de l’armée de la Haute-Volta qui sera rebaptisée Burkina Faso. Depuis cette date, le 15 octobre ne passe pas inaperçu surtout pour tous ceux qui se disent les héritiers de ses idées, de son combat. En ce 15 octobre 2009, nous avons décidé d’évoquer ces événements tragiques qui font partie de l’Histoire de notre pays. A cette fin, nous avons approché la famille de feu le président du Faso pour savoir comment elle a vécu lesdits événements dans lesquels a péri un de ses membres. C’est le 10e des 11 enfants du couple Joseph et Marguerite Sankara qui a été délégué par la fratrie pour répondre à notre sollicitation. Dans l’entretien qui suit, Blandine Sankara évoque les événements du 15 octobre 1987, son frère de président qu’elle appelle simplement Thomas et pour lequel, dit cette sociologue de formation, le vœu de la famille est que la lumière soit faite sur sa disparition afin qu’elle puisse porter son deuil.
« Le Pays » : Que représente le 15-Octobre pour vous ?
Blandine Sankara : Cette journée nous aura marqués à jamais. La situation était insupportable pour tout le monde et surtout pour le papa et la maman. Nous avons vite réalisé que ces derniers avaient plus que jamais besoin de nous. Nous avons rapidement pris conscience de la nécessité de rester très forts aux côtés des parents. J’avoue que ce n’était pas facile dans une circonstance d’extrême douleur.
Où étiez-vous le 15 octobre 1987 ?
Le jeudi 15 octobre 1987 – et je me souviens encore comme si c’était hier – j’étais à Ouaga et je passais mon code de conduite pour la première fois. Je ne me sentais pas bien et le moniteur m’avait demandé de rentrer et de revenir la semaine prochaine pour l’examen. J’ai refusé et j’ai passé l’examen auquel j’ai échoué. L’après-midi du 15 octobre, j’étais couchée à la maison, malade, à côté de la maman. Et puis à 16h, on a entendu des coups de feu.
Et qu’est-ce qui s’est passé après ? Des militaires ont-ils débarqué dans la famille ?
Non, des militaires n’ont pas débarqué à la maison. Je me rappelle que, comme tout le monde ce jour-là, on s’est enfermé. On n’écoutait pas du tout la radio ; c’était le silence absolu. On ne comprenait pas ce qui se passait dehors. Nous sommes restés dans cette situation jusqu’au lendemain 16 octobre. Et à la première heure ce jour-là, il y avait déjà beaucoup de monde dans la cour familiale. Nous n’étions toujours pas informés de ce qui était arrivé à notre frère. C’est un neveu qui est arrivé entre- temps et a fait savoir au beau milieu de la cour que Thomas n’est plus. Il se trouvait que les oncles étaient informés notamment par RFI (NDLR : Radio France internationale) de ce qui était arrivé, et cherchaient par quels moyens nous informer. C’est par ce neveu donc que nous avons appris que Thomas était mort. Mais par la suite, des gens venaient nous dire qu’ils ont vu notre frère par-ci, par-là, au camp Guillaume, etc. On a entendu plein de choses jusqu’à ce que le temps passe et qu’on s’aperçoive qu’il n’était vraiment plus.
Avez-vous perçu chez votre frère des signes avant-coureurs des événements sanglants dans son comportement, ses propos ? A-t-il par exemple dit à un membre de la famille qu’il sentait que quelque chose allait arriver ?
Pas de la part de Thomas parce qu’il ne nous parlait pas de ces choses-là. Quand il arrivait qu’on lui parle de problèmes entre lui et ses compagnons sur la base de ce que nous avons entendu de la bouche d’autres personnes, il nous rassurait qu’il n’y avait rien. Nous avions entendu beaucoup de choses mais il n’a jamais laissé transparaître un quelconque signe avant-coureur de l’événement tragique du 15 octobre.
Combien de jours après avez-vous eu la certitude que votre frère a péri le 15 octobre ?
C’est difficile de répondre à cette question parce que, jusqu’à présent, vous avez l’impression que ce qui est arrivé n’est pas vrai, qu’il n’est pas mort puisque l’on n’a pas fait le deuil, on n’a rien eu comme information officielle sur sa mort éventuelle. Cela été difficile les moments, les jours et les mois qui ont suivi. Nous sommes restés dans cette situation et quelquefois on a l’impression qu’on ne nous pas encore tout dit.
Même 22 ans après les événements ?
