L’auteur des lignes ci-dessous, livre une réflexion sur deux courants politiques que sont le communisme caractérisé par son “hypocentre”, et le sankarisme en tant que “cri du coeur et non une réalité politique spécifique”.
Soit dit en passant, la diversité de pensées et les possibilités de leur expression sont sources d’équilibre pour les individus et de stabilité pour la communauté. Le facteur limitant du niveau d’efficacité de notre gouvernance politique, c’est la qualité (au sens neutre) des acteurs. Il est bien connu, plusieurs fois dit et redit, il n’y aura pas de démocratie, de la confiance dans les engagements publics sans une masse critique de démocrates et d’hommes de parole éprouvés ou sans une pression efficace de ces derniers.
Quelle que soit la pertinence intrinsèque des réformes politiques, elles ne vaudront que ce que vaudraient les acteurs chargés, directement ou indirectement, de les mettre en œuvre. Un des défis, c’est de sortir de la « désertification » actuelle de la vie politique, de son animation à coups de fusils ou, alors, à minima : essentiellement par des « professionnels », des gens directement concernés, par des scénettes de circonstance et des micros-trottoirs, « degré zéro de l’information » pour certains professionnels. L’engouement « forcé » actuel pour la vie publique doit porter également sur les pôles politiques eux-mêmes, tout aussi concernés par la quête collective de transparence et de résultat. Il sera ici question du communisme à cause de son hypocentre clandestin depuis plus de 30 ans et du sankarisme en tant qu’il est un cri du cœur et non une réalité politique spécifique différenciable.
Du communisme
Historiquement, le PAI qui ne s’en réclame plus a été le pionnier du communisme partisan dans notre pays. Il a participé à la gestion du pouvoir d’Etat pendant la Révolution et s’en est tiré avec un gros boulet au pied : le licenciement massif des instituteurs qu’on lui impute comme si, à l’époque, il pouvait détenir (seul) le pouvoir d’une telle décision. Dès l’ouverture démocratique, il est sorti de sa clandestinité pour participer au jeu politique officiel. La conquête/reconquête de la mairie de Pô, de Dori et, surtout, la 2e place du tardif candidat Arba Diallo à la dernière présidentielle sonnent comme une récompense de leur pratique politique. On a ainsi la preuve qu’il possède de la substance et des résidus substantiels et durables, correspondant à des besoins modernes des populations à la base. Cela devrait constituer un tremplin pour sa ré-unité plutôt que la tendance actuelle à son fractionnement. Le PCRV, qui a débordé le PAI sur sa gauche depuis la fin des années 1970, reste un des rares partis clandestins en Afrique, peut-être le seul, bien que n’ayant pas formellement fait l’objet d’interdiction.
Naturellement, ses limites sont étirées ou rétrécies selon les besoins de la cause et il est régulièrement évoqué ou dénoncé ses accointances avec certaines ONG. En période de troubles sociaux scolaires et estudiantins particulièrement, l’essentiel, en mal, lui est mis sur le dos pour habiliter des sanctions sans discernement : fermeture de cités universitaires dont la plupart des résidents ne savent pas décomposer son sigle ou répressions (incluant mort d’homme) d’adolescents qui, probablement, n’en ont jamais entendu parler. En l’absence de données factuelles suffisantes, c’est plutôt une interpellation que l’on peut faire aux animateurs de cette organisation. Comme partout, il y a du bon et du moins bon, voire du mauvais dans ce parti ; mais ces deux derniers y sont d’autant plus pernicieux qu’ils sont facilement camouflables par la clandestinité. En effet, par souci de ne pas s’aliéner de gens qui en savent quelque chose, on se satisferait de critiques et d’autocritiques confidentielles dont la sincérité et l’effectivité ne sont pas vérifiables ; les structures clandestines étant par essence fermées, habilitant des possibilités de double vie pour certains des membres.
