“Commémoration du 15-octobre, interview de la veuve de Paulin Bamouni
Dans quelles circonstances avez-vous quitté le pays ?
• Après les événements douloureux du 15-Octobre, je ne me sentais plus capable de vivre dans ce pays. Ce qui est arrivé à mon mari m’a beaucoup peiné parce qu’il s’est battu tout seul pour réussir dans la vie. Il a été enseignant en Côte d’Ivoire puis de là-bas, il est parti en France pour faire des études de journalisme. Son rêve était de revenir servir son pays. A son retour en Haute-Volta, à l’époque, on s’est mariés et nous sommes repartis en France. Pendant près de dix ans, il n’était pas boursier et il a continué d’étudier avec assiduité. A la fin de ses études, l’UNESCO voulait l’engager mais il n’était pas intéressé. Son désir, comme je le disais, était de venir se mettre au service de son pays. Après ce qui est arrivé le 15-octobre, j’étais découragée parce que quelqu’un qui aime son pays, on ne le paie pas de cette façon.
Vous disiez tantôt que Paulin a fait près de dix ans en France. En quelle année est-il rentré au pays ?
• Paulin est rentré au pays le 19 novembre 1982. Il est né le 10 avril 1950.
Comment êtes-vous partie en France après les événements du 15-octobre ?
• Quand Paulin était en France et n’avait pas de bourse, il y avait des cartes de séjour qu’on attribuait aux étrangers. Il était considéré comme un travailleur émigré. C’est après que la chance nous a souri en quelque sorte. Quand François Mitterrand est arrivé au pouvoir le 21 mai 1981, nous avons bénéficié comme d’autres émigrants des cartes de séjour d’une durée de dix ans. Après l’assassinat de mon mari, j’avais donc la possibilité de retourner en France avec cette même carte. C’est ainsi que j’ai quitté le pays avec mes trois enfants.
Quand est-ce que vous avez quitté le Burkina Faso ?
• J’ai quitté le Burkina pour la France avec mes enfants le 16 juillet 1988.
Pourquoi cet exil ?
• Après le malheur qui nous a frappés, je ne pouvais plus vivre à Ouaga. A la SONABEL, on m’appelait de temps en temps pour des contrats d’un ou de deux mois. Il m’arrivait souvent de rentrer à 22 heures alors que mes enfants m’attendaient à la maison. J’étais inquiète en rentrant chez moi de ne pouvoir trouver mes trois enfants. Je vivais dans la peur. N’ayant plus de mari (des larmes coulent de ses yeux), je me suis dit que je ne pouvais plus continuer de vivre ici. En outre, quand je pense que ceux qui mangeaient avec nous sont les auteurs de notre malheur, il me fallait partir.
Vous n’étiez pas embauchée à la SONABEL ?
• Non. Je n’avais pas un poste fixe.
Qui vous a aidés à aller en France ?
• C’est grâce à des amis Burkinabè et Européens que nous sommes partis en France. C’était avec la compagnie Naganagani dont le coût du billet n’était pas élevé comme aujourd’hui.
Vous vous êtes mariés en quelle année ?
• C’est en 1975 que nous avons contracté le mariage.
Vous rappelez-vous votre journée de ce jeudi 15 octobre 87 ?
• Bien sûr que oui et ce sont des choses qui restent gravées dans la mémoire toute la vie. Ce matin du 15-Octobre, Paulin s’est réveillé de bonne heure et après sa douche, il est allé prendre son petit déjeuner sur la terrasse. A l’époque, je travaillais à la SONABEL et on cherchait une nurse pour garder notre fils qui avait deux ans et quelques mois. Quand cette dernière est arrivée, il m’a aussitôt informé. Quand je suis sortie de la maison pour m’entretenir avec cette jeune fille, il est parti pour le service. J’ai discuté avec la nurse et comme je montais dans l’après-midi, j’ai fait le repas de midi.
Ma deuxième fille, Céline, m’a dit plus tard que quand il est revenu du travail, il a passé son temps à demander après moi sans rien dire. Ma fille suivait des cours à la cathédrale pour son baptême. En montant à l’étage pour chercher son cahier de catéchisme, elle s’est aperçue que son père était dans la chambre. La porte n’était pas fermée et il ne dormait pas. Selon ma fille, elle a senti qu’il était préoccupé. Avant de repartir pour le service, il a encore demandé après moi. J’ai alors demandé aux enfants s’ils ne l’ont pas vu en train d’écrire un mot pour moi. Ils m’ont répondu que non. En quittant la maison, il a déposé Rachel vers les 15 heures à l’école. Elle est la dernière à avoir vu son père. Quant à moi, c’était le matin.
