A la découverte de Ruben Um Nyobé

 

Samuel Nelle

 

Né en 1913 près de Boumyebel, Ruben Um Nyobé est sans aucun l’un des plus grands leaders de la cause indépendantiste et de la luttre contre l’oppression au Cameroun…

Ruben Um Nyobe est né en 1913 à Song Peck près de Boumyebel dans l’arrondissement d’Eséka, de Nyobé Nsounga et de Ngo Um Nonos, des paysans Bassa, à 180 kilomètres de Douala.

Il a fait ses études primaires dans les écoles locales des missionnaires presbytériens (en 1920 il fréquente l’école presbytérienne de Makay où il est baptisé en 1921; en 1924 il quitte cette école pour l’école d’Ilanga près d’Eséka où il obtient son certificat d’études primaires en 1929) puis il intègre en 1931, l’Ecole normale de Foulassi en pays bulu, tenue également les presbytériens.

Il est renvoyé de cette école, l’année où il doit obtenir son diplôme de fin d’études, accusé d’être toujours prompt à prendre la tête des mouvements de revendication et de protestation. Il obtient néanmoins son diplôme de fin d’études, en temps que candidat libre.

Il enseigne pendant quelques années dans les écoles presbytériennes. En 1935, il est admis au concours des commis des services civils et financiers. Il poursuit ses études en travaillant et obtient par correspondance sa première partie du baccalauréat en 1939. Il est affecté au greffe du tribunal d’Edéa. Dans l’exercice de son métier, il se passionne pour le droit. Ce faisant, il découvre l’injustice à laquelle sont soumis les camerounais, à travers le système de l’indigénat. En effet, la loi distingue les indigènes (camerounais) considérés comme des sujets, des français considérés comme des citoyens. La loi ne laisse aucune possibilité d’expression pour la lutte politique ou pour la défense des droits des travailleurs aux indigènes.

La participation de nombreux indigènes à la luttre de libération de la France après 1940 contre les allemands va permettre à la France libre du général de Gaule d’alléger quelque peu les rigueurs des lois sur l’indigénat. En 1944, sous la pression des évènements, la France reconnaît aux travailleurs camerounais le droit de syndiquer.

En 1945, grâce à l’appui de la Confédération Générale des Travailleurs (CGT), syndicat français proche du parti communiste, Um Nyobé participe à la création de l’Union des Syndicats Confédérés du Cameroun (USCC) dont il devient le sécrétaire général adjoint. 

Um Nyobé va alors consacrer son énergie à créer une multitude de syndicats qu’il réussit à fédérer en unions syndicales régionales puissantes. L’USCC met ensuite en place, le Cercle d’Etudes Sociales et Syndicales, sorte d’école de formation au syndicalisme, où des spécialistes analysent et étudient le système d’exploitation économique et politique du régime colonial.Um Nyobé est très assidu aux conférences données par les syndicalistes de la CGT.

Dans le Cercle, on développe l’idée selon laquelle le système d’exploitation des travaileurs s’appuie sur le statut colonial du Cameroun et que l’amélioration du sort des travailleurs passe nécessairement par l’émancipation politique du Cameroun.

Um Nyobé pense que l’indépendance seule peut permettre l’amélioration du sort des travailleurs et des masses laborieuses. L’indépendance du Camerouna devient alors pour lui, un objectif stratégique. En 1946, la France autorise les activités politiques au Cameroun. Le 10 Avril 1948, Um Nyobé avec d’autres patriotes créent l’Union des Populations du Cameroun (U.P.C).

Pour faciliter la reconnaissance du parti, ses fondateurs syndicalistes parmi lesquels se trouve Um Nyobé décident d’un commun accord de ne pas figurer leurs noms sur la liste officielle des membres fondateurs. Les syndicalistes en question n’apparaîtront au devant la scène qu’une fois le parti reconnu. Après plusieurs hésitations des autorités coloniales, le partie est reconnu le 9 Juin 1948. Aussitôt, Um Nyobé se dévoile et apparaît le 17 Juin à Abidjan comme le représentant officiel de l’UPC au Congrès du Rassemblement Démocratique Africain. En réalité, ce n’est qu’en 1950 qu’il devient officiellement Sécrétaire général du parti à l’issue du premier congrès. A ce titre, il est le principal animateur du parti. 

