de Merneptah Noufou Zougmoré
Publié dans le numéro 39 du bimensuel Mutations du 15 octobre 2013
Ils ont participé au processus révolutionnaire comme des têtes de proue aux côtés de Thomas Sanakara et de Blaise Compaoré. Moins connus de la nouvelle génération, ces deux officiers, le capitaine Henri Zongo et le commandant Jean Baptiste Boukary Lingani ont été passés par les armes le 19 septembre 1989, accusés d’avoir ourdi un complot pour éliminer le président Blaise Compaoré. Passés presque dans l’oubli, ces deux chefs ont pourtant marqué la période révolutionnaire. Qui sont-ils ? D’où viennent-ils et quel rôle ont-ils joué dans le Conseil national de la révolution (CNR) ?
Le capitaine Henri Zongo a commencé son cursus scolaire au Prytanée militaire de Kadiogo (PMK), mais il ne l’a pas terminé dans cet établissement. Dans sa vie de militaire, il a été sous- officier en commençant par le grade de sergent. C’est plus tard qu’il deviendra officier. Capitaine de Train, Henri Zongo s’était spécialisé dans la conduite des engins militaires. Quant au commandant Jean Baptiste Boukary Lingani, il était dans l’encadrement des élèves du PMK dans les années 60 et 70. Il était le plus âgé parmi les chefs historiques de la révolution, à savoir Thomas Sankara, Blaise Compaoré et Henri Zongo. Lingani a fait ses études au Prytanée
militaire de Saint- Louis au Sénégal.
Contrairement à Henri Zongo, Jean Baptiste Lingani parlait peu. Selon un ancien membre du CNR et du gouvernement, Lingani pouvait assister à une réunion jusqu’à la fin sans émettre un avis. Ses propos sont corroborés par Adama Touré dans son livre : Une vie de Militant. Ma lutte du collège à la révolution de Thomas Sankara : « Le commandant Jean Baptiste Lingani fut, des quatre officiers, celui avec qui j’ai travaillé le plus longtemps au pays. Mais avant de le retrouver sous-officier au PMK à mon retour des études en 1967, je l’avais connu au Prytanée militaire de Saint-Louis du Sénégal où en ma qualité du président de l’ASV, j’avais conduit en avril 1965 des étudiants voltaïques en voyage touristique… Mais je parlais peu et rarement politique avec lui, car l’homme me paraissait réservé et trop prudent. » Quand Thomas Sankara a été nommé secrétaire d’Etat à l’information sous le Comité militaire de redressement pour le progrès national(CMRPN) et qu’il démissionne quelques mois après, Henri Zongo et Jean Baptiste Lingani sont solidaires de son action. Mais auparavant, ils partageaient beaucoup de positions politiques dans un regroupement clandestin des jeunes officiers, le ROC. L’ancien président Jean Baptiste Ouédraogo, dans sa communication à l’occasion des 100 ans d’Histoire du Burkina Faso en 1995 soutient qu’à Bobo-Dioulasso, Jean Baptiste Lingani et Blaise Compaoré étaient chargés de la préparation du putsch du 7 Novembre 1982.
A l’avènement du Conseil de Salut du peuple (CSP1), Lingani devient le secrétaire permanent du CSP et Henri Zongo en est membre. Sitôt après la réussite du coup d’Etat du CSP, selon Jean Baptiste Ouédraogo (JBO), c’est Yorian Gabriel Somé qu’on a voulu confier les rênes du pouvoir.
Zongo donne des explications à Yorian Gabriel
On l’informe mais les putschistes se rebiffent par la suite. JBO explique que : « Mandaté par le mouvement, le capitaine Henri Zongo saura expliquer au colonel Somé le retournement de la situation. Il lui dira néanmoins que le choix du président se fera par élection et qu’il était libre d’être candidat. » Le médecin commandant Jean Baptiste Ouédraogo jusqu’à la date du 7 Novembre 1982 qui était un parfait inconnu du public devient président de la République par le truchement d’une élection entre militaires.
En janvier 1983, Thomas Sankara est nommé Premier Ministre mais la cohabitation sera de courte durée. Cinq mois après, la rupture survient. Thomas Sankara et Jean Baptiste Lingani seront alpagués et emprisonnés respectivement à Ouahigouya et à Dori. Henri Zongo, le jour de leurs arrestations, le 17 mai 1983, avec une dizaine de commandos prennent le camp Guillaume Ouédraogo en otage. Il a fallu d’âpres négociations pour qu’ils lèvent le siège du camp. Après la libération de Thomas Sankara et de Jean Baptiste Lingani, le capitaine Henri Zongo joue le rôle de courroie de transmission entre les mutins de Pô dirigés par le capitaine Blaise Compaoré et les autres composantes de la résistance à Ouagadougou. Il était également l’interlocuteur du pouvoir en place jusqu’à la nuit du 4 Août 1983.