Oui, parce que lorsque vous n’avez pas vu le corps de quelqu’un, lorsqu’il y a tout ce flou, c’est difficile, surtout que la personne n’a pas été malade. Ce n’est pas facile de vous convaincre que la personne n’est plus. Il faut vivre la situation pour s’en rendre compte car c’est comme quelqu’un qui quitte son domicile un matin et ne revient plus. Vous êtes perpétuellement dans l’attente. Je me rappelle que quelquefois ma mère disait que quand elle sortait en ville, elle croyait apercevoir Thomas dans la rue. On ne parle pas des rêves dans lesquels on le voit toujours parce que le deuil n’est pas fait.
Vous arrive-t-il d’aller au cimetière de Dagnoen pour voir sa tombe ?
C’est vrai que nous sommes allés quelquefois sur les tombes, mais à un moment donné il y avait toujours le doute au regard de tout ce que nous avons entendu après et que chacun y allait un peu de ses commentaires : est-ce qu’on n’est pas en train de nous leurrer comme quoi il serait enterré à cet endroit ? Nous avons donc commencé à avoir ce doute puisqu’on n’a pas une version officielle et celui-ci a fini par s’installer chez nous les enfants, ses frères et sœurs. Quant au papa et à la maman, ils sont décédés sans jamais mettre les pieds au cimetière pour voir la tombe de leur fils parce qu’ils attendaient qu’on vienne leur dire exactement ce qui s’est passé et où on l’a enterré. Ils ne voulaient pas se fier aux dires des gens.
Tant que la lumière n’est pas faite, il sera difficile que la veuve revienne”
Vous disiez être dans le doute concernant la mort de votre frère de président. Or il y a un certificat de décès qui a été établi avec dessus la mention « mort de mort naturelle » comme cause du décès. Avez-vous vu ce certificat ?
Nous avons eu connaissance de ce certificat qui a été remis à la veuve ; c’est elle qui l’a présenté à toute la famille. Mais pour nous, ça reste un papier et on ne fait pas le deuil avec un papier sur lequel d’ailleurs il est écrit « mort de mort naturelle » même si, par la suite, cette mention a été enlevée. Tant que la vérité n’aura pas été dite sur cette tragédie, il sera difficile de faire la paix des cœurs.
Comment marquez-vous le 15 octobre au niveau de la famille ?
C’est de manière solennelle que nous le marquons. Nous demandons une messe en sa mémoire. On se retrouve en cercle restreint pour se souvenir de Thomas et des trois autres de la fratrie qui ne sont plus aujourd’hui de ce monde. Comme je le disais tantôt, on allait au cimetière mais on a arrêté à cause du doute qui nous habite même s’il y en a qui continuent d’y aller mais de façon individuelle.
Y a-t-il eu une commémoration particulière du 15-Octobre à l’occasion du 20e anniversaire de ce tragique événement qui a été célébré en 2007 ?
Non, le 15 octobre 2007 n’a pas été commémoré comme les années précédentes. Comme la famille est un peu dispersée, chacun a essayé de marquer la journée de son côté à travers surtout le passage de la caravane ; on essayait de la faire venir là où nous étions en mobilisant pour cela des amis, des personnalités que nous connaissons. Le 15 octobre 2007 a donc été commémoré différemment et ceux qui pouvaient ont fait le déplacement du Burkina. C’était vraiment l’élément nouveau.
Quelles sont les relations entre les frères et sœurs et la veuve ? Y a-t-il des contacts permanents avec elle depuis son exil francais ?
Ce sont des relations de famille et nous gardons le contact en permanence avec elle et les enfants. Nous nous rendons régulièrement visite et j’avoue que ce sont toujours des moments émouvants pour chacun d’entre nous. Nous essayons aussi de répondre aux questionnements des enfants.
Dans vos échanges, est-il question que la veuve et les orphelins rentrent définitivement un jour au pays ?
Oui, nous en parlons souvent quand on se retrouve. Mais il est clair aujourd’hui pour tout le monde que tant que la lumière ne sera pas faite, il sera difficile que la veuve revienne et elle n’est pas la seule de la famille qui soit en exil. C’est la décision qui a été prise avant la disparition des parents.
La famille a-t-elle été pour quelque chose dans la venue de la veuve au Burkina à l’occasion des vingt ans du 15-Octobre ?
Comme je le disais tout à l’heure, nous restons en contact, nous nous rendons visite. Nous en avons parlé et elle est allée d’abord voir les membres de la famille chacun dans le pays où il se trouve et, ensemble, on a pris la décision en famille qu’elle vienne seule sans les enfants.
A l’occasion de son bref séjour, a-t-elle eu le temps de rencontrer les membres de la famille ?
