Le Burkina prépare la commémoration du 20emme anniversaire de la mort de Sankara
Bruno Jaffré
Ce reportage a été écrit en mai 2007 mais on trouvera un reportage sur la façon dont s’est réellement déroulée la commémoration à Ouagadougou en octobre 2007 à l’adresse http://thomassankara.net/?p=0572
Ca y est je me lance. Depuis quelques jours que je suis au Burkina, je pense à tous les fidèles visiteurs du site thomasankara.net bien sur mais aussi à tous ceux qui souhaitent suivre un peu la réalité de ce pays, au-delà des reportages touristiques ou des trop rares dépêches des agences de presse. J’imagine comme ils doivent être impatients de savoir comment le pays de Thomas Sankara se prépare à ce vingtième anniversaire. Une motivation supplémentaire pour moi. Et il en faut pour se mettre au travail. La chaleur est écrasante ici, plus de les 40°!
De quoi parle-t-on à Ouagadougou?
Comme d’habitude la ville bruine de rumeurs diverses. L’actualité récente c’est la préparation des élections législatives mais surtout le pillage de 4 maquis de la chaîne Kundé. De quoi s’agit-il? Cette chaîne a connu un développement rapide. A tel point qu’elle compte aujourd’hui à Ouagadougou quelques dizaines de bars qui emploient plus de 1000 personnes. Une rumeur a envahit la ville. La Cette réussite serait dû à des sacrifices humains. Il y aurait des têtes d’hommes coupées chez le propriétaire ce cette chaîne. Et puis, plusieurs corps ont été retrouvés mutilés. Alors la population, probablement manipulée s’en est pris au Kundé et ont brûlé et pillé plusieurs de leur maquis, alors que l’innocence du patron de la chaîne a été depuis reconnue. Vincent Ouattara dont nous reparlerons plus tard, très au fait de la vie politique de son pays, nous livre son analyse : “Il faut souligner que l’on soupçonnait dans la ville que certains pandores du systèmes étaient derrière les Kundé, que les personnes qui les dirigeants n’étaient autres que des écrans. Reste à justifier, mais ce jugement traduit le climat de suspicion qui prévaut dans ce pays après que les privatisations aient révélé que des hommes du régime reprenaient certaines entreprises par le biais de personnes écran. Cette opinion que les gens avaient des Kundé n’était pas déjà bonne. Et le crime de personnes, mutilées de la tête et des mains a conduit aux auteurs quiseraient des propriétaires (pour les uns) des habitués (pour les autres) des Kundé. La population s’en est donc pris aux Kundé. Mais de l’avis des propriétaires, cette hargne contre leurs établissements n’est pas fortuite; Ce serait le coup des concurrents….“
On me racontera au cours de mes pérégrinations en ville une autre histoire de maison pillée dans un quartier dont on me montrera les restes. Elle appartenait à une personne soupçonnée d’assassinats. Des évènements graves qui font suite encore à l’exécution par la police de 3 personnes, dont un conseiller municipal bien connu de la population, sans jugement, accusés d’être des coupeurs de route alors qu’ils étaient innocents, sans parler des évènements de décembre où les policiers et les militaires se sont affrontés en pleine ville sans qu’aucune sanction n’ait été prise depuis.
Les burkinabé ont mal à leur justice. La presse semble bénéficier d’une totale liberté. Enfin presque. En effet, le directeur de Bendré (voir à l’adresse http://www.journalbendre.net/), Cheriff Sy a dû subir un interrogatoire de quelques heures après avoir divulgué un rapport interne de la police à propos des “coupeurs de route” dont il est question plus haut, révélant la vérité sur l’affaire. De même des journalistes de l’Evènement Germain B. Nama et Newton Ahmed Barry ont été mis en examen pour avoir titré :”Ainsi c’était donc lui” mettant en cause François Compaoré, le frère du Président dans l’affaire du journaliste assassiné Norbert Zongo le 13 décembre 1998. Près de 10 ans après la justice vient encore de prononcer un non lieu sur cette affaire. Sans parler encore des ennuis faits à plusieurs journalistes de l’hebdomadaire San Finna (voir à l’adresse http://www.sanfinna.com/) .
Cet horrible assassinat, Norbert Zongo et ses trois compagnons, brûlés dans leur voiture par une arme de guerre, a entraîné un formidable mouvement populaire, obligeant le pouvoir à céder quelques libertés dont la presse profite aujourd’hui. Celle qui n’est pas liée au pouvoir publie des tribunes libres ou des articles très durs contre le pouvoir en place qui fait mine de ne guère s’en offusquer. Les burkinabés ont gagné un peu de liberté mais le pouvoir paraît solide et en tout cas sûr de lui. Un sentiment sans doute renforcé depuis que la Françafrique s’est mise très officiellement en rang serré à la disposition de Blaise Compaoré lui attribuant la mission de leader régional en remplacement de Houphouët Boigny. Le voilà donc maintenant champion de la paix abritant dans son pays de nombreuses négociations. C’est ainsi que bien qu’il était encore considéré comme le fauteur de trouble de la région pour ses antécédents au Libéria et au Sierra Léone aux côtés de Charles Taylor, son implication dans les trafics d’arme et de diamants, voilà qu’une association dénommée Association d’amitié franco-burkinabé présidée par Guy Penne, vient d’être mis en place qui multiplie les réceptions aux Sénat en France et dont certains membres auraient même proposé Blaise Compaoré comme prix Nobel de la Paix!
Outre cet ancien conseiller des affaires africaines de Mitterrand, elle rassemble quelques sommités de la Françafrique dont plusieurs anciens ministres de la coopération comme Michel Roussin, ancien des services secrets, condamné par la justice pour son passage à la mairie de Paris aux côté de Jacques Chirac, et aujourd’hui le responsable Afrique du patronat français sans compter M. Aubaret ancien responsable de la Chambre de Commerce de Ouagadougou, considéré comme le représentant en son temps des réseaux Foccart.
Bon excusez de cette diversion mais tout cela me reste un peu en travers de la gorge, il fallait que ça sorte avant de passer à autre chose.
On arrive bien à écrire!
Alors me voilà installé sur la terrasse de mes “logeurs” comme on dit ici. Merci à eux. Un ventilateur brasse l’air chaud sans réussir à en diminuer la température, mais cet air qui circule et me caresse le visage fait tout de même du bien. Ca évite déjà la transpiration et de se retrouver à baigner dans “une piscine de sa propre sueur” selon une expression de Zoul, militant altermondialiste que j’ai retrouvé ici à Ouaga. Jeune français activiste, il offre ses services et ses connaissances en informatique à chaque forum social et surtout publie de nombreux reportages de ses activités militantes et ses voyages quand il n’appelle pas à la solidarité lorsque des militants sont emprisonnés, ce qui en Afrique est évidemment chose courante. (voir son site à l’adresse http://www.zoulstory.com).