A partir de cette date, Um va se consacrer exclusivement à la politique et abandonner son poste de sécrétaire de l’USCC à son ami Jacques Ngom.

Depuis 1949, Um a demandé et obtenu auprès de l’administration coloniale, sa mise en disponibilité pour pouvoir s’occuper de ses activités. En Décembre 1952, il se rend à New York où il prononce un réquisitoire contre la France à l’Organisation des Nations Unies (ONU) devant la commission de tutelle. Dans ce réquisitoire, il démontre que la France administre le Cameroun de la même façon que ses propres colonies, avec l’intention d’incorporer dans l’empire français alors que le Cameroun est une pupille de l’ONU qui en a seulement confié la tutelle à la France. Il dénonce les lenteurs de la France pour mettre en place les réformes politiques au Cameroun. Il souligne que ces réformes doivent tenir compte de la spécificité du Cameroun, autrefois uni sous le protectorat allemand, maintenant divisé en deux parties dont la partie occidentale est placée sous l’administration anglaise et la partie orientale sous administration française. Il insiste sur la nécessité de la réunification des deux Cameroun qui doivent politiquement évoluer ensemble.

De retour au Cameroun au début de 1953, Um Nyobé fait imprimer le texte de son intervention aux Nations Unies sous la forme d’un mémorandum intitulé : « Que veut le Cameroun ? »

Dans ce texte, on peut retenir que le Cameroun veut la réunification des deux Cameroun d’une part, et l’indépendance d’autre part. Um Nyobé qui a trouvé une tribune attentive à l’ONU y retourne en Décembre 1953 où il accuse encore la France de retarder l’émancipation du Cameroun. En Janvier 1954, il demande à la France d’organiser un référendum sur la question de la réunification et de fixer un délai pour la fin de la tutelle et l’accession à l’indépendance. Dès lors, il fait l’objet d’une surveillance stricte des autorités françaises.

Le 18 Avril 1955, son domicile est attaqué par la police. Sa femme et une vingtaine de ses partisans sont pris en otage par la police. Um se réfugie alors à Boumyebel, son village natal. C’est le moment que choisit l’église catholique pour mettre en garde les fidèles contre l’UPC. En pleine période pascale, la conférence épiscopale fait lire dans toutes les églises une lettre violente contre l’UPC :

« Nous mettons les chrétiens en garde contre les tendances actuelles du parti politique connu sous le nom de l’Union des Populations du Cameroun, en raison non pas de la cause de l’indépendance qu’il défend, mais de l’esprit qui l’anime. » Cette lettre allume la mèche qui va embraser le Cameroun. 

Il faut relever en effet que l’instigateur de cette campagne de dénigrement de l’Eglise contre l’UPC n’est personne d’autre que le docteur Louis Paul Ajoulat, médécin français, leader du Bloc Démocratique Camerounais (BDC) parti d’obédience catholique et anti-intépendantiste.

Parmi les partis opposés à l’UPC, le BDC est le parti anti-indépendantiste le mieux structuré. A l’image de l’UPC, il s’appuie sur un syndicat, la Confédération des Travailleurs Chrétiens (CTC). Il est soutenu par la hiérarchie catholique et l’administration coloniale. Il s’appuie sur les organisations catholiques disséminées dans le pays et parmi elles, la toute puissante « Ad Lucem ».

A la suite de la publication de la lettre pastorale, des incidents éclatent entre les indépendantistes de l’UPC et les anti-indépendantistes animés par le BDC. Dans certaines localités, les missionnaires sont agressés et les biens de l’Eglise saccagés. Le 22 Mai 1955, les autorités interdisent une réunion de l’UPC à Mbanga. Les militants passent outre l’interdiction. Les forces de l’ordre chargent. Les Upécistes résistent. Un policier est tué. La situation s’envenime et les émeutes gagnent tout le Sud Cameroun, notamment Douala. Le 26 Mai, le Gouverneur Roland Pré qui a fait venir les forces françaises stationnées au Congo, mate l’insurrection à Douala. Il y’a des dizaines de morts et de blessés. Six cent dix sept Upécistes sont officiellement arrêtés. Le 13 Juillet, l’UPC et toutes ses organisations annexes sont interdites. 