Si. Elle est venue en grande famille à Paspanga car elle ne pouvait pas venir au Burkina sans mettre les pieds en famille. Elle est passée et ce fut une fois de plus des moments émouvants. Avant 2007, on s’était vu au Mali en 2005 où toute la famille s’est retrouvée.
Quels souvenirs gardez-vous toujours de votre frère de président ?
Les souvenirs de Thomas restent présents en chacun de nous. Je garde le souvenir d’un frère ouvert, ironique et surtout acceptant la critique. Chacun de nous, en commençant par les parents, pouvait lui dire ce qu’il pensait même si quelquefois il reprochait à nous autres, les plus jeunes, de ne pas lui reconnaître son droit d’aînesse. On discutait beaucoup mais on n’avait pas toujours les mêmes points de vue ; chacun avait ses rêves, sa liberté de pensée et cela était fondamental. Quelquefois, nous lui reprochions de ne pas nous soutenir comme on le voulait, c’est-à-dire le soutien qu’il devait apporter même s’il n’avait pas été président. Mais avec le recul, on trouve qu’il avait raison parce que cette rigueur de vie qu’il nous a inculquée a cultivé en nous l’esprit d’humilité. Aujourd’hui, chacun de nous est fier de n’avoir pas vécu comme un parent de président parce que notre réconfort est que, partout où vous passez, les gens vous témoignent leur reconnaissance pour cela. C’est une grande richesse qu’il nous a léguée et, à l’époque, on ne pouvait pas le comprendre ; on lui faisait des reproches.
A vous entendre, vous n’avez pas pu, en tant que frères et sœurs de président, avoir ce que vous vouliez, faire ce que vouliez …
(Rires) Ça, il ne le fallait pas, on ne le pouvait pas, c’était clair et net. Comme il nous le disait, chacun a sa carte d’identité même si on est de la même famille. C’était clair pour chacun de nous que l’on ne pouvait pas vivre comme on l’aurait peut-être souhaité, comme des frères et sœurs de président. Si par moment il arrivait que quelqu’un lui demande quelque chose, je ne pense pas qu’il puisse obtenir satisfaction surtout s’il s’agit de biens matériels parce qu’il commencera par te demander si lui-même a ceci ou cela, par te dire que tu es mieux que d’autres personnes, etc. Comme on le dit couramment, tu en auras pour toi (en d’autres termes, pour ton grade, NDLR), tu seras bien servi en remontrances.
“Nous n’avons pas profité matériellement de la position de président de Thomas”
Etait-il aussi dur à l’endroit de ses géniteurs comme il l’était, à vous entendre, à l’égard de ses frères et sœurs ? Arrivait-il qu’il leur refuse ce qu’ils lui demandaient ?
C’était rare que même les parents le sollicitent. Connaissant sa position sur ce plan, chacun savait à quoi s’en tenir. On l’a rarement vu faire des cadeaux aux parents. Après lui, chacun a pris son chemin pour essayer de s’en sortir. Sinon, ni les parents ni les frères et sœurs n’ont profité matériellement de la position de président de Thomas. Je n’ai pas vu cela. D’ailleurs, ce sont des choses que l’on ne peut pas cacher parce que beaucoup de gens ont vu comment vivait la famille à l’époque. Je peux même dire que c’est bien après que chacun a pu s’en sortir avec le boulot qu’il a eu et que ça allait mieux même pour les parents. La situation a changé matériellement.
Quelle est la situation actuelle de la famille Sankara après la disparition du papa et de la maman ? Est-elle toujours unie comme du vivant des géniteurs que l’on peut considérer comme les éléments fédérateurs ?
En tout cas, ce n’est pas chacun dans la nature ou dans son petit coin. On a été éduqués d’une certaine façon et nous le restons. Certes, nous avons enduré des situations de tous ordres, mais nous avons réussi à maintenir le cap jusqu’à présent. Il est vrai qu’aujourd’hui c’est encore plus difficile pour nous autres de vivre dans le souvenir de nos proches morts avec cette soif de connaître la vérité par rapport à la disparition de Thomas parce que c’est un double manque. Cela nous amène à rester ensemble, à décider des choses ensemble même si, géographiquement, on n’est pas proche l’un de l’autre.
Quelles sont les relations de la famille avec les sankaristes, ces hommes et femmes qui ont pris à leur compte, sur le plan politique, les idées de votre frère ?
Nous entretenons des relations avec eux, nous les soutenons dans la possibilité de nos moyens. Nous louons leur courage, car il faut être courageux pour être sankariste au Burkina.
