Une personnalité atypique, rarement sous les feux des projecteurs politico-médiatiques burkinabé, et pourtant, acteur essentiel de la lutte pour la justice pour Thomas Sankara. Qu’est ce qui coince dans le dossier Thomas Sankara? Quels sont les espoirs pour l’aboutissement de la lutte du Comité international justice pour Thomas Sankara (CIJTS) ? Dans cette interview accordée à Burkina 24, M. Fall nous fait l’économie de toutes les démarches entreprises par le CIJTS. Modestement, il se laisse lire.

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B24 : M. Fall. Pouvez-vous vous présenter aux lecteurs de Burkina24 ?

A.S.F : Merci de me faire l’honneur de m’inviter dans vos colonnes. Je suis Aziz Salmone Fall politologue panafricain membre du GRILA le groupe de recherche et d’initiative pour la libération de l’Afrique. J’enseigne les relations internationales et la science politique. Je coordonne depuis 14 ans maintenant le CIJS la campagne internationale Justice pour Sankara, un collectif d’une vingtaine d’avocats et de personnalités qui tentent de lutter contre l’impunité.

B24 : Pouvez-vous nous faire l’économie de toutes les démarches entreprises par le Comité international justice pour Thomas Sankara ? Où en êtes-vous ? Qu’est ce qui coince ? Quels sont vos espoirs pour l’aboutissement de votre lutte ? » Ne sommes-nous pas à une période désespérante ?

A.S.F : Briser le cycle de l’’impunité est déjà réalisé, en effet des victoires obtenues ont perturbé ces cycles et d’ailleurs ce n’est pas la régularité du cycle ou des cycles qui est le véritable problème. Le problème c’est briser l’impunité elle même. En Afrique depuis 5 siècles des cycles d’impunité perdurent. Dans les sociétés antiques et médiévales africaines, des modes de régulations juridiques empêchaient strictement l’abus du prince, et la croyance métasociale aux sanctions des esprits, des ancêtres et des Dieux balisaient le tout. Dans votre propre société le Mogho Naba sort tous les vendredi se soumettre à la sanction du peuple de le garder ou non à sa fonction. Ceci réglait le mode de régulation. La déstructuration de ces modes par l’esclavage, le colonialisme et l’impérialisme ont instauré de façon chronique des cycles d’impunité au point que l’on y croit à l’impunité comme à une fatalité. Nous avons au GRILA voulu lutter contre cette fatalité en nous interposant durant ces 14 dernières années contre un complot international et local qui a interrompu la dernière révolution africaine. En cette période de crise économique, financière alimentaire, environnementale caractérisée par l’instabilité politique et le bradage des ressources du continent africain, le développement autocentré et le panafricanisme de Sankara s’avèrent plus que d’actualité. Le peuple du Burkina, la population africaine et la communauté internationale attendent toujours de connaître les circonstances de cet assassinat et leur (s) responsable (s).

Thomas Sankara et 13 de ses camarades ont été assassiné le 15 octobre 1987 en toute impunité son certificat de décès arguait qu’il est mort de mort naturel. Nous nous sommes interposés, avons perdu de façon inique en cour suprême au Burkina et avons porté le cas devant le Comité des droits de l’Homme.

L’impunité érigée en système au Burkina a été ébranlée par douze années d’efforts de la CIJS (Campagne Internationale Justice pour SANKARA) et de pugnacité du peuple Burkinabé. On se souvient qu’après avoir épuisé tous les recours juridiques au Burkina Faso, son Collectif juridique avait porté l’affaire devant le Comité des Droits de l’Homme de l’ONU. Ce dernier avait crée un précédent en Afrique et au sein de l’ONU en reconnaissant les violations de l’État parti : « le refus de mener une enquête sur la mort de Thomas SANKARA, la non-reconnaissance officielle du lieu de sa dépouille, et la non-rectification de l’acte de décès constituent un traitement inhumain à l’égard de Mme SANKARA et ses fils, contraire à l’article 7 du Pacte (par. 12.2). La famille de Thomas SANKARA a le droit de connaître les circonstances de sa mort (…). Le Comité considère que le refus de mener une enquête sur la mort de Thomas SANKARA, la non-reconnaissance officielle du lieu de sa dépouille, et la non-rectification de l’acte de décès constituent un traitement inhumain à l’égard de Mme SANKARA et ses fils.. » et par. 12.6. … le Comité considère que, contrairement aux arguments de l’Etat partie, aucune prescription ne saurait rendre caduque l’action devant le juge militaire, et dès lors la non-dénoncation de l’affaire auprès du Ministre de la défense revient au Procureur, seul habilité à le faire…