Je me lance sur mon ordinateur que j’ai voulu faire fonctionner sans aucune trace de Microsoft mais uniquement de la suite libre Ubuntu et de sa suite bureautique muni de son OpenOffice.org Writer. N’ai je pas de quoi être fier?
Tout en écrivant mon ordinateur repasse inlassablement le nouveau disque de Sams’k Le Jah « Une bougie pour Sankara » (voir à l’adresse http://thomassankara.net/?p=0292), que j’ai eu le plaisir de rencontrer et même de voir jouer pour la clôture du forum social. Je vous en reparlerai un peu plus tard.
Et lorsque je n’écris pas à la maison mes amis Chériff Sy et Abdoulaye Diallo m’accueillent gentiment au centre de la presse Norbert Zongo du nom du journaliste assassiné en 1998 pour avoir dénoncé différents scandales du régime et notamment l’assassinat par la torture du chauffeur du frère du président Blaise Compaoré, qui l’avait livré en dehors de toute procédure de justice aux hommes de la garde présidentielle.
Abdoulaye, le gestionnaire et Cheriff, le président, grâce à leur acharnement à leurs compétences ont réussi à monter un dossier solide et obtenir ainsi des financements pour ce centre qui accueille conférences, projections de films, débats, salle de documentation ; un lieu de liberté dans cette ville où la peur diffuse fait encore son effet lorsqu’en particulier on évoque Thomas Sankara.
Ils bossent comme des dingues car ils sont en pleine préparation du FILEP, le Festival International de la Liberté de la Presse (voir à l’adresse http://www.filep.org/) qui doit se tenir dans quelques jours mais qui sera terminé lorsque vous lirez ces lignes. Sous pression Cheriff a tendance à gueuler un peu trop à mon goût! Mais j’ai toujours droit à salut chaleureux, une petite plaisanterie voir une taquinerie. Et puis j’y croise régulièrement Zoul qui a vite trouvé quoi faire entre le site du FILEP et celui de Bendré, ou Cyril jeune cinéaste militant qui prend le temps de s’imprégner des réalités avant de rentrer boucler son ou ses films. Je croise souvent aussi Issaka Traoré, jeune intellectuel lui aussi très engagé, l’esprit critique toujours en éveil, membre du comité d’organisation du forum social mais aussi du collectif de préparation du 20ème anniversaire de la commémoration de la mort de Sankara. Lui aussi travaille pour le FILEP, notamment en effectuant des traductions. Nous correspondions depuis quelques temps par courriel. Nous avons notamment échangé des idées sur la préparation de ce 20ème anniversaire mais aussi à propos d’un manuscrit qu’il a déposé à l’Harmattan depuis plus d’un et qui n’était toujours pas publié lorsque j’écris ses lignes.
Après avoir fait une expérience désastreuse dans un cybercafé de la ville où en une demie heure je n’ai pas réussi à traiter quelques 6 messages en instance, le centre offre une connexion tout à fait correcte. Ici en plus de cette convivialité, la connexion est généralement assez bonne mais je dois avouer que je suis aussi particulièrement attiré par la fraîcheur de la salle climatisée qui abrite les ordinateurs. On en a presque le sentiment de se reposer en travaillant.
Bon bon je me plains, mais après tout la fraîcheur m’attend à paris bientôt et de longs sommeils réparateurs. Mais ne croyez pas que les burkinabé ne souffrent de la chaleur pas sous prétexte qu’ils sont habitués. Tous s’en plaignent tout autant que nous. On me dit même qu’il faut tellement chaud qu’il est impossible de faire la sieste, moment de repos au milieu de la journée quasiment institutionnalisé pour les salariés, puisque la pose dure de 12h à 15h. Moi encore je suis en vacances, si je bosse c’est bien que je l’ai choisi. Mais les burkinabé c’est le quotidien.
Réunion du collectif de préparation du 20 ème anniversaire.
Depuis la première réunion en janvier 2006 au forum social de Bamako et depuis que le 15 octobre 2006, les sankaristes et leurs amis présents au cimetière ont déclaré l’année 2007, “l’année Sankara”, les choses ont bien avancées. Un appel en 5 langues est diffusé un peu partout. Des correspondants dans une vingtaine de pays commencent à mettre en place des collectifs nationaux et des réunions publiques se sont déjà tenues dans quelques pays.
Un grand événement international est prévu 3 jours à Ouagadougou les 14, 15 et 16 octobre 2007 à Ouagadougou. Je suis impatient de rencontrer les membres du comité d’organisation au Burkina. Ils ont la lourde responsabilité de préparer ici au Burkina Faso ce grand événement. Une quinzaine de personnes sont présentes la plupart assez jeunes. Je croise pour la première fois le musicien Sams’k Le Jah, très posé et calme et aussi d’autres que je reverrai plus tard. Lui aussi tente aussi un peu de bousculer, notamment lorsqu’il sera question du stand, il fait des propositions pour qu’il soit bien décoré.
La première difficulté a pu être surmontée semble-t-il sans trop de difficulté, sans doute grâce à l’esprit de responsabilité de tous, mais aussi au savoir faire de Cheriff Sy, directeur du journal Bendré, et de Jonas Hien, Président de la Fondation Sankara. Tous deux, non membre d’un parti, connaissent bien les leaders des partis sankaristes et Jonas Hien a déjà eu à organiser leur cohabitation lors du dernier anniversaire le 15 octobre 2006. Quant à Cheriff il est reconnu pour son courage à la tête de son hebdomadaire Bendré, et son efficacité dans l’organisation d’évènements importants. Le collectif compte aussi plusieurs représentants de la société civile qui n’appartiennent à aucun parti.
Tous deux coprésidents du comité d’organisation forment une paire parfaitement complémentaire comme le montre la réunion. Pourvu que ça dure. Jonas Hien la dirige calmement méthodiquement et Cheriff sait bousculer l’assemblée lorsqu’il s’agit de passer aux tâches pratiques. La réunion se tient dans une atmosphère bon enfant. Depuis janvier 2007, il ne reste plus que deux partis sankaristes : l’UPS récemment créée après le regroupement de 5 partis et l’UNIR/MS, dont le leader Maitre Benewendé Sankara est arrivé le premier de l’opposition lors des dernières élections présidentielles mais avec seulement 4%, dans des conditions difficiles, mais loin devant les autres. Mais à l’approche des élections législatives, ils ne se font pas de cadeau.
