L’article que nous publions ci-dessous a été publié dans l’hebdomadaire l’Indépendant (voir à l’adresse http://www.independant.bf) le 29 septembre 2003 sous la signature de Michel Zoungrana.
COMPLOT DU 18 SEPTEMBRE 1989 : QUE RETENIR 14 ANS APRES
br />Voici quatorze ans que sont morts Jean Baptiste Boukary Lingani et Henri Zongo. Accusés de comploter contre le régime du Président Compaoré, les deux chefs historiques de la révolution ont été expéditivement passés par les armes et inhumés dans la clandestinité en même temps que le Commandant Koundamba et l’Adjudant Gningnin. " Qui ignore son passé, compromet son avenir." a-t-on coutume de dire. C’est au nom de ce devoir de mémoire que nous sommes obligé de revenir souvent sur certaines pages sombres de notre passé récent. Le souvenir de certains faits, nous semble-t-il, pourrait avoir des vertus pédagogiques dans un pays qui cherche encore ses marques en matière de démocratisation.
L’année 1989 a été incontestablement l’une des plus douloureuses pour les Burkinabè qui se réclamaient encore du marxisme léninisme , ou plus exactement ceux qui s’étaient laissés convaincre que l’avènement du Front populaire le 15 Octobre 1987 marquait effectivement le début d’un approfondissement de leur Révolution. Les conclusions des assises nationales sur le bilan d’un an de Rectification (qui se sont tenues les 26, 27 et 28 janvier 1989) les avaient galvanisés dans leurs convictions ; mais ils devaient vite déchanter pour les plus avertis. En effet, moins d’une semaine après la clôture de ces assises dominées par les clivages idéologiques au sein de l’appareil d’Etat, Moïse Traoré, le Président du comité du thème était relevé de ses fonctions de ministre délégué à l’Habitat et à l’Urbanisme pour laxisme dans la conduite des débats. En clair, il n’a pas su contenir la fougue marxisante des délégués des comités révolutionnaires totalement remontés par les nouvelles orientations du Front populaire, un an après la tenue des assises nationales sur le bilan de quatre années de Révolution.
Putsch réel ou imaginaire ?
Après Moïse Traoré, tous les ministres issus du GCB (Groupe communiste burkinabè) et de l’ULC (Union des luttes communistes) ont quitté le gouvernement à la suite d’un remaniement qui sanctionnait le refus de leurs formations d’aller à l’ODP/MT, un jeune parti créé à l’initiative du Chef de l’Etat pour rassembler les marxistes-léninistes du Burkina. Le ralliement des transfuges de ces deux organisations à la nouvelle formation politique n’a rien ôté à la tension qui montait dans le landernau politique, bien au contraire. Désormais persuadés qu’ils avaient été bien grugés par le discours du président du Front populaire, certains cadres des deux formations, pétris d’expériences en matière de clandestinité ont renoncé avec la lutte souterraine. Les tracts hostiles ont refait surface en même temps que les rumeurs relatives à la mésentente entre les trois principaux dirigeants du régime. Blaise Compaoré est traité de tous les noms d’oiseau, alors que Jean-Baptiste Lingani et Henri Zongo sont magnifiés dans cette presse à poubelle animée par les nostalgiques de la Révolution. Bousculé sur son aile gauche, le Chef de l’Etat ne l’était pas moins sur son aile droite, pressée qu’elle était, de voir le pays retourner rapidement à une vie constitutionnelle normale.
Or, sur ces divergences de fond, Blaise Compaoré n’a jamais voulu engager un débat franc au sein du Front populaire dans la mesure où Thomas Sankara et ses compagnons ont été exécutés pour déviationnisme, pour trahison à la Révolution d’Août et tentative de restauration de l’ordre réactionnaire. Malgré la grande mobilisation des anciens partis de droite représentés dans le Front populaire sans les sigles aux couleurs marxisantes (Convention nationale des patriotes progressistes ; Mouvement des démocrates progressistes, Groupe des démocrates et patriotes, etc), Blaise Compaoré n’était pas assuré de remporter le débat sur la démocratisation au sens occidentale du terme. L’autre école qui soutient que les poulets et les renards ne pouvaient être libres ensemble dans un même poulailler avait déjà démontré sa force de frappe lors des dernières assises nationales.
Pour mettre en cause la Révolution, il fallait encore fragiliser davantage le camp des révolutionnaires. Au niveau des forces de l’ordre, les divergences entre le commandant de la Gendarmerie nationale, Palm Mory Jean Pierre et le Directeur général de la police, Alain Ouilima sont notoires. Chacun surveille l’autre pour trouver de quoi l’affaiblir auprès du Président Compaoré. Dans cette guerre des chefs "les grandes oreilles de la république" sont mises à contribution.
