Nous publions ci-dessous une interview réalisée par Pathé Tidiane Barry, qui partage avec nous sa passion pour l’histoire du Burkina. Il est très actif au sein de l’association pour la promotion des Archives au Burkina qui publie de nombreuses archives sur sa page facebook que vous trouverez à https://www.facebook.com/groups/2500194143638843. Il collabore aussi à l’équipe de notre site. Merci à lui, pour cet énorme travail, car il a seul retranscrit cette interview.

Elle a été réalisée en juin 2024 à Tema Bokin où réside Ernest Nongma Ouedraogo, une commune dont il a longtemps été le maire. Pour mémoire, Ernest Nongma Ouedraogo a été ministre de l’administration territoriale pendant toute le Révolution. On le pensait cousin de Thomas Sankara mais il ne le confirme pas ici, précisant qu’enfant, il a été intégré à la famille Sankara, lorsque son père est décédé. Il revient sur ci-dessous sur son itinéraire.

La rédaction du site


 

Bokin, il est 9h 30 quand notre équipe arrive au domicile de Nongma Ernest OUEDRAOGO. Au moment où nous nous apprêtions à taper à la porte, une fille qui tient un kiosque juste à côté nous dit: « Ils ne sont pas là. Ils sont en voyage. Mais ils reviennent ce soir. »

Manque de pot. Mais qu’à cela ne tienne. Nous reviendrons le lendemain après qu’il se soit reposé de son voyage. Cela fait 4 ans que nous pris l’engagement de recueillir le témoignage du vieux pour les membres d’Archives Burkina et il n’était plus question de rater cette occasion. Surtout que lui même nous avait depuis 2020, donné son accord au téléphone puis en face à face il y a deux ans, pour témoigner.

Nous revoilà donc devant la porte de l’octogénaire (il a plus de 80 ans), le lendemain à 10h.

Pathé Tidiane Barry


Archives_Burkina: Vous êtes également connu pour avoir écrit un roman sous le pseudonyme de Kollin Noaga et intitulé « Retour au village ». Pouvez vous nous en dire plus sur les circonstances de son écriture ?

NEO: »Retour au Village » est bien le titre que lui a donné le comité de lecture. Il retrace l’aventure des migrants burkinabé en Côte d’Ivoire

A l’origine c’était un rapport d’une mission que j’ai effectuée en Côte d’Ivoire alors que j’étais commissaire de police de la RAN. J’y ai participé à certain événements très intéressants et au retour j’ai produit ce rapport qui avait été bien apprécié par le comité de direction de l’ENAM qui m’a proposé de le relire pour en faire un  roman.

Archives_Burkina: A partir de quel moment avez vous commencé à vous intéressé à la politique ?

NEO: Jamais je ne m’intéressais à la politique. J’étais tranquille chez moi, commissaire de police quand la révolution est venue. On a fait appel à moi. Je me suis présenté, bien au garde-à-vous.

Archives_Burkina: C’est le président qui vous a appelé ou bien il vous a fait appeler?

NEO: Non, à vrai dire il ne m’a pas appelé. J’ai juste entendu mon nom sur la liste des ministres. Donc je me suis présenté au secrétariat général du gouvernement.

Archives_Burkina : Vous n’avez donc pas été consulté avant d’être nommé?

NEO : Pas du tout.

Archives_Burkina: Vous avez donc été surpris…

NEO: Surpris, pas tout à fait. On en avait juste un peu parlé en privé. Mais je n’ai pas été (formellement) consulté.

Archives_Burkina: Vous et le président ?

NEO: oui

Archives_Burkina : Ou avez vous connu le président Thomas Sankara?

NEO : ici…

Archives_Burkina : Ici, à Bokin?

NEO: …nos parents se connaissaient déjà. Puis mon père avait décidé de m’emmener à l’aventure en Côte-d’Ivoire et finalement nous nous sommes retrouvés à Gaoua. Les deux familles se connaissant, on s’était donc retrouvés ensemble.

Puis, mon père décédé, j’ai été intégré dans la famille des Sankara, j’y ai passé deux ou trois ans avant d’être admis au certificat d’études primaires et affecté au lycée Ouezzin Coulibaly de Bobo.

Archives_Burkina : C’était vous l’ainé ou le cadet?

NEO: J’étais son aîné de 4 ou 5 ans

Archives_Burkina: Pour vous, qui était le président Sankara

NEO : un homme très affable, très touchant, très attachant …

Archives_Burkina : vous n’aviez pas été curieux non plus hein.  Vous n’avez pas cherché à savoir ?