Après un très court débat, que je me suis permis de lancer sur l’opportunité de la présence des leaders des partis au forum social, la réunion va très vite se consacrer aux tâches pratiques et aux derniers préparatifs pour que le stand de la Fondation présent au forum soit bien animé. On m’apprend que je dois animer un atelier sur la dette au nom de la Fondation Sankara, car c’est sous son nom que le collectif a pu être accepté comme participant à part entière au forum. J’exprime ma perplexité et mon impréparation. Mais telle est la décision du collectif, je m’y soumets donc. Maître Bénéwendé Sankara président de l’UNIR/MS assurera le rôle de facilitateur.
Le stand Sankara au forum social
Le forum social a été précédé d’une polémique dans la presse à propos de la présence des sankaristes. On s’attend à des difficultés mais rien de tout cela. Mieux, cette polémique a finalement donné plus de visibilité au forum. On trouvera beaucoup de choses sur le site du forum à l’adresse http://www.forumsocialburkina.info/ et aussi de nombreuses photos sur le site de Zoul à l’adresse http://www.zoulstory.com/blog/?2007/04 ).
Tous les organes de presse reconnaissent son succès. Je n’ai pas de comparaison, avec un autre forum local comparable, mais Zoul qui a participé à de nombreux forums sociaux en Afrique confirme le succès. L’affluence est au rendez-vous, 750 inscrits effectivement, dont 200 paysans, alors que l’objectif n’était que de 600, et sachant qu’il n’était pas nécessaire d’être inscrit pour participer. Peu d’étrangers, ce qu’il faut regretter, car ces militants ont besoin de soutien.
La grande salle, où se tiennent les plénières, est trop petite. La plupart des ateliers se tiennent avec une bonne affluence. Les salles de classe s’avèrent trop petites notamment pour ceux en langues nationales dont les salles d’accueil sont trop petites.
Il y a, me dit-on, des ratés dans l’organisation, je ne m’en suis pas rendu compte. Les repas préparés uniquement avec des produits locaux sont tout à fait corrects et il n’y a pas de cohue pour se faire servir. Et les salles des ateliers, des salles de classe de l’ENEP de Loumbila, une école de formation d’instituteurs, à 15 kilomètres de Ouagadougou, sont bien indiquées.
Une vingtaine de stands proposent des produits et des brochures mais le stand de la Fondation Sankara est incontestablement l’attraction. Le seul muni d’une sonorité conséquente où se succèderont des discours de Sankara, les morceaux du disque de Sams’k Le Jah intitulés “une bougie pour Thomas Sankara”, et à la fin du forum la dernière compilation au profit de l’association SURVIE. Zoul, vient régulièrement se plaindre de ne pouvoir discuter deux stands plus loin et finit par se mettre en colère. Mais le dernier jour tout semble rentré dans l’ordre, je le trouve de bonne humeur, alors que la sono m’est pourtant apparu toujours aussi puissante. Les participants assurent une fréquence soutenue du stand. Ils visiteront nombreux l’exposition de photos de Sankara, un peu jaunis il est vrai. Mais Sams’k Le Jah a réussi son pari. Les nombreux slogans et citations de Sankara peints en couleur sur du bois, qu’il a fait confectionner, vont permettre d’égayer le stand. Encore une réussite même s’il faut quand même déplorer l’insuffisance des personnes qui se relayeront pour tenir le stand durant ces 3 jours.
L’atelier Sankara et la dette au forum social
L’atelier sur la dette est prévu le jeudi 28 à 17h. Je profite de la belle 4×4 de maître Benewendé Sankara et surtout de la fraîcheur reposante que procure son climatiseur pour me rendre à Loumbila. Il me confie combien sa tâche est difficile, que la politique n’est pas dans ce pays une sinécure. Les pièges que lui tend le pouvoir sont nombreux et divers. Les collaborateurs qu’il a contribué à former ont créé leurs propres affaires, « c’est normal » dit-il, mais pas facile pour con cabinet d’avocat par lequel il s’est fait connaître. Si je pouvais me retirer je le ferai dit-il et de me raconter s’être confié à des gens de son village qui lui ont répondu : “Si tu te retires, qu’allons nous devenir? ». Alors il tient bon, persévère. Pas question de lâcher donc.
Nous arrivons largement en avance et je dois m’en excuser auprès de Maître Bénéwendé à qui j’ai pris du temps précieux. Il me rassure. Il a besoin de souffler un peu. Nous attendons devant le stand « 2007 Année Sankara ». Maître Bénéwendé est sollicité de toute part. On lui pose des questions, lui demandent des précisions où on l’encourage.
Nous nous rendons dans la salle 1 où doit se tenir l’atelier. Elle se remplie sans peine. Après une courte introduction du facilitateur, je me lance non sans quelques appréhensions. J’ai bien quelques notions à propos du problème de la dette que j’ai acquises grâce aux lectures régulières des publications très bien documentées, du CADTM (Comité Pour l’Annulation de la dette) qui fait un travail remarquable d’expertise sur le sujet. Mais il n’en reste pas moins que je n’en suis pas un spécialiste. Aussi ai-je pris le parti de commenter le discours de Sankara à l’OUA sur la dette en1987. L’essentiel y est : l’historique de la dette qui trouve son origine dans les « propositions alléchantes » des « assassins techniques », la dette comme moyen de « reconquête savamment organisée de l’Afrique, pour que sa croissance et son développement obéissent à des paliers, à des normes qui nous sont totalement étrangers », ce qui s’est concrètement traduit par l’arrivée du FMI et de la Banque Mondiale devenus les véritables décideurs dans les pays endettés imposant des politiques d’ajustement, dont l’échec apparaît aujourd’hui flagrant, l’impossibilité de rembourser et surtout le caractère illégitime de cette dette.
Dans une bande dessinée publié par le CADTM on peut lire à ce propos: «L’annulation de la dette est une condition indispensable pour construire un monde soucieux d’égalité, de fraternité et de justice. Dans ce but la notion de dette odieuse est un outil précieux. Déjà invoquée avec succès en 1898 à Cuba et en 1923 au Costa Rica, elle permet au gouvernement démocratique de protéger la population. En effet, le droit international reconnaît que si un régime illégitime ou dictatorial contracte une dette contraire à l’intérêt des populations, le régime qui lui succède peut la dénoncer. Elle est alors dénoncée de nullité et n’a pas à être remboursée : c’est une dette personnelle des anciens dirigeants de ce pays ». (Voir dette Odieuse, Frédéric Chauvreau , Damien Millet , CADTM Editions Syllepse, mai 2006).
