Hommage à la mémoire de Ruben Um Nyobe père de la révolution kamerunaise
Ndjel Kundé
L’année 1978 est celle du trentième anniversaire de la naissance d’un grand mouvement national kamerunais, et du vingtième anniversaire de l’assassinat du plus grand héros de l’indépendance. Voici comment, pour le peuple kamerunais, peut se résumer une partie – et non la moindre – de l’histoire du Kamerun de ces trente dernières années. A dix années d’intervalle, ces deux événements d’importance, dépassant amplement les dimensions des frontières du pays, soulevèrent les sentiments et réactions divers, dont un bref rappel historique facilitera sans doute la compréhension.
Bref aperçu historique
Il y a donc 3 ans, le 10 avril 1948, naissait au quartier populaire de New-Bell, à Douala, l’Union des Populations du Cameroun (U.P.C.), mouvement d’avant-garde qui depuis lors a fait ses preuves. Ce jour-là, il n’y avait certes pas grand monde autour de son berceau et l’événement passa pratiquement inaperçu. Mais ceux qui s’y trouvaient, dont Ruben Um Nyobe, étaient profondément convaincus de l’avenir historique de la nouvelle-née. Il est toutefois difficile de savoir si ses promoteurs, si pénétrés qu’ils fussent [PAGE 146] de son grand destin, soupçonnaient la rapidité de l’ascension de ce mouvement qui, très vite, devint un véritable parti des masses.
Sur le plan continental, le panafricanisme a toujours été l’un des grands objectifs de l’U.P.C. Elle est d’ailleurs toujours la section Kamerunaise du rassemblement démocratique africain (R.D.A.). Mais elle n’a jamais fait mystère de son opposition à l’orientation procolonialiste du R.D.A., orientation amorcée au congrès de Bamako de 1946.
En tout cas, compte tenu des organisations qui lui sont affiliées, il ne fallut que peu, très peu de temps à l’U.P.C, pour devenir l’unique rassembleur des masses kamerunaises.
Ces organisations sont la jeunesse démocratique du Cameroun (J.D.C), l’Union démocratique des femmes camerounaises (U.DE.F.E.C.) et l’Union Générale des Travailleurs Kamerunais (U.G.T.K.).
Il est une autre organisation nationale qui, sans lui être affiliée, a toujours été l’alliée de l’U.P.C. Il s’agit du syndicat étudiant dont le siège se trouvait à Paris. Depuis sa formation en 1946 sous la dénomination de l’Association des Etudiants Camerounais (A.E.C.), transformée en 1958 en Union Nationale des Etudiants du Kamerun (U.N.E.K.), cette organisation mena constamment, avec les maigres moyens dont elle disposait, le même combat anti-colonialiste et anti-impérialiste que l’U.P.C.
Interdite par le pouvoir giscardien le 1er août 1977, comme le fut la section de France de l’U.P.C. en 1961 par le pouvoir gaulliste, l’U.N.E.K. s’est dissoute peu de temps après son interdiction.
N’ayant par conséquent plus d’autre choix que celui d’entrer dans la clandestinité comme l’U.P.C., les étudiants Kamerunais révolutionnaires viennent de se réorganiser cette année même en Union Nationale des Etudiants Socialistes du Kamerun (U.N.E.S.K.).
Il est toutefois à souligner que l’épithète « socialiste » que porte la nouvelle organisation n’a absolument rien à voir ni avec le fameux socialisme africain, ni avec la social-démocratie.
Enfin, c’est à ce titre que l’U.P.C. devint l’ennemie numéro 1 du colonialisme français et de l’impérialisme international. Et tous les petits partis fantoches que ceux-ci créèrent artificiellement pour contrer son action, n’eurent pour seul aboutissement que l’échec. [PAGE 147]
En tête de liste de ces groupuscules se plaçait le bloc démocratique camerounais (B.D.C.), fondé par un colon français, un certain docteur Paul-Louis Aujoulat. Parmi ses plus obscurs militants se comptait le très taiseux et docile Amadou Ahidjo, actuel président de la « République Unie du Cameroun ». C’est sans doute à raison de ces qualités qu’il fut propulsé le 18 février 1958 comme premier ministre à l’avant-scène politique du pays, en remplacement du trop bouillant André-Marie Mbida, un autre disciple d’Aujoulat et ancien membre du B.D.C. dans le gouvernement duquel Ahidjo fut ministre de l’intérieur.