NEO : Non ! Ce n’était pas un lieu de grande curiosité hein. Non non non ! (Rires)

Archives_Burkina : Vous qui suiviez un peu de loin les choses, de quand date selon vous les mésententes entre Sankara et Blaise Compaoré ?

NEO : C’était compliqué. Je suivais mais il n’était pas possible de poser des questions. C’est vrai qu’en privé, il m’arrivait de poser des questions mais ils me répondaient, l’un et l’autre d’ailleurs « noooon ! Ce sont des ragots,  des histoires…

Archives_Burkina : Chacun des deux disait cela?

NEO : Chacun des deux. Et effectivement, je les voyais en conseils, ils continuaient à se fréquenter… même dans la vie privée. Mais on sentait que quelque chose n’allait pas mais on n’arrivait pas à percer le nœud et donc pour le dénouer ce n’était pas facile.

Archives_Burkina : Mais vous n’étiez pas inquiet pour l’avenir de la Révolution ?

NEO : Bien sûr. Mais je ne m’attendais pas à un dénouement aussi rapide, aussi violent.

Archives_Burkina : Il n’y a pas eu de médiation? Vous n’avez pas tenté de les réconcilier ?

NEO : Si ! Ce sont les gens qui disaient : « Écoute, c’est toi l’ainé, fais quelque chose ». Alors, je les ai appelés tous deux et ils m’ont encore répété qu’il n’y avait pas de problèmes entre eux et que tout allait bien.

Archives_Burkina : On raconte que vous auriez dit, au plus fort de la crise que la Révolution en avait fini avec ses ennemis extérieurs et que vous alliez vous occuper de vos amis désormais et que c’est cela qui aurait été le déclencheur du drame.

NEO : Qui raconte cela ?

Archives_Burkina : Certaines personnes.

NEO. Je n’ai jamais tenu de tels propos. Je vous ai dit que je n’étais pas du CNR (là où les grandes orientations se prenaient, Ndlr)

Archives_Burkina : Pour justifier le coup, les tombeurs de Sankara l’ont accusé de « dérives droitières ». C’est quoi « dérives droitières » ?

NEO : Je ne sais pas ce qu’ils mettaient dans ce concept. Ce que je sais est qu’il (Sankara) donnait des ordres à tout le monde… Même au vice-président.

Archives_Burkina : Vice-président ? Blaise ?

NEO : Rires. On peut le dire ainsi.  Lui également recevait des ordres. Et au fil du temps, il avait fini par ne plus supporter cela.

Archives_Burkina : Moins d’un an aussi après l’avènement du CNR, il y a eu le licenciement de près de 1500 enseignants du primaire pour fait de grève. Pour les autorités de l’époque, cette grève était plus politique et visait la déstabilisation de leur pouvoir. 40 ans après, en avez-vous le même avis ?

NEO : Du côté du CNR, ils avaient eu des informations selon lesquelles les grévistes en voulaient au pouvoir. Mais quand on écoute, on comprend que c’était des revendications corporatives essentiellement. Mais bon… un régime aussi dur, comme on disait, ne tolère pas certaines contestations…

Archives_Burkina ; Venons-en maintenant au 15 octobre. Où étiez-vous ce jour-là ?

NEO: Le 15 octobre ?

Archives_Burkina : Oui!

NEO : J’étais dans mon bureau. Quand c’est arrivé, bon ; j’ai entendu des coups de feu hein…comme ça.

Archives_Burkina : Cela vous a complétement surpris…

NEO : oui ! On pensait que ça n’allait pas se passer ainsi, qu’il y avait de possibilités de …

Archives_Burkina : …de résolution pacifique ?

NEO : Voilà !

Archives Burkina : Donc vous ne saviez pas que c’était un coup ?

NEO : Non, je ne le savais pas … Puis on a écouté…… (il hésite, hésite puis finit par lâcher) c’était pénible hein Mais on a fini par s’y faire quoi ! C’était un coup particulièrement dur. Bon, on s’y est fait.

(Note : A ce niveau, nous avions craint que le vieux allait éclater en sanglots. Il donnait l’impression de revivre un moment pénible. Sa voix était devenue presque inaudible.)

Archives_Burkina : Croyez-vous qu’on pouvait éviter d’en arriver là ?

NEO : Mais ! Eviter… ? Ohh ils ont débattu de tout ça au niveau du CNR mais ça n’a pas débouché sur une solution particulière. Il n’y a pas eu de solution.

