“Africa Crocodiles” un livre de Denis de Montgolfier

Récit de meurtres présidentiels, Brazzaville, Dakar, Ouagadougou 1987 à 2011

Juin 2011, 220 pages, La Table gronde

Présentation 4 ème de couverture

– Dis-papa, pourquoi ils tuent sans être condamnés ?

– Parce qu’ils sont Présidents fiston.

Raconter les meurtres des Présidents africains entraîne le lecteur dans une spirale vertigineuse.

Les faits bruts de leurs crimes sont décrits dans leur tristesse quotidienne et leur cynisme ordinaire.

Le peuple du continent noir n’est pas dirigé mais couillonné, siphonné, écarté de la route comme dans un tour de passe-passe où le magicien fait tout disparaître : l’espoir, les richesses, l’avenir du pays.

Abdoulaye WADE (Sénégal) accusé de meurtre. Amadou Toumani TOURE (Mali) auteur assumé d’un coup d’état. Denis SASSOU N’GUESSO (Congo) englué dans son pétrole et les morts du Beach de Brazzaville. Biaise COMPAORE (Burkina Faso) empêtré dans des accusations de meurtres jamais élucidés au Burkina Faso.

Africa crocodiles révèle un document inédit : la lettre cachée de Thomas SANKARA écrite le jour de son assassinat; elle désigne en filigrane son meurtrier, l’actuel Président du Burkina Faso, Biaise COMPAORE.

L’auteur

Denis de Montgolfier est un journaliste d’investigation français né à Angers en 1962, ancien rédacteur en chef de TLM (Télé Lyon Métropole), il travaille désormais pour plusieurs médias dont Canal + et Le Progrès, il donne également des conférences sur le journalisme d’investigation à l’Université Lyon 2 ainsi qu’à l’Institut d’études politiques de Lyon (IEP de Lyon). Il intervient également dans le cadre du cours de “Politique étrangère” de 4e année à l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence ; (source wikipedia).

Les titres des chapitres

– P 5 : Avertissement.
– P 9 : L’ivresse, la confiscation, la trahison.
– P 15 : Mystérieux et compulsif.
– P 22 : La terreur pour exister.
– P 29: La confiscation du pouvoir.
– P 38 : Faire seul et vite.
– P 41 : La prison avant le pouvoir.
– P 47 : Un putsch pour la démocratie. P20 : Le malaise SANKARA.
– P 54 : Les premiers jours au pouvoir.
– p 57: La lettre inédite de Thomas SANKARA.
– P 67 : L’assassinat de SANKARA vu par Blaise COMPAORE.
– P 73 : Ce qu’écrit SANKARA le jour de sa mort.
– P 75 : L’adjudant «meurtrier».
– P 79 : Le dangereux «petit Président».
– P 84 : Bluff et manipulation.
– P 91 : La cour et la tribu.
– P 102 : 3 guerres en 10 ans.
– P 107 : Le massacre du Beach de Brazzaville.
– PI 17: Chirac sauve SASSOU.
– P 121 : Norbert ZONGO, journaliste en direct du ciel.
– P 127 : Investigation, menaces et mort.
– P 135 : Morts brûlés comme ZONGO.
– P 140 : Président accusé de meurtre.
– P 151 : Naufrage du Joola et de la justice.
– P 168 : L’avion de WADE plutôt que la réparation du Joola.
– P 174 : Règlement de comptes dans la capitale. P 179 : L’argent comme s’il en pleuvait.
– P 184 : Demander pardon pour rebondir.
– P 192 : Des rappeurs comme (seuls) opposants.
– P 192 : Un pays aux 2 Présidents.
– P 207 : La France en échec.
– P 211 : 10 propositions pour relever l’Afrique.

Note de lecture

Au terme d’un travail de plusieurs années, et de quelques péripéties avec les maisons d’édition, Denis de Montgolfier nous livre un livre mettant sévèrement en cause 5 présidents africains, amis de la France. A tel point que l’éditeur, Stock, qui devait éditer le livre s’est rétracté par crainte des procès.

La plupart des assassinats dont il est question ont déjà fait l’objet d’enquête, mais restent encore peu connus en France. Ainsi le massacre du beach, au Congo, de réfugiés rentrant au pays après la fin de la guerre civile. Denis de Montgolfier nous en livre un récit poignant de l’un des rescapés. L’occasion pour l’auteur de pourfendre le luxe du président du Congo Denis Sassou N’Guesso.

