Q : Président Thomas Sankara, parlez-nous un peu de votre programme politique. En un mot quel est votre définition du pouvoir ?
Thomas Sankara : Nous faisons en sorte que ce soit une société moderne, faite de justice et de dignité, mais aussi faite de bonheur matériel. Ce qui nous impose de mener un combat total contre les pesanteurs sociales, entretenues par la bourgeoise et, surtout par l’impérialisme, qui organisent dans notre pays l’exploitation et l’oppression des masses populaires.
Q : Vous avez vécu une première expérience qui a vu son terme le 17 mai. Entre le 17 mai et le 4 août, avez-vous eu le temps de reconsidérer le chemin parcouru, de faire votre autocritique ?
Thomas Sankara : Nous pensons que le 17 mai a été pour nous une très bonne leçon politique. Cela nous a permis de voir, sous le CSP (Conseil de Salut du Peuple), auquel nous participions, que nous avions de grandes lacunes et que nous n’avions pas suffisamment confiance en la capacité des masses. C’est vrai que, sentimentalement, nous étions aux côtés des masses. Nous voulions la justice sociale. C’est vrai que nous voulions aussi que le peuple puisse réellement assumer le pouvoir. Mais nous le croyions incapable de le faire. Nous hésitions et nous voulions organiser le pouvoir pour le peuple. C’est la grande leçon que nous en avons tirée : il faut faire confiance au peuple et il faut le libérer. Une fois libéré de toutes sortes d’entraves, il sait lui-même développer les initiatives favorables à son développement. Il sait lui-même comment combattre ses ennemis.
S’il y a une leçon que nous devons en tirer, c’est celle-là.
La deuxième leçon est celle-ci : il ne nous sert à rien de vouloir traiter avec nos ennemis. A ce niveau-là, c’est une lutte de classes. La lutte est sans pitié et sans merci. Nos ennemis ne nous font pas de cadeaux. Nous n’avons donc pas à leur en faire. Saint Just disait : “Celui qui fait la révolution à moitié creuse sa propre tombe“. Nous pensions alors, sous le CSP, que ce que nous faisions était déjà assez révolutionnaire. Mais c’était une révolution à moitié, c’était du réformisme. Une des conséquences de la collaboration de classes que nous dénonçons aujourd’hui. Nous comprenons que nous n’aurions pas dû y croire.
Q : Vous avez déclaré dernièrement à Niamey qu’il n’y avait pas de pitié pour la révolution. Est-ce à dire que la révolution perd aussi de sa sérénité ?
Thomas Sankara : La révolution ne perd pas de sa sérénité. La morale bourgeoise, la sensiblerie que les réactionnaires utilisent pour domestiquer le peuple, tout cela doit être combattu. Avez-vous vu dans la réalité un réactionnaire éprouvant de la pitié ? S’ils avaient pitié, ils commenceraient par secourir tant et tant de malheureux dans les rues, les hôpitaux et ailleurs, alors qu’eux ont tous les moyens de se soigner, se vêtir, de se loger. Il y a des milliers, des millions de voltaïques qui n’ont rien. C’est est dû au manque de pitié. La pitié chez les réactionnaires est un vain mot. Ils n’ont de cœur que pour leurs intérêts, leur argent, leurs biens, leur capital. Ils se servent de cette morale comme d’un moyen leur permettant d’endormir les masses populaires. Nous ne sommes pas contre les sentiments nobles d’affection et même de compassion pour un humain, un humain qui souffre. Donc ce n’est pas un manque de sérénité de la part de révolution. C’est un courage que nous nous refusions par le passé, mais qui, aujourd’hui, s’impose à nous à cause du droit du peuple, car nous n’avons pas le droit de l’entraîner dans une semi-révolution. Il faut aller jusqu’au bout. Ce que nous n’avons pas dit hier, nous le disons aujourd’hui avec justement plus de sérénité et plus de conviction.
Q : Il y a quelques mois vous avez dit qu’un militaire non politisé était un criminel en puissance. Dans cette nouvelle étape que vit la Haute-Volta, le militaire va-t-il jouer un rôle beaucoup plus militant que militaire ?