Quant à Ruben Um Nyobe, secrétaire général de l’.U.P.C., celui-là même qu’il y a vingt ans, le 13 septembre 1958, la soldatesque française assassina lâchement dans les maquis du Kamerun, il était devenu l’homme à abattre à tout prix. C’est le pouvoir gaulliste qui, juste quatre mois après le retour du général à la tête de la France, accomplit cet odieux forfait.
Un inlassable conciliateur
Il est toutefois à rappeler qu’avant le coup d’état du général de Gaulle, le 13 mai 1958, il y avait déjà trois ans que, acculée par les atrocités de la répression, l’U.P.C. combattait dans les maquis, sous la direction de son secrétaire général.
C’est en effet en mai 1955 que le gouvernement Edgar Faure, par l’entremise de son désormais tristement célèbre homme de main, le sanguinaire Roland Pré, entreprit, par le fer et par le sang, la mission d’anéantir l’U.P.C. et de liquider physiquement son secrétaire général, entre autres. Mais si la journée du 25 mai et celles qui la suivirent furent, hélas ! fatales à près d’une quinzaine de milliers (bien plus disent certains) d’innocents, dont les femmes, les enfants et les vieillards, l’U.P.C. et ses principaux dirigeants, parmi lesquels Ruben Uni Nyobe, échappèrent de justesse à cette épreuve, et ce grâce à la vigilance des masses populaires. Et les efforts ininterrompus de tous les gouvernements successifs de la quatrième république en vue du démantèlement de l’U.P.C. ne connurent pas plus de succès que ceux du gouvernement Faure.
Cependant, il n’est peut-être pas inintéressant de souligner que, en plus de l’extension de l’U.P.C. que le colonialisme [PAGE 148] français et l’OTAN ne pouvaient plus endiguer, le déclenchement de ce génocide était, selon la constante logique de l’impérialisme, une réponse au manifeste du 24 avril 1955 de l’U.P.C. et des organisations progressistes du Kamerun. Dans ce manifeste, le peuple – par l’intermédiaire des organisations signataires et l’U.P.C. en particulier – déclarait purement et simplement la déchéance de l’administration coloniale et exigeait l’ouverture de négociations avec celle-ci pour fixer la date de l’indépendance du pays.
Le résultat de cette criminelle réaction, on le connaît déjà. Mais l’effet auquel elle aboutit fut tout à fait l’inverse de celui escompté par le gouvernement français. Car l’audience de l’U.P.C. et le prestige de son secrétaire général, autant sur le plan national qu’international, ne firent que s’élargir.
De son côté, bien qu’étant parfaitement au courant des macabres desseins des colonialistes français contre sa personne et son parti, Um Nyobe n’épargna jamais aucun effort dans la recherche d’une solution négociée du problème Kamerunais. C’est là un des rarissimes points d’histoire sur lesquels tout le monde s’accorde, même les pires ennemis de la libération des peuples.
Sur le plan interne du parti, il était non seulement un farouche partisan du dialogue entre tous les membres de l’organisation, mais aussi un défenseur acharné de la liberté de critique des militants à l’égard des responsables. C’est une position de principe à laquelle il tenait beaucoup et qu’il répétait souvent. Dans son message du 29 avril 1957, par exemple, il l’exprimait en ces termes :
« La direction d’un grand mouvement comme l’U.P.C. ne peut pas prétendre être exempte de critique. Il serait donc insensé de prétendre que des militants de notre mouvement n’ont pas de critiques à formuler à l’égard soit de toute la direction, soit d’une fraction de celle-ci. Les camarades qui veulent continuer la lutte anti-colonialiste ne demandent qu’une chose : l’examen bienveillant de leurs observations et suggestions et l’intervention effective des changements qui s’imposent, le tout garanti par l’exercice rigoureux de la démocratie édictée par les statuts et résolutions régissant notre ligne de conduite…
Sur le plan extérieur du parti, il maintint en permanence le dialogue avec le gouvernement français et le gouvernement fantoche installé par Paris à Yaoundé, après la parodie électorale de décembre 1956. Dans une lettre du 13 juillet [PAGE 149] 1957, il écrivait à M. Mbida, premier ministre du « Gouvernement Autonome » du Kamerun : « Au Kamerun, il est impossible de gouverner contre l’U.P.C., mais il est possible, largement possible de réaliser l’accord avec l’U.P.C. et de coopérer avec elle pour l’aboutissement des revendications légitimes du peuple kamerunais ».
