Mariam Sankara, à propos des évènements tragiques du 15 octobre 87 «Thomas Sankara me disait que Blaise était manipulé…»

Publié le 12 mai 2015 sur www.courrierconfidentiel.net

Elle a quitté précipitamment le Burkina le 15 octobre 1987. Son époux, le Président Thomas Sankara, et 12 personnes qui étaient avec lui ce jour-là, ont été assassinés. Mariam Sankara n’a cessé, depuis trois décennies, de se battre pour que justice leur soit rendue. «Ils ont été fauchés par des assoiffés de pouvoir et d’argent», affirme-t-elle dans cette interview. Elle se souvient d’ailleurs du climat délétère qui a précédé le coup d’Etat: «Sankara évitait le sujet; il ne voulait pas m’effrayer, mais on sentait que tout n’était pas parfait entre les hauts dirigeants. Chaque fois que je revenais de la ville avec une information alarmante, il me rassurait en disant qu’ils réussiront à surmonter la situation». Mais le danger était imminent. Le Président avait déjà échappé «à cinq tentatives d’assassinat». Mariam Sankara en avait connaissance: «Des responsables de sa sécurité m’en ont parlé, mais ils avaient du mal à le lui faire accepter», confie-t-elle. Et ce n’est pas tout. Interview exclusive.

Courrier confidentiel : Vous êtes très attendue au Burkina ce 14 mai. Quel message particulier avez-vous à l’endroit du peuple burkinabè ?

Mariam Sankara : Je suis contente et fière de me retrouver avec le peuple burkinabè. C’est grâce à son courage et sa combativité que le régime dictatorial et antidémocratique de Compaoré a été balayé. Je peux donc rentrer chez moi. Je lui en serai éternellement reconnaissante.

Près de trois décennies d’exil et vous voilà de retour dans un Burkina débarrassé du présumé assassin de votre époux. Avez-vous le sentiment que justice sera enfin rendue dans l’affaire Thomas Sankara ?

Les autorités de la transition ont montré la volonté de rétablir le droit au Burkina. Un juge a été nommé à cet effet. Il a commencé à instruire le dossier. Je souhaite maintenant qu’on puisse aller jusqu’au bout.

Vous avez dû chercher à savoir ce qui s’est exactement passé le 15 octobre 1987. Selon les informations à votre disposition, comment s’est organisé l’assassinat ?

Je ne sais ce qui s’est exactement passé ce 15 octobre 1987, excepté que mon mari a été assassiné ce jour-là avec 12 autres personnes qui étaient soit en réunion avec lui ou assuraient sa sécurité. Je m’adresse justement à la Justice pour qu’elle élucide ce crime et que justice soit rendue à Thomas et toutes les personnes fauchées avec lui par des assoiffés de pouvoir et d’argent.

Thomas Sankara vous avait-il parlé du climat délétère qui a précédé les événements tragiques du 15-Octobre ?

Il évitait le sujet; il ne voulait pas m’effrayer mais on sentait que tout n’était pas parfait entre les hauts dirigeants. Chaque fois que je revenais de la ville avec une information alarmante, il me rassurait en disant qu’ils réussiront à surmonter la situation. Car pour lui, la révolution, l’intérêt du peuple était au-delà de tout. Il me disait que Blaise était manipulé par des déviationnistes de la révolution, mais qu’il finirait par s’en rendre compte. Il se démarquera d’eux et reviendra sur les voies de la révolution.

Se sentait-il particulièrement menacé ? Et voyait-il en Blaise Compaoré un danger ?

La réponse, il l’a donnée lui-même dans une interview que l’on peut voir dans le film documentaire «Thomas Sankara, l’homme intègre» de Robin SHUFFIELD où il dit : « Je me retrouve un peu comme un cycliste qui grimpe une pente raide et qui a, à gauche et à droite, deux précipices (…) Pour rester moi-même, pour me sentir moi-même, je suis obligé de continuer sur cette lancée». Voilà le climat qui prévalait à l’époque.

Dans son livre «Thomas Sankara et la Révolution au Burkina Faso – Une expérience de développement autocentré», Me Apollinaire Kyélem, avocat au Barreau du Burkina et directeur du Centre de recherches internationales et stratégiques (C.R.I.S), affirme que le Président Sankara a échappé à plus de cinq tentatives d’assassinat. En aviez-vous connaissance ?