Wade est mis en cause dans plusieurs assassinats mais aussi indirectement dans le naufrage du Joola qui a fait près de 2000 victimes, pour avoir notamment détourné une importante somme d’argent destiné à la réfection du bateau au profit de son avion personnel. dont le cout dépassait largement ce qui aurait été nécessaire pour rénover la bateau.

Deux chapitres sont consacrés à Madagascar. A propos de Ravalomana, on apprend qu’il avait tenté de saboter une usine concurrente et qu’il a été emprisonné 3 mois pour ça. Quand à Rajoelina il n’obtient pas plus les faveurs de l’auteur qui rappelle le soutien que lui a accordé la France en l’abritant dans l’ambassade pendant une semaine.

Deux chapitres sont consacrés à ATT, un pour lui rendre hommage pour avoir libéré le Mali de Moussa Traoré sans effusion de sang. Dommage que l’hommage ne soit pas rendu au peuple de Bamako qui s’était révolté et qui a donné l’occasion à quelques militaires de prendre leur responsabilité. Bien plus loin dans le livre la parole est donnée à un opposant perdant des élections qui met en cause la viabilité des résultats.

Ces parties sont très inégales. Si les dénonciations de Wade et de Sassou N’guesso sont assez précises et documentées, les chapitres sur le Mali et Madagascar paraissent un peu survolés. On de demande même ce que fait ATT en si mauvaise compagnie.

Le grand mérite de Denis de Mongolfier reste bien sur d’avoir pu récupérer cette dernière lettre de Thomas Sankara.

Profitons au passage pour fustiger cette propension largement répandue par d’anciens protagonistes de la révolution de garder au secret des documents qui risquent de disparaitre, alors qu’il y a tant encore à faire pour travailler à la vérité, largement travestie par le pouvoir actuel. Cette lettre que vous trouverez en ligne à l’adresse est de toute première importance. Sankara explique que ceux qui sont en train de diviser le font de façon artificielle car ils sont incapables d’exprimer des divergences de fond. Ils parlent d’éliminer ceux qui complotent ainsi mais ce n’est pas la première fois qu’il emploie un tel terme, sachant que ces termes qu’il a déjà employés auparavant ne signifient pas “élimination” physique”. Et il propose aux dirigeants de la révolution de faire des meetings dans tout le pays pour montrer l’unité et la cohérence retrouvée.

Sinon le traitement de l’assassinat de Thomas Sankara est bien en deçà de ce qui est connu. Il y a même un doute sur le fait que ce sont les hommes de Compaoré qui ont tué Sankara, alors que ce soit Blaise Compaoré ou Gilbert Diendéré, tous deux ont reconnu que ce sont leurs hommes qui étaient sur place, se retranchant sur le fait qu’ils avaient pris les devants pour arrêter Sankara.

En fait les articles, ouvrages, témoignages sur l’assassinat de Sankara sont tellement nombreux, que le traiter demanderai presque un ouvrage entier, pour en faire la synthèse et les recoupements en y ajoutant d’autres témoignages récents et des éléments d’enquête qu’il reste à faire.

Il en est de même sur l’assassinat de Norbert Zongo sur lequel on connait aussi beaucoup de chose,s grâce il faut le dire à la société civile et aux journaliste du Burkina dont il faut saluer l’amélioration constante de la qualité du travail. Il est dommage d’ailleurs qu’ils aient peu accès aux éditeurs français car plusieurs seraient certainement capables de nous produire d’excellents livres sur leur pays et sur ces assassinats.

Reste deux portraits assez précis de Blaise Compaoré, homme froid calculateur, parfaitement maitrise de ses sentiments, et de son frère François Compaoré, impliqué dans l’assassinat de Norbert Zongo. Celui-ci enquêtait en effet sur la mort sous la torture dans les mains d’éléments de la garde présidentielle du cuisinier de François Compaoré. Denis de Montgolfier qui a pu rencontrer Blaise Compaoré rend compte de l’entretien et de la façon dont l’actuel Président a parlé de cette affaire.

En conclusion si ce livre est inégal, la dénonciation de Sassou N’Guesso et d’Abdoulaye Wade y est pertinente, cinglante et impitoyable. Mais il apporte assez peu sur les assassinats de Norbert Zongo et de Thomas Sankara. Il n’en reste pas moins utile s’il arrive à toucher un public plus large qui ceux qui connaissent déjà les méandres sinueuses et effroyables de la Françafrique, car le France et certains de ses dirigeants y sont mis en cause sans détour.

Bruno Jaffré