Thomas Sankara : Nécessairement. D’abord parce que l’armée est une nécessité, un outil, un instrument contre toute sorte d’ennemis, qui peuvent eux aussi employer ces méthodes-là. Il faut leur opposer des professionnels, qui sachent lutter, se battre. Mais d’une part l’armée ne doit pas être un poids pour le peuple, sur le plan du budget, du soutien de l’entretien. D’autre part, l’armée ne doit pas être un moyen de troubler et d’inquiéter les masses. Au contraire on doit les rassurer. En fait l’armée, de part tous les avantages dont elle dispose, doit être à l’avant-garde du combat révolutionnaire. Si bien que, pour nous, l’armée voltaïque, aujourd’hui, est une armée qui est appelée à se transformer fondamentalement. Une armée qui doit quitter son cadre néo-colonial, pour devenir véritablement révolutionnaire aux côtés des masses populaires. C’est-à-dire que maintenant, le militaire ne doit plus se considérer comme une mercenaire, comme un salarié chargé d’exécuter des besognes, basses besognes, étranger au sein du peuple mais au contraire se sentir comme un élément du peuple, et à qui une mission particulière a été confiée. Cela inclut la défense du territoire, la défense des intérêts du peuple, sa protection et sa sécurité. C’est aussi la participation à la formation militaire du peuple et à la résolution des problèmes concrets de celui-ci, donc à la lutte pour le pouvoir économique. Nous verrons les militaires aux champs, gérer des fermes agricoles, s’occuper de l’élevage. Notre doctrine dit que la défense du peuple ne peut être confiée qu’au peuple. Celui-ce ne peut pas déléguer sa défense à quelqu’un d’autre, à un groupe quelque soit sa compétence technique. Le peuple se défend lui-même. Certes, dans l’organisation de la défense, les rôles ne seront pas les mêmes, certains seront plus spécialisés dans tel ou tel domaine. Tout comme dans l’armée elle-même. Certains de spécialisent dans l’infanterie, d’autres dans la cavalerie, d’autres encore dans l’aviation. Mais tout cela ne peut se faire que lorsqu’on a confiance au peuple, et surtout quand on a sa confiance.
Combien peuvent oser encourager le peuple dans cette voie ? Ils ne sont pas nombreux. Ceux qui sont les ennemis du peuple préfèrent s’appuyer sur une armée, donc sur un groupe d’hommes de la société qui consolide leur régime, leur pouvoir. Ils refusent les armes au peuple et le tiennent en respect. Ce n’est pas notre cas. Nous n’avons pas peur de le former militairement. Parce qu’il a confiance en nous et que nous avons confiance en lui. Le peuple sait que nous combattons les mêmes ennemis que lui, que nous sommes avec lui, que nous sommes en lui.
L’armée néo-coloniale qui faisait du militaire un privilégié de la société, cette armée-là est maintenant révolue. Et cela va jusqu’au combat contre l’élitisme. Nous sommes contre la formation élitiste du militaire qui a l’impression que son statut social le classe au-dessus du peuple. Nous sommes contre également les attitudes petites-bourgeoises de l’armée qui croit que le militaire doit être considéré, doit être mieux traité que les autres, et n’a pas les mêmes devoirs. Nous comme contre cela.
Q : Il existe en Europe une conception particulière de la prise du pouvoir par l’armée, on y distingue également l’armée du peuple. Vous avez maintes fois répété que ce n’était pas le cas dans un pays comme la Haute Volta. Mais d’un autre côté, nous avons tous été témoins d’expériences malheureuses où l’armée a pris le pouvoir en promettant le bonheur au peuple. C’est ce qui a, en partie, dévalorisé l’image de l’armée aux yeux du peuple. Les exemples en Afrique ne manquent pas. Est-ce que vous vous êtes établis des garde-fous pour ne pas déborder ?