La plus grande intoxication dans l’histoire des services de renseignement du Burkina remonterait à ces écoutes téléphoniques. Pendant le long périple qui a conduit Blaise Compaoré en Asie, le commandant de la Gendarmerie a même invité certains responsables du Front populaire pour leur faire écouter des enregistrements d’entretiens téléphoniques compromettants. Certains sont tombés des nues quand ils se sont aperçus que leurs propres lignes étaient mises sur table d’écoute. La rupture de confiance est totale surtout que les Togolais chargés de surveiller les mouvements du " lion " au Ghana pour le compte du régime burkinabè ont écrit dans une de leur fiche que le capitaine rebelle avait un complice haut placé dans les instances du Front populaire.
Le 18 septembre 1989, le Commandant Lingani, le Capitaine Henri Zongo, le Commandant Koundamba Sabyamba et l’adjudant Gnignin sont arrêtés et passés par les armes après des interrogations musculées. La thèse officielle évoquée est l’échec d’un coup d’Etat fomenté par l’aile militaro-fasciste du Front populaire. Le héros de cet échec est le Capitaine Gilbert Diendéré qui aurait reçu l’ordre d’immobiliser l’avion présidentiel en bout de piste et de bousiller le Président Compaoré au cas où il voudrait opposer une résistance à son arrestation. Le Commandant Koundamba aurait reçu et accepté en sa qualité de commandant du bataillon des transmissions, la mission de transmettre des messages aux différentes unités de l’Armée à travers le pays pour le compte du nouveau pouvoir. Curieusement, les civils n’ont pas été ciblés dans cette affaire militaro-militaire. On ne sait pas exactement quel rôle a joué Henri Zongo qui était même présent à l’aéroport pour accueillir le Chef de l’Etat. Pour toute preuve du complot, on a exhibé un bout de papier sur lequel sont griffonnées les instructions supposées du Commandant Lingani, écrites (toujours selon la version officielle) de sa propre main et un enregistrement à peine audible de l’interrogatoire censé contenir les aveux des conjurés.
Quatorze ans après, les faits demeurent énigmatiques.
On ne sait pas si la Commission présidée par le ministre d’Etat Ram Ouédraogo dans le cadre de la réconciliation nationale et qui avait entre autres pour rôle funeste d’indiquer les tombes aux familles des victimes de violence en politique s’est rendue à Kamboinsé pour confirmer que les corps des quatre militaires y avaient été bel et bien inhumés. On ne saura probablement jamais la vérité sur cette histoire que les historiens auront du mal à décrypter. Pour l’indemnisation des ayants droit, le gouvernement de la IVè république a fait valoir ce que les juristes appellent la règle d’Errecta : celui qui choisit d’être indemnisé ne pourra plus faire valoir son droit à intenter une poursuite pénale quelconque. Manifestement, nos dirigeants actuels sont hantés par l’hypothèse que la vérité sur ces exécutions sommaires comme sur bien d’autres, puisse éclater un jour.
On ne sait vraiment pas pourquoi ils ont procédé ainsi dans la mesure où même régi par les dispositions d’un régime d’exception , le Burkina Faso n’en demeurait pas moins astreint à l’observation des traités et accords internationaux auxquels il a souscrit dont la Déclaration universelle des droits de l’homme. Une fois neutralisés, les conjurés ont été présentés devant un tribunal compétent pour être jugés dans des conditions qui garantissent le respect des droits de l’accusé.
Comme "IB"
Le récent cas du Sergent-chef Ibrahim Coulibaly interpellé en France pour tentative de déstabilisation du régime ivoirien, nous édifie sur ce qui est la voie en de pareilles circonstances. L’ex-putschiste ivoirien qui a pu bénéficier de l’assistance d’un conseil, a retrouvé la Liberté le 17 septembre 2003, c’est-à-dire à la veille du triste anniversaire de l’exécution des Lingani, Zongo, Koudamba et Gnignin. Malgré le fait que les services secrets français aient saisi au domicile de Me Diomandé Mamadou ( l’acolyte de " IB " un projet de gouvernement dont le Sergent-chef serait le Président, la cour d’appel de Paris a estimé que les charges n’étaient pas suffisantes. Même le recrutement de légionnaires n’a pas été aux yeux des juges français une menace suffisante contre le pouvoir ivoirien dans la mesure où leur destination n’a pas été clairement établie.
En Afrique, les exécutions ont souvent une fonction pédagogique. Depuis l’affaire de ce fameux complot, plus personne n’a contesté la marche des choses véritablement au Burkina. Il a fallu que le pouvoir franchisse le rubicon un certain 13 décembre 1998 à Sapouy.
Michel Zoungrana
Norbert ZONGO
Journaliste Burkinabé Intègre
Mort dans des circonstances suspectes
Le 13/12/98 au BURKINA FASO