Brahima Ouédraogo

OUAGADOUGOU, 22 juil (IPS) – Des députés de l’opposition au Burkina Faso ont demandé à la France d’ouvrir ses archives afin d’y rechercher les preuves d’une implication présumée des services secrets français dans la mort du président Thomas Sankara.

Douze députés, avec à leur tête l’avocat Stanislas Benewindé Sankara, ont écrit, en avril 2011, une lette à l’Assemblée nationale française pour demander, sans trop y croire, l’ouverture d’une enquête parlementaire sur l’assassinat de l’ancien président burkinabè, Thomas Sankara, évoquant la “coopération entre les deux pays” et les “valeurs démocratiques de la France”.

“Il y a des témoignages que la France, qui avait été cité avant d’autres pays, est impliquée dans la mort de Thomas Sankara”, a déclaré l’avocat Stanislas Benewindé Sankara lors d’une conférence de presse le 16 juillet à Ouagadougou, la capitale burkinabè.

“Nous ne désespérons pas. C’est une procédure plus politique que judiciaire et la configuration actuelle de la France peut jouer en défaveur du dossier, mais des lors qu’il y a une volonté affichée au Burkina Faso avec des relais en France, le dossier sera examiné un jour”, ajoute l’avocat Sankara qui n’a aucun lien de parenté avec l’ancien président décédé.

La démarche des parlementaires burkinabè fait suite à la pétition lancée en décembre 2009 par un collectif international d’avocats soutenu par de nombreuses organisations non gouvernementales réclamant une enquête internationale indépendante sur la mort de Thomas Sankara. Ce collectif espère l’ouverture des archives françaises sur une affaire qui illustre, selon lui, la “Françafrique” (terme familier dénonçant la politique des officines obscures entre dirigeants français et africains).

“Il s’agit de faits qui se sont déroulés au Burkina et impliquant des Burkinabè. Personne donc ne peut obliger l’Etat burkinabè à accepter l’ouverture du dossier”, explique un juriste burkinabè sous couvert de l’anonymat et qui a suivi l’affaire de bout en bout.

Pourtant, l’avocat Benewindé Sankara déclare espérer toujours. “Il peut ne pas avoir désignation de rapporteur, mais c’est un dossier pendant et qui va rester jusqu’à ce qu’une suite favorable soit donnée. La France des droits de l’Homme ne peut pas fermer les yeux sur le dossier Thomas Sankara”, dit-il.

Jusque-là, une vingtaine de parlementaires français ont déposé une proposition de résolution réclamant la création de cette commission d’enquête alors qu’il en faut 30.

Ces parlementaires français, comme leurs homologues du Burkina, déclarent s’appuyer sur des témoignages faisant état d’une entreprise de déstabilisation menée par la France et ses services secrets. Ils expriment leur devoir de “tout entreprendre pour faire la lumière sur l’hypothèse accréditant la mise en cause des services secrets français compromis avec des militaires burkinabè”.

L’ancien président Thomas Sankara (1983-1987) a été tué le 15 octobre 1987 dans un coup d’Etat qui a porté l’actuel président Blaise Compaoré au pouvoir.

Alors que l’on se dirigeait vers la fin de la prescription décennale qui frappe les crimes et certains délits au Burkina, la famille Sankara avait saisi les instances judiciaires du pays “pour assassinat” par l’intermédiaire d’un collectif d’avocats.

Ces juridictions s’étaient déclarées incompétentes pour se saisir d’une affaire qui s’était déroulée dans un camp militaire et qui impliquait des militaires.

Le collectif d’avocats s’était alors tourné en 2006 vers le Comité des droits de l’Homme de l’ONU, mais s’était déclaré par la suite “surpris” par la décision de ce comité en 2008 d’avoir “clos le dossier sur l’affaire Thomas Sankara sans qu’aucune enquête n’ait été diligentée”.

En effet, le comité s’était déclaré satisfait des réponses du gouvernement burkinabè à ses recommandations, notamment la désignation de la tombe du président Sankara à sa famille et le paiement d’une indemnisation à celle-ci. Mais, la famille Sankara a toujours refusé cette indemnité.

Selon le juriste anonyme, l’Etat burkinabè est conforté par le fait qu’après la décision du Comité des droits de l’Homme de l’ONU, aucune autre instance internationale ne peut se saisir du dossier.

Mais selon le collectif d’avocats, l’appel pour l’ouverture des archives françaises a été signé par 6.600 personnes et a déjà reçu le soutien de nombreuses personnalités et associations de différents pays.

“Si nous sommes maintenant en crise, la raison la plus importante est la défaillance de notre système judiciaire”, déclare à IPS, l’opposant et député Arba Diallo, un ancien ministre des Affaires étrangères de Thomas Sankara. “Est-ce que notre justice est capable de jouer son rôle?”, demande-t-il, ajoutant: “Le jour où cela arrivera, ce sera la fin de l’impunité qui est la principale gangrène aujourd’hui”.

“Cette démarche est surtout politique car Thomas Sankara est un patrimoine national qui n’appartient plus aux seuls partis sankaristes”, affirme le juriste anonyme.

Simon Compaoré, le secrétaire général du parti au pouvoir, le Congrès pour la démocratie et le progrès, a lancé, en juillet 2011, une boutade devant la détermination des députés à rouvrir le dossier Thomas Sankara, la qualifiant d’une “façon de meubler leur temps”.

Mais, l’opposition se dit convaincue que le dossier sera ouvert un jour. “Tôt ou tard, le dossier reviendra ici car c’est ici le point de départ”, martèle Diallo. “Nous n’avons jamais demandé que l’on finisse d’enquêter sur tout ce qu’il y a eu comme crimes politiques. Nous pensons que tout ce qui a été commis comme crime doit faire l’objet d’une enquête”, souligne-t-il. (FIN/2011)

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