Cela fait vingt-sept ans que le père de la révolution burkinabé a été assassiné avec douze de ses compagnons. Jusqu’à aujourd’hui, les multiples plaintes de sa famille pour réclamer vérité et justice sont restées infructueuses. La dernière requête en attente d’un délibéré par la justice burkinabé a été renvoyée pour la deuxième fois successive au 2 avril. Elle concerne une demande d’expertise de la tombe supposée être celle de Sankara, autour de laquelle des milliers de ses partisans viennent se recueillir chaque année pour honorer sa mémoire. Selon les avocats de la famille qui se sont confiés à la presse le 5 mars dernier, à la sortie d’une audience au tribunal de Ouagadougou, les juges en charge du dossier demandent un complément de cinq pièces avant de rendre leur verdict. Il s’agit notamment d’une ordonnance qui a été rendue par le juge d’instruction en 1998, d’un arrêt de la cour d’appel de Ouagadougou rendu en 2000, d’un recours de l’État burkinabé en 2006, d’une décision du Comité interne et d’un rapport intégral du rapporteur adressé à la 92e session du Comité des Nations unies. « Toutes ces pièces sont disponibles », a rassuré l’un des avocats, Mc Ambroîse Farama, qui s’étonne que pour ordonner l’expertise d’une tombe, la justice ait besoin de telles pièces. Mais « nous allons les produire et le tribunal nous dira en quoi elles sont nécessaires », a-t-il ajouté.

 © Burkina 24

Sur le front social, hormis les partis politiques, les groupes de pression ne manquent pas. Le président de la Fondation Thomas-Sankara pour l’humanité, rencontré le 15 mars dernier à Ouagadougou, est pour le moins déterminé : « La flamme reste allumée jusqu ‘à ce que la vérité soit présentée. » Pour ce sankariste qui affirme avoir vécu l’expérience de la révolution d’août 1983, et dont il s’inspire depuis son jeune âge, il ne faut pas laisser mourir l’idéal de Thomas Sankara. Ce dernier aurait imprimé la bonne gouvernance dans la gestion des affaires publiques avant même le discours de la Baule.

Mais comment se dessine l’issue du dossier Thomas Sankara dans un contexte de débat national surchauffé, où l’après-Blaise Compaoré se voudrait être une « transition apaisée », selon les vœux d’une partie de la classe politique?

Jonas Hien est convaincu que le dossier Thomas Sankara est en filigrane de cette idée de transition apaisée. Il la qualifie de « débat indécent, dont le fond est la question de la sécurité de ceux qui sont actuellement au pouvoir après la fin définitive de leur mandat ». En 2012, l’Assemblée nationale a certes voté une loi d’amnistie « pleine et entière » qui protège les anciens chefs de l’État. Mais une loi perçue comme un arrangement des députés du parti au pouvoir pour permettre une sortie du président du Faso à la fin de son mandat, selon les explications de Jonas Hien.

En fait, Biaise Compaoré est le seul président qui pourrait avoir des ennuis avec la justice, notamment sur le dossier Thomas Sankara, pour avoir pris immédiatement les rênes du pouvoir au lendemain du coup d’État et de l’assassinat de Sankara, le 15 octobre 1987. Les autres anciens présidents que sont Maurice Yaméogo, le général Sangoulé Lamizana et le colonel Saye Zerbo sont tous décédés. L’unique ancien président en vie, Jean-Baptiste Ouédraogo, a déjà été emprisonné puis relaxé sous la révolution. Ce qui a fait dire à l’époque Me Bénéwendé Sankara, cet autre avocat de la famille Sankara, que l’amnistie était « une impunité légale créée pour tranquilliser des gens qui ont commis des crimes ».

La justice burkinabé joue sa crédibilité

Si la justice autorise aujourd’hui l’expertise de la tombe supposée de Thomas Sankara, ce sera une grande avancée. Elle permettra aux Burkinabé d’avoir le cœur net: jusqu’à présent, personne n’a l’assurance que ce sont bien les restes de l’ancien président qui sont dans la tombe du cimetière de Dagnoen à Ouagadougou, présentée comme la sienne.

Le réseau international Justice pour Sankara, justice pour l’Afrique, composé de plusieurs associations, commence à monter le ton. Au-delà même de la polémique sur la tombe, il a décidé d’amplifier la mobilisation après le renvoi du délibéré au 2 avril 2014. Estimant que les juges burkinabé tergiversent sur le dossier, il a, dans un communiqué, demandé au Congrès américain « que soient ouvertes les archives de l’époque et qu ‘une investigation soit menée sur une éventuelle implication de la CÏA ». Le réseau a aussi décidé de mettre la pression sur la France, dont les députés sont invités à « accepter la demande d’enquête parlementaire sur l’assassinat de Thomas Sankara, déjà déposée deux fois à l’Assemblée nationale de la République française, le 20 juin 2011 et le 5 octobre 2012 ».

Pour l’heure, c’est la justice burkinabé qui joue sa crédibi¬lité. Si elle autorise les tests d’ADN en ordonnant l’ouverture de la tombe de Dagnoen, elle aura montré sa bonne foi à faire la lumière sur un dossier pendant. Si elle décide de garder la main dessus, elle donnera définitivement raison à ceux qui estiment qu’avec le régime de Biaise Compaoré, le dossier Thomas Sankara comme celui de Norbert Zongo et de bien d’autres ne connaîtront jamais de justice..

Amidou Kabré

Source : Afrique Asie avril 2014

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