Thomas Sankara : Ceux qui ont pris le pouvoir pour promettre le bonheur au peuple et qui ont déçu sont généralement des révoltés. Sincères. Mais simplement des révoltés. Ce ne sont pas des révolutionnaires. Nous faisons la différence entre la révolte et la révolution. Beaucoup vivaient à l’ombre et dans les grâces de dirigeants qu’ils ont renversés. Un jour ils ont ressenti le choc en découvrant toute l’arriération, la misère, la pauvreté de leur peuple, un peuple loin duquel ils s’étaient tenus pendant très longtemps, pendant des années. Ce choc a brutalement éveillé en eux un sentiment de pitié, de compassion pour le peuple. Et alors, profitant de leur nature, de leur formation militaire, de leur facilité, de disposer des armes, ils ont pris le pouvoir. Mais ce n’était que de la révolte. Ils n’ont pas su éviter les mêmes erreurs. Ils ont pris le pouvoir pour discipliner le pouvoir. Ils ont pris le pouvoir pour mettre plus d’ordre. En réalité, pour tenir le peuples en respect. Ils ont pris le pouvoir pour tomber dans les griffes de ceux qui ont qui de loin exploitaient leur peuple, donc dans les griffes de l’impérialisme. C’est comme cela que nous voyons l’impérialisme : encourager des coups d’État dans certains pays parce que cela constitue des solutions de rechange quand la machine réactionnaire commence à connaître quelques difficultés, à battre de l’aile. Lorsque la contestation populaire commence à monter et que les hommes sont “grillés”, il faut les remplacer par d’autres. Alors on prend des hommes honnêtes, certainement, mais simplement révoltés, qui arrivent et renversent l’ordre établi. Ils changent l’ancienne équipe pour installer une nouvelle qui se dit plus forte. Mais ce n’est pas tout.
Pour le peuple, la révolte ne suffit pas, elle a des limites qui sont très vites atteintes. Les révoltés, très vite, finissent pas s’opposer au peuple. Ils n’aiment pas le désordre. Ce qu’ils appellent l’”ordre”, c’est le système social réactionnaire et bourgeois amélioré. Nous, nous sommes sortis des casernes et on peut penser que nous sommes formés par ce camp-là. Mais la différence que nous avons avec les autres c’est que nous aimons réellement le peuple. Nous nous considérons comme élément du peuple, nous vivons avec lui, nous nous efforçons de connaître ses problèmes, les causes de sa misère. Nous effectuons une analyse politique idéologique, une analyse révolutionnaire, qui nous permet de situer quelles sont les classes qui exploitent les autres. Alors, si nous décidons de nous battre au côté d’une classe exploitée, au côté des masses populaires, nous devons, en tant que militaires, donc en tant qu’éléments violents, nous suicider politiquement pour renaître dans le pouvoir. Il faut ce suicide-là. Tant qu’il n’est pas fait, le militaire reste au plus un révolté, mais un révolté dangereux pour son peuple. Nous réalisons cet effort. Nous effectuons cette transformation politique et idéologique.
Q : Vous avez introduit une nouvelle composante dans le système politique en Haute-Volta. C’est la créaction des CDR (Comité de Défense de la révolution). Ne pensez-vous pas que puisse surgir un jour le conflit de compétence entre les CDR et les syndicats en Haute-Volta ?
Thomas Sankara : Exact, il peut y avoir un conflit de compétence. Dans toute lutte, pour représenter le peuple, il y a nécessairement des affrontements, des oppositions qui découlent de l’interprétation même de la compréhension claire et juste de ces masses-là. Le but du syndicat est de lutter pour les intérêts matériels et moraux de leurs militants, les travailleurs. Dans ces conditions, nous ne pourrons pas être contre les syndicats. Au contraire.
Les CDR sont des organisations pour défendre la révolution sur tous les plans. Les travailleurs se tiennent-ils à l’écart de la révolution ? Considèrent-ils que la révolution est l’affaire de certains dans le pays ? Nous ne le pensons pas. Dans ces conditions-là, nous estimons que les travailleurs syndiqués ou non syndiqués doivent défendre la révolution, parce que la révolution défend les intérêts des masses populaires.
Du reste, le syndicalisme peut aussi être une arme pour la réaction ; pour désamorcer les luttes populaires ; lorsque par exemple, les tensions risquent de naître et que certains syndicats cherchent à traduire les contradictions politiques en revendications salariales. Il suffit donc d’augmenter les salaires et on désamorce une lutte populaire. Là est le danger. Il faut donc que les syndicats soient révolutionnaires pour comprendre que, par-delà la revendication matérielle, c’est l’ordre social qu’ils mettent en cause, c’est la dénonciation de la classe dominante sur les classes dominées. Il devient ainsi un syndicat révolutionnaire, donc il défend la révolution et contribue à asseoir les CDR. Donc les travailleurs doivent se fondre dans les CDR à moins qu’une opposition entre les syndicats et les CDR ne se traduisent par des querelles de clocher et une volonté de leadership. Cela serait à notre sens contre-révolutionnaire. De mêmes que chercher à être chef coûte que coûte. Si le but du syndicat est de satisfaire les intérêts matériels et moraux des travailleurs et si la révolution a ce même but, on ne peut donc que fusionner.
