Cette interview a été réalisée et publiée le 6 janvier, avant la fin des auditions des témoins donc. Celles-ci se sont terminées le mardi 12 au soir. Roland Dumas et Jack Lang, bien qu’ayant été annoncés au début du procès n’ont pas témoigné finalement. Ce ne sont pas les seuls annoncés qui n’ont pas témoignés alors que d’autres qui n’étaient pas annoncés ont témoigné. Pour le reste, il n’y a rien à retirer de ce qui est dit ci-dessous. Nous reviendrons sur ce procès durant lequel plusieurs révélations ont été rendues publiques .
La rédaction
Bruno Jaffré à propos du procès de l’assassinat de Thomas Sankara et de ses compagnons: « Les tergiversations de la France ne font qu’augmenter les soupçons »
Le procès des meurtriers présumés de Thomas Sankara se tient actuellement au Burkina Faso. Spécialiste du pays, Bruno Jaffré, le suit au quotidien. Il revient sur l’implication internationale, notamment de la France.
Que sait-on de tangible au stade actuel du procès des meurtriers présumés de l’ancien président burkinabé Thomas Sankara, ouvert le 11 octobre ?
Pour l’instant, on connaît la composition des membres du commando. On sait qu’ils sont partis du domicile de Blaise Compaoré dans deux véhicules, dont l’un lui appartenait. Arrivés sur les lieux de l’assassinat, ils ont tiré sans sommation sur des soldats de la garde de Thomas Sankara et sur les participants à une réunion dont il sortit le premier les mains en l’air. Le commando était sous les ordres de Gilbert Diendéré. Il a tenté de nier sa présence sur place, mais de très nombreux témoins ont affirmé l’avoir vu. En fait, il apparaît comme l’organisateur envoyant des groupes de soldats s’assurer du contrôle d’autres casernes. En particulier, celle de Kamboinsé, dans la banlieue de Ouagadoudou, dont le chef, Michel Koama, avait préalablement été exécuté.
Seul le général Gilbert Diendéré est présent au procès. Est-il vraiment possible de faire la lumière sur les circonstances de l’assassinat en l’absence des autres acteurs clés, l’ancien président Blaise Compaoré et Hyacinthe Kafando ?
En réalité, Blaise Compaoré et Hyacinthe Kafando sont tous les deux sous la protection de la Côte d’Ivoire. Contrairement à ce que prétend une véritable campagne de désinformation, la nationalité n’empêche pas l’extradition de Blaise Compaoré juridiquement car il existe bien une convention d’extradition entre les deux pays. D’autre part, il existe aussi un mandat
d’arrêt international de Blaise Compaoré dans le cadre de l’enquête sur l’assassinat de Thomas Sankara, ce que nie son avocat Pierre-Olivier Sur. Le procès a fait comparaître de nombreux témoins. Mais les charges qui pesaient sur le seul civil qui avait été inculpé et mis sous mandat de dépôt, Gabriel Tamini, que plusieurs témoignages accusent d’être un acteur du complot, avaient été abandonnées en avril dernier. Le complot apparaît actuellement uniquement comme étant le fait de militaires, alors qu’il est impensable que des civils
n’y soient pas impliqués. Pour l’instant, aucun témoin n’est venu impliquer Blaise Compaoré dans sa préparation, ni d’ailleurs aucun autre civil, si ce n’est Salif Diallo, ancien dirigeant du parti actuellement au pouvoir, décédé récemment.
Le réseau international « Justice pour Thomas Sankara, Justice pour l’Afrique » craint que soit éludé le rôle joué par la France, les États-Unis, la Côte d’Ivoire, le Togo. Ce risque existe-t-il ?
Le juge d’instruction a dissocié l’instruction sur le complot national, close déjà depuis deux ans, de celle du complot international toujours en cours. Il a dû s’y résoudre pour aller au procès car des témoins sont déjà morts, d’autres en très mauvaise santé. Les autorités
françaises portent une responsabilité dans ces retards car il a fallu plus de deux ans entre l’envoi des deuxième et troisième lots de documents. Et, selon les premières informations qui nous sont parvenues, la promesse d’Emmanuel Macron lancée en novembre 2017 à Ouagadougou de « déclassifier tous les documents relatifs à l’assassinat » de Thomas Sankara et de ses compagnons n’a pas été tenue.
Ces tergiversations ne font qu’augmenter le soupçon d’une participation française, qui reste
cependant à préciser. Les témoignages de Roland Dumas et Jack Lang sont attendus. Il est peu probable qu’ils fassent des révélations.
Mais, par contre, l’instruction a montré que des Français sont venus le 16 octobre 1987 à
Ouagadougou détruire des écoutes téléphoniques.
Nadjib Touabibia
Source : l’Humanité dimanche du 6 au 12 janvier 2022.