Dans ce message, on pouvait encore lire notamment :
« Nous pensons que ceux qui se disent les amis de la France en cautionnant le colonialisme, font plus de tort à la France que ceux qui demandent au gouvernement français de faire un effort d’adaptation aux circonstances de l’heure, afin que l’arbitraire laisse la place à l’amitié et la domination à la coopération loyale ».
Dans une note-mémoire de la même date à l’intention du gouvernement français, il écrivait notamment : « Nous offrons des garanties qui prouvent non seulement notre détermination d’œuvrer pour sortir le Kamerun de l’impasse, mais aussi notre désir de coopérer avec le gouvernement français et avec tous ceux qui, à un titre quelconque, ont une responsabilité dans la marche des affaires du pays ».
Bien que demeurées vaines, ces démarches ont permis de persuader l’opinion sur la bonne foi de l’U.P.C.. Et à propos du secrétaire général de l’U.P.C., elles ont obligé beaucoup d’observateurs de reconnaître que « cet homme honnête, raisonnable, pur, veut discuter… ». Mais tout en préférant les négociations, Um insistait sur le fait que c’est avec l’U.P.C. qu’il fallait discuter. Dans une déclaration publiée par la Dépêche du Midi, dans son numéro du 18 décembre 1956, il exposait ainsi ce qu’il entendait par dialogue : « J’ai accepté le principe du dialogue, mais sous deux conditions :
1. Le dialogue devait avoir lieu avec l’U.P.C. et non avec Um Nyobe en tant que personne;
2. Les discussions devaient s’engager sur la base du manifeste du comité directeur… »
C’est ainsi que Um Nyobe parvint à briser les tentatives des colonialistes et leurs agents de diviser les dirigeants de l’U.P.C.. Car, s’il était indiscutablement souple dans ses démarches et ouvert à toutes les propositions, il ne fut jamais question pour lui ni de céder sur les principes ni de fléchir sur l’essentiel. Et l’essentiel à ses yeux, c’était l’indépendance de son pays dans la dignité. [PAGE 150]
Martyr de la liberté
Toutefois, l’inflexibilité pour cet objectif n’avait jamais signifié pour lui l’humiliation de l’adversaire. Aussi tint-il toujours compte de cette perspective dans toutes les initiatives qu’il prit au nom de l’U.P.C.. Hélas ! Toutes les propositions qu’il fit en vue d’une issue honorable pour toutes les parties en cause se perdirent dans l’abîme de l’incompréhension impérialiste.
Inversement, les colonialistes français et leurs hommes de paille ne poursuivaient imperturbablement qu’un but : l’écrasement de l’U.P.C. et la pérennisation du peuple Kamerunais dans l’esclavage. Pour y parvenir, rien ne fut laissé au hasard. Tous les moyens de « pacification » furent mis en branle. Après la sauvage et aveugle répression qui obligea l’U.P.C. à prendre le maquis, le train des mesures arbitraires accéléra sa course pour ne plus s’arrêter. La première de ces mesures fut le décret scélérat interdisant l’U.P.C. et les organisations progressistes au pays, pris illégalement par le gouvernement français le 13 juillet 1955. C’est ce décret et d’autres lois coloniales qui continuent à être l’essentiel de la législation du Kamerun d’Ahidjo jusqu’à présent. En plus de l’arsenal des textes juridiques pour le moins suspects, tout fut mis en œuvre – les armes, l’argent par la corruption, les militaires et mercenaires de tout acabit, etc…. – pour assurer la mainmise, avec son étreinte d’acier, du néocolonialisme sur le Kamerun et sur l’Afrique entière, après l’humiliante domination coloniale.
Mais ce dispositif s’est révélé insuffisant pour décourager le peuple kamerunais. Guidé par l’U.P.C. dans sa lutte, il fit en effet évanouir dans la nuit des illusions les vanités du colonialisme en l’obligeant de lui concéder l’indépendance, même si celle-ci n’est encore que nominale. C’est d’ailleurs à cause de ce caractère nominal que, stimulé par les enseignements de Ruben Um Nyobe, il entend ne pas laisser les mains libres au néocolonialisme.
Malgré l’inégalité du rapport des forces, il est plus que jamais décidé de continuer la lutte jusqu’à la concrétisation de l’idéal de Um Nyobe, à savoir l’indépendance véritable du Kamerun. Car c’est cet idéal qui fut le germe à partir duquel naquit l’U.P.C., avant-garde de la lutte de libération de notre [PAGE 151] pays. Il faut ajouter à cela que la vie exemplaire et la riche activité politique de Um Nyobe ont fortement contribué à renforcer cette détermination.