On ne peut alors éviter le piège de l’impunité, malgré une apparente rigueur disciplinaire et l’impossibilité subséquente d’estimer, à plus forte raison connaître sa valeur opérationnelle en situation d’épreuve. Ce qui est notable, objectivement, c’est qu’on ne sent pas ce parti, de façon cristallisée et spécifiée, sur le jeu politique de tous les jours. Les slogans visibles sur certains murs de certaines villes n’indiquent pas grand-chose, sauf à rappeler, de temps à autre, qu’on est toujours là, qu’on vit ou survit, sans plus. L’apparition de pancartes portant son nom à la dernière manifestation contre la vie chère ressemble plus à un parasitage ou à une infiltration (c’est selon). Au lieu d’une implication transparente et d’un apport spécifique, en connaissance de cause des organisateurs, c’est plutôt de la suspicion et de la méfiance que cela pourrait susciter au sein de la coalition.
Chaque courant politique a le droit et la possibilité de s’imposer à l’Etat qui se dit (et qu’on veut) de droit pour ouvrir d’autres espaces de liberté. Mais si de par un engagement, quel qu’il soit, on prétend à la gestion politique d’un pays, à un moment ou à un autre, on est en devoir de l’assumer au vu et au su de ses concitoyens, ceux pour lesquels et au nom desquels on est engagé. Ce parti serait certainement plus utile s’il se décidait à mener une vie politique publique ouverte, à apporter sa touche aux pratiques et débats politiques nationaux. Dans les contextes international et national actuels, nulle option politique pour le bien-être de nul peuple ne peut se réaliser dans une clandestinité stratégique. Et si en plus de 30 ans, les conditions n’ont jamais été réunies pour présenter, les yeux dans les yeux, une telle option à nos populations, il convient de s’interroger à deux niveaux (au moins) : sur la valeur de l’option en question, en tant que porteuse d’épanouissement humain pour nos populations, et sur la valeur de ses tenants, sous l’angle de la responsabilité et du courage spécifiques relatifs à la vie politique publique. En clair, qui n’en vaut pas la peine dans tout ça, depuis tout ce temps : l’option politique ou ses tenants, étant entendu qu’on ne peut pas penser que ce soit le peuple qui n’en vaut pas la peine ?
Du sankarisme
Thomas Sankara, on peut le reconnaître, a marqué plus que les autres chefs d’Etat de notre pays le paysage national par sa pratique publique. Sa vie, ses prises de parole sur l’échiquier international et, surtout, les conditions de sa mort, en ont fait une icône pour de nombreux jeunes Africains et Burkinabè. Cela ne pouvait que générer des adeptes et des héritiers. Mais quel est l’héritage et qui en a la légitimité ?
Le sankarisme partisan est né de l’ouverture démocratique dans le contexte des violences politiques de la Rectification et de flou, pour ne pas dire de vide de son contenu. Il ne pouvait être qu’une chaude nébuleuse (non péjoratif) se nourrissant d’émotions et d’incompréhensions où se confondent des cris de haine, des désirs de vengeance personnelle et de justice, des ambitions de revanche politique, des déceptions, des désillusions, etc. Ce mélange complexe est incompatible avec la définition froide d’un projet politique cohérent, unitaire ou convergent, avec une démarche stratégique de conquête du pouvoir par des élections. C’est ce qui explique, en plus des personnalités des uns et des autres, l’impossibilité très précoce de l’unité des partis sankaristes, apparue à l’opinion comme des incohérences et des inconséquences. Ces partis se sont rapidement éparpillés et entrés en conflit plus ou moins ouvert les uns contre les autres et certains ont disparu de la scène publique. Plus de 20 ans après, on peut toujours constater que ce qui se vivait comme un péché de jeunesse est, en réalité, une tare consubstantielle au désir de cristalliser le sankarisme comme courant politique partisan.
La stagnation relative de son meilleur candidat à la dernière présidentielle et son glissement de la 2e à la 3e position accréditent le caractère déterminant de la donne émotionnelle dans les liants de ce courant, pour autant qu’on puisse en parler comme tel. Et comme toute émotion de cause finie, elle est forcément stagnante ou déclinante, encore plus quand on la veut politiquement capitalisée dans un contexte républicain, multipartiste et électoraliste.
Son inspirateur involontaire (feu Thomas Sankara) a-t-il seulement théorisé la conquête du pouvoir ou l’a-t-il conquis ? En l’absence de théories à collecter, à enrichir et à approfondir, en l’absence d’une pratique démocratique du pouvoir à convertir en théorie, comment fonder et cristalliser un courant politique dans l’optique de conquérir le pouvoir par des votes désormais libres de réputation ?