Thomas Sankara continue son discours en invoquant la convergence d’intérêts et des luttes des peuples du sud et du nord, ce que nous vivons actuellement après l’émergence du puissant mouvement altermondialiste. J’explique à ce propos la convergence de nombreuses couches de population du Nord comme du Sud, y compris des agriculteurs. Car s’il existe bien en Europe des bussiness man agriculteurs qui bénéficient des subventions et de l’accès au marché international, de nombreux agriculteurs disparaissent quand ils ne sont pas écrasés par les circuits de distribution des grandes surfaces, appartenant à des multinationales, dont le réseau maille tout le territoire en France, jusqu’aux petites villes de province.
Sankara poursuit sur un appel à cesser d’acheter des armes et à utiliser les sommes ainsi économisées à financer le développement et invite ensuite à « Produire en Afrique, transformer en Afrique et consommer en Afrique ».
L’assemblée est restée attentive visiblement intéressée. Maître Bénéwendé donne quelque chiffres sur la dette du Burkina, de l’ordre du tiers du PIB, qui malgré les différentes d’annulation annoncées à grand fracas par les communicateurs du FMI ne diminue pas. Le débat s’engage, les questions fusent. On demande des précisions sur le rôle du FMI, que se passera-t-il si on refuse de payer? Un syndicaliste de l’ONATEL, l’Office National des télécommunications, se rattrape de son absence à l’atelier d’hier sur la privatisation pour exposer le combat du personnel contre la privatisation. Il explique qu’il est impossible au personnel de pouvoir acheter les 10% d’actions qui leurs sont proposés, et qu’à l’heure actuelle, le personnel n’étant pas actionnaire il ne participe pas aux débats du Conseil d’administration où se décide pourtant le sort des salariés. Pour d’autres questions plus pointues je renvoie au site du CADTM (voir à l’adresse http://www.cadtm.org/rubrique.php3?id_rubrique=3), invite l’assemblée à s’inscrire sur la liste de diffusion de cette association afin de recevoir le bulletin mensuel informant régulièrement sur l’évolution de la question.
A la fin du débat quelques jeunes viennent demander des autographes. J’en ris et me moque gentiment de ces admirateurs. Je n’ai tout de même rien de Madonna et raille un peu ces jeunes gens! Il faudra bien une demi-heure à maître Bénéwendé pour se dégager d’un groupe qui s’est formé autour de lui le bombardant de question.
Un autre débat sous l’égide de la Fondation Thomas Sankara va se tenir aussi sur les problèmes écologiques, animé par Fidèle Kientega qui était conseiller à la présidence pendant la révolution. Il centrera son exposé sur les 3 luttes, le mot d’ordre qu’avait avancé le CNR pour lutter contre la sécheresse : lutte contre les feux de brousse, lutte contre la divagation des animaux en particulier afin qu’ils cessent de se nourrir des jeunes pousses et lutte contre la coupe abusive du bois. Sankara avait beaucoup sensibilisé la population sur sa propre responsabilité dans la progression du désert. Tout cela semble d’un autre âge. La sécheresse ne semble pas préoccupée grand monde alors que le désert continue d’avancer. Où sont donc les foyers améliorés dont on parlait tant durant la révolution!
Une projection du film “Thomas Sankara, l’homme intègre” est organisée dans la soirée mais je n’y assisterai pas. Elle va connaître une grande affluence. Hubert Bazié, ancien collaborateur de Sankara, directeur notamment de l’Intrus, journal satirique durant la révolution, va répondre à de nombreuses questions à tel point qu’il sera très difficile de passer les autres films prévus le même soir.
Les étudiants m’accueillent dans une cité universitaire.
Je suis attendu dans une résidence universitaire de la ville par un jeune étudiant avec qui j’ai commencé à communiquer depuis la France par courriels. Il m’appelle plusieurs fois alors que je suis en route et je sens de sa part quelques inquiétudes. On m’attend en fait depuis 18h15 alors que le chauffeur de Maître Bénéwendé me dépose vers 20h.
Quelques jeunes sont là à m’attendre qui viennent tout de suite à moi. Ils me guident immédiatement vers la cours de la cité. Il m’avait déjà prévenu au téléphone que quelques 200 étudiants étaient là à m’attendre. Il m’avait bien dit par courriel que je serai bien accueilli. Mais je m’attendais à un “grain”, c’est ainsi que l’on nomme les groupes de jeunes qui se rassemblent pour boire du thé le soir, avec une dizaine de ses amis.
Plus de 200 étudiants sont là à m’attendre disposés en demi-cercle autour d’une télévision! L’ambiance est assez chahuteuse, on se lance des blagues. L’impatience est perceptible, voir le doute. J’ouvre mon sac et je découvre mon DVD brisé! Je m’en veux, c’est peu dire! Robin Shuffield le réalisateur de “Thomas Sankara, l’homme Intègre” (voir la présentation du film à l’adresse http://thomassankara.net/?p=0160) m’en avait donné un dans une simple pochette. Comment n’ai-je pas pensé à le mettre au moins dans une boite rigide. Dans mon sac surchargé, bombé, le DVD n’a pas résisté! Quelle négligence de ma part! Je dois me rattraper.
Me voilà bien désemparé. L’attente est visiblement très forte. Voilà près de 2 heures que les étudiants sont là à attendre patiemment la projection, disposés à près de 200 en demi cercle autour d’un poste de télévision qui diffuse soit des discours de Sankara, soit la retransmission en direct de la séance de questions des députés au premier ministre.
Je sais que quelques copies du film circulent en ville. Je donne vite quelques coups de fil devant tout ce monde aux aguets, quelque peu dubitatif, et je localise enfin un autre DVD de ce film. Pas de temps à perdre, on fonce le chercher en moto!
Arrivés à destination, non sans avoir perdu du temps à tâtonner avant de trouver le lieu, nous souhaitons vérifier que le DVD marche bien pour éviter une nouvelle désillusion. Mais l’ordinateur de la maison ne lit pas les DVD. On repart le plus vite possible.
On n’est pas au bout de nos peines. Nous voilà stoppés à un feu rouge par un contrôle de police. Et mon jeune chauffeur, dans la précipitation n’avait pas pris par le temps de récupérer les « pièces » de la moto. Nous revoilà bloqués! Je me mets un peu à l’écart et la discussion commence. Mais pour le jeune étudiant pas question de donner de l’argent. On lui demande de quoi payer une bière, 450FCFA, mais en réalité me confiera-t-il c’est plutôt 1000FCFA que s’attend à ramasser le policier. Mon jeune ami ne manque pas de ressources. Il appelle ses copains pour qu’ils viennent rapidement à 6 ou 7 en moto. Je m’en étonne un peu mais il m’explique “Quand ils arriveront les policiers chercheront à s’en débarrasser au plus vite car ils n’aiment que les étudiants soient témoins de leurs tentatives de soutirer de l’argent.” De l’autre côté de la rue le camion de la fourrière commence à charger une quinzaine de deux roues alignées. Mon jeune ami reconnaît alors le chauffeur du camion. Une nouvelle séance de négociation commence mais ce ne sera pas trop long. Cette intervention nous permet de repartir sans avoir à débourser de CFA.
