Par Eric Kahe
publié en mars 2016 sur http://www.abossanews.net/
Lorsque l’on parle de développement pour les pays du Sud et les pays d’Afrique en particulier, deux grands modèles se confrontent et imposent aux dirigeants, aux sociétés civiles, aux peuples, des choix déterminants pour l’avenir de leur pays, pour l’avenir de notre continent, et même celui du monde
D’un côté, nous avons le modèle ultralibéral, celui que nous avons appliqué en Afrique dans les années 1980, et qui a abouti à des catastrophes alimentaires, sociales et industrielles qui trouvent peu d’équivalent dans l’Histoire du monde. Certes, ces politiques, ces choix internationaux et intérieurs, se sont modérés, se sont tempérés… se sont déguisés souvent sous l’apparence d’une ouverture à la libéralisation politique des pays africains. Mais le cap a-t-il vraiment changé ? Ne s’est-il pas inscrit dans la marché d’une terre mondialisée et dominée par le mondialisme, c’est-à-dire l’idéologie qui prétend fonder une gouvernance mondiale par l’ouverture totale des frontières et des marchés, et la dilution des peuples, des langues et des cultures dans un seul grand magma de concurrence brute et brutale ?
Mettre la vie en péril et organiser la lutte pour la survie au détriment de l’humain : c’est cela le modèle mondialiste. « Que le meilleur gagne », avec pour seule loi celle du marché mondial “surfinanciarisé”. Peu importe d’où vous partez, vous devez vous montrer le plus compétitif, y compris en détruisant la nature, dans un monde qui n’a plus d’autre loi que la compétition dont le résultat sous nos yeux est désastreux. Peu importe que nos pays n’aient pas les moyens industriels d’un Nord occidental qui entend bien conserver son avance technologique en jouant du mal-développement du Sud pour masquer et compenser l’essoufflement manifeste d’un système à bout de créativité si ce n’est celle des manigances pour sa survie à tous les prix. Je dis les pays du Nord occidental, je devrais surtout dire une élite minoritaire de financiers, de spéculateurs et de ce gigantesque réseau de clientèle atlantiste et cupide. Piégés par notre manque d’anticipation sur les enjeux de ce monde et toujours pris de court, nous venons, à travers notre CEDEAO de signer avec l’Union européenne, un accord de libre-échange qui risque de faire mal aux économies des pays d’Afrique de l’Ouest…Plus mal que les politiques d’ajustement structurel.
Mais nous savons tous qu’il y a un autre modèle, qu’il existe une autre voie. Cette voie alternative au mondialisme, elle a d’ailleurs déjà fait ses preuves ! C’est celle du patriotisme et de la vraie solidarité entre les peuples. C’est celle qu’a ouvert le camarade Thomas Sankara et qui fut de lui un grand chef d’État, resté dans la mémoire de son peuple et de toute l’Afrique 3 décennies après son assassinat. Celle qu’il nous faut redécouvrir, à l’heure où le Burkina Faso tourne enfin définitivement la triste page de l’ère Compaoré, dont le coup d’État manqué du général Diendéré a été l’ultime convulsion. Qu’avec cette page se tourne pour toute l’Afrique, celle du néo-colonialisme, de l’impérialisme ultralibéral. Rejetons les dogmes et l’oppression d’une minorité de marchands de misère internationaux. Retrouvons enfin le chemin du développement par nos propres forces, et nos propres valeurs, à l’image de ce que disait Thomas Sankara : “Le bonheur, le développement se mesurent ailleurs sous forme de ratios, de quintaux d’acier par habitant, (…) nous, nous avons d’autres valeurs.” Quel peuple africain pourrait ne pas reprendre cette affirmation raisonnable pour sien ?
Qui peut encore croire que l’industrie productiviste, contre laquelle se battent les organisations paysannes européennes, soit encore la voie du développement ? Qui peut encore croire que l’Afrique et le monde peuvent prospérer à l’heure des règles sans règles des Bourses de Chicago, de New York ou de Londres ? Au contraire, c’est l’heure pour chaque peuple, de décider de sa destinée, et de la bâtir. A quelle vitesse ? A la nôtre, comme le disait Sankara. Et d’abord à l’heure des saisons, des rythmes sains qui structurent la vie des millions de paysans qui sont la richesse de nos campagnes et la chance de nos nations. Qui mieux que la petite agriculture familiale, première force productive de Côte d’Ivoire et d’Afrique, peut enfin nous extraire des crises alimentaires à répétition qui nous accablent ? Quel meilleur atout pour fonder des industries solides, s’émanciper de la croissance bas-de-gamme fondée sur les exportations de matières premières et les importations de produits de piètre qualité dont les conditions de production sont une gifle à l’écologie et à la biodiversité?
Thomas Sankara l’avait compris. La voie du développement est d’abord celle de l’autonomie alimentaire, et repose sur la création d’une industrie agro-alimentaire capable d’absorber et de conserver les produits agricoles. Une industrie fondée sur la ruralité et l’inclusion, un modèle de petites unités à mi-chemin entre l’industrie et l’artisanat. Les mondialismes nous diront que c’est folie, que l’avenir est à la mécanisation de masse, à la production de masse, à l’automatisation de masse, à la finance de masse. Ce gigantisme n’a pas d’intérêt pour nos masses, pour notre avenir. A la paupérisation de masse, nous préférons un modèle économique juste, fondé sur le commerce équitable, à la fois intérieur et extérieur.
Cette conquête du bien commun, il faut l’entreprendre résolument dès maintenant, en réaffirmant les principes de souveraineté populaire et de libre-détermination des peuples. En cultivant, aussi, les réseaux de solidarité et d’amitié à travers le monde ; et quelle chance pour la Côte d’Ivoire, et tant d’autres pays africains, que d’avoir l’immense avantage d’appartenir à la Francophonie, espace linguistique à élaguer de son option trop politicienne, pour tirer profit de son partage qui s’étend à tous les coins de la planète, de l’Europe aux Amériques, et de l’Afrique à l’Asie et l’Océanie. Rien n’est possible sans l’action et la participation de tous les acteurs de la vie économique, civile et politique de nos pays. Il faut enfin ouvrir les yeux sur le réel potentiel africain, celui qui, demain, offrira au Monde la démonstration que le mondialisme qui appauvrit la majorité, n’est pas une fatalité, et que la prospérité est possible. La prospérité collective, qui se crée par solidarité et pour la solidarité. Une solidarité qui doit commencer par notre mobilisation pour la préservation de ce qui reste encore de notre planète, dévastée par les conditions de productions de nos biens de consommation ; le demi-succès de la COP21, l’ayant bien montré. Cette quête de mieux-être, sera vaine sans des états africains indépendants et souverains. Sans des leaders audacieux et intègres.
Eric Kahe, ancien ministre ivoirien sous le Président Laurent Gbagbo, Président de l’AIRD
Source : http://www.abossanews.net/detail.php?id=1379, mais l’article semble avoir été supprimé depuis