Par Frédérique Lagny

La 12eme édition du Festival Ciné droit libre[1] à Ouagadougou s’est achevée samedi 17 décembre dans le contexte sécuritaire difficile de la récente attaque du poste de gendarmerie de Nassoumbou[2] à la frontière du Mali et du Burkina Faso[3]. Ciné droit libre articulait précisément cette année son édition ouagalaise autour d’une thématique contre l’extrémisme violent sous toutes ses formes avec une campagne “Le droit de vivre : luttons contre l’extrémisme violent“.

Cette année le festival se tenait du 10 au 17 décembre à Ouagadougou soit dix-huit mois après sa dernière édition de juin 2015. La mise en place du rythme quadri-annuel des éditions d’Abidjan, Dakar, Bamako et Ouagadougou a justifié cet aménagement du calendrier pour faire coïncider le triste anniversaire de l’assassinat – non élucidé à ce jour – du journaliste d’investigation burkinabè Norbert Zongo avec l’édition ouagalaise. Ciné droit libre, comme l’a rappelé la coordination du festival, est né suite à l’interdiction en 2004 du film “Bory Bana ou le destin fatal de Norbert Zongo” par le régime de Blaise Compaoré. Un festival qui 12 ans plus tard essaime dans toute la sous-région avec la perspective d’éditions futures en Mauritanie et au Niger voisins.

Sit-in silencieux devant le Palais de Justice de Ouagadougou pour demander justice pour Norbert Zongo. 13 décembre 2016 à Ouagadougou ©Sophie Garcia

En conséquence, dix-huit ans jour pour jour après la tragédie de Sapouy qui avait vu la mort de Nobert Zongo et de trois de ses compagnons, le festival a observé mardi 13 décembre une journée “écran noir”. Ce jour-là un sit-in silencieux de 13 minutes pour protester contre la lenteur judiciaire dans le dossier Norbert Zongo a réuni festivaliers, acteurs de la société civile et médias burkinabè devant le Palais de Justice de Ouagadougou. A cette occasion un mémorandum co-signé par différentes organisations de la Société Civile – dont le Balai Citoyen – a été remis à Mme Maiza Sérémé, la Procureure du Faso[4].

Un cinéma et des artistes engagés

Festival Ciné droit libre 2016. Projection en plein air ©Gideon Vink

Dense et prolifique, cette 12eme édition proposait une trentaine de films – dont un tiers de films burkinabè – diffusés sur 3 campus universitaires et 5 lieux partenaires[5]. Une quinzaine d’invités internationaux, écrivains, musiciens, cinéastes et producteurs, venus d’Afrique (Bénin, Côte d’Ivoire, Niger, Tchad, Togo, Sénégal), d’Europe (Allemagne, Belgique, France, Italie, Suisse) et du Canada ont rejoint l’équipe de Ciné droit libre pour animer les débats et présenter leurs films ou le fruit de leurs recherches. Outre cela, les festivaliers pouvaient participer à un dialogue démocratique sur l’extrémisme violent, des master-class en cinéma dispensés par Rama Thiaw et Idriss Gabel, un atelier de deux jours sur les vidéos citoyennes piloté par Panos Afrique, mais encore suivre une journée spécial Cheick Anta Diop ou rencontrer la blogueuse et activiste togolaise Farida Bemba Nabourema qui présentait son dernier ouvrage au Centre de Presse Norbert Zongo. Pendant quatre jours le Village du festival installé dans l’arrondissement populaire de Bogodogo proposait également des films et des concerts gratuits avec des artistes musiciens et des humoristes venus du Burkina Faso, de la Côte d’Ivoire, du Mali et du Sénégal. Un focus sur le mouvement “Y’en a marre” et le groupe Keur-Gui en écho au film d’ouverture du festival “Mali Blues” dont Master Soumy était l’ambassadeur a fait résonner le profond engagement des artistes musiciens africains dans la lutte vers la démocratie sur le continent.

Au delà de cet imposant déploiement du festival dans toute la ville de Ouagadougou, Ciné droit libre a réussi le pari d’équilibrer une très belle programmation de films sortis en 2015 et 2016 tournés et produits sur le continent Africain par des Africains mais aussi par des Européens ou encore des Canadiens. Le rôle des médias, les processus électoraux, les combats portés par les victimes de la guerre civile en Côte d’Ivoire ou la dictature d’Hissène Habré, la récente insurrection populaire ou les groupes d’auto-défense au Burkina Faso, les difficultés rencontrés par les paysans ou les éleveurs notamment avec la transhumance, la place des femmes dans les combats menés au Nord-Kivu ou l’infertilité qui questionne le statut de la femme dans la société nigérienne ont nourri cette 12eme édition. Par là, le festival a aussi démontré l’importance qu’il y a à jeter des ponts sans enfermer comme souvent, les réalisations des cinéastes dans des corpus tels que “cinéma africain”, “films de femmes” et autres distinctions de genre ou de races oblitérant par là-même l’énergie commune d’un cinéma documentaire engagé.

Trois prix et une mention spéciale ont distingué la trentaine de films documentaires d’auteurs proposés tout au long du festival. Le long-métrage documentaire “L’arbre sans fruit” d’Aïcha Macky (94′, Niger, 2015) obtient le Grand Prix Sergio Vieira de Mello et “Kolwezi on air” du belge Idris Gabel (73′, Belgique-RDC – 2016) reçoit une mention spéciale. Le Prix du Public récompense “Hissène Habré, une tragédie tchadienne” de Haroun Mahamat-Saleh (80′, Tchad, 2016) et le Prix spécial Oxfam honore “Agrobusiness” du burkinabè Aziz Nikiéma (43′, Burkina Faso, 2016).

Une magnifique édition dont le mot de la fin revient à Jean Ziegler, parrain du festival en 2016 : “Une génération sépare la libération de 2015 du martyre de Thomas Sankara. Mais – oh miracle – l’extraordinaire peuple burkinabè a réussi pendant toutes ces sombres années à maintenir en vie la flamme et l’espérance de cet homme extraordinaire. Dans vos combats actuels – et votre superbe festival y joue un rôle déterminant –, l’esprit de Thomas est présent. Il nourrit votre lutte pour le rétablissement de la démocratie et de l’État de droit. (…) Le Festival Ciné Droit Libre incarne l’héritage de Thomas Sankara.

Frédérique Lagny, le 21 décembre 2016.

[1] http://festivalcinedroitlibre.blogspot.com/

[2] http://www.burkina24.com/2016/12/16/burkina-des-positions-de-larmee-et-de-la-gendarmerie-attaquees-dans-le-soum/

[3] 12 morts et de nombreux blessés le 16 décembre dernier.

[4] http://www.burkina24.com/2016/12/13/affaire-norbert-zongo-le-juge-sy-active-procureur-du-faso/

[5] Centre de Presse Norbert Zongo, Conseil des Chargeurs, Goethe Institut, Institut Burkinabè, Institut Français à Ouagadougou et Bobo-Dioulasso.


Jean Ziegler : L’esprit de Thomas Sankara est présent dans votre festival !

En complément de cet article nous vous proposons une vidéo de Jean Ziegler qui devait être la parrain du festival et qui a envoyé cette vidéo pour s’excuser de ne pas pouvoir venir.

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