Des responsables de sa sécurité m’en ont parlé, mais ils avaient du mal à le lui faire accepter; sans doute savait-il qu’il ne pouvait rien faire pour arrêter ce qui allait se passer. A certaines personnes comme Jean Ziegler, il a confié que «si Blaise veut m’éliminer, on ne pourra rien y faire».

Il y a dans le livre ce passage lourd de sens : «Avant le 15 octobre 1987, plusieurs tentatives d’assassinat de Sankara avaient été planifiées, puis reportées pour des raisons d’opportunité. L’une d’elles était prévue pour se dérouler pendant les cérémonies du 4 août 1987 à Bobo Dioulasso. Sous prétexte d’assurer la sécurité des manifestations, Blaise Compaoré y avait fait transporter beaucoup de soldats de Pô. Flairant un piège, Sankara fit suivre les hommes de Pô par ceux du Bataillon d’intervention aéroporté (B.I.A) de Koudougou du Capitaine Boukary Kaboré. La tentative échoua…». Quel commentaire cela vous inspire ?

Le procès va probablement nous fournir des éclairages sur ces événements.

Sankara était sans doute conscient de la menace d’un coup d’Etat. Mais il a affronté le danger la tête haute. Pourquoi, selon vous, n’a-t-il pas pris de dispositions adéquates pour sa propre sécurité alors qu’il avait la possibilité de «neutraliser» ceux qui tramaient son assassinat ?

Il pensait que la découverte des intentions de Blaise le conduirait à renoncer à ses projets. A la sortie d’une de leur réunion du CNR (Conseil National de la Révolution), il m’a confié qu’il craignait que Blaise se suicide parce que certains militaires ont dévoilé son manège.

Le juge militaire François Yaméogo est chargé de l’instruction du dossier. Quel appel avez-vous à lui lancer ?

Je souhaite qu’il mène cette affaire avec le plus grand sérieux pour découvrir les responsables de cet odieux crime et les sanctionner afin que pareille situation ne se produise plus au Burkina.

Les partisans de l’idéal sankariste seront en conclave les 16 et 17 mai. Cette convention qui permettra de désigner un candidat pour l’élection présidentielle du 11 octobre, est placée sous votre haut patronage. Quel déclic une telle rencontre peut-elle apporter à la nouvelle dynamique post-insurrection et à l’avenir du Burkina Faso ?

Les Sankaristes unis constituent une force sûre pour conquérir le pouvoir, un espoir pour tous ceux qui se réclament des idéaux du Président Sankara. Ils sont porteurs d’un projet de société qui va assurer le bien-être de tous les Burkinabè.

On a entendu dire que vous pourriez être, dans le cadre de cette convention, candidate à la présidentielle. Si c’est le cas, quelles pourraient être vos priorités pour le Burkina ?

Ce n’est pas le cas; je ne serai pas candidate.

Quelle analyse faites-vous de la nouvelle carte politique du Burkina ? La coalition des partis sankaristes peut-elle occuper, en octobre prochain, le gros fauteuil du palais de Kosyam ?

La candidature unique place les Sankaristes sur la voie de la victoire à l’élection présidentielle d’octobre 2015. Leur projet de société répond aux aspirations de toutes les composantes du peuple burkinabè.

Le nouveau code électoral rend inéligibles «toutes les personnes ayant soutenu un changement anticonstitutionnel qui porte atteinte au principe de l’alternance démocratique, notamment au principe de la limitation du nombre de mandats présidentiels, ayant conduit à une insurrection ou à toute autre forme de soulèvement». Cette disposition qui met à l’écart de la compétition électorale, les principaux leaders de l’ex-majorité, vous parait-elle normale ?

Les personnes qui ont soutenu la modification de la constitution voulaient, en réalité, la privatiser pour la mettre au service d’un individu : Blaise Compaoré. L’insurrection populaire a mis Blaise Compaoré hors d’état de nuire. Je pense que les députés et les ministres qui l’ont soutenu dans cette manœuvre doivent logiquement en tirer les conséquences. Il en va d’une valeur éthique qui est celle de l’honneur. L’exclusion de ces gens et non de leurs partis des prochaines élections est politiquement indispensable, et moralement et juridiquement fondé. En toute sincérité, je pense qu’ils ne sont plus moralement indiqués pour représenter les Burkinabè.