Comment Paulin était-il habillé ce jour-là ?
• Il était en Faso Dan Fani. Dans l’après-midi, il portait une tenue de sport puisqu’il y avait sport de masse ce jour-là.
Comment et quand avez-vous appris la mort de votre mari ?
• J’étais au travail. La salle d’informatique se trouvait à l’époque dans un immeuble de la CNSS près du camp Guillaume Ouédraogo. Un monsieur, avec qui je travaillais, est accouru pour me dire : « Ma sœur, sors de là et rentre chez toi parce que ça ne va pas dehors. Les militaires tirent partout ». Je sors de mon bureau, je prends ma mobylette et je constate effectivement que les rues sont désertes. Je ne comprenais pas ce qui se passait. Arrivée à la maison, une de mes filles m’a dit qu’il y a des gens qui ne cessent de venir regarder dans la cour. J’étais en proie à une vive inquiétude. Je suis allée chez un oncle et après, nous sommes revenus ensemble à la maison. C’est le lendemain, vers la fin de la journée, que mon neveu Godefroy Bazié, qui travaillait à la radio, a parlé de la mort de Paulin à une de ses sœurs. Et c’est là que la nouvelle m’est parvenue.
Vous n’avez pas dans la nuit du 15 octobre 87 tenter d’entrer en contact avec votre mari surtout qu’il ne rentrait pas ?
• C’était difficile puisqu’à l’époque, il n’y avait pas de téléphone à la cité et le portable n’existait pas. Le matin du 16 octobre 87, je me suis réveillée tôt pour aller à sa recherche. Une fois arrivée vers la présidence, on avait dressé des barrages et des militaires empêchaient les gens de passer. En faisant demi-tour, dans la panique, je suis tombée. J’ai compris après que quelque chose de grave était arrivé à mon mari et cela m’a été confirmé par une des sœurs de Godefroy. Aujourd’hui, pour moi, c’est comme si Paulin n’est pas mort puisque je n’ai pas vu son corps (elle essuie des larmes). Vivre dans une telle situation, ce n’est pas facile.
Si vous n’avez pas vu son corps, vous a-t-on quand même délivré un certificat de décès ?
• Le certificat de décès m’a appris qu’il est mort de mort naturelle. Mais si c’était le cas, j’aurais pu le conduire à sa dernière demeure avec ma famille. Quelqu’un qui est mort de mort naturelle, on ne l’enterre pas nuitamment de façon sauvage.
Le certificat de décès était signé par qui ?
• Par un militaire je ne sais qui (elle cherche en vain un document dans son sac). C’est impensable et inhumain.
Pressentiez-vous quelque chose quand votre fille vous a dit que Paulin ne cessait de demander après vous ?
• Rien du tout. Paulin sait que je suis sensible et peut-être qu’il n’a rien voulu dire aux enfants. Il n’a jamais laissé percevoir qu’il y avait des problèmes entre les militaires.
Ne vous a-t-il jamais parlé d’éventuels problèmes entre Sankara et Blaise ?
• Quand il revient de la présidence, il travaille beaucoup la nuit. A un moment, je voulais qu’on retourne vivre en France surtout que l’UNESCO avait besoin de ses services. Là-bas, on aurait amélioré notre condition de vie mais je sentais que ça ne l’intéressait pas. Il m’a dit que s’il partait, Sankara ne serait pas content de lui. Paulin était attaché au leader de la Révolution. J’ai même demandé à l’écrivain camerounais Mongo Béti, qui avait préfacé son livre Processus de la Révolution de le convaincre pour qu’on quitte le pays, mais en vain. Il aimait beaucoup son pays et voulait aider Sankara.
Comment avez-vous fait la connaissance de Blaise Compaoré ?
• Blaise et Sankara étant des amis de longue date, le premier venait souvent les dimanches chez nous. Quand il arrivait, c’était toujours avec des militaires. Certains étaient même perchés sur des toits et d’autres derrière la maison. A un moment, j’ai dit à Paulin que je n’empêche pas son ami de lui rendre visite, mais qu’il vienne le soir pour permettre aux autres amis et frères de venir nous voir. C’était quand même dérangeant. Blaise était bien protégé mais le 15 octobre 87, il n’a rien fait pour garantir la sécurité de mon mari. Aujourd’hui, ses soldats veillent sur lui.