Dans toutes ses interventions, comme dans sa vie privée, l’indépendance nationale était l’un des grands thèmes qui occupaient la place la plus importante. Au congrès d’Eseka en 1952, par exemple à une époque où le colonialisme était à l’apogée de sa puissance en Afrique noire, il déclarait avec une fermeté que ne pouvaient se permettre que des hommes aux assises populaires bien solides : « L’indépendance du Kamerun signifie le gouvernement du Kamerun par les Kamerunais, au profit des Kamerunais. »[1]
En d’autres termes, il ne pouvait être question, dans son esprit, ni que le Kamerun fasse partie d’un quelconque « ensemble franco-africain » ni que la lutte du peuple kamerunais débouche vers une indépendance factice, comme c’est le cas aujourd’hui.
L’idée qu’il se faisait de l’Afrique nouvelle, bâtie fatalement sur les décombres du colonialisme, était tout à fait à l’antipode de celle qu’en avaient les adeptes de la soumission coloniale, comme Ahidjo, Senghor, Houphouet et bien d’autres. D’après ceux-ci, les revendications d’indépendance nationale étaient un anachronisme « en ce siècle des grands ensembles planétaires ». Contrairement à ces griots de l’impérialisme, l’idéal de Um Nyobe consistait à forger un Kamerun pour les Kamerunais, dans une Afrique où les Africains seraient seuls maîtres de leur destin et où le Kamerun ne serait, dans les temps à venir, qu’une des composantes du continent unifié.
Mais, bien que connaissant parfaitement la détermination de Um Nyobe de ne prêter aucun concours aux manœuvres de compromission, les autorités coloniales et leurs marionnettes de Yaoundé ne tarissaient pas pour autant en appels démagogiques à la « Réconciliation nationale ». Cependant, parallèlement à ces duperies auxquelles nul ne croyait du reste, le décret du 13 juillet 1955 était toujours en vigueur – et le demeure d’ailleurs – ainsi que de multiples condamnations à de lourdes peines contre les patriotes, dont plusieurs par contumace.
Par ailleurs, les camps de tortures, engorgés d’innocents sur lesquels les tortionnaires expérimentaient, et [PAGE 152] expérimentent toujours, des méthodes de supplice de plus en plus raffinées, poussaient comme des champignons.
Mais, en apôtre de la liberté dont il fut le martyr, Um Nyobe, au nom de l’U.P.C., démythifia avec une aisance peu commune ces manœuvres de bas étage. Dans un document qui fait déjà date dans l’histoire du Kamerun et qu’il ne serait pas abusif de présenter comme un constat de l’inanité de l’O.N.U. face au problème kamerunais, il écrivait notamment : « Aucun homme sérieux ne peut manquer de soutenir que l’indépendance du Kamerun serait illusoire si sa proclamation n’était précédée d’une amnistie pleine, entière et de la liquidation du vide politique dans lequel le pays se trouve depuis plus de deux ans »[2].
Il est certain que dans sa « retraite » d’où il préparait son retour, le général de Gaulle enregistrait tous ces faits et gestes et agençait des projets pour y remédier à sa façon. Dès lors, on comprend que, en reprenant le chemin du pouvoir, il ait mis dans ses bagages les plans de liquidation physique de Um Nyobe en guise de règlement du problème kamerunais. Hélas ! pour lui, il dut apprendre, même s’il ne profita pas de la leçon, que rien n’arrête un peuple décidé sur le chemin de la liberté.
Un internationaliste convaincu
Ce portrait déjà trop incomplet de Ruben Um Nyobe le serait encore plus si l’on passait son esprit international sous silence. L’amitié entre les peuples constituait l’un des soucis qui mobilisaient constamment ses énergies. Dans son combat quotidien contre l’oppression, il prenait le soin de distinguer les peuples des métropoles impérialistes de leurs gouvernements. Il s’efforçait, chaque fois que l’occasion lui était offerte, de souligner cette distinction. C’était l’un de ces grands sujets qu’il développait inlassablement dans l’éducation politique qu’il dispensait à ses compatriotes.
