Nous continuons la publication des articles de Mohamed Maïga, journaliste d’Afrique Asie, proche de Thomas Sankara qui a publié de nombreux articles de décembre 1982 à décembre 1983, la période de préparation de la Révolution et les premiers mois de la Présidence de Thomas Sankara. Cet article intitulé Le décret de « M. Maurice » et publié le 11 avril 1983, parle d’un décret que le chef de l’Etat, Maurice Yaméogo, avait pris et publié en 1963 pour limiter ou redéfinir les pouvoirs et les prérogatives de la féodalité au sein de la République. Mohamed Maïga explique les difficultés d’application de ce décret dans un pays où les populations, surtout rurales, continuaient de ne jurer que par le « naba » (roi). Pour situer ces évènements dans l’histoire de la Haute Volta qui deviendra le Burkina, vous pouvez consulter la chronologie à https://www.thomassankara.net/chronologie/. Cet article a été retranscrit par Joagni PARE, membre de l’équipe du site. Vous trouverez l’ensemble des articles de Mohamed Maïga à l’adresse https://www.thomassankara.net/?s=Mohamed+Ma%C3%AFga

La rédaction 

 


 

LE DECRET DE « M. MAURICE » 

Par Mohamed Maïga

Tout commence en 1963. Le chef de l’Etat, Maurice Yaméogo, prend et fait publier un décret stipulant que « la chefferie coutumière » doit disparaître par extinction de ses représentants. En langage moins juridico-politique: un « naba » (roi) qui meurt n’est pas automatiquement remplacé par son héritier, direct ou légitime. Dans l’esprit de ce décret, tout Mogha étant éligible à la chefferie, il faut organiser un scrutin électoral, au niveau du village comme à celui du canton. Maurice Yaméogo (reformiste?) partait de l’idée que la République et la stricte féodalité ne pouvaient cohabiter sur le même territoire, partager un même pouvoir et avoir des prérogatives similaires ou ou égales. C’est pourquoi le décret « Monsieur Maurice » (comme on l’appelle à Koudougou, son fief) fait, par ailleurs, des chefs coutumiers « les intermédiaires entre l’administration et les administrés ». 

Maurice Yaméogo venait de s’attaquer à un gros morceau, à du granit. Du fait de son influence, le « naba » ne peut servir de simple « intermédiaire ». Le roi et la famille royale existent de volonté divine en pays mossi. Gardien de la spiritualité, il ne peut avoir le statut de simple porte-parole d’une administration qui a si peu de contacts avec ceux qui sont à la fois citoyens (de l’Etat) et sujets (du « naba »). De fait, le chef coutumier a conservé tous ses privilèges, malgré le « décret Maurice » : les sujets cultivent ses terres comme par le passé. S’y en ajoutent même quelques autres (du reste inventés par la colonisation): les ristournes perçues sur les impôts dont la collecte relève du monarque. 

Bien plus, le décret a eu peu d’effet sur la mentalité des ruraux qui continuent de ne jurer que par le « naba »: peu de Mossi ont eu suffisamment de sens de l’humour (ou d’audace) pour briguer le trône traditionnel. Les quelques rares gueux qui ont « osé » ont été tournés en ridicule par les leurs. La chefferie est restée dans le cercle de la famille royale, au sein de laquelle le « décret Maurice » a déchaîné d’âpres et inextricables querelles d’ambition, aussi ardues que les sombres intrigues de palais de Moyen Age européen. 