On a appris que c’est par l’entremise de Blaise que Paulin a fait la connaissance de Sankara. Etes-vous au courant de cela ?
• Vous les hommes, quand vous traitez vos affaires en ville, vous ne le dites jamais aux femmes. Nous, on s’occupe des enfants et c’est tout. Franchement, je ne sais pas à quel moment ils se sont connus et où exactement.
Après les événements, avez-vous essayé de rencontrer Blaise ?
• Six mois après les événements, si ma mémoire est bonne, c’est Serges Théophile Balima, qui était le ministre de l’Information à l’époque. Je suis allée le voir dans son bureau pour lui demander de solliciter une audience auprès de Blaise pour moi. Balima m’a dit que le président ne peut pas me recevoir. En fait, ce dernier ne voulait pas m’aider à le rencontrer et je suis repartie chez moi.
Pourquoi sollicitiez-vous cette audience avec Blaise ?
• Je voulais simplement lui demander où est mon mari à qui il venait rendre visite à la maison. Cela me tenait beaucoup à cœur.
Quand Paulin a quitté son poste de directeur de Sidwaya pour celui de directeur de la presse présidentielle, n’aviez vous pas eu des appréhensions ?
• Il ne me disait absolument rien. A partir du moment où il se rapprochait de Sankara, comme ils avaient les mêmes idées, je suppose que c’était pour mieux travailler ensemble. Il a eu une promotion et il est parti. Les deux aimaient ce qu’ils faisaient et ils croyaient en un idéal.
Avez-vous pu récupérer à la présidence quelques effets personnels de votre mari ?
• Trois ou quatre mois après, on m’a convoquée à la gendarmerie pour me remettre le trousseau de clefs de notre maison plus la clé de sa voiture. Ce jour-là, je n’ai pas pu démarrer la voiture et c’est un jeune gendarme et un de ses copains qui se sont débrouillés pour l’amener à la cité.
La voiture était de quelle marque ?
• C’était une Renault 14.
On a appris que le compte bancaire de Paulin avait été bloqué après le 15-Octobre. Quelles en étaient les raisons ?
• Je n’ai jamais eu d’explication sur cette question.
Ce compte était domicilié dans quelle banque de la place ?
• C’était à la Banque internationale pour le commerce, l’industrie et l’artisanat du Burkina (BICIA-B). Je n’ai jamais su pourquoi. Je n’ai d’ailleurs pas cherché à en savoir davantage. Avec mes enfants, nous avons vécu avec ce que je gagnais à la SONABEL.
Aviez-vous une idée de son solde ?
• Non. Je sais seulement qu’il y déposait sa paye. A l’époque, je ne crois même pas que son salaire atteignait 100 000 FCFA le mois. Vous savez que Thomas avait mis en place des mesures d’austérité pour permettre à l’Etat d’avoir un peu d’argent pour développer le pays par nos propres forces.
Mais madame Bamouni, que devient ce compte aujourd’hui ?
• Franchement, je n’en sais rien. Si ça se trouve, il a été clôturé depuis longtemps car cela fait des années qu’il n’a pas enregistré de mouvements. Je ne connais même plus le numéro de ce compte.
Combien de fois êtes-vous revenue au Burkina depuis votre exil ?
• Je suis rentrée en juillet 90, au décès de mon beau-père et en juillet 95 aux obsèques de mon papa. En 2001, je suis revenue rendre visite à ma maman et cela a coïncidé avec la Journée nationale de pardon. J’étais aussi là en 2004. Cette année, c’est la deuxième fois que je viens au Burkina.
Quand vous venez au pays, est-ce que vous essayez d’entrer en contact avec Blaise Compaoré ou une quelconque autorité ?
• Pas du tout.
Les autorités aussi ne cherchent pas à vous rencontrer ?
• Pas du tout.
Combien d’enfants avez-vous eus ?
• Nous avons trois enfants. Deux filles, Rachel (l’aînée), Céline (la cadette) et un garçon qui s’appelle Zalna.
Que deviennent-ils aujourd’hui ?
• Céline est comptable, Rachel est hôtesse au sol à l’aéroport Roissy Charles de Gaule tandis que Zalna s’est installé à son propre compte.
Dans quelle ville habitez-vous en France ?
• Nous sommes à Argenteuil dans le département du Val-D’Oise. Nous sommes à 17 km de Paris.