Um Nyobé et ses partisans du pays Bassa gagnent le maquis dans la forêt de Boumyebel pour continuer leurs activités politiques dans la clandestinité. Félix Moumié le président officiel de l’UPC avec d’autres leaders, Abel Kingué, Ernest Ouandié se réfugient à Kumba. De Kumba, ils s’exilent à l’étranger. Um Nyobé resté au Cameroun, incarne désormais tout seul, l’UPC sur le sol colonial. Les Français qui savent qu’il est l’aile la plus modérée du parti et qu’il est le plus populaire et le plus écouté des leaders de l’UPC, lui envoient plusieurs délégations pour le convaincre de sortir du maquis avec ses partisans pour négocier. Mais Um Nyobé demande des garanties politiques, notamment la réhabilitation de son parti, l’UPC, ce que la France ne veut pas.

Le 29 Avril 1956, à travers une loi dite « Loi Cadre », la France définit un nouveau cadre juridique à travers lequel l’évolution de ses colonies d’Afrique est envisagée. Cette loi donne au Cameroun sous administration française, la possibilité d’évoluer par étapes vers l’indépendance alors que l’UPC exige l’unification préalable des deux Cameroun et l’indépendance immédiate. La « loi Cadre » prévoit que le Cameroun deviendra tout de suite un Etat sous tutelle avec un gouvernement à compétence locale et la possibilité d’évoluer à long terme vers un Etat souverain. Des élections doivent mettre en place une Assemblée locale. Le parti majoritaire à l’Assemblée aura la possibilité de former un gouvernement local dont le Premier Ministre sera nommeé par le Haut Commissaire de la république française au Cameroun. Afin que lui-même et les siens puissent participer à ces élections, Um Nyobé réclame la levée de l’interdiction de son parti et l’amnistie pour faits et délits politiques commis avant Mai et en Mai 1955. La réhabilitation de l’UPC et l’aministie sont refusées par les autorités françaises. Um Nyobé ironise alors sur la « loi Cadre » en la traitant de « loi des fers » (allusion faite à M. Gaston Deferre, initiateur de la loi Cadre)

La situation au Cameroun devient tendue au point que l’admnistration annonce finalement en Août 1956, son intention d’amnistier les personnes mêlées aux évènements de Mai 1955. Mais Um Nyobé n’avait pas été mêlé à ces évènements. Les faits qui lui sont reprochés sont antérieurs à cette date. Il n’est donc pas amnistiable. Par ailleurs, l’amnistie prévue n’annulant pas l’interdiction du parti, l’UPC ne pourra présenter de candidats aux élections prévues par la loi-cadre dont la date est fixée au 8 Novembre. Après de nombreuses tractations, la date des élections est repoussée au 23 Décembre. L’amnistie prévue n’est décidée par la France que le 11 Décembre, après la date de dépôt de candidature, douze jours avant les élections. Il apparaît clairement, que la France ne souhaite pas la participation de l’UPC à ces élections, même dans le contexte de la loi Cadre. 

Dans la Sanaga Maritime, fief de Um Nyobé, ce boycott prend une tournure dramatique avec l’assassinat de candidats transfuges de l’UPC (Dr Délangué et M. Mpouma), le sabotage des équipements publics, l’incendie des bureaux de vote. Les représailles de l’armée française sont terribles. La quasi totalité des habitants de la Sanaga Maritime gagnent le maquis où se cache toujours Um Nyobé maintenant surnommé « Mpodol », ou celui qui porte la voix, celui qui défend la cause.