Q : Fusionner ou coexister ?
Thomas Sankara : Fusionner. Sous le régime réactionnaire, le syndicat se justifiait. Sous un régime révolutionnaire, il n’y a que le syndicat révolutionnaire qui se justifie. Les syndicats réactionnaires doivent être combattus. Certains existent dans notre pays. Ils ont détourné les travailleurs de leurs véritables luttes. Mais les syndicats progressistes doivent comprendre qu’ils avaient dû limiter leurs buts, à l’époque, à une étape, dans des formes et des méthodes qui étaient improvisées aussi par la situation politique du pays. Aujourd’hui, il n’y a que les syndicats révolutionnaires qui se justifient.
Q : Et les partis politiques ?
Thomas Sankara : Les partis politiques sont supprimés, nous n’en parlons même pas.
Q : Ce qui est frappant, c’est que pour un pays aussi petit que la Haute-Volta, il y ait eu dans le passé, une multitude de partis. Qui va s’occuper maintenant de la politisation des masses ?
Thomas Sankara : La politisation des masses se fera au niveau des CDR. La politique de défense de la révolution sera mise ne place par eux, parce que la seule loi qui compte pour nous c’est la révolution. Il n’y a pas d’autre idéologie à accepter. Une idéologie à accepter. Une idéologie qui ne serait pas pour la révolution est à combattre. Donc il faut les CDR. Ils constituent une véritable école de la démocratie. C’est grâce à eux que le peuple peut s’organiser et que les masses s’organisent. C’est leur originalité.
Q : La Haute-Volta semble avoir quelques problèmes avec certains pays africains…
Thomas Sankara : La Haute-Volta rencontre d’énormes difficultés dans la sous région, c’est vrai. C’est même évident. Nous ne nous attendions pas à moins de cela. On nous reproche d’être des instruments de déstabilisation, d’utiliser la Haute-Volta comme tremplin d’uns déstabilisation libyenne. Mais, en réalité, on sait très bien que ce n’est pas la Libye qui va se servir de la Haute-Volta pour déstabiliser ces États. En tout cas, ce n’est pas la Haute-Volta qui va prêter son territoire. On sait très bien aussi que notre régime est apprécié de manière enthousiaste et sincère par notre peuple. C’est ce que craignent les autres. Ce que redoutent ceux qui veulent nous déstabiliser et nous font des difficultés. C’est l’exemple que nous donnons. C’est beaucoup plus cela qu’autre chose. Militairement, nous n’avons pas envie d’agresser. Nous ne voulons agresser personnes. Mais ailleurs, on craint que l’exemple voltaïque ne soit repris. On a peur des contradictions que nous avons trouvées en Haute-Volta, que nous dénonçons et que nous cherchons à résoudre, ne soient exacerbées, en soient mises à nu autre part, parce qu’elles existent ailleurs.
Nous, nous disons que notre révolution n’a pas été importée, elle ne saurait être exportée. Mais nous disons que, bien que la Haute-Volta n’entreprenne rien contre qui que ce soit, la vérité est révolutionnaire et finira par éclater où que ce soit. La révolution est scientifique, les mêmes causes produisent les mêmes effets. Quelle que soit la position dans laquelle on se place, sans que la Haute-Volta y soit pour quoi que ce soit, si un pays veut éviter la révolution, ce n’est pas en cherchant à nous déstabiliser, c’est en faisant la révolution chez lui. La meilleure façon d’éviter la révolution, c’est de la faire. Nous n’avons pas attendu de mot d’ordre pour faire la révolution en Haute Volta. Nous l’avons faite parce qu’elle s’est imposée à nous. Ce n’est pas du volontarisme, ce n’est pas un choix comme au super marché. C’est la réalité sociale qui nous impose cette difficulté historique : le peuple voltaïque doit faire la révolution. Les autres peuples la feront avec ou sans le concours de la Haute-Volta. Simplement parce que la révolution ne s’impose pas à un peuple. Il faut laisser le peuple vivre son expérience, faire sa révolution en fonction de sa prise de conscience.