Y a-t-il des membres de la famille qui ont de la sympathie pour les sankaristes ou qui militent carrément dans des partis de cette obédience en prenant soin de ne pas s’afficher au grand jour ?
Non, personne de la famille ne milite dans un parti sankariste ou dans un parti quelconque. Comme je l’ai dit, nous apportons notre soutien aux partis sankaristes quand ils le veulent ou quand ils nous approchent en groupe ou individuellement. Il n’y a pas de préférence pour X ou Y.
Pourquoi un membre de la famille ne milite-t-il pas dans un parti sankariste ou autre ? Pourquoi ce retrait par rapport à la politique ?
Nous sommes nombreux dans la famille et chacun a ses rêves, sa vision des choses. Je ne pense pas que l’on soit obligé d’adhérer à un parti pour manifester sa défense d’un idéal. Les buts sont divers. Au niveau de la famille, nous avons mené des luttes de tous ordres, enduré toutes sortes de situations et c’est déjà un combat qui n’est pas facile. Peut-être que l’engagement dans la politique viendra un jour ; je ne voudrais pas dire “fontaine je ne boirai pas de ton eau”. Mais pour le moment, nous menons une autre lutte pour la mémoire de Thomas.
Quel est votre point de vue sur la division des sankaristes qui peinent jusque-là à parler d’une seule voix ?
Les intéressés sont mieux placés pour dire ce qui se passe, pour dire pourquoi ils n’arrivent pas à s’unir. Sinon, vu de l’extérieur, je loue leur courage parce que toutes sortes d’armes sont utilisées contre tous ceux qui se proclament sankaristes au Burkina. Ils ne sont pas à l’abri des tentatives de division.
Quelle est votre relation avec le chef de l’Etat actuel qui a été le compagnon d’armes de votre frère et aussi votre frère pour avoir été adopté par votre famille ?
(Soupir). Il n’y a aucune relation avec le pouvoir actuel et il n’y en a jamais eu depuis que Thomas est parti. Nous faisons le constat qu’aujourd’hui un travail d’effacement de la mémoire de Thomas est fait à travers même une banalisation de l’histoire. Mais une chose est sûre : l’Histoire ne s’effacera jamais de la mémoire du peuple burkinabè qui est loin d’être amnésique parce que les acquis engrangés en termes par exemple de culture de la vertu restent inoubliables pour ceux qui ont vécu cette période et sont même l’objet de quête de la part de ceux qui sont venus après.
Pourtant, il a été question d’émissaires envoyés auprès de la famille du vivant des parents à des fins de réconciliation, de rétablissement du contact mais qui ont été rejetés. Si aujourd’hui, les ponts sont rompus avec l’autre frère, n’est-ce pas en fin de compte la faute de la famille qui s’est enfermée dans une logique de rejet systématique ?
Non, on ne peut pas le dire parce que ces émissaires ont commencé à venir dans la famille combien d’années après les événements du 15-Octobre ? Il y a eu un bon moment avant que ces tractations ne commencent et après que la famille a enduré beaucoup de choses. Tout se passe comme si on ne s’était jamais connus. Non content de cela, on envoie des émissaires avec des enveloppes d’argent pour demander pardon. Je ne pense pas que chez nous en Afrique, c’est comme cela que ça se fait. Quand on a vraiment connu quelqu’un, on n’envoie pas comme cela une autre personne qui, d’ailleurs, n’a aucun lien avec sa famille, avec une enveloppe d’argent, pour remettre afin de renouer le contact. Nous avons souhaité pardonner parce que l’on est avant tout des croyants mais il faut savoir d’abord qui pardonner, et ensuite pour quelle faute le pardon est-il demandé. Pour quelqu’un qui envoie une enveloppe d’argent, il va falloir imaginer qu’il demande pardon parce qu’il aurait commis une quelconque faute. Je ne pense pas que l’on puisse extrapoler comme cela. Nous attendons de voir que la personne qui voudrait réellement demander pardon le fasse, qu’elle nous dise la raison parce que l’on ne demande pas pardon comme ça.
Si des émissaires ont été envoyés, c’est sans doute parce que celui qui les mandate ne peut pas se déplacer comme il veut même dans ce que l’on peut considérer comme sa famille compte tenu de sa fonction …
On peut rétorquer que cela veut dire que ce pourquoi vous envoyez des émissaires n’est pas important pour que vous ne puissiez pas trouver un temps pour cela depuis plus de vingt ans. Certes, on reconnaît que les charges de premier responsable du pays ne sont pas faciles à assumer mais est-ce pour autant que l’on n’ait pas de temps depuis 22 ans pour régler ce problème si tant est qu’il lui tient vraiment à cœur ? Si vous avez eu un problème avec une famille avec laquelle vous étiez proche, si vous ne pouvez pas vous y rendre pour le résoudre vous devriez savoir qui envoyer à cette fin. Il faut éviter d’y envoyer des gens qui, parfois, n’y ont jamais mis les pieds et, de surcroît, avec des enveloppes. C’est “prenez et taisez-vous”.