Archives_Burkina: Mais de toute évidence ça a surpris tout le monde…

NEO : C’est cela !

Archives_Burkina : Avez-vous cherché à vous mettre à labri vu que par la suite pour éviter le courroux des nouveaux maitres du pays parce que tout de suite après c’était comme une sorte de chasse aux sorcières…

NEO : Oui, mais bon ! il n’y avait pas lieu de se cacher parce qu’il n’y avait rien à faire… C’était des amis …. Nous avions des amis dans tous les groupes : Dans celui de Thomas Sankara et dans celui de Blaise. Que fallait-il faire ?

Archives_Burkina : Mais vous n’avez pas été inquiété à titre personnel….

NEO : Mais si ! j’ai été arrêté et envoyé au Conseil de l’Entente.

Archives_Burkina : Mais vous n’avez pas subi de vexations, de privations, de torture ?

NEO : Non ! Pas du tout. Mais enfin ! On travaillait (auparavant) ensemble. Il est vrai qu’après le 15 octobre on n’a plus travaillé ensemble mais il venait me consulter de temps en temps.

Archives_Burkina : Ah bon ? Pendant que vous étiez en prison ?

NEO : Oui !

Archives_Burkina : Par rapport à la marche du pays, à la gestion… ?

NEO: Oui ! Pas sur tout mais…

Archives_Burkina : Pendant que vous étiez en prison ?

NEO : Oui !

Archives_Burkina : Mais pourquoi est que vous acceptiez de collaborer ?

NEO : Pour le pays. On espérait que… Enfin ! Il n’y avait plus d’espoir en pensant qu’ils avaient assassiné Sankara… Il (Blaise Compaoré) continuait à nier de toute façon, qu’il ne l’avait pas fait exprès… C’était fini. C’était la rupture! Après cette rupture-là, on n’a plus continué…

Archives_Burkina : Est-ce qu’après ces évènements, Blaise Compaoré vous a approché ? Ou bien est ce que vous avez assisté à une rencontré avec lui après ces événements ?

NEO : Ohhh, longtemps après.

Archives_Burkina : C’était à quel sujet ?

NEO : Au sujet de son parti…

Archives_Burkina : L’ODP/MT ?  Il voulait que vous y entriez ?

NEO : Voilà !

Archives_Burkina; Et quel avait été votre….

NEO : … ahhh ! non non non ! Je trouvais que c’était trop tôt. Il cherchait des échappatoires quoi. Mais en fait ma décision était bien prise hein.

Archives_Burkina : Il se disait que s’il avait certains éléments de Sankara, il serait mieux accepté ?

NEO: Je crois, oui!

(Note : Ci-dessous la dernière partie du témoignage de Nongma Ernest OUEDRAOGO portant principalement sur les événements politiques du Burkina auxquels il a participé au cours des 40 dernières années.

Nous demandons aux membres du groupe d’être indulgents avec lui parce que le poids de l’âge pèse beaucoup sur lui maintenant avec ce que cela implique comme oublis ou peu de loquacité.

Il a la diction difficile et lente et nous avons dû beaucoup le ménager pour ne pas l’épuiser outre mesure.

Pour vous en donner une idée, nous avons essayé dans cette dernière partie de l’interview, de transcrire ses hésitations (matérialisées par des pointillés) afin que vous compreniez le contexte de l’entretien. )

Archives_Burkina: A l’avènement du multipartisme, avec d’autres camarades, vous avez créé un regroupement politique le bloc Socialiste Burkinabè (BSB) pour continuer les idéaux de la Révolution. Puis par la suite, les sankaristes se sont divisés en de multiples particules aussi impuissantes les unes que les autres. Qu’est ce qui justifie cela ?

NEO : l’immaturité et l’impréparation, à mon avis

Archives_Burkina: l’immaturité des héritiers de Sankara ?

NEO : Tout à fait. Certains pensent qu’ils sont les vrais héritiers du sankarisme. (Or) personne en la matière n’est vrai héritier du Sankarisme. Sankara n’a pas laissé d’héritiers (désignés) Il n’a pas laissé de…. De….

Archives_Burkina: … de testament ?

NEO : Voilà !

Archives_Burkina: A titre personnel, vous-même avez eu maille à partir avec le pouvoir de Blaise Compaoré qui avait arrêté, mis à la retraite d’office et déchus de vos droits à pension. Que s’était-il passé ?

NEO : C’était à l’occasion, je crois du 10ème anniversaire de la Révolution. Nous avons réuni le bureau politique et on a produit une déclaration. C’est de là que c’est parti.