Il y a d’autres Burkinabè là-bas que vous connaissez ?
• Oui, il y en a beaucoup. Dans le temps, Frédéric Guirma était notre voisin. Mais maintenant, nous avons déménagé, ce qui fait que lui est plus haut alors que nous nous sommes redescendus au centre-ville.
Vos voisins savent-ils pourquoi vous êtes en France ? Leur avez-vous parlé de votre mari ?
• Non. Ceux qui savent sont ceux qui sont au courant des problèmes du Burkina. Mais si moi-même je ne le dis pas, c’est difficile de le savoir. Les gens me voient, ils savent que je suis une Burkinabè. Un point, un trait.
En France comment arrivez-vous à faire face aux charges de la famille ?
• Tant bien que mal ; mais le résultat est-là les enfants sont grands. On n’a pas véçu avec des millions. Aujourd’hui, ils sont tous indépendants. On ne vit plus ensemble car chacun a un chez-soi et se prend intégralement en charge.
Depuis que vous êtes en France, avez-vous bénéficié ou continué à bénéficier d’une aide quelconque ?
• De notre pays, nous n’avons jamais rien reçu. Mais nous avons bénéficié des aides du système français à savoir les allocations familiales. Ces allocations, plus ce que je gagnais en travaillant, ont été ma seule source de revenus. C’est uniquement avec ces ressources que j’ai élevées mes enfants.
Vous travaillez dans quel secteur d’activité ?
• Je travaillais à l’Education nationale comme agent d’accueil. J’ai pris ma retraite en septembre 2005.
Comptez-vous vous installer définitivement en France ?
• Non. La route de mon pays ne m’est pas encore fermée. Je suis libre. J’y viens et mes enfants aussi viennent tout le temps. On vient, on repart. Je pense que le Burkina nous appartient à tous. On a toute notre place ici.
A l’occasion de la journée nationale de Pardon, des mesures d’indemnisation ont été prises en faveur des victimes de la violence en politique. Avez-vous touché ce pécule ?
• Ils en ont parlé mais je ne m’y suis pas intéressée. Ils n’ont parlé d’indemnisation qu’en 2001. Cela faisait combien d’année après la tuerie d’octobre 87 ? Durant près de 15 ans, est-ce que quelqu’un dans ce pays s’est soucié que ces veuves avaient besoin de quelque chose pour élever leurs orphelins. Normalement, nos enfants devaient être considérés comme des pupilles de la nation. Mais personne ne s’en est soucié. Nous les femmes, on s’est battue pour élever nos enfants. Personne ne nous a aidées jusqu’à maintenant…
… Vous avez donc refusé l’indemnisation parce qu’elle était en retard alors… Si elle était intervenue dès 87, vous l’auriez donc acceptée ?
• En 87, on pouvait dire qu’on en avait le plus besoin parce qu’il y avait des femmes qui ne travaillaient pas… S’ils avaient réglé le problème tout de suite, s’ils avaient accepté nous dire : « Voilà, il y a eu un problème, c’était un accident, on visait telle ou telle personne mais il y a des gens qui se sont trouvés au mauvais endroit au mauvais moment. On demande pardon… ». Je pense que s’ils avaient procédé ainsi, on n’aurait même pas eu besoin de cette journée de Pardon. La réconciliation aurait été faite toute de suite. Mais ils ont laissé pourrir la situation…
Avez-vous des contacts avec les autres veuves du 15-Octobre ?
• En dehors de Mariam Sankara, non. Il faut dire que je n’étais pas connue à Ouaga et je ne connaissais pas beaucoup de gens. Je suis sortie de ma province du Sanguié, j’ai mis le pied dans l’avion et je suis partie pour la France avec mon mari. A notre retour, on est resté 5 ans à Ouaga. Je ne sortais pas beaucoup parce que j’avais déjà les habitudes d’Europe. Je n’allais pas dehors, je ne savais pas fréquenter beaucoup de gens.
Mais suite aux douloureux événements, vous avez pu rencontrer quand même quelques veuves du 15-Octobre ?
• C’est la femme de celui qui était à la cité an II, Bonaventure Compaoré. J’avais aussi été une fois avec Mariam voir une femme à Zogona. Il s’agissait de la veuve d’Abdoulaye Gouem. Mais ça, c’était avant mon départ pour la France. Aujourd’hui, à part Mariam, je n’ai pas de contact particulier avec les autres veuves.