Il n’est pas surprenant que, pendant les campagnes électorales, on se retrouve avec des slogans martiaux, percutant plus pour leur caractère soulageant ou pathétique plutôt que par leur force mobilisatrice. Le pouvoir semble avoir compris, senti ou flairé le fait que ses tenants, dans le meilleur des cas, ne peuvent que stagner sensiblement à leur poids électoral actuel. Cela expliquerait l’organisation effective (enfin !) de l’institution “Chef de file de l’opposition politique” à une veille d’élection présidentielle, au moment où cela revenait au sankarisme. On se souvient des tergiversations quand cela devait bénéficier à M. Joseph Ki-Zerbo, du dilatoire quand cela devait échoir à M. Herman Yaméogo et de son écartement de la tête de l’ADF/RDA, offrant le « sceptre » à M. Gilbert Ouédraogo. La suite, on la connaît ! En termes de projets politiques, les sankaristes semblent être dans la social-démocratie et, pour des raisons historiques et idéologiques, leur point de chute normal serait le CDP ou son succédané.
Conscients ou non, des signes ou des amorces de possibilité de complicité entre les deux existent : ente autres, la gestion actuelle de la CENI et la théorie de la « vacance du pouvoir » et suites à donner. La barrière actuelle est émotionnelle, mais elle est de taille et le restera tant que celui qui a bénéficié du pouvoir après son assassinat, M. Blaise Compaoré, sera chef de l’Etat ; à moins d’une rupture (peu probable) entre ce dernier et le CDP. Cela étant, il n’est nullement question de remettre en cause le droit pour chacun de se baptiser comme il veut ! Il est juste préférable que cela se fasse en connaissance de cause, par une démarche consciente de motivation dudit baptême. Pour la Nation, c’est une perte patrimoniale si l’héritage de Sankara reste confiné au politique, à des ambitions irréconciliables de conquête de pouvoir où, en réalité, il ne présente pas d’alternative nouvelle. L’essentiel du sankarisme n’est certainement pas la conquête du pouvoir, mais une pratique publique (pas seulement politique) réputée courageuse, volontariste, intègre et sobre. Il doit pouvoir être rassemblé à travers une démarche et une réflexion inventaires et plurielles, comme un courant moral d’engagement public, source d’inspirations pour les hommes publics, toutes formes et tendances confondues.
Conclusion
Une des finalités des débats actuels sur la démocratie doit être de redonner ou de créer de l’envie politique nationale, particulièrement pour une jeunesse dont la frange scolarisée est à dominante et de traditions anti-partisanes : une organisation comme l’UGEB continue d’appeler systématiquement aux boycotts des élections. On ne le répètera pas assez, notre scène politique en l’état, est peu attrayante : un membre d’un parti peut se retrouver, selon des alliances de son état-major, entraîné dans des options politiques, voire des choix de société, contraires à ses convictions. Ces pratiques, où ne fonctionnent généralement pas les repères officiellement enseignés et appris, sont et seront de plus en plus difficilement acceptables, en particulier par les jeunes.
Au moment où les autres pays sortent des turbulences et se stabilisent, il y a chez nous un besoin pressant et impératif d’autre chose que les pratiques politiques actuelles. Cette autre chose n’est pas forcément à réinventer mais à simplement reconstruire ou reconfigurer à partir de l’existant. Par deux fois, nous avons raté le coach alors qu’il nous est indispensable de bien intérioriser ce qu’est notre pays : considéré comme techniquement non viable, il a été dissous en tant que colonie-pays et ses terres et hommes partagés à ses voisins. S’il a été reconstitué, c’est par le « cœur gros » de nos grands-parents qui ont pris sur eux mais en comptant sur nous (générations actuelles) de défier cette “non-viabilité technique”. Ce “cœur gros” pour une nation, on peut l’appeler comme on veut (nationalisme, patriotisme, conscience citoyenne, etc.) mais fondamentalement, c’est de la mobilisation politique, à laquelle nous devons réussir à redonner sinon de la noblesse, au moins de la valeur.
Youssoufou OUEDRAOGO E-mail:Yissfu@gmail.com
source : http://lepays.bf publié le 12 juillet 2011