Dans le gouvernement révolutionnaire, Jean Baptiste Lingani est Le Commandant en chef du Haut commandement des forces armées populaires et Ministre de la Défense et des anciens combattants. Henri Zongo, ministre des Sociétés d’Etat et après le ministère change de dénomination et devient ministère de la Promotion économique. Outre ces fonctions, ils sont avec Thomas Sankara et Blaise Compaoré les « coordonnateurs du Faso » après chaque dissolution annuelle du gouvernement.
Lingani, Zongo et le 15 Octobre
Sous le CSP1, Henri Zongo avait présidé une commission chargée d’élucider des problèmes économiques. C’est à partir de cette expérience que l’idée de lui confier le poste de ministère de l’Economie dans un futur gouvernement a commencé à germer. Pour le choix de Lingani au ministère de la Défense, c’est semble-t-il sa longue expérience dans l’encadrement au PMK et son poste de commandant adjoint dans cette école qui a prévalu à sa désignation.
Thomas Sankara étant naturellement le leader avait la charge de conduire le pays en tant que Président et il s’est fait seconder par Blaise Compaoré comme ministre d’Etat délégué à la présidence. Lingani et Zongo étaient-ils au courant du complot du 15 octobre 1987 ? Tout laisse penser qu’ils ont été mis devant les faits accomplis. Fidel Toé, dans l’ouvrage intitulé Thomas Sankara, l’Espoir Assassiné de Valère Dieudonné Somé dit : « Sur le chemin menant à ma résidence, j’aperçus le capitaine Henri Zongo en tenue de sport qui avait abandonné sa R5 noire pour une bâchée marquée coopération francoburkinabè. Il me parut bouleversé et inquiet. Assis à côté de son chauffeur, il était aussi accompagné d’un autre soldat armé d’une kalachnikov. Plus tard, j’apprendrai que le capitaine Henri Zongo était en train de fuir. Il passera la nuit dans le village de sa belle-famille, non loin de la frontière du Ghana. »
Après les événements du 15 Octobre, Henri Zongo négocie Valère Somé comme il l’a fait avec Boukary Kaboré dit le « Lion » pour rallier le nouveau pouvoir avant que les forces alliées au nouveau pouvoir ne prennent Koudougou. Valère rapporte ce que Henri Zongo lui a dit : « Comme tu as pu t’en rendre compte, j’ai échoué dans ma mission. » Somé explique qu’il : « avait en effet demandé d’oeuvrer à la conciliation entre le Président Thomas Sankara et Blaise Compaoré, afin que nous surmontions la crise. » et Henri Zongo de le persuader : « L’irréversible s’est produit. Mais il nous faut plutôt songer à l’avenir de ce pays. Aussi, je te demande de faire preuve de maturité et de ne pas opposer un refus à une éventuelle invitation du Front populaire. » Un officier membre du CNR soutient que Zongo et Lingani n’étaient pas au courant du complot du 15 octobre, mais ils ne pouvaient pas refuser de travailler avec Blaise Compaoré, sinon c’était signer leur arrêt de mort compte tenu du rôle éminemment stratégique qu’ils ont joué dans le CNR. Deux ans après, ils n’échappent pas à ce qu’ils avaient craint pour rallier le pouvoir. Le 19 septembre 1989, accusé de complot contre Blaise Compaoré, ils sont passés par les armes.
Merneptah Noufou Zougmoré
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La conjuration de septembre
Moins de deux ans après le 15 octobre 1987, le 18 septembre 1989, le capitaine Henri Zongo et le commandant Jean Baptiste Boukary Lingani sont exécutés. On les a accusés de conspiration contre le Front populaire et son Président.
Après leurs exécutions, Blaise Compaoré déclare, selon Valère Somé, que : « Le peuple burkinabè sait désormais qu’il n’a qu’un seul chef. » A l’approche de septembre 1989, la rumeur faisait cas de la mise à mort éventuelle des deux rescapés de la Révolution. Selon des témoignages concordants, Lingani inquiet a demandé sa mise à la retraite anticipée, mais rien n’y fit. Dans les aveux arrachés sous tortures des « conjurés », le commandant Lingani dit : « Je n’ai rien de particulier à ajouter sauf que c’est dommage. J’ai cru en la sincérité de tous ces
camarades qui sont venus me contacter, présenter la situation comme s’il y avait crise qui nécessitait que nous prenions notre responsabilité. C’est peut-être là que j’ai été naïf de m’ouvrir à des camarades que je croyais sincères comme le capitaine Gilbert Diendéré et Henri Zongo. Je n’avais pas d’autres intentions. »
De cet événement qui a occasionné la disparition de Sabyamba Koundaba, de Gningnin, de Henri Zongo et de Jean Baptiste Lingani, des noms des civils comme des militaires reviennent parmi ceux qui ont monté savamment cette cabale. Il s’agit de Laurent Sédego, Gilbert Diendéré, Hermann Yaméogo, Issa Tiendrébeogo et son cousin Alain Ouilma de la Sureté nationale.
Merneptah Noufou Zougmoré