Nous avons pu rencontrer Didier Awadi lors de son passage à Paris en mai 2010. Il venait de signer un important contrat et paraissait détendu. Nous nous sommes retrouvés dans un café proche de la place Clichy. Disponible il a pu consacrer un long moment à répondre à nos questions. D’où la longueur de l’interview. Comme à notre habitude, nous restranscrivons quasi intégralement les interviews, considérant qu’il appartient au lecteur de choisir ce qui lui semble important ou pas. Nous le remercions pour sa disponibilité.
Il est question ici de son itinéraire, du studio Sankara, de CD “Présidents d’Afrique” qui était sorti à Dakar, mais pas en France, le lancement étant prévu en octobre, de son engagement, des Artistes Unis pour le Rap Africain… Bref un long entretien qui nous l’espérons vous permettra de mieux connaitre Didier Awadi. B. J.
Q : Alors quelle sont les nouvelles ?
D. A. : La nouvelle c’est qu’on a travaillé 7 ans sur l’album « Présidents d’Afrique et que cet album va sortir. La bonne nouvelle c’est qu’on a trouvé un album pour distribué cet album ici et que ce label s’appelle IRIS COM qui distribue chez HARMONIA MOUNDI, donc on est assez contents.
Q : On va parler de ton itinéraire, de ce que représenté Thomas Sankara, du studio de Dakar, de ton engagement, etc.… Mais pour commencer, comment es-tu tombé dans la musique;
D. A. : En fait mon père faisait de l’orgue à maison, il jouait dans les églises, donc on a toujours été baigné dans ça. On s’amusait à chanter. Ca c’est du côté de mon père. Du côté de ma mère il y a des artistes dans la famille. Ma mère est Evora du Cap Vert, Cesaria Evora est une cousine à elle.
Q : Awadi, c’est ton vrai nom ? C’est de quelle origine ?
D. A.: C’est mon vrai nom. C’est un nom béninois. Mon père était béninois. Je n’ai pas eu l’opportunité de choisir. Donc apparemment des côtés il y avait de la musique qui trainait.
Didier Awadi au concert organisé pour la commémoration des 20 ans de l’assassinat de Thomas Sankara à Ouagadougou. Photo Bruno Jaffré
Q : Et le passage au rap ?
D. A. : Donc à l’école on faisait déjà de la musique, on faisait du slam. Et la musique pour accompagner tout ça c’était le rap. Au début on singeait les américains, surtout pour plaire aux filles du quartier. On récitait des textes en charabia mais on disait que c’était de l’anglais. De ça on est arrivé au wolof. A ce moment les gens ont commencé à nous comprendre. Et quand on a commencé à parler de leur vécu quotidien ils ont commencé à adhérer au mouvement. Et on est arrivé au rap.
Q : Tu peux nous raconter ta rencontre avec Doug E Tee. Vous êtes d’abord en compétition parce que vous êtes de quartier différents puis vous décidez de vous mettre en semble.
D. A. : Nous dans notre cas on était obligé parce qu’on démarrait le rap et bon on était en train de se faire une petite gué guerre qui n’avait aucun sens. C’est pas qu’on se détestait mais c’est comme dans le rap, avec nos égos sur-dimensionnés, chacun voulait montrer à l’autre que c’était le meilleur. Et de l’autre côté on se rendait compte qu’on avait aucune chance de survie, moi seul dans mon coin, lui seul dans son coin. Parce que personne ne respectait ce que nous faisions.
Q : Etle décollage ? Vous vous êtes mis aussi ensemble pour une question d’ambition ? Vous aviez envie de dépasser , de faire autre chose que de vous faire plaisir entrer copains mais vous avez de l’ambition ? Vous aviez envie de développer et un message et une carrière ?
D. A. : Déjà quand on s’est mis ensemble c’est parce qu’on a vu qu’on disait les mêmes choses, qu’on avait les même références, Cheikh Anta Diop, les Sankara, les Amadou Ampathé Ba, c’était un peu ça nos références à nous deux et même quand on a décidé de faire le nom du groupe c’était Real Black Soul, Positive Black Soul… , Real Soul, Positive Soul.. On a choisi Positive Black Soul. On avait déjà un projet idéologique on n’avait pas envie que ça reste dans notre coin. Mais bon c’est vrai que quand on a décidé de faire le groupe, il n’y avait pas plus d’ambition que ça, c’était plutôt une quête de respect.
Q : Et votre conscience politique, elle vient d’où ?
D. A. : La conscience politique elle vient donc justement de ces gens dont on était fan.
Q : On vous a enseigné ça à l’école ?
D. A. : Non pas du tout, Cheikh Anta Diop, Sankara, on ne nous les a pas enseignés. Malcom X nous a beaucoup influencé aussi. Non on était juste intéressé par certains de nos héros. Bon on était fan aussi de Public Ennemy, Care Es One , on a voulu faire comme eux, mais à la sénégalaise à l’africaine. Nous aussi nous avions nos repères, on s’est rendus compte que ça ne servait à rien de singer l’Amérique ou le français, mais quand on venait avec nos différences, on attirait l’attention, et on se sentait mieux dans sa peau.
Q : Tes parents étaient politisés ?
D. A. : Non mes parents sont enseignants tous les deux, père et mère.
Q : Parce qu’il y a le fait d’être intéressé par la politique et d‘avoir une culture politique. C’est pas la même chose.
D. A. : Non je ne viens pas d’une culture politique, mes parents non plus, eux ce sont des enseignants sages.
Didier Awadi au concert organisé pour la commémoration des 20 ans de l’assassinat de Thomas Sankara à Ouagadougou. Photo Bruno Jaffré;
Q : Il y a des engagements qui ne sont pas des engagements légers. Il y a une vraie culture politique.
D. A. : Je sais pas, je pense que c’est à l’école, Il y avait beaucoup grèves vers 88, 89, chez nous. C’était la période de Diouf. Il y avait beaucoup de problèmes déjà dans les écoles, on était tout le temps en grève. La politique aussi, il y avait plein de problèmes entre 92 et 93, il y avait beaucoup de problèmes. C’est cette période qui nous a forgé une conscience politique;
Q : Vous avez accès à des livres, des journaux ? Vous avez beaucoup lu ?
D. A. : Tout. Beaucoup de lectures, les Amadou Ampathé Ba , Cheikh Anta, les camerounais, les ivoiriens, les Oyono,
Q : Ca se sont des romanciers, mes des textes politiques ?
D. A. : Non pas vraiment. C’était plutôt écouter des discours, par exemple le message The Grass Roots de Malcom X en ça nous a beaucoup touchés. Moi c’est plutôt l’audio, d’où ce projet en droite ligne de tout ça? C’est par l’audio que l’on a été convaincu. Quand tu as écouté Malcom X, tu peux pas… et puis il y a le film qui est venu conforter ce qu’on pensait. Tu ne peux qu’adhérer;
Q : Il y a eu un décollage un moment et je vois dans la bio en 2003 un disque qui n’est pas sorti ; il s’appelle Nigth and Day alors qu’il devait sortir avec des majors.
D. A. : En fait c’est en 98 qu’il y a un album qui devait sortir, New York Paris Dakar. C’est un album qu’on avait enregistré entre New York Paris et Dakar. On avait vraiment envie d’avoir ces 3 couleurs. Les masters ont été faits à Paris et à Dakar.
Q : Vous n’étiez déjà plus des débutants.
D. A. : Non Non non, c’est en 94 que ça a décollé. C’est un peu grâce a MC Solar que ça a décollé ?
Q : Vous avez toujours des contacts avec lui ?
D. A. : Moins fréquents mais oui. Donc en 94…
Q : MC Solar il est un peu particulier dans le rap. C’est un rappeur intellectuel.
D. A. : Ouais ouais… Notre proximité a peut-être fait qu’on était obligé de soigner les textes. Mais c’est vrai qu’il nous a beaucoup aidés, beaucoup introduits dans les bons milieux et ça a accéléré la carrière de Positive Black Soul. Et donc 94, l’album sort dans une major anglaise, la label de Marley Island qui nous découvre à Dakar et voilà, à partir de là ça nous a propulsés.
Q : C’est celui de 1998, qui n’était pas sorti et qui est sorti en 2003.
D. A. : Il est sorti en 2003, alors qu’il étai prêt fin 97. Il devait sorti pour 1998. Il est pas sorti parce que Chris Black Well avant vendu Island et tous les derniers projets ont été gelés. Impossible pour nous de retire l’album alors qu’il était prêt. Ca nous a beaucoup bloqués.
Q : Après cette époque, on a l’impression qu’il y a un retour au Sénégal, avec l’album « un autre monde est possible ». Vous replongez dans votre pays, dans l’Afrique ?
D. A. : Il y a d’abord un album qui s’appelle « paroles d’honneur » pour le pays. Cet album a eu beaucoup, d’impact, il est sorti uniquement au Sénégal. C’était mon premier album solo parce que non avait fait une quinzaine d’années avec positive black soul. ON avait vraiment envie de faire des projets solo. Donc bon accueil. C’est là que je me suis inscrit au concours de RFI. Et la on gagne ce concours et c’est là qu’on commence à enregistrer l’album « un autre monde est possible » qui sort maintenant à l’international et qu’il m’offre et un autre hall d’exposition.
Didier Awadi reconnu par des fans après l’interview. Photo Bruno Jaffré
Q : « un autre monde est possible » c’est le mot d’ordre des altermondialistes.
D. A. : C’est clair. Parce qu’entre temps j’ai connu beaucoup d’altermondialistes. Des gens comme Aminata Traoré m’ont amené au forum social africain altermondialiste à Addis Abeba, ensuite à Bamako, au forum social sénégalais, je commence à rencontrer beaucoup d’altermondialistes et je pense que ça m’a beaucoup aidé dans la maitrise de certains enjeux mondiaux. De rencontrer des gens comme Aminata qui nous donnent des clés de compréhension de ce que nous on essayait de dire sans arriver à déchiffrer le pourquoi et le comment. Donc c’est au contact de ce milieu, Je suis parti deux fois à Porto Allegre, ça nous a beaucoup ouvert l’esprit.
Q : C’était un label indépendant le studio existait déjà ?
D. A. : Le studio existait déjà depuis 2001. Très tôt on s’est dit, à Positive Black Soul, le gros rêve ce serait de pouvoir enregistrer à Dakar. Il était important pour nous de pouvoir enregistrer au pays sans… amener la technologie chez nous, c’est à dire prendre des ingénieurs du son avec qui les majors nous permettaient de travailler, leur dire venez on va faire les maquettes à Dakar. Ils viennent et on leur disait il faut former les gars. Parce qu’on pouvait se payer du matériel mais on avait besoin de formation. Et pouvoir faire des maquettes à la maison, enregistrer à la maison, c’était des économies dans le budget, car venir enregistrer en France ça coute cher, aux Etats-Unis encore plus cher, en Angleterre c’est très cher. Enregistrer à la maison, c’était ça la solution. Et surtout transférer la technologie et les connaissances chez nos gars aussi. Pur nous ça c’était important, c’était le rêve et les tournées nous ont permis d’acheter un ordinateur par ci, un logiciel par ci, une boite à rythme par là, un clavier par là jusqu’à …
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Q : Pas de subvention ?
D. A. : Non. Quand on a fait ça non. Après il y a des gens qui nous ont aidé il y a eu des subventions, mais le studio est parti vraiment de nos propres économies.
Q : Et Youssou N’Dour avait déjà créé le sien ?
D. A. : Si Youssou N’Dour avec déjà son studio, mais il n’avait pas la connaissance de … la musique hip hop est assez particulière, avec les samplers, les machins… ça demande une technique différente.
Q. : Ca demande un studio différent du sien ?
D. A. : Non c’est pas différent du sien mais c’est des techniques de travail différentes.
Q : Le studio est créé en 2001, avec cette volonté la. Je lis dans votre biographie vous êtes devenu vraiment un chef d’entreprise, on va employer le mot entrepreneur sans le sens positif du terme. Le lis dans votre biographie « producteur artistique, animateur radio et télé, patron d’un studio et d’un label, ainsi que de sociétés de sonorisation et de sécurité .. »donc c’est vraiment on veut tout contrôler.
D. A. : Il fallait qu’on contrôle notre businesse du débat à la fin parce que il n’y a que comme ça que tu peux être libre. Si tu ne contrôles pas les moyens de production c’est pas là peine. Comment ça s’est passé pour la boite de sécurité ? On avait des gars qui étaient dans la rue , des balèzes et qui faisaient chaque fois nos concerts. Donc c’est là que tout le monde les a repérés et les autres artistes chaque fois qu’ils avaient des évènements importants ils nous demandaient « est-ce que vos gars sont disponibles ». A la limite « on s’est dit bon écoutez, les mecs il faut qu’ils se fassent de l’argent ». On a créé la boite de sécurité parce qu’il y avait une demande. Et puis après ça a pris de l’ampleur et plus la demande, plus les gars deviennent sérieux, plus il y a de la demande. Et puis La boite de sonorisation c’était la même chose. On était obligé de louer chaque fois très cher, donc on s’est dit on va acheter du bois, on va faire nos caisses, on a regardé les schémas qui existent sur internet on va fabriquer nos caisses, et on les a fabriqués nous-mêmes il faut un planche de bois épaisse comme ça, o, prend la planche de bois. Il faut tel composant on achète les composants, et puis on a monté. Il y avait des gars qui avaient l’expertise. C’est comme ça qu’on a fait.
Q : Il y a des musiciens qui dépensent leur argent n’importe comment mais vous dès que vous en avez eu un peu c’était de l’investissement.
D. A. : C’était de l’investissement on continue dans la logique
Q : J’ai vu un mémoire sur votre studio sur internet il y a marqué que vous êtes toujours à l’affut du dernier cri de matériel et vous êtes toujours en train de l’acheter. Ma question c’est est ce que c’est un positionnement d’entreprise on veut avoir le maximum de client et il faut vraiment qu’on soit au top ou bien c’est le gout des meilleurs techniques des nouveautés parce qu’il y a aussi des gens qui préfèrent les anciens matériels. Alors ce choix, c’est un choix d’entreprise, un choix artistique ou tout en même temps.
D. A. : Je pense c’est un tout. Il y a tellement de techniques il y a tellement d’équipements qui sont vite obsolètes. Si tu veux continuer à être efficace, si tu prends certains logiciels ils sont vite obsolètes, certaines techniques de travail sont obsolètes et si tu vas dans tous les studios du monde on te diras non ça c’est obsolète on travaille plus comme ça on ne sait pas quoi faire avec ce que tu as amené on va pas travailler avec du a8 alors que les gens sont en HD.
Q : Et l’équipe du studio il y a combien de personnes. C’est toi qui les as choisis ? Ils étaient formés ou c’est toi qui les as formés ?
D. A. : Vraiment c’est une trentaine. La plupart étaient formés ici, chez nous à Dakar parce quand on vient… nous c’est d’abord un esprit. Quant tu adhères à Sankara, c’est que tu adhères à l’esprit de travail. Quand tu viendras tu comprendras pas. Parce que si tu viens de loin tu ne sais pas qui est le chef. Chacun dans son domaine, sait ce qu’il a à faire, prend ses responsabilités et les assume. Un certain comportement une certain rigueur à avoir. Donc c’est un esprit quoi
Q : Le mémoire dit que les gens qui travaillent avec toi sont très engagés mais en même temps ils sont tellement tes copains qu’il y en a beaucoup qui arrivent retard.
D. A. : C’est vrai. Malheureusement c’est vrai. Pour l’instant ça n’a pas trop d’incidence parce que ces retards ça m’énerve, c’est ma grosse bataille mais en même temps comme il dit il y a beaucoup de des gens qui sont tellement engagés que quand il y a le feu, tu les vois tous motivés. Et ils mouillent vraiment leurs maillots… et ils te surprennent. Le niveau de mouillage de maillot ça te surprend toujours en bien.
Q : Même maintenant, je pense qu’il y a un mouvement de personnel C’est toujours toi qui les choisis ?
D. A. : Non Il y a aussi mon épouse avec qui je travaille et puis mon numéro 2, Moustapha Bah. Nous avons fait le bas ensemble. On a galéré ensemble. Donc le directeur adjoint et la directrice mais je supervise toujours.
Q : Le choix de s’appeler Sankara n’est pas anodin …
D. A. : Non non non. Justement c’est par rapport à l’esprit. Je voulais venir avec un esprit une philosophie et je veux que le gens qui viennent chez nous tu sais pourquoi tu viens là.
Q : Alors Il vient pour quoi ?
D. A. : Parce qu’il y a une rigueur du sérieux et qu’on essayera de garantir un résultat. ON partira de techniques locales mais qui peuvent s’appliquer à n’importe qui à n’importe quoi à un plan plus large. C’est-à-dire aujourd’hui, c’est bizarre, mais beaucoup de multinationales quand elles veulent du sérieux, elles viennent chez nous. Parce que c’est un label de sérieux bien que nos gars ont l’air machin. Mais quand on va sur le terrain pour travailler tu as une garantie de résultat.
Q : Donc c’est plus la rigueur dans le travail de Sankara que ses opinions politiques.
D. A. : Ouais. Les options politiques sont toujours là quelque part mais c’est surtout la rigueur.
Q : Par exemple est-ce que dans le studio, il y a des photos de Sankara.
D. A. : Ah y a plein. Il y a que ça. Il y a que ça. Et puis il y a toute une galerie révolutionnaire. Ils appellent ça la galerie révolutionnaire. Quand tu rentres c’est Thomas Sankara avec sa guitare mais après tu vois tout le monde de Franz Fanon à…. Tout le monde ! Il y a au moins une trentaine de tableaux qu’on a ramenés de Ouaga et d’autres qu’on a pris à Dakar.
Q : J’ai vu que toi-même tu vas même jusqu’à te montrer dans des publicités. Par exemple j’ai vu une publicité pour le lait.
D. A. : Oui j’ai pas de problème pour ça. Parce que quand il faut trouver le budget pour nourrir les gars, pour payer les salaires, il faut bien que je me mouille.
Q : Ca veut dire que tu as aucun complexe à dire je procède comme ça, je m’en fous, du moment que je peux faire ce que je veux.
D. A. : Non mais je veux pas prendre n’importe quelle société. Je ne peux pas dire que je peux pas travailler avec ces gens. Mais je prendrai pas n’importe quelle société. J’ai pas de problème pour ça.
Q : J’ai vu des publicités, J’ai vu donc qu’il y a un choix de travailler pour travailler avec les multinationales, y compris pour la campagne publicitaire. Par rapport aux options politiques, ce n’est pas un problème. J’ai vu qu’il y avait Nescafé…
D. A. : Non. Non. Je peux pas. Il y a beaucoup de grosses majors et je ne peux pas dire que je veux pas travaille avec ces gens.; Je n’en ai pas les moyens. Derrière moi il y a de gens, si je fais pas, ils ne vivent pas. Ils vivent de ça et puis comme on est ….Tout le monde a l’œil sur nous. Je suis obligé de faire vivre mes gars. Malheureusement je peux pas encore dire je snobe les publicitaires. Au contraire je suis obligé encore de consolider certains acquis. Et j’ai pas honte de le dire qu’on a pris de l’argent chez ces gens pour investir dans nos projets à nous. Beaucoup de gens ont trouvé ça bizarre mais moi ça ne me absolument gène pas parce que je sais que si je fais pas ça, beaucoup ne vivront pas
Q : Dans quelle mesure vous aidez les artistes ? Par exemple quelqu‘un qui vient qui dit mol je veux enregistrer chez toi, il a une maquette il en a pas. Qu’est ce qu’il doit faire ?
D. A. : En fait il y a beaucoup de gens d’abord qui arrivent. De l’Afrique il y en a qui viennent de partout par la route. Par exemple les Yala ils sont arrivés par la route. Un autre tchadien qui s’appelle Bassosso il est arrivé par la route. Le groupe NKaidan Gaskiae du Niger, ils sont arrivés par la route du Niger la première fois. Aujourd’hui c’est les premiers au Niger. Ils ont la même structure que nous. Ils sont venus Aujourd’hui c’est des patrons d’entreprise, studio audio, vidéo, événementiel. Et ça me fait trop plaisir de voir que ces gars arrivent à s’en sortir en utilisant les mêmes techniques. Ils font aussi de la pub ils font de l’évènementiel, ils arrivent à créer une richesse et ils réinvestissent cette richesse dans .. chez des artistes. On a travaillé sur des congolais comme Freddy Massamba
Q : Comme ça se passe l’accord avec eux, parce que il y en a qui n’ont pas d’argent. En plus il faut avoir du temps.
D. A. : Il y a en qui viennent sans argent il y en a qui viennent avec de très petit budget et qui se disent ça va marcher. C’était assez fatiguant parce qu’ils ne se rendent pas compte qu’il n’y a pas que moi dans la société. Bon je suis obligé de faire.. beaucoup de projets sont des projets sociaux quoi , on va appeler ça comme ça, de l’action sociale mais bon on est obligé de le faire car quand tu vois que le mec il a compté son pays et qu’il ne compte que sur toi , tu es obligé de faire quelque chose. Mais moi J’essaye de leur dire quand même comprenez que il faut.. même si vous donnez un minimum il faut le donner pour que l’entreprise puisse continuer d’exister.
Q : Tu peux aussi faire comme si c’était un emprunt, ca ma va me couter si je perds mais si vous gagnez vous rembourser..
R : Non non non. Je préfère que si je dis que je donne un coup de main, je donne un coup de main mais je signe pas de contrat.
Q : Il y a en a que tu refuses aussi ?
D. A. : Oui je peux pas accepter tout le monde car quand le studio est plein il est plein. Le critère c’est la d’abord le talent. Pas forcément enregistré mais quand on les écoute on sent qu’il y a quelque chose. On a aidé une sœur de Côté d’Ivoire Prisca parce que on était sur qu’il y avait du talent. On a aidé des guinéens comme Faduba qui étaient. On sait que si tu l’aides pas avec ce qu’il dit avec la qualité de ces textes on sait que si tu l’aides pas ca va jamais sortir dans son pays. Et donc tu aides aussi des gars comme ça qui à cause d’un discours radical ne pourront jamais être boostés dans leurs pays. C’est des coups de cœur. Quelque fois tu vois des gars qui ont des plumes, qui ont un engagement tellement fort que tu es obligé de le faire,
Q : Et les petits qui viennent te dire : « Awadi, ma mère est malade », les petits copains.
D. A. : Bon tu fais ce que tu peux faire quand tu peux le faire quand tu peux pas essaye d’être franc même si ça fait mais c’est un devoir de le faire donc essaye de le faire quand tu peux.. mais on le fait quand même avec une certaine discrétion il y a pas besoin de…
Q : Il y a beaucoup de studio en ce moment à Dakar ? Vous êtes en concurrence. Par exemple j’imagine que les plus gros c’est le tien et celui de Youssou ? Vous avez des rapports corrects indépendamment des questions politiques?
D. A. : Non il y en a d’autres. On a des rapports corrects, c’est le grand frère, je suis le petit frère. Il y a beaucoup d’autres gros studios, certains beaucoup plus gros que le notre. Mais la chance qu’on a c’est que les gens viennent chez nous par rapport à notre esprit ? On est pas les plus gros mais les gens viennent chez nous, je peux pas expliquer. IL y en a qui viennent par ce qu’on a un endroit assez sympa, il y en a qui viennent pour rester là, trainer là aussi pour discuter pour refaire le monde. rires…
Q : Vous commencez à représenter un exemple pour la jeunesse. C’est une réussite non seulement musicale mais aussi sociale. T’es pas un fils à papa donc aux jeunes qui t’admirent tu leur dis quoi ?
D. A. : De croire en eux-mêmes. Il faut croire en soi-même. Et essaye de trouver les solutions à ses problèmes avec ce qu’on a autour de soi. Si tu veux résumer voilà. Croire en soi et être convaincu que les solutions sont toujours beaucoup plus prêt qu’on ne le croit. Les solutions à nos problèmes sont souvent à portée de main. Il suffit de bien regarder et de savoir transformer ce qui est autour de nous . Je donne souvent le cas du studio. Tout ce qui est menuiserie dans le studio on l’a fait nous-mêmes, avec nos mains. Quand il a fallu acheter des tablettes 2 pour insonoriser, on est allé nous-mêmes aller acheter les tablettes 2, il y a plein d’insectes qui nous ont piqués dans les poulaillers là-bas mais on est aujourd’hui fiers de voir ça. Quand il fallait peindre, on s’y est touts mis et c’est ça qui fait qu’on est fier aujourd’hui de la moindre petite pièce qu’on a dans le studio.
Q : Vous êtes gravement affectés par la piraterie et pourtant vous savez que votre public, en tout cas au Sénégal, a peu de moyens pour acheter de la musique. Comment vous vivez ça ?
D. A. : Non je pense que mon public peut se payer un CD à 1000 ou 2000 FCFA, pas tout le monde mais le gros du public si. Mais il ya pas de politique pour nous protéger. Le rôle régalien de l’Etat, l’Etat ne le joue pas. Tout le monde en souffre, Awadi en souffre, Youssou N’Dour en souffre.
Q : Et qu’est ce que vous pensez des lois qui ont été votés en France qui interdisent le téléchargement ?
D. A. : Au Sénégal aussi on a de super lois. Il y a tout ce qu’il faut mais les décrets d’application ne sont pas signés. Donc on attend.
Q : Mais est-ce que votre modèle économique qui consiste à avoir une entreprise multifonction, est-ce que ça vous protège un peu contre ça ou pas ?
D. A. : Ca nous protège pas mais ça permet juste qu’on arrive juste à vivre sans vendre de CD.
Q : Et quand vous faites de concerts, ça rapporte des concerts ?
D. A. : Ouais c’est ça qui rapporte, c’est ça qui nous fait vivre. Surtout les concerts à l’extérieur parce que je ne peux pas pratiquer certains tarifs au Sénégal.
Q : Là vous allez organiser une tournée pour « présidents d’Afrique ». Vous signez des accords avec des tourneurs en France ?
D. A. : On a des tourneurs en France et dans d’autres pays. Mais autant que faire se peut, les contrats sont signés avec la boite sénégalaise. C’est mieux que d’être sous un régime français, laisser tous nos impôts ici, alors qu’on paye nos impôts là-bas.
Q : Il y a donc un système qui fait que c’est eux qui vous font tourner ici mais c’est notre entreprise qui signe avec eux. Et ça, ça a été difficile à obtenir ?
D. A. : Oui c’est assez difficile à obtenir parce que souvent ils veulent que ça reste là parce que là ils peuvent profiter de certains avantages de certaines subventions.
Q : C’est toi directement qui t’occupe de ça ?
D. A. : Oui ça c’est beaucoup plus moi parce que je connais un pue plus que le reste au bureau. C’est fatiguant, mais c’est passionnant. Si tu ne contrôles pas tes affaires tu ne vas par survivre.
Q : Vous êtes aussi à l’initiative de AURA, Artistes Unis pour la Rap Africain.
D. A. : C’était un vieux rêve que j’avais de réunir beaucoup de rappeurs et qu’on fasse un projet social. Donc je travaille avec Plan international pour la défense des droits de l’enfant. Et un moment il y eu un de leurs directeurs qui m’a dit « c’est quoi ton rêve le plus fou », « mon rêve le plus fou ? », « oui vas y dis moi on délire ». Il m’a dit, pour les droits de l’enfant qu’est ce que tu crois qu’on pourrait faire. Je lui ai dit on prend les gars les plus engagés de toute l’Afrique, on fait un super album ensemble, on fait des tournées ensemble, on fait un spectacle multimédia ensemble, On montre qu’on peut faire des choses ensemble, ce sera notre réponse par rapport au panafricanisme : est-ce que c’est possible qu’on puisse travailler ensemble la main dans la main sans s’autodétruire ? Il me dit mais comment ? Tu peux appeler les gars et commencer ça ? Je lui ai dit oui. Il me dit bon, chiche, bon appelle tes gars, on les met au Novotel pendant 3 jours et vous sortez le projet. Donc j’ai appelé les Smockey du Burkina, quelques uns de la Guinée.
Q : Smockey tu l’as rencontré comment ?
D. A. : Smockey je l’ai rencontré dans un festival au Bénin, il y a 6 ou 7 ans, et il a joué juste avant moi. J’avais beaucoup aimé ce qu’li avait fait et moi juste après je faisais un festival au Sénégal. Donc je me suis dit, le gars que j’ai vu au Bénin, j’aime bien son esprit, je vais l’inviter. Voilà. Il est arrivé et depuis lors on est devenu frère quoi, il n’y a pas d’autre mot.
Q : Bon continue l’histoire de AURA, vous êtes enfermés au Novotel ;
D. A. : Oui, c’est comme ça qu’on a commencé à délirer et on a sorti cette idée des AURA, faire un CD mais qui est plus un film radiophonique. Au lieu de dire, ouais c’est pas bien de les enfants. On s’est bon chacun va jouer un rôle. On est 17, artistes de 10 pays et on a tous brainstormer. On s’est dit on va raconter des histoires de gosses qui vivent dans un marché et qui ont chacun une histoire extraordinaire. Il y a une petite fille qui vit avec nous dans le marché. On appelait ce marché Poto poto, parce que poto poto ça veut dire la boue. C’est une petite prostituée qu’on exploite. L’autre c’est un enfant battu qui fuit et qui vient se réfugier au marché. Moi je suis un enfant soldat qui vient se réfugier dans un marché d’Afrique, comme on en voit beaucoup trainer en Afrique. Et donc on a créé ce concept, chacun a apporté ses idées, c’était vraiment au délire et on appelé ça les histoires extraordinaires des enfants du Poto poto. Et c’est vrai qu’on a eu la chance avec Plan de rencontrer des enfants qui vivaient de situations dramatiques, et des enfants travailleurs. Et ils nous ont raconté chacun un peu leurs vies, les drames qu’ils avaient vécu et comment aujourd’hui, ils s’en sortent avec la tête haute. Donc ça nous a beaucoup inspiré aussi dans l’écriture. Moi j’avais rencontré un enfant soldat, un rappeur, un collègue soudanais, qui m’avait raconté sa vie.Ca m’avait beaucoup impressionnée, donc j’ai décidé de prendre cet habit de jouer le rôle de cet enfant soldat. Et j’ai commencé à lire « Allah n’est pas obligé d’Amadou Kourouma. J’avais envie de me mettre dans la peau d’un enfant soldat parce que car je trouve que c’est horrible. Voilà, chacun a trouvé son rôle comme ça et on a pu faire cet album à 17 entre Dakar et Ouaga, enregistrer, faire de belles tournées et montrer travailler ensemble, qu’on pouvait défendre les droits de l’enfant ensemble. C’était en 2007.
Q : L’avenir c’est quoi, quels sont les axes de développement du studio ? L’avenir du studio Sankara c’est quoi ?
D. A. : On va beaucoup investir sur la vidéo. Moi personnellement le cinéma m’intéresse de plus en plus. Beaucoup de vidéo et de l’événementiel, des festivals…. On crée aussi des concours de musique.
Q : Bon parlons du nouveau album « Présidents d’Afrique », comment est-ce venue ?
D. A. : J’avais commencé bien avant artiste unis. C’est peut-être parce que j’avais commencé qu’artistes unis s’est fait facilement. Parce que j’avais déjà la technique. On avait un morceau en 1995, dans l’album Salaam, mon premier album, qui s’appelait « Présidents d’Afrique », un morceau où on avait la voix de Mandela, son premier discours élu. Parce que le monsieur avec qui on travaillait chez Island était sud africain, Jambo, et il avait trouvé les speechs de Mandela qu’on avait mis dans un morceau et le morceau s’appelait « Présidents d’Afrique ». Et donc ça trainait dans ma tête jusqu’au moment où j’ai eu un CD de RFI qui s’appelait « Afrique une histoire sonore » où il y avait beaucoup de discours prononcés le 25 mai 1963 à Addis Abeba pour la création de l’OUA.
C’est en écoutant ces grandes voix que je me suis dit il faut que je fasse quelque chose avec . Donc j’ai commencé à fait un morceau avec la voix de Kwamé N’Krumah. J’ai fait un featuring avec Kwamé N’Krumah, donc pour mon ego c’était fantastique. J’ai fait un featuring avec N’Kwamé N’Krumah, tu te rends compte ! J’ai fait écouter à une amie qui est là, qui travaille à Culture France qui s’appelle Valérie… Elle m’a dit mais ton truc c’est terrible, c’est ça qu’il faut quoi ! Elle m’a dit mais tu veux faire quoi ? Je lui ai dit je veux faire un album avec plein de gars mais chaque fois que je vais dans un pays. Donc au délire. Elle me dit je ne peux soutenir ça, mais si jamais tu dois faire ta tournée Awadi, je peux t’aider à faire la tournée mais après pour le reste, pour les enregistrements tu te démerdes.
Et donc je suis parti avec mon studio mobile. On a fait une tournée dans une quarantaine de pays africains J’avais mon studio mobile ? J’allais vers les artistes, j’allais vers les proches des anciens présidents que j’admirais dans les pays où j’allais, essayer de chercher des discours audio, des vidéos ou comprendre… par exemple quand je suis allé au Mozambique, il fallait que je cherche un discours de Samora Machel, et voir est-ce que les gens adhèrent à Samora Machel réellement car quelque fois de loin on est fan mais quand tu viens tu te rends compte que ça n’a rien à voir. Donc faire des petites recherches sur le champ, enregistrer dans les chambres d’hôtel mais en même temps on a fait un truc magnifique et c’est comme ça qu’on a enregistré « Présidents d’Afrique ».
Q : Combien de morceaux ?
D. A. : Il y en a 30 mais au final on va en garder 21. Les autres je les garde car si je garde les 30 c’est trop long et j’ai peur de lasser. J’ai voulu faire deux albums, un double, mais même on lasse donc je me suis dit si je fais un 21, concentré mais j’ai des morceaux si les gens en veulent dans les compilations je peux en laisser…
Q : Je me rappelle que la sortie avait été annoncée pour octobre 2007, comme si c’était lié à l’anniversaire de la mort de Sankara ?
D. A. : En fait ce qui s’est passé en 2007, j’aurai voulu que l’album sorte mais je n’avais pas fini… Je n’avais pas pu boucler question d’argent. J’ai eu l’occasion de trouver le budget avec le festival d’Ile de France qui me permettait de jouer, c’est là que j’ai joué avec Smockey, le morceau sur ça dont on voit la vidéo partout sur le net. En fait le thème du festival c’était « I Have a dream » et ils savaient que j’avais un morceau comme ça dans mon projet. Donc, ils m’ont demandé est-ce que je voulais faire le spectacle. J’ai dit oui mais si je fais le spectacle, je fais le grand spectacle, je fais venir les artistes, on fait ça bien. Parce que c’est le 20 ans vous faites ça le 14 octobre la veille de l’anniversaire donc la nuit on sera en plain dans… donc j’ai dit on le fait bien. Ils ont adhéré donc voilà pourquoi en 2007 tout le monde pense que l’album est sorti. Mais c’était le spectacle. Donc comme il y a eu le spectacle les gens ont dit c’est évident, si il y a le spectacle, il y a l’album mais moi j’ai rien annoncé.
Q : Dès le départ il était question du film avec ou bien c’est en voyant les vidéos etc..
D. A. : Contrairement à ce qu’on pense le film que je fais n’est pas un film sur les présidents d’Afrique. C’est un film très contemporain sur ce qu’on vit aujourd’hui. Pourquoi l’Afrique est aussi déstructurée, est-ce qu’on est réellement indépendant. Je pars du constat .. de l’immigration tous ces jeunes qui ..
Q : On en a pas parlé mais tu as fait aussi un album qui a eu de l’impact, sur ces jeunes qui partent avec les pirogues.
D. A. : … Et donc je suis part de ça. J’ai essayé de rencontrer beaucoup de candidats à l’exode pourquoi vous voulez partir, pourquoi ça ne va pas et c’est en se rendant compte pourquoi ça ne va qu’on se rend compte que les indépendances ont été mal prises, on n’est pas souverain indépendant, on n’est pas riche on ne pourra jamais être riche avec une monnaie qui n’est las la notre, la dette des pays…. Et à chaque je demande à des experts de nous expliquer le pourquoi du comment, des experts, des anciens présidents des anciens ministres, des membres de la société civile, du forum social africain. Mais tout le monde parle sincèrement, il n’y a pas de langue de bois. D’ailleurs je suis parti avec une petite caméra. Très souvent…
Q : C’est toi qui filmait ?
D. A. : Ouais moi et des amis , il y a Fenoby du Niger, du groupe NKaidan Gaskiae. Chaque fois que je peux profiter d’une caméra…
Q : Tu a ses images d’archives dans le film ? Et au Burkina tu as fait quelque chose u Burkina, tu as pu filmer quelque chose ? Sur Sankara tu as pu trouver des images que personnes ne connait.
D. A.: IL y a des images d’archives mais c’est pas l’essence du film. Au Burkina… Non c’est vrai que j’ai pas de burkinabè. Non il n’y a pas d’images que personne ne connait malheureusement. J’ai même cherché les images de l’ONU. Je recherche toujours ces images de l’ONU parce que ça ça aurait réglé tous mes problèmes. Ils m’ont dit qu’ils n’ont pas.
Q : Donc finalement ça sort pour les 50 ans d’indépendance donc c’est..
D. A. : C’est du pain béni. En fait ce qui s’est passé, j’étais pratiquement prêt. Et on m’a dit que pour la 3 avril, le président allait inaugurer chez nous son monument et qu’il va faire venir la presse étrangère. IL y aura plein de monde machin… Les présidents qui arrivent de partout. J’ai dit je vais en profiter. Parce que moi je ne pourrai jamais inviter la presse étrangère pour faire un lancement retentissant. Donc le président Abdoulaye Wade a été mon sponsor il a envoyé les gars et moi j’en ai profite j’ai fait une conférence de presse, c’était rempli. J’ai eu l’impact que je cherchais.
Q : Il a fallu quand même que tu fasses venir la petite sœur de Thomas, Blandine, un enfant de Lumumba… C’est vous qui avez payé tout ça.
D. A. : Oui oui. J’ai eu des gens aussi qui ont cru au projet, la mairie de Dakar.
Q : C’est qui qui dirige la mairie de Dakar, C’est un socialiste ?
D. A. : Oui c’est un socialiste
Q : Il n’a pas financé le film par contre
D. A. : Non juste la sortie du disque
Q : Bon revenons à l’album, 31 titres, 21 sur l’album. J’ai vu qu’il n’y avait pas que des présidents. IL y a aussi comme tu l’as dit Martin Luther King, il y a même Norbert Zongo.
D. A. : En fait il ferme l’album. Lui je le laisse parler. Non il y a plein de gens qui sont pas présidents, Malcom X, Martin Luther King, Aimé Césaire, Franz Fanon, Cheikh Anta Diop. Il y a des présidentiables.
Q : Mais quand on fait le compte, il y a finalement pas mal de présidents en Afrique qui sont pas mal.
D. A. : Voilà. Et il y a tout qui est fait pour qu’on les oublie, pour qu’on ne réfléchisse pas sur leurs actions. On n’a pas droit de laisse mourir ça. Aujourd’hui tous les grands peuples ont des références. Mais nous on n’a pas de référence. Nous nos références c’est ce qu’on voit sur MCM, sur Trace TV, sur MTV, sur les chaines qui nous envoient gratuitement des images sur ce que MTV ou TV5 veulent bien nous envoyer. Non il faut qu’on se crée nous même nos propres gens et qu’on.. . Si nos dirigeants n’ont pas assez de cran pour qu’on les étudie à l’école on va se débrouiller pour qu’on se les enseigne d’une manière ou d’une autre
Q : Il y a 3 chansons sur Sankara.. ? ;
D. A. : Oui.. ouais… Bon bon ouais… J’assume hein. Je sais pas moi j’assume. Tout le monde m’a dit… Y en a trop pour Sankara. C’est naturel. En plus quand tu écoutes le discours de Sankara à l’ONU tu peux faire des albums et des albums là-dessous. C’est excellent, j’ai jamais vu un truc comme ça et en plus quand tu l’écoutes, tout s’éclaire brusquement quoi.
Q : Je me suis plusieurs fois demandé si c’est lui qui l’avait écrit ou pas… J’ai pas la réponse. Mais celui là il est écrit et lu dans les détails.
D. A. : Non c’est lui parce que j’écoute beaucoup ce qu’il a fait, les figures de style tu vois ça figure de style personnel… Donner une idée son contraire il a un style à a lui. Non c’est lui.
Q : Alors c’est quoi les 3 morceaux ?
D. A. : Il y a l’intro de l’album c’est juste un phrase qui dit l « L’esclave qui n’est pas capable d’assumer sa révolte ne mérite pas qu’on s’apitoie sur son sort . Cet esclave répondra de son malheur s’il se fait des illusions sur la condescendance suspecte d’un maitre qui prétend l’affranchir. Seule la lutte libère ». Donc c’était la philosophie du projet. Donc moi j’assume ma révolte quoi. Le morceau avec Smockey c’est la patrie ou la mort, un peu contre la corruption, la mauvaise gestion, un peu une petite bio du gars. On a écrit les paroles touts les deux. En rap chacun écrit ses paroles.
Q : C’est ça qu’on appelle un feat…
D. A. : Voilà… Un feat. Rires… L’autre, c’est un morceau que j’avais fait quand il y a eu toutes ces émeutes de la faim là, moi j’avais fait ce morceau et puis un jour je réécoute Sankara à l’ONU et la partie où il dit « je parle au nom de l’enfant, l’enfant du pauvre qui a faim ». Ca colle exactement à tout ce qu’on a dit dans le morceau sur la faim. Et voilà… Forcément, tu vois, c’est pas de notre faute. Tu vois.
Q : Je ne connais pas bien le rap, mais j’ai écoute les morceaux de Smockey, j’ai écoute quelques morceaux qu’il y a sur le net, mais on est quand même loin du rap américain. Par exemple il y a un morceau sur Modibo Keita. Ca commence par une chanteuse griot, on s’est vraiment éloigner du rap américain. On a donc créé une culture du rap sur le continent ? Avec Smockey j’ai l’impression qu’il a décollé en invitant des musiciens traditionnels locaux. Je sais pas si c’est ça qui lui a donné cette popularité…
D. A. : En fait la démarche qu’on a Smockey ou moi, on s’est dit ça sert à rien de singer l’américain. Avec mon group Positive Black Soul, très tôt on a compris que ça ne servait à rien, que ça ne servait absolument à rien. En même temps ceux qui maintenant le font, je ne peux pas leur en vouloir parce que j’ai commencé par ça. Mais c’est vrai que quand tu inclus dans ta musique des codes du pays, les gens y adhérent. Quand tu mets une chanteuse, une griotte, déjà les vieux vont rentrer dans ta musique, les anciens vont écouter. Ceux qui ne sont pas attirés par le rap qui est une musique étrangère peuvent adhérer. Et ensuite tu passes tout ce que tu veux passer. Il faut les attirer parce que on fait une musique étrangère. On a beau dire. Le gros de la population tout me monde n’est pas prêt pour le rap. Il faut les amener à adhérer par le biais par la mélodie.
Q : Vous ne visez pas seulement les jeunes, vous visez vraiment un public…
D. A. : Aujourd’hui, que ce soit Smockey ou moi, notre public ce n’est pas seulement les jeunes. C’est pas forcément ceux qui ont notre âge. Même des gens beaucoup plus âgés nous écoutent, les dirigeants nous écoutent. Rires…On est conscient aujourd’hui que notre musique doit parler à tout le monde et ce serait une erreur que d’essayer de parler seulement aux jeunes.
Q : Je sais pas si je me trompe mais j’ai pas vu de chanson ni sur Senghor ni sur Abdou Diouf.
D. A. : Non je ne prends pas de président en exercice. Y en a une sur Senghor parce que je me dis par rapport à lé négritude…
Q : Mais Diouf il est pas en exercice non plus…
D. A. : Oui, mais il est actif.
Q : Pour les sénégalais, il n’y a pas eu des critiques là-dessus ?
D. A. : Non Senghor est dans le projet. Il y a un morceau sur Senghor sur la négritude. Cet aspect on ne peut pas le lui nier. Il a fallu un moment dans la construction de la conscience noire il a fallu un moment la négritude. On ne peut pas enlever à Senghor, à Césaire ? Leur travail sur la négritude. Maintenant, on ne va pas parler de son côté politique sénégalais. Mais par rapport à la négritude, il y avait une importance. C’est un roi du panafricanisme, c’est clair. Mais la négritude a contribué l’essor d’une conscience noire. Ca aussi il faut le lui reconnaitre. Mais ces aspects politiques… Mais pas Abdou Diouf, que je respecte hein. C’est quelqu’un que je respecte, Abdou Diouf, mais bon, je préfère avoir un certain recul historique. Evidemment Abdoulaye Wade ne peut pas faire partie du projet.
Propos recueillis en mai 2010 à Paris pour le site thomassankara.net