Ainsi, à K., importante bourgade du pays mossi, régnait un monarque des plus puissants, et fort apprécié de ses sujets pour sa sagesse et son sens de l’équité. Mais un jour, comme tous les humains, fussent-ils puissants, justes et en bonne santé, « naba » disparut, « appelé auprès des ancêtres ». Il laissait comme héritiers légitimes et potentiels un fils (que nous nommerons Na) et un frère cadet (appelons-le Ba, pour jaloux ne point faire). Le temps que l’administration politique mette en place les règles de l’élection d’un successeur, le doyen du conseil des Anciens  (composé de sept membres comme partout dans le Mogho — pays mossi), procédant à un véritable coup de force, intronisa purement et simplement le seigneur Na, selon les plus classiques méthodes ancestrales. Si l’administration, comme le reste du conseil des Anciens, accepta bien évidemment très mal le fait accompli, il va de soi que le prince Ba, lui, vit rouge. Quoi! Se faire ainsi coiffer par son neveu! « Par Kadiogo, je m’en vais leur apprendre à vivre, à Na et à l’Ancien des Anciens! » devait-il dire en s’emportant. Grand branle-bas à la préfecture. Aucun argument n’ébranla la détermination du vieux sage.

On dut, de guerre lasse, porter l’affaire à Ouagadougou, au ministère de l’Intérieur et au palais du roi des rois, le « moro naba » lui-même. Une importante délégation, toute de limousines et autres luxueuses berlines, se rendit K. Officiels et notables durent se rendre à l’évidence: impassible comme une statue, le patriarche ne changea pas d’avis le moins du monde. Il ajouta même une difficulté supplémentaire en remettant les fétiches royaux au nouveau monarque. Le point de non-retour était atteint. D’autant que là-bas, dans la capitale, le jeune seigneur avait de puissantes « influences », jusque au sein du gouvernement du général Sangoulé Lamizana… Il n’empêche : la loi étant… la loi, il fallut impérativement organiser la « bataille électorale » devant mettre aux prises Na et Ba. 

On réunit d’urgence le conseil des Sages (vote secret). Cinq sur les sept se prononcèrent en faveur du malheureux Ba, apparu comme la victime de la tyrannie d’un gérontocrate. Mais ce dernier resta intraitable. C’est alors qu’après moult interventions et pressions, il daigna fournir les raisons de son intransigeance. Alors, à K., on apprit que vingt ou trente années auparavant, le jeune Ba, fraîchement démobilisé de l’armée coloniale, s’était comporté comme le coq du village! La tradition, comme la rancune, est tenace. Ba, bien qu’assagi, ne présentait pas, aux yeux de l’Ancien, toutes les garanties de vertus morales qui interdisent au « naba » de lever le moindre regard sur les épouses et les filles de ses sujets. Mais voilà: l’écrasante majorité des sages (ignorants ou volontairement oublieux des frasques — passées du tirailleur) se mirent du côté de Ba.

Il fallut donc annuler l’intronisation en attendant le suffrage populaire. Mais comment « retirer les fétiches »? L’Ancien refusait catégoriquement et de diriger les cérémonies que lui seul pouvait mener et de revenir sur la parole donnée à Na. Ce fut donc l’impasse jusqu’à la prise du pouvoir par l’(ex)-colonel Saye Zerbo et son C.M.R.P.N. Certains dignitaires du nouveau régime prirent le parti de Ba. Par l’intermédiaire du palais de Ouagadougou, on fit savoir à Na qu’il avait tout intérêt à se démettre au profit de son oncle. Et que, pour l’y contraindre si nécessaire, l’administration enverrait gendarmes et policiers sortir, de force, du palais les fétiches sacrés et veiller au bon déroulement du scrutin. Cinglante réplique du « roi » : il exhuma d’antiques accords passés entre les ancêtres et qui — plus ou moins —  établissaient la non-intervention du « moro naba » dans les affaires intérieures du canton de K. Pour faire bonne mesure, Na, prêt à la guerre si besoin, envoya ses archers au-devant des gendarmes qui furent rappelés « pour éviter le pire ». L’affaire s’éternisa. Le préfet en perdit son poste. Na reste un roi non couronné et Ba s’est armé de… patience, une vertu cardinale en Afrique. Et dire que l’Ancien, mort entre-temps, lui reprochait justement de manquer de vertus…

Mohamed Maïga

Source : Afrique Asie N°293 du 11 avril 1983

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