Quel était l’objet de ces contacts que vous avez eus avec ces veuves avant votre départ ?
• On allait se voir. On discutait, on essayait de se consoler mutuellement, de se remonter le moral. Le choc était tellement fort qu’on ne savait plus quoi faire.
Comment et à quel moment avez-vous connu Mariam Sankara ?
• Mariam et moi on s’est connues au cimetière de Dagnoën…
Quand ça ?
• Avant que je ne parte en France. Nous nous sommes rencontrées sur les tombes au cimetière. Moi, je la connaissais uniquement à travers les médias quand Thomas Sankara était président. Sinon avant les événements tragiques, on ne se connaissait pas.
Comment votre rencontre s’est passée ?
• C’était en 87. On partait tous les dimanches sur les tombes…
… Pourtant on raconte que Mariam n’avait jamais vu la tombe de son mari avant le 15 octobre 2007…
• Du n’importe quoi. C’est au cimetière que nous avons fait connaissance. On ne se connaissait pas avant. Au cimetière, elle était sur la tombe de Thomas et moi j’étais avec mes trois enfants sur celle de Paulin. Elle ne me connaissait pas, mais on s’est dit bonjour. C’est quand elle est arrivée chez elle qu’elle s’est renseignée sur moi. On lui a dit qui j’étais. C’est comme ça qu’elle a su que j’étais la femme de Paulin Bamouni.
Comment Mariam venait-elle sur les tombes ? Avait-elle toujours des militaires pour sa sécurité ?
• Non. Elle venait avec ses sœurs et sa belle-sœur je crois. Après l’assassinat de son mari, on l’a « dégraissé ». Elle n’avait ni chauffeur ni sécurité. Elle conduisait elle-même sa voiture pour venir nous voir à la cité.
Vous n’avez jamais eu d’ennui en allant sur les tombes les dimanches ?
• Pas du tout.
Vous conveniez d’une heure pour aller où vous vous y croisiez fortuitement ?
• Non. Moi j’y allais après la messe. Elle aussi elle y allait à sa convenance. Mais quand on a fait connaissance, il nous est arrivé d’harmoniser notre temps pour aller sur les sépultures. Mariam venait donc à la maison chez moi. Elle garait sa voiture et on partait avec la nôtre qui était moins connue et donc moins remarquée par les gens.
En France vous avez toujours gardé le contact avec Mariam ?
• Oui.
C’est elle qui vous a encouragée à aller en France ?
• Non.
Vous vous êtes concertées pour venir ensemble à ce 20e anniversaire ?
• Non. Mais elle m’a appelée pour me dire qu’elle sera au Burkina pour cet anniversaire. Je suis venue au pays parce que je me suis dit que ma présence à ses côtés lui donnerait aussi un peu de réconfort. C’est dans ce but que je suis venue.
Avez-vous obtenu aujourd’hui la nationalité française ?
• Oui, je l’ai obtenue ainsi que tous mes enfants. Je précise que c’est dans le cadre du travail que j’ai obtenu cette nationalité. Je vous ai dit qu’on m’avait embauchée à l’Education nationale. J’ai été titulaire à ce poste parce que j’avais obtenu la nationalité française.
Quand avez-vous commencé à travailler là-bas ?
• C’est en mars 1989.
Le 16 octobre 2007, après la marée humaine de la veille, vous êtes retournée au cimetière avec vos enfants et votre nièce. Qu’avez-vous ressenti en allant vous recueillir sur la tombe de Paulin ?
• C’est toujours la même chose puisqu’il ne se passe pas un jour sans qu’on ne pense à lui. Quelque part, nous partons sur la tombe pour le retrouver dans sa dernière demeure, lui qui nous voit mais que nous on ne voit pas (elle verse des larmes). Nous allons au cimetière chaque fois que nous sommes de passage à Ouaga.
On sait que concernant Thomas Sankara, il y a une procédure judiciaire qui a été intentée par la veuve. Est-ce que vous aussi vous avez essayé une action en justice ?
• Non. Mais d’après ce qu’on nous a dit, la plainte qui est déposée pour Thomas concernerait tous les autres qui sont tombés avec lui le 15 octobre 87.
Croyez-vous que cette plainte va aboutir un jour ?
• On l’espère bien. On espère que la justice sera faite un jour. Et comme le disait bien Thomas Sankara, « aucune lutte n’est vaine ».
Propos recueillis par Justin Daboné & San Evariste Barro
Source : L’Observateur Paalga du 17 octobre 2007