Au congrès de l’U.P.C. de Kumba en 1951, par exemple, il déclarait notamment à ce propos : « Nous ne confondons pas le peuple anglais avec l’impérialisme anglais qui maintient les peuples sous sa domination, ni le peuple de France avec le colonialisme français qui pille et opprime les [PAGE 153] peuples de notre pays. Nous devons mettre nos frères en garde contre le danger de la politique du racisme antiraciste. On ne peut, sous le prétexte de la libération des Noirs, mener une politique de haine contre les Blancs. La haine raciale est incompatible avec toute idée de progrès ».
Dans la vision du monde de ce combattant de la liberté sans exclusive, le non-alignement occupait une très grande place. Il estimait, à juste titre d’ailleurs, que le principe du non-alignement est intimement lié à celui de la solidarité internationale qui doit en être le ferment. Cependant, il ne concevait cette solidarité autrement que franche, agissante et exempte de toute condition politique contraignante.
En tant qu’internationaliste convaincu, Um Nyobe ne se lassait pas d’instruire le peuple kamerunais, les militants de M.P.C. en particulier, des problèmes internationaux, surtout ceux des peuples engagés dans le combat anti- colonialiste. Comme conséquence du principe de la solidarité internationale, il considérait la lutte de libération de son pays comme étant une partie intégrante de la lutte de libération de tous les peuples opprimés du monde, de celle des pays colonisés spécialement. C’est pour cela que, à l’adresse de ceux qui s’intéressent de près ou de loin, à la lutte de libération des pays colonisés, il écrivait : « Les peuples coloniaux ne peuvent faire ni la politique d’un parti ni celle d’un Etat ni, à plus forte raison, celle d’un homme. Les peuples coloniaux font leur propre politique, qui est la politique de libération du joug colonial; dans leur lutte pour cet objectif si noble, les peuples coloniaux observent et jugent. Ils observent les gouvernements, les partis, les personnes, les organes de presse, non pour leur idéologie ou leur programme, mais sur leur attitude à l’égard des revendications des populations de nos pays. Voici la position de l’U.P.C. au service du peuple kamerunais »[3].
Avec l’évolution des temps, la circonspection dont cette remarque est l’expression est plus que jamais d’actualité, car certains Etats, partis, organisations de masses et hommes politiques semblent se prêter allègrement à un pragmatisme diamétralement opposé aux idéologies ou programmes qu’ils ne continuent pas moins de prôner fébrilement du bout des lèvres.
Cette situation est, sinon beaucoup plus grave, au moins [PAGE 154] assimilable à certaines attitudes que Lénine critiquait en ces termes : « Le moindre appui accordé par le prolétariat d’une nation quelconque aux privilégiés de sa bourgeoisie nationale provoquera inévitablement la défiance du prolétariat de l’autre nation, affaiblira la solidarité internationale de la classe des ouvriers, les désunira pour la plus grande joie de la bourgeoisie »[4].
Dès lors, il va de soi que ceux qui, pour leurs intérêts égoïstes, d’Etat ou d’autres, pactisent avec l’impérialisme, portent nécessairement un coup dur aux mouvements de libération en lutte contre le colonialisme et le néo-colonialisme. En même temps, ils affaiblissent de ce fait la solidarité internationale.
Mais il serait temps que ces serviteurs et alliés de l’impérialisme sachent que ce sont des manœuvres qui ne réussissent que pendant un temps. Car, une fois la solidarité anti-impérialiste réorganisée et adaptée à la situation ainsi créée, les auteurs de telles machinations finissent inéluctablement par se faire reléguer à la poubelle de l’histoire.
En ce qui concerne le peuple Kamerunais, nourri des enseignements de Um Nyobe, il ne se laissera jamais détourner par des tribulations de cette cohorte de philistins. Il continuera indéfectiblement le chemin tracé par les artisans de la révolution africaine. A l’image des héros de celle-ci, tel Cabral, Lumumba, N’Krumah, Um Nyobe et bien d’autres encore, il poursuivra la lutte jusqu’à la totale libération du territoire national et du continent africain tout entier. Et à tous les peuples opprimés luttant pour leur affranchissement il manifestera toujours sa solidarité de la façon la plus active possible.
Ndjel Kunde
[1] Souligné par N.K.
[2] « Alerte à l’opinion kamerunaise et mondiale », 27 août 1957.
[3] « Alerte à l’opinion kamerunaise et mondiale », op. cit.
[4] Cité par la section de France de l’U.P.C. dans sa brochure « Appel à la classe ouvrière et au peuple de France » du 27 juin 1960, p. 34.
Source : revue Peuples Noires Peuples africains no. 9 (1979) 145-154 voir à l’adresse http://mongobeti.arts.uwa.edu.au