Archives_Burkina: Par la suite, vous avez recouvré vos droits…

NEO : Oui : C’était une grâce…. Grâce… comment ils ont l’ont appelé même encore ? Grâce amnistiante. C’était suite (aux recommandations) de…. De…. L’autre là c’était quoi ?

Archives_Burkina: Le Conseil des sages…

NEO : oui, le conseil des sages… (Pour apaiser la situation nationale)

Archives_Burkina: Contrairement à la plupart des politiciens de votre rang qui préfèrent rester à Ouaga pour profiter des avantages de la ville, d’être toujours près des cercles de décisions, vous avez décidé de « rentrer au village » …

NEO : Mais… je pense que nous chantions « Vivre avec les masses, vaincre avec les masses » C’est ce que j’ai appliqué. Vivre ce que je professais.

Archives_Burkina : Vous avez par deux fois été élu maire de la commune de Bokin, mais au deuxième mandat, vous avez eu quand même des difficultés avec votre « opposition », le CDP… on a failli même vous faire un petit coup d’Etat…

NEO : Oui , oui, oui ! Ce sont eux qui préparaient des coups…. Ils étaient appuyés par notre… notre direction…la direction du parti….

Archives_Burkina : Ah bon hein !

NEO : Ah oui oui. C’était ….

Archives_Burkina : Un membre dirigeant ? Maitre Sankara de l’Unir/ PS ?

NEO : Oui! L’Unir/Ps. Ils ont tenu un conseil à Bokin ici. Ils nous ont tenaillés, tiraillés, insultés … proféré des menaces….

Archives_Burkina : Mais vous étiez dans le même parti…

NEO : Oui… Bon oui et non (rires) Parce que nous travaillions à créer un nouveau parti.

Archives_Burkina : Le parti dont le siège est juste à côté ici ?

NEO : Oui. C’était ça qu’on préparait ; Mais comme il n’y avait rien d’officiel… leur avocat n’a pas pu s’appuyer sur quelque chose de concret…En fin de comptes, ils ont été déboutés… Il y avait également que celui qu’ils avaient désigné comme représentant du parti à Bokin ici pour prendre ma place et aussi être candidats à la mairie avait été contesté par les militants.

Archives_Burkina : Il y a quatre ans je suis passé ici et j’ai remarqué une statue de Sankara isolée et quasi abandonnée sur une place. Pourquoi n’avez-vous pas songé à clôturer la place et en faire un site touristique ou un lieu de repos pour les passants ?

NEO : Des démarches ont été menées pour cela mais elles sont restées infructueuses.

Archives_Burkina : C’est vous quand même qui étiez à la mairie ?

NEO : Oui, mais la mairie n’a pas de moyens.

Archives_Burkina: Comment avez-vous accueilli la chute de Blaise Compaoré ?

NEO : ‘Soupire’. Trop tard…. (Silence). Trop tard mais c’était bien qu’il chute. Nous espérions qu’il chuterait plus tôt mais bon…

Archives_Burkina :  Ils disaient qu’il était là pour approfondir la Révolution…

NEO : il n’a rien fait pour approfondir la Révolution.

Archives_Burkina : Une dernière question : Lors du procès Thomas Sankara, certains de vos camarades disent n’avoir pas été heureux de votre témoignage parce que vous donniez l’impression de ne pas savoir grand-chose alors qu’ils s’attendaient à ce que vous chargiez…

NEO : Tout à fait. Je n’étais pas membre du CNR. Donc je ne pouvais pas charger comme ils le voulaient, les… les… comme on le disait, les étrangers quoi.

Archives_Burkina: Contre la France ? contre l’impérialisme international ?

NEO : Mais je ne pouvais pas les charger. Ni charger qui que ce soit d’ailleurs. Je ne pouvais pas inventer.

Archives_Burkina : Donc ce que vous avez dit au procès c’est ce que vous saviez. Pas un mot de plus pas un mot de moins ?

NEO : Non… (pas un mot de plus pas un mot de moins)

Archives_Burkina: Les membres du groupe Archives Burkina, par ma voix, vous remercient pour votre disponibilité et pour votre part de vérité sur les évènements qui se sont produits dans notre pays en particulier sur la période allant de 1983 à 2014.

Encore une fois, merci !

Propos recueillis en juin 2024 par Pathé Tidiane Barry (sur la photo avec Ernest Nongma Ouedraogo) pour Archives Burkina (voir https://www.facebook.com/groups/2500194143638843

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