Q : On constate qu’il y a de nouveaux rapports avec les pays africains. Comment voyez-vous tout cela ?
Thomas Sankara : Dans notre proclamation du 4 août, nous avons déclaré que nous sommes au côté de tous ceux qui sont pour la libération de leurs masses populaires, avec les faibles moyens dont nous disposons et avec notre soutien politique fervent. L’Algérie, par exemple est un pays frère, un pays ami et surtout un pays qui s’est engagé dans la voie de la révolution. Ceux qui s’engagent dans cette voie doivent comprendre qu’ils ne sont pas propriétaires de la révolution qu’ils ont déclenchée.
Il existe des peuples partout et les peuples ne sont pas opposés les uns les autres. Non, il n’y a que les intérêts des classes exploiteuses qui sont liés et qui peuvent se liguer contre les masses populaires. Les masses populaires, qui étaient exploitées, dominées, qui étaient bâillonnées en Algérie, sont les mêmes qui ont été exploitées et bâillonnées dans le reste de l’Afrique. Il n’y a pas la révolution algérienne, propriété de l’Algérie. Il y a la contribution de l’Algérie à la révolution dans le monde et qui ne peut se consolider que si d’autres peuples apportent leur contribution. C’est ce que fait la révolution voltaïque. Elle doit être chaque fois vigilante et remise en cause perpétuellement pour aller de l’avant. Une révolution qui ne fait pas de pas en avant est une révolution qui régresse, donc une révolution qui s’amenuise, s’affaiblit et se fait récupérer par les forces ennemies qui essaient de l’avoir à l’usure. C’est aussi une méthode que l’ennemi réactionnaire emploie.
Q : Où en sont vos relations avec le France ? Quels sont vos préoccupations et vos souhaits ?
Thomas Sankara : D’abord nous voulons être très clairs. Aucun Voltaïque n’est francophobe. Par principe, le Voltaïque n’est pas hostile à la France et aux Français. Cependant, les Voltaïques du 4 août sont hostiles à toute forme de néocolonialisme, à toute forme d’impérialisme, d’hégémonisme et de paternalisme. Certes, nous savons très bien que les partis politiques et les gouvernements ont des déclarations qui sont très belles et très généreuses. Mais nous constatons le contraire. Prenez le programme du Parti Socialiste, le programme commun de la gauche avant le 10 mai 1981 et comparez le avec ce qui se fait concrètement aujourd’hui. Vous verrez que c’est le jour et la nuit. Car il y a le capitalisme international avec tout son poids qui permet au gouvernement de dire ce qu’il veut bien dire, mais lui impose de se tenir dans une certaine voie. Est-ce normal que la France soit en Afrique du Sud ? Est-ce normal pour ces peuples africains ? Alors que chaque jour des Africains donnent leur sang pour la dignité africaine, pour la liberté des Africains nous constatons qu’il y a des armes françaises en Afrique du Sud contre les africains. Est-ce normal ? Nous ne pensons pas que ce soit la conviction des dirigeants français. Mais nous disons qu’il y a des intérêts supérieurs à leurs convictions déclarées dans leurs documents, qui font qu’ils se comportent ainsi. Donc, il y a bel et bien impérialisme et c’est ce que nous combattons. Et tant que Français et Voltaïques, Africains, tant qu’aucun d’entre eux n’acceptera de dénoncer le combat contre l’impérialisme, il continue à faire son jeu. Donc ce que nous faisons n’est pas dirigé contre la France. Lorsque les travailleurs français se mettent en grève contre tel ou tel exploiteur, ils ont le soutien automatique et normal des Voltaïques révolutionnaires. Ceux que nous combattons ici, ce sont ceux que les Français combattent quand ils se mettent en mouvement de contestation. Cela veut dire une fois de plus que la vérité est révolutionnaire et universelle. Elle n’est pas la propriété d’un peuple donné. Nous savons que nous dérangeons et que nous gênons des gens quand nous dénonçons l’impérialisme. Mais c’est une réalité et c’est bien parce qu’il y a un fossé que, d’un côté, nous avons de belles déclarations et que, de l’autre, nous avons une pratique qui est condamnable en Haute-Volta.
Propos recueillis par Saïd Ould-Khelifa,
Publié dans l’hebdomadaire Révolution N°196 du 2 décembre 1983 p. 58 à 61.