Mgr Thomas Mongo, évêque de Douala, premier évêque Camerounais, originaire de la Sanaga Maritime essaie de persuader sans succès Um Nyobé de sortir du maquis, au cours d’une rencontre secrète en 1957. Ruben Um Nyobé refuse. Il exige l’amnistie totale et inconditionnelle pour tous les faits et délits commis avant Décembre 1956, le rétablissemnt de l’UPC, la réunification et l’indépendance du Cameroun. Mgr Thomas Mongo rapporte aux autorités son entretien avec Um Nyobé.

Lorsque la loi d’amnistie est votée le 17 Février 1958, elle ne s’applique qu’aux actes commis avant le 2 Janvier 1956. En clair, ceux qui ont été impliqués dans les troubles précédant ou ayant suivi les élections de Décembre 1956 ne sont pas concernés par l’amnistie. De plus, l’UPC n’est toujours pas légalisée. Dans ces conditions, Um Nyobé estime qu’il doit poursuivre ses activités politiques et armées dans la clandestinité. Il installe son quartier général à Mametel dans les environs de Boumyebel. L’armée rebelle le traque alors impitoyablement avec ses partisans maquisards.

Au début du mois de Septembre 1958, les militaires français dont le commandant en chef est le colonel Lamberton localisent son poste de commandement à Mametel. Informé,Um Nyobé quitte Mametel le 10 Septembre en pleine nuit sous une pluie battante, avec huit de ses fidèles dont deux femmes et son homme de confiance Mayi Matip Théodore. Ils ont décidé d’aller se cacher ailleurs dans le maquis dirigé par Alexandre Mbend Libot. Le lieu de rendez-vous est une grotte secrète. Après quelques heures de marche, le cortège qui s’est perdu dans la forêt décide de bivouaquer dans les rochers environnants. Le lendemain au lever du jour, le groupe réalise avec effroi qu’il a passé la nuit dans la « tanière aux lions », « lia li njee » en langue bassa, lieu connu et fréquenté par l’armée. Um Nyobé décide alors de dépêcher deux éclaireurs au village le plus proche. Leur mission est de ramener un guide capable de conduire le groupe jusqu’au maquis de Mbend Libot. 

Mais le 13 Septembre avant le retour des éclaireurs, Um Nyobé entend un bruit de pas et signale à son entourage la présence des militaires. Aussitôt, des coups de feu éclatent. Son compagnon Yem Mback est tué à bout portant ainsi que les deux femmes qui l’accompagnent. Um Nyobé est identifié par les indicateurs qui accompagnent la patrouille. Il est sans arme, il tient à la main un cartable qui contient ses documents et son agenda personnel. Paul Abdoulaye, soldat d’origine sara (Tchad) enrôlé par l’armée française, ouvre le feu sur lui. Il est atteint au dos et meurt dans d’atroces souffrances. Théodore Mayi Matip a échappé au massacre. Pressé par un besoin naturel, il était se soulager (dit-il) lorsque la patrouille a surpris Um. Le corps de Um Nyobé est enroulé dans un drap puis traîné jusqu’à Boumyebel où il est exposé en public.

Quelques jours après, le corps de Um Nyobé est accompagné dans sa dernière demeure par le pasteur Song Nlend.

Le premier Janvier 1960, le Camerouna français accède à l’indépendance, sous la houlette de M. Ahmadou Ahidjo, ancien militant du BDC, rallié aux thèses indépendantistes de Um Nyobé. En Octobre 1961, M. Ahmadou Ahidjo réunifie la partie méridionale du Cameroun occidental avec le Cameroun oriental anciennement sous domination française.

Samuel Nelle   (18/12/2005) 

Source : http://www.bonaberi.com

Note : Ainsi s’achève l’histoire de cet homme, Ruben Um Nyobé, le «Mpodol», qui de son empreinte aura marqué la lutte contre l’impérialisme occidental et l’asservissement des pays du sud. Que la terre de nos ancêtres lui soit toujours légère et puisse, la Jeunesse Africaine tout entière et Camerounaise en particulier, s’inspirer de cet homme, qui fût, à n’en plus douter, un des plus grands indépendantistes Africains. Demeure en paix, « Mpodol » : hier, tu as porté la voix; aujourd’hui, tu nous montres encore la voie. A nous d’arpenter sagement le chemin.

 

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