Mariam Sankara au Burkina le 14 mai. Participation à la convention sankariste les 16 et 17 mai. Audition par le juge d’instruction le 18 mai. Quelle est la suite de votre programme ?

Je verrai ma famille, mes amis, des connaissances… Cela fait tellement longtemps que j’attends ce moment.

Propos recueillis par Hervé D’AFRICK

Source : http://www.courrierconfidentiel.net/index.php/affaires-brulantes/986-mariam-sankara-a-propos-des-evenements-tragiques-du-15-octobre-87-thomas-sankara-me-disait-que-blaise-etait-manipule
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Mariam Sankara : “J’ai confiance dans la justice burkinabè maintenant”

publié sur http://www.jeuneafrique.com 13/05/2015 à 10:05 Par Rémi Carayol

Après 27 années d’exil, Mariam Sankara revient au Burkina Faso le 14 mai avec l’espoir que toute la lumière soit faite sur l’assassinat de son époux, en 1987. À la veille de ce retour historique, elle s’est confiée à “Jeune Afrique”. Interview.

À Ouagadougou, ce fut d’abord une rumeur, puis une information. C’est désormais un mot d’ordre : la veuve Sankara revient, rendez-vous jeudi 14 mai à 16 heures à l’aéroport pour l’accueillir. Plus de 27 ans après l’assassinat de son époux – le début, pour elle, d’un long exil -, Mariam Sankara est de retour au pays. Il ne s’agit pas d’une première : celle qui vit depuis plusieurs années à Montpellier, dans le sud de la France, avait déjà fait une réapparition en 2007, à l’occasion du vingtième anniversaire de la mort de Thomas Sankara. Mais ce voyage-là a une saveur particulière : il intervient dans un contexte où l’euphorie se mêle à l’appréhension, six mois après la chute de Blaise Compaoré, l’ancien frère d’armes et de cœur de “Thom Sank” soupçonné d’avoir ourdi son assassinat.

Lors de son court séjour, Mariam Sankara (62 ans) participera à la Convention des partis sankaristes, les 16 et 17 mai. Celle qui était discrète lorsque son mari dirigeait la révolution est aujourd’hui une figure de proue de cette famille politique éclatée. Le lendemain, 18 mai, elle sera auditionnée par le juge en charge de l’enquête sur l’assassinat de son époux – enquête récemment ouverte par le régime de transition après deux décennies de blocage.

Habituellement discrète, Mariam Sankara a répondu aux questions de Jeune Afrique trois jours avant de prendre l’avion pour Ouagadougou. Cet entretien a été réalisé par correspondance écrite.

Jeune Afrique : Vous vous rendez à Ouagadougou le 14 mai, huit ans après votre dernier séjour. Est-ce un retour définitif cette fois ?

Mariam Sankara : On peut dire cela, même si pour l’instant, c’est pour un bref séjour.

Rentrez-vous seule, ou avec vos deux enfants ?

Je rentre seule. Les enfants [qui vivent aux États-Unis, NDLR] rentreront quand ils seront prêts.

Que direz-vous au juge chargé d’enquêter sur l’assassinat de Thomas Sankara, lorsqu’il vous auditionnera, le 18 mai ?

C’est lui qui me convoque. Je ne sais pas encore ce qu’il va me demander. Dans tous les cas, je suis disposée à collaborer pleinement.

Avez-vous confiance dans la justice de votre pays désormais ? Croyez-vous que l’enquête aboutira enfin ?

Oui, j’ai confiance dans la justice de mon pays maintenant qu’il y a une volonté politique pour combattre l’impunité au Burkina. Je suis soulagée parce que l’instruction du dossier a enfin commencé, mais il faut rester vigilant. Il faut que l’enquête aboutisse. Ce n’est plus seulement une affaire de la famille Sankara. Le peuple burkinabè aussi demande que justice soit rendue au président Sankara. C’est aussi le vœu de nombre de personnes attachées aux droits de l’Homme.