“On n’est pas venu expressément nous demander pardon”
Y a-t-il eu des émissaires du même « frère » au décès et/ou aux obsèques de votre père ? En ont-ils profité pour faire cas d’un quelconque rétablissement des ponts au nom de leur mandataire ?
Nous voyons toutes sortes de personnes dès qu’il y a une grande manifestation dans la famille. Et la famille n’a jamais chassé quelqu’un hormis au décès du papa où on l’a fait pour une raison bien précise : ceux qui ont été éconduits sont venus très tôt dans la famille avant même que l’on ait habillé le défunt et fait tout le rituel. En dehors de cela, la famille n’a jamais mis quelqu’un à la porte. Si on analyse bien, cela veut dire que nous sommes prêts pour ce pardon par exemple. Celui qui a le courage de venir, on l’accepte. Et parmi ceux qui sont venus aux obsèques du papa, personne n’est venu nous dire qu’il est l’envoyé d’Untel. Aussi, on n’aurait pas chassé un émissaire qui aurait dit qu’il est là de la part de telle personne. Mais cela ne voudrait pas dire que quelqu’un qui a envoyé insidieusement un émissaire s’attende à ce que l’on comprenne autre chose. Si on veut faire quelque chose, il faut le faire ouvertement et l’assumer.
Quelle a été la position de la famille vis-à-vis de la Journée nationale de pardon ? Aviez-vous accepté le pardon demandé à la face de la Nation par le chef de l’Etat pour toutes les fautes commises depuis l’indépendance du pays ?
On n’est pas venu expressément nous demander pardon. Même si on demande pardon pour toutes les fautes commises depuis les indépendances, je ne pense pas que cela nous éclaire particulièrement par rapport à ce qui s’est passé (NDLR : le 15 octobre 1987). Nous ne refusons pas le pardon, nous avons besoin que la lumière soit faite par rapport à cette tragédie. Il y a un dossier qui a été déposé en justice et si l’on veut que les choses avancent, il faudra agir de ce côté-là. On a entendu beaucoup de choses jusqu’à ce que les parents meurent sans vraiment savoir ce qui est arrivé exactement à leur fils. Officiellement, personne ne nous a dit comment les événements se sont déroulés, qui en a été responsable , où Thomas a été enterré ? etc. Je ne pense pas qu’organiser un spectacle et demander pardon pour des événements survenus et dont on n’a pas été acteur de certains réponde à nos attentes. Pour nous, ce n’est pas loin du folklore. Ce que nous attendons avant d’accorder le pardon, nous l’avons exprimé.
Si, au moment de la Journée nationale de pardon, on vous avait demandé le pardon, l’auriez-vous accordé ?
Je vous ai dit que le pardon a un préalable. On aurait accepté si on nous disait les circonstances de la tragédie, si on faisait toute la lumière dessus. En ce moment, je ne vois pas pourquoi on va refuser d’accorder le pardon.
Comment appréciez-vous les actions entreprises au niveau international pour que justice soit rendue à votre frère ?
Ces actions sont tout à fait justifiées, et c’est un combat que nous menons avec la veuve et tous ceux qui sont épris de justice. Notre souhait ardent et pressant est que la lumière soit faite sur la disparition de Thomas. Je pense que le chemin d’une paix pérenne au Burkina passe par là aussi.
Avez-vous espoir que la lumière pourra vraiment se faire sur la disparition de votre frère surtout après que l’ONU, saisie pour qu’elle ordonne le Burkina de prendre en mains le dossier Thomas Sankara, s’est contentée de prendre acte dans une note d’avril 2008, des efforts de notre pays pour que la lumière soit faite dans cette affaire ?
On garde espoir, on ira jusqu’au bout et on verra ce que ça va donner. Il n’est pas question de baisser les bras parce que c’est ce que l’on attend pour faire la véritable paix des cœurs. Pour nous, abandonner ce serait aussi notre mort parce que l’on a cette double douleur que la personne a disparu et la lumière n’est pas faite sur ce qui lui est arrivé. Nous vivons cela depuis 22 ans et cela crée en nous un inconfort.
Propos recueillis par Séni DABO
Source : Le Pays du 15 octobre 2009 http://www.lepays.bf/spip.php?article306