Cependant le Comité des Droits de l’Homme ne retenait pas expressément le droit d’enquête, mais exigeait une compensation financière et une reconnaissance du lieu de sépulture. Paradoxalement le Burkina Faso n’a apporté aucune preuve pour justifier le lieu de sépulture. La somme offerte en indemnisation à la famille totalisait 43 445 000 Francs CFA, soit 66 231,475 Euros, ou 65 000$, à peine équivalente à la somme de liquidation de la pension de feu Sankara à ses ayants-droits. Certains des experts se sont trompés dans la conversion en ajoutant un zéro à l’indemnité (soit 650 000 $ – 434 450 000 FCFA), alors que d’autres considéraient que l’État-partie faisait montre de beaucoup d’effort en rayant le mot » naturelle » du faux certificat de décès qui prétendait le Président SANKARA était décédé de mort naturelle. Malgré la rectification du chiffre par les Avocats et l’évidence que le pèlerinage des Sankaristes au cimetière devant des tombes présumées ne pouvait servir de preuve, le Comité des Droits de l’Homme a déclaré être satisfait en avril 2008 « aux fins du suivi de ses constatations et – qu’il n’a pas l’intention d’examiner cette question plus en avant au titre de la procédure de suivi » . Nous l’avons pris au mot et donc relancé le Burkina en introduisant une procédure judiciaire aux fins d’expertise des empreintes génétiques du corps présumé de ladite sépulture, à l’effet de les comparer à celles prélevées aux deux enfants SANKARA. Depuis nous attendons que l’État-partie daigne répondre et nous savons pertinemment qu’une portion de la magistrature de votre pays obéit aux ordres de l’exécutif et ne donnera pas suite à cette affaire. La balle est encore dans son camp.

B24 : Monsieur Fall. Thomas Sankara n’est-il pas en train de devenir un héro à la Ché Guevara, à la Lumumba ; plus illustre sur les tee-shirts que sur le plan réel ?

A.S.F : Il l’est déjà, de par le monde, et je crois qu’il le mérite. Maintenant il ne s’agit pas de tomber dans l’idolâtrie, le culte de personnalité ou l’iconographie, qu’il abhorrait, mais de saisir l’importance de son combat et la pertinence de son engagement et de son sacrifice pour l’Afrique.

B.24 : Croyez-vous qu’un jour on parlera de poursuites, de mandats d’arrêts internationaux dans cette affaire ?

A.S.F : L’histoire est en marche, les menaces et les intimidations ne freineront pas la détermination de la justice. L’un des protagonistes du meurtre de Sankara croupit après tout à la Haye.

B24 : Au cas où vous perdez gain de cause, finissez les voies de recours, que feriez-vous au niveau burkinabé, international ?

A.S.F : Nous ne perdrons nullement gain de cause car notre cause est juste et même ses assassins le savent. Le fait que le droit international soit perfectible est une chose. Notre victoire à l’ONU est déjà une jurisprudence passée à L’histoire. Aujourd’hui la famille Lumumba entame le même combat. Ben Ali et Moubarak sont poursuivis. L’Afrique doit transcender l’Ère des compradore, qui sont les principaux ennemis du développement et de l’unité de l’Afrique.

B24 : Que fait le Comité international justice pour Thomas Sankara cette année pour commémorer la disparition de Thomas Sankara ?

A.S.F : Toutes les sections ont des activités de commémoration de par le monde. La notre montre en première le Film « la révolution rectifiée », un film de Thuy Tien Ho que j’espère les Burkinabé pourront voir sous peu. Le devoir de mémoire semble plus important à l’international qu’au Burkina, pris dans la gestion alimentaire du quotidien, mais je sais que les Burkinabé seront toujours fiers de leur plus digne fils.

B24 : Quel est votre sentiment par rapport à la lutte sankariste au Burkina Faso ?

A.S.F : Elle tente dans la singularité de ses composantes de trouver une unité dans un milieu difficile avec des gens au pouvoir qui ont contribué à anesthésier une portion du corps social, coopté une portion de l’opposition. Thomas était en avance sur son peuple, et sur bien des peuples africains. La pertinence d’un développement endogène et panafricain est difficile à faire passer dans un monde où l’illusion d’une possible intégration au capitalisme brouille les valeurs et les repères. Mais si les Sankaristes dépassent les différences crypto-personnelles et résistent aux sirènes du pouvoir, ils pourront reprendre ce dernier, comme les sandinistes au Nicaragua, avec probablement une équipe plus consensuelle.

B24 : Les commémorations successives de son décès vous inspirent-elles quelque chose de précis ?

A.S.F : Le devoir de mémoire est important. Elles continueront, et des jeunes qui ne l’ont pas connu (NDLR : feu le président Thomas Sankara), apprendront de son œuvre et de la pertinence de continuer cette lutte pour l’émancipation totale de l’Afrique et son épanouissement.

B24 : Un petit dernier mot ?

A.S.F : Le peuple aura le dernier mot et il y a déjà plusieurs Sankara dans le monde.

Source : Burkina 24 le 15 octobre 2011 http://burkina24.com/news/2011/10/15/special-15-octobre-interview-exclusive-avec-aziz-fall-coordinateur-du-comite-international-justice-pour-thomas-sankara/

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