Je saisis l’occasion pour remercier les ONG et les médias nationaux et internationaux qui, en relayant les informations, ont contribué à faire avancer le dossier Thomas Sankara et à perpétuer sa mémoire. Je remercie également le peuple burkinabè et toutes les personnes qui nous soutiennent dans notre combat. Enfin, je demande à toute personne qui détient des informations pouvant aider à l’avancement de l’enquête de bien vouloir nous les communiquer.

Savez-vous, ou du moins, croyez-vous savoir qui a tué votre mari ?

C’est ce que je cherche à savoir depuis son assassinat. Nombre d’analystes pensent que c’est une coalition, un complot international ourdi par tous ceux qui, à l’intérieur comme à l’extérieur, avaient intérêt à mettre fin à la révolution.

La tombe supposée de votre époux a été placée sous scellées, ainsi que celles de ses camarades tombés sous les balles le 15 octobre 1987. Lorsque le corps supposé de votre époux sera exhumé, serez-vous présente au cimetière ?

Je ne le souhaite pas. Si je peux m’en passer, ce serait mieux pour moi. Une telle exhumation est avant tout demandée pour les besoins de la justice, et pour que la famille et moi-même, mais aussi tous ceux qui viennent se recueillir devant cette tombe, soient assurés que le président Thomas Sankara repose bien là.

Doutez-vous que ce soit son corps qui se trouve dans cette tombe ?

Je ne peux qu’être dans le doute. Nous serons fixés après l’exhumation et les analyses d’ADN prises en charge par l’État burkinabè.

Vous avez dit un jour : “Je suis l’héritière d’un passé qui me dépasse”. Cet héritage est-il trop lourd à porter ?

Oui, il est très lourd. Mais heureusement, je ne le porte pas seule : il y a la famille et aussi tous ceux qui se réclament de l’idéal de Thomas Sankara.

Votre retour coïncide avec la Convention des partis sankaristes, qui se tiendra les 16 et 17 mai sous votre “haut patronage”. Qu’y délivrerez-vous comme message ?

Je vais les exhorter une fois de plus à rester unis autour d’un programme et d’un candidat unique capable de l’incarner.

Pourquoi les partis sankaristes sont-ils si divisés ?

En réalité, le sankarisme est une vision et un mode d’action politique qui ne devrait pas souffrir de contradiction. Parler de division lorsqu’on parle du sankarisme est un non-sens. La division dont on parle découle essentiellement des manœuvres du régime de Blaise Compaoré, qui a favorisé l’émergence de groupuscules fantoches qui sont restés sous sa coupe. Sous Compaoré, les partis sankaristes ont eu du mal à s’exprimer réellement car Sankara et ses idées faisaient ombrage à Blaise Compaoré.

Un travail a été savamment mené pendant toutes ces longues années pour diviser les sankaristes. Mais aujourd’hui, les sankaristes, toutes générations confondues, ont décidé de relever le défi de l’unité.

La parole et les idées de Thomas Sankara ont-elles encore une résonance dans le Burkina d’aujourd’hui ?

Oui, plus que jamais. Nous l’avons vu lors de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014. Les jeunes burkinabè, dont la majorité n’a pas connu la période révolutionnaire, se sont réclamés de Thomas Sankara. Thomas Sankara était un innovateur qui cherchait en permanence avec le peuple à remettre en cause l’ordre établi par les puissants pour redéfinir un autre ordre visant à protéger et à responsabiliser les plus faibles. Le message de Sankara pose comme préalable le recours aux valeurs éthiques, une modalité de transformation économique et la responsabilisation du citoyen vis-à-vis de la société et de l’environnement naturel. Cette vision replace Sankara au cœur des nécessaires mutations actuelles du Burkina en particulier, et de l’Afrique en général.

Qui, parmi les leaders sankaristes actuels, est digne de porter cet héritage ?

Je laisse à la convention qui se tiendra dans quelques jours le soin d’en décider. Je soutiendrai celui qui sera désigné.

Y compris lors de la prochaine élection présidentielle, prévue en octobre 2015 ?

Oui, le candidat désigné par la convention aura mon entier soutien. Je compte aussi participer à la campagne dans la mesure de mes possibilités.

Vous ne serez donc pas candidate ?

Non, je ne suis pas candidate.

Propos recueilli par Rémi Carayrol

Source : http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20150513090207/

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