Nous arrivons enfin. Tonnerre d’applaudissements lorsque nous exhibons le DVD. Dernière petite inquiétude qui sera vite levée, le DVD fonctionne-t-il? Pas de problème.
La projection peut commencer. Je souffle enfin un peu et déguste un sandwich au steak haché qu’un étudiant a pu me dénicher. Juste une nouvelle interruption pour installer un ampli et tout recommence. Les jeunes réunis là, installés en un groupe compact, plus de 200 autour d’un téléviseur sont très réactifs. Plusieurs passages suscitent de franches rigolades notamment durant les passages des discours de Sankara, ou encore lorsqu’on le voit se moquer des jeunes qui portent des tee-shirts américains qui font de la publicité. Et quand Sankara dénonce debout, devant Mitterrand assis, le passage de Peter Botha en France qui a “sali le France” ajoutant que ceux qui l’ont invité en portent l’entière responsabilité, ce sont des cris de satisfaction et d’admiration qui fusent.
A la fin du film on s’installe pour un débat avec les 2 jeunes organisateurs de la soirée.
La première série de questions ne me permet pas d’approfondir la période révolutionnaire. Je me rends compte que tous ces étudiants ne savent pas grand-chose. Le silence organisé sur cette période depuis 20 ans par le pouvoir actuel a fait son effet. D’où la nécessité de multiplier ce type de réunions.
Les questions sont sans concession. Il me faut m’expliquer sur le fait que le mot « rectification » fasse partie du titre de mon premier livre et certains me soupçonnent de défendre cette rectification. Je m’en explique longuement, c’est simplement que mon premier livre traite aussi des débuts du pouvoir de Blaise Compaoré. Mon objectif était de montrer que, contrairement à ce qu’annonçaient les nouveaux maîtres de ce pays, la Révolution s’est belle et bien arrêtée le 15 octobre. Les jeunes organisateurs ne sachant pas tout à fait qui j’étais m’avaient préalablement présenté comme un avocat de la famille, ce qu’ils rectifièrent à ma demande en introduction du débat. Aussi nombre des présents avaient préparé des questions sur le dossier de l’affaire Sankara auxquelles je réponds longuement. Un des étudiants présents intervient alors pour expliquer que les jeunes doivent se mobiliser pour que le dossier aboutisse, qu’il faut être courageux et persévérant dans le combat mais qu’il ne faut pas laisser tomber. L’assistance parait aussi très curieuse de la famille de ce que deviennent les enfants. Je livre ce que je sais. Ils poursuivent normalement leurs études.
J’aurai ainsi à répondre à une quinzaine de questions. La deuxième série est plus intéressante et me permet d’aborder un peu plus en profondeur la période révolutionnaire, quelles ont été les erreurs, que s’est-il passé avant le 15 octobre, en quoi la France est-elle impliquée?
Un me demande ce que j’attends d’eux, « rien » telle est ma réponse. Je viens ici pour les informer de ce que je sais de cette période révolutionnaire. Un autre me demande « pourquoi un blanc comme moi pousse les petits nègres qu’ils sont à faire la révolution » ! Bigre si je m’attendais à ça!. Nous sommes bien en face d’étudiants qui aiment provoquer pour “entendre le vrai” comme on dit ici. Je rectifie, je ne les pousse pas à faire la révolution mais je souhaite qu’ils participent activement au moins aux activités qui vont se dérouler ici à Ouagadougou autour du 15 octobre.
Mais je n’en ai pas fini d’être étonné. Après près de 1h30 de questions réponses, les jeunes organisateurs qui avaient constitué un club Thomas Sankara dans la clandestinité, choisissent ce moment pour en informer leurs camarades et se découvrir publiquement, se présenter et inviter les autres à les rejoindre! Cette soirée leur a permis d’être pris au sérieux par leurs camarades et de lancer leurs activités.
Les jeunes ont la gentille attention de me donner des berlingots d’eau fraîche que je déguste avec grand plaisir. On bavarde encore un peu avant que l’un d’eux me dépose à l’autre bout de la ville. Je n’en reviens pas d’une telle unanimité contre le pouvoir actuel.
J’apprends encore qu’ils ont organisé récemment une manifestation pour protester contre l’incurie des autorités face au développement de l’épidémie de méningite qui a déjà fait plus de 500 victimes. Ce mouvement de protestation avait été provoqué par le décès d’une étudiante qui avait été mal diagnostiquée et mal soignée. Une grande solidarité semble régner entre eux. La petite taille des cités, il y en a 9 à Ouagadougou, prévue ainsi sans doute pour éviter de trop gros rassemblement, les rend plus conviviale. Leurs locataires semblent soudés entre eux. Il semble y régner une forte solidarité. Ils savent que quelques uns d’entre eux renseignent probablement la police mais lorsqu’ils repèrent l’étudiant en question celui est obligé de quitter la cité. Encore une soirée dont je me rappellerai longtemps
Concert de clôture du forum social de Sams’k Le Jah
Retour au forum. C’est le dernier jour. Les participants sont fatigués par ces 3 jours de travail assidu, sous une chaleur assommante, plus de 40° me dit-on. C’est le moment du départ. Ils attendent leur tour pour monter dans les navettes mises à leur disposition pour rentrer sur Ouaga ou quelques cars spéciaux pour retourner en province.
L’heure tourne, je questionne plusieurs fois Sams’k Le Jah: « Est-ce nécessaire de jouer alors qu’il n’y a plus personne ». Il hésite mais pour lui il a été payé pour jouer il doit le faire sinon sa conscience ne sera pas tranquille, me confie-t-il. Et puis de nombreux enfants sont là qui n’auront sans doute jamais l’occasion d’assister à un de ses concerts. C’est bien lui ou du moins ce que je crois deviner du personnage.
Nous avons passé de longs moments ensemble. Tout me monde m’avait dit qu’il était très engagé, très populaire aussi. Son émission radio consacrée au reggae n’en est pas moins une émission très politique où il n’hésite pas à dénoncer le régime. Lorsque le non lieu sur l’affaire Zongo, il a été prononcé on me dit qu’il a appelé le peuple à se lever.
Il a d’ailleurs été convoqué par le Conseil Supérieur de la magistrature, mais cette tentative d’intimidation ne l’a bien sur pas arrêtée.
Se prévalant d’être rasta je m’attendais à le voir avec des dreads locks et tirant sur les joints sans compter. Il m’apparaît serein, rigoureux, calme, tranquille, modeste. Sans doute la satisfaction de vivre en accord avec lui-même de faire ce qu’il a à faire sur la terre. Mais surtout plein d’idées, dynamique, râlant même contre le collectif qu’il ne trouve pas assez ambitieux. Un fort charisme se dégage de lui. Rien d’étonnant à ce qu’il soit devenu si populaire. Les étudiants ayant organisé la soirée dans la cité universitaire m’ont confié ne vouloir rater ses émissions sous aucun prétexte.
Lorsqu’il doit s’extraire de la voiture la douleur traverse son visage. Et ce n’est que très lentement qu’il se met ensuite en mouvement. Il souffre d’arthrose et marche difficilement parfois avec une canne. Mais il ne se plaint pas. Je m’étonne de cette maladie alors qu’il est si jeune. Il m’en explique longuement les ressorts car il a longuement navigué sur Internet curieux de mieux connaître cette maladie.
Ici être musicien ce n’est déjà pas une sinécure. Alors si en plus on est engagé. Pas facile de trouver des gens qui veuillent travailler avec soi ou des disquaires qui acceptent de vendre son dernier disque sur Sankara.
J’ai passé une autre soirée avec lui et quelques uns de ses amis alors qu’ils préparaient leur départ pour un concert à Gaoua à prés de 500 kilomètres d’ici. Un musicien ici doit tout faire. Il fustige contre le loueur de matériel qui le sent coincé et qui tente d’en profiter en augmentant ses prix. Il multiplie les coups de fil… quand on sait ce que ça coûte ici, 175FCFA la minute soit 3euros la minute environ. Il lui faut aussi régler le transport du matériel à aller chercher, le dîner de ses amis musiciens. Et semble-t-il c’est lui qui avance l’argent.
Mais revenons au forum. Dès que le soleil un peu fatigué de nous écraser de chaleur semble vouloir se reposer, les musiciens viennent petit à petit l’un après l’autre, régler la sonorisation. L’endroit paraît irréel. Sur la terrain de sport est installée la scène entourée de hauts parleurs dont on me dit qu’il est rare que les musiciens puissent en disposer de tels pour leur concert au Burkina. Derrière par dessus le mur d’enceinte, s’élèvent quelques arbres majestueux du sahel qui ont tout l’espace nécessaire pour prendre leur aise, pour peu que l’eau qui se fait rare les nourrissent suffisamment.
La table de sonorisation est impressionnante avec ses centaines de boutons. Le disque, je vais finir par le connaître par coeur semble fait avec peu de musiciens. Mais là ils sont nombreux, batteur, percussionnistes, guitaristes. Ils se lancent dans une improvisation des plus agréables sur un rythme lent. Samska monte en scène, il est calme à l’image du personnage que j’apprends à connaître. Il laisse largement le temps aux musiciens et aux 2 chanteuses qui l’accompagnent habillées en tenue traditionnelle de s’exprimer. Un concert ça s’écoute plutôt que ça se décrit mais je vous propose quelques photos. Je dois quitter les lieux car l’ami qui m’attend, fatigué lui aussi est pressé de quitter les lieux pour aller se reposer. C’est au moment où nous partons que Samska entame la chanson « Sankara mon président ». Je l’aperçois, saluer à la façon d’un militaire, la main horizontale fixée du bout des doigts sur la tempe, un enfant de chaque côté tous, imitant avec le sourire la marche d’un militaire comme l’était Sankara.
Quelques jours après mon retour France, j’apprendrai que Sams’k Le Jah a reçu des menaces de mort… (Voir sur cette affaire http://thomassankara.net/?p=0311 , si vous voulez lui manifester votre soutien allez visiter son site http://www.samsklejah.com/ où vous pourrez écouter les morceaux de son dernier album et laisser un message sur son forum à l’adresse http://www.samsklejah.com/forum/viewtopic.php?t=26).
Meeting de l’UPS
Le lendemain, j’ai rendez-vous avec Hubert Bazié, l’ancien directeur du journal satirique de la révolution, l’Intrus. Je sais qu’il a rédigé des chroniques hebdomadaires rendant compte de la révolution au jour le jour. Ca fait longtemps que je cherchais à les lire. Et un professeur en a fait l’objet d’étude d’articles universitaires en France. Il me laisse un exemplaire des deux premiers tomes qui ont été publiés ici pendant la révolution, le troisième n’ayant pu l’être du fait de la mort de Sankara.
Je lui propose de réfléchir au fait que je les mette en ligne intégralement sur le site. Rendez-vous est pris dans 2 jours. Mais au moment de me déposer j’apprends qu’il se rend à un meeting de l’UPS, le dernier né des partis sankaristes qui résulte d’un regroupement de 5 partis sankaristes. Il avive ma curiosité. Je ne regretterai pas.
Prévue à 15 heures, la réunion ne commence que vers 17h au moment où la chaleur est plus clémente. Joseph Ouédraogo, que l’on appelle le doyen, autre leader de l’UPS est comme Hubert Bazié un transfuge de l’UNIR/MS qu’ils ont quitté en critiquant son fonctionnement. Difficile pour moi de faire une idée précise de l’origine de ses difficultés. Je me garderai bien de donner un avis si ce n’est qu’ils fassent tout, chacun de leur côté pour qu’il n’y ait qu’un parti sankariste. Un premier regroupement a déjà eu lieu dans le passé avec la création de la CPS dirigée par Ernest Nongma Ouedraogo mais depuis nombreux sont ceux qui l’avaient quitté avoir l’avoir critiqué. Aujourd’hui encore il est président de l’UPS mais durant le meeting on apprendra que la présidence doit être tournante.
C’est la première fois que j’assiste à un meeting politique d’un parti sankariste. J’ai assisté une fois à la cérémonie qui a lieu tous les ans au cimetière de Dagnoen où sont enterrés Sankara et ses camarades assassinés avec lui, mais ce n’est pas la même chose.
Là le protocole est précis et parfaitement réglé. Un danseur fait patienter les participants. Lorsque arrivent les orateurs et dirigeants du parti, deux jolies jeunes filles habillés de tee shirts blancs impeccables à l’effigie du parti UPS, les accompagnent jusqu’à leurs places sous une tente dressée pour l’occasion devant la centaine de personnes assises. En face à une dizaine de mètres une tribune d’où s’adresseront au public les orateurs. Une organisation parfaite et une sono de bonne qualité. Sous la tente sont installés les militants et sympathisants du parti qui répondent aux mots d’ordre comme au temps de la révolution. Et tout autour en arc de cercle des badauds, des curieux, ou tous simplement des gens venus écouter dont le nombre varie tout le long du meeting. Je reconnais aussi là Norbert Tiendrebeogo qui a longtemps dirigé le FFS, laissant sa place lors du dernier congrès, le FFS ayant aussi rejoint l’UPS, et Jonas Sawadogo que j’ai croisé à la réunion du collectif et qui a passé beaucoup de temps sur le stand Sankara durant le forum social.
Lors du discours de bienvenue, on apprend que le meeting a été autorisé in extremis la veille. Les autorités ont prétexté que la campagne électorale n’était pas commencée. L’UPS a alors fait un recours s’appuyant sur la constitution qui garantit la liberté de faire des meetings et a obtenu l’autorisation.
Le meeting commence par un passage du discours de Sankara à la place de la Révolution (elle ne s’appelait pas encore comme ça en mars 1983), alors qu’il était premier ministre. On m’a promis de me le faire passer et j’espère bien ainsi le mettre à disposition sur ce site.
On présente ensuite très solennellement les nouveaux dirigeants de ce nouveau parti.
Une femme candidate pose consciencieusement son enfant et monte à la tribune prend la parole pour appeler à la mobilisation des femmes.
Hubert Bazié vient ensuite. Nous sommes le long du chemin de fer, construit sous la révolution lors de la “bataille du rail”. De l’autre côté un peu plus loin, un monument en construction de la forme ressemble à celle d’une centrale nucléaire. C’est le fameux monument au martyr. Il est censé rendre hommage à tous les morts, Sankara compris, mais aussi les assassinés de rectification. Blaise Compaoré a fait la promesse de le construire après le mouvement populaire qui a suivi l’assassinat de Norbert Zongo. Il avait déjà promis, peu après l’assassinat de Sankara, de lui dédier un monument que l’on attend toujours. De loin, j’ai l’impression que l’on s’affaire autour du chantier mais son me dit qu’il est en construction depuis 6 ans…
Jean Hubert Bazié se sert de ce lieu symbolique pour démarrer son discours. Mais surtout il reprend les thèmes largement développés pendant la révolution. Il parle d’une façon calme, improvise car il n’a pas de discours écrit. Il sait manier les images parlantes, la pauvreté des enfants alors que l’on vit dans le luxe à Ouaga 2000. “Ceux qui sont au pouvoir mangent gras, boivent frais et circulent dans le frais comme au paradis“.
Viens ensuite le discours de Jo Ouedraogo “le doyen” comme l’appelle ses camarades. Il parle en Mooré, longuement et s’en prend semble-t-il à l’UNIR/MS comme le confirmera un compte rendu dans la presse. Il est vrai qu’il a eu quelques déboires avec ce parti tout récemment alors qu’il était chargé de l’unification.
Beaucoup de militants ont circulé dans beaucoup de partis sankaristes au gré des différentes péripéties qui les ont traversés et nous ne pouvons que souhaiter l’achèvement rapide du processus d’unification. Pour ce qui est militants de l’UPS, en tout, cas ils semblent sur de la dynamique engagée depuis leur unification et paraissent très optimistes.
De nombreuses rencontres
Tout au long de ce séjour, je multiplie les rencontres, les amis que je revois toujours avec tant de plaisir, mais aussi des hommes politiques, des personnalités. J’obtiens les rendez-vous assez facilement, en général, à part de rares exceptions. Mais il existe encore des gens, qui ont peur de me rencontrer, à moins qu’ils ne soient pas fiers de ce qu’ils sont devenus. Mais les documents restent cachés, certains promettent sans jamais les sortir, prétextant mille et un empêchements. Mes amis traduisent : “il a refusé”. Je rage en moi-même de cette irresponsabilité, comment peut-on avoir été et se déclarer encore révolutionnaire et faire si peu de cas de documents historiques? D’autres pensent que ça les rend importants sans doute de les posséder, sans parler de ceux qui veulent les monnayer sans scrupule. Ne m’a-t-on pas demandé une fois 1 million de FCFA pour un document sur l’enfance de Sankara? Je m’en passerai donc. Mais je préfère terminer ce paragraphe sur cette note d’optimisme. Plusieurs personnes promettent de m’en trouver, d’autres d’écrire leur mémoire… Faites vite!!!!!!!
Cette fois j’avais décidé de faire connaissance avec les frères et soeurs de Sankara restés au pays qui font peu parler d’eux. Dès mon premier coup de fil Valentin m’invite à déjeuner, à la maison de Paspanga. Il me reçoit dans la simplicité, discret, il m’explique la vie difficile ici. Puis nous allons chez Marie, au caractère bien différent. Tous deux témoignent de quelques aspects de la vie de leur défunt frère et ne cachent pas leur émotion. Marie qui se chamaillait tout le temps avec lui et qui est toujours la première à le critiquer termine en affirmant émue qu’il ne pouvait faire de mal à quelqu’un et qu’il était profondément bon. Valentin me conduit ensuite chez Florence, l’aînée. Voilà des frères et soeurs d’un président respecté si ce n’est vénéré dans toute l’Afrique, qui sont restés simples, discrets vivant comme tous les burkinabé. Thomas Sankara avait su préserver ses valeurs au sein de sa famille, celles que lui avaient léguées son père et sa mère.
J’avais communiqué depuis la France avec Vincent Ouattara, l’auteur de “L’ère Compaoré : crimes, politique et gestion du pouvoir“, il a publié récemment “L’ère Compaoré, crimes, politique et gestion du pouvoir” (voir la présentation de l’ouvrage à l’adresse http://thomassankara.net/?p=0279), un ouvrage sans concession, précis et bien documenté sur le pouvoir de Blaise Comparé, mais surtout très courageux. D’ailleurs aucun libraire n’a accepté de le vendre. Vincent m’apparaît frêle, petit en taille le visage mince occupé par des lunettes. Il parle doucement, calmement. J’apprends qu’il n’en est pas à son premier livre contre le pouvoir et je m’empresse d’acheter “Procès des putschistes à Ouagadougou” où il commence déjà à décrire de façon implacable les dérives du pouvoir actuel. Nous passerons du temps ensemble, à aborder de multiples sujets, compagnie bien agréable. Intellectuel de profession, l’écriture est un de ses terrains de combat de prédilection. Nous parlerons de ce que représente pour lui son engagement pour réussir l’organisation de l’année Sankara, de ses projets, de sa vision de la vie politique du pays, mais aussi du pouvoir en général, de la difficulté d’écrire et de tant d’autres choses encore.
Comme à chaque fois, j’appelle Valère Somé, qui est retourné à des travaux de recherche après avoir été dit-il écoeuré de la politique. L’animosité des sankaristes est forte contre lui mais il le leur rend bien. Je ne peux m’empêcher de me dire que tout cela est du gâchis. Il trouve toujours le temps de prendre une bière avec moi. Il a gardé en tout cas sa verve et capacité à s’énerver rapidement.
L’actuel député, Fidel Toé m’avait fait venir en juillet 1987 au Burkina pour former des agents alors qu’il était ministre de la Fonction Publique. Il a échappé de peu à la mort le 15 octobre 1987, réussissant à s’enfuir rapidement vers le Ghana pour poursuivre son exil de longues années au Congo. Connaissant mes goûts, il m’invite toujours à venir partager du poisson braisé, un plat dont je garde une certaine nostalgie depuis mes 2 années passées en Côté d’Ivoire au début des années 80. Cette fois encore il m’amène dans un quartier populaire, et nous nous installons sous un magnifique Neré protecteur des brûlants rayons de soleil. Fidel Toé aussi, a appartenu à différents partis sankaristes jusqu’à atterrir récemment à l’UNIR/MS. Il me parle de la campagne électorale. Il n’est que 5 ème sur la liste nationale du parti, alors que c’est une personnalité respectée par tous les sankaristes pour sa diplomatie et à sa capacité à apaiser les tensions, mais aussi comme ancien ami intime de Sankara! Autant dire qu’il a aucune chance d’être réélu député! Il en semble un peu désabusé mais réaffirme sa volonté de se battre. Il se plaint aussi des difficultés à mener campagne, des sommes dépensées, des jeunes que l’on nourrit que l’on paye mais qui parfois ne font que jouer aux cartes dans la permanence.
Halidou Ouédraogo, malgré sa convalescence a tenu à venir au forum social. Je profite d’un moment de répit pour le saluer et demander un rendez-vous. Il me créera toutes les facilités pour me faire venir. Il me reçoit très simplement et me met vite à l’aise, et nous bavarderons près de 2 heures. Considéré comme ancien membre du PCRV, dirigeant syndical poursuivi sous la révolution après avoir été juge durant les TPR notamment lors du procès qui acquitta le général Lamizana, collaborateur de Compaoré après les rectification, avant de reprendre son métier de juge et de créer le Mouvement Burkinabé des Droits de l’Homme, il a pris la tête du mouvement populaire après l’assassinat de Norbert Zongo. Comme tous les leaders de ce pays, il est parfois adulé, parfois décrié. On ne se fait pas de cadeau ici. Il se remet petit à petit d’un attaque et apparaît encore faible mais je suis frappé par sa mémoire. Opposant à Sankara, durant la révolution, il en fait un portrait positif aujourd’hui. Les querelles idéologiques issues de la FEANF, la puissante fédération des Etudiants d’Afrique Noire en France) qui a formé toute cette génération sont loin vue du Burkina 30 après. J’avais subi l’influence de quelques amis qui critiquaient à ce vieux lutteur, resté libre. Mais mon opinion est faite et je me dis que j’ai bien fait d’aller me faire mon opinion moi-même.
Je passe aussi un autre soir de longs moments avec Jonas Hien en évoquant comment pourrait évoluer la Fondation Sankara qu’il dirige mais qui se heurte à un manque cruels de moyen. Nous tombons d’accord sur le fait que l’anniversaire du 15 octobre 2007 et l’afflux de visteurs étrangers pourraient constituer une excellente opportunité pour relancer la Fondation.
Nouvelle projection de “Thomas Sankara l’Homme intègre” chez un ami
Un soir, un vieil ami Christophe Barro, organise une projection privée chez lui. Alors que je le connais depuis près de 10ans, ce n’est que durant ce séjour qu’il m’a raconté quelques jours auparavant qu’il avait été délégué CDR dans son lycée. Tout le monde dans ce pays exprime une forte envie de redécouvrir leur révolution dont on sent une très grande fierté. Les rectificateurs ont voulu organiser le black out. Mais ce silence obtenu par la falsification et la répression se retourne maintenant contre lui et l’on veut partout parler ou entendre parler de cette époque. Nous nous retrouvons à une quinzaine de personnes, serrés autour d’un poste de télévision, sur la terrasse de sa parcelle entièrement boisée. Il fait 2 à 3 degrés de moins, mais ce n’est pas vraiment la fraîcheur. Trois des invités, avec notre hôte, à peu près de mon âge ont des souvenirs précis de la révolution.
Après la projection, qui s’est déroulée cette fois sans encombre, je me mets cette fois en retrait pour laisser ceux qui ont vécu la révolution témoigner. J’avoue d’ailleurs en éprouver une vive curiosité. Les réactions fusent. L’un s’adresse aux plus jeunes. “Vraiment en 4 ans on a fait bien plus que ce que beaucoup d’autres n’arrivent pas réaliser en 20 ans. Pourtant le budget d’alors ne dépassait le dixième de ce qu’il était alors”. Un autre raconte diverses anecdotes relatant combien le Burkina et les burkinabé étaient respectés à l’étranger. On évoque les problèmes sociaux qui rongent le Burkina d’aujourd’hui et le gouvernement qui ne semble guère s’en préoccuper. La révolution a beaucoup fait pour la santé et l’éducation. On compare le traitement actuel de la méningite et les quelques centaines de morts déjà comptabilisés à la vaccination commando qui avait permis de vacciner plus de 2 millions de personnes en une semaine. Quant à l’éducation, elle n’est réservée qu’à ceux qui ont des moyens. Notre hôte se rappelle que pour éviter tout favoritisme les professeurs des jurys en arrivaient même à rester sur place y compris la nuit pour ne pas subir de pression, Alors qu’aujourd’hui, il semble que l’on ait plus confiance dans les délibérations, les fils des « grands » arrivant toujours à passer d’une façon ou d’une autre.
Et puis plusieurs présents plutôt âgés d’une trentaine d’années en viennent à souhaiter une nouvelle révolution. Ainsi ce terme tellement dévoyé un peu partout dans le monde, sauf depuis quelques temps dans quelques pays d’Amérique Latine, évoque donc quelque chose de positif au Burkina Faso! On évoque encore l’engagement des jeunes derrière un président qui les avait responsabilisés, leur donnait confiance et se souciait vraiment de leur avenir et de leur quotidien. Un jeune insiste particulièrement sur l’importance qu’il y a à acquérir de la fierté en reconnaissant sa pauvreté mais en comptant sur soi-même en consommant les produits fabriqués dans le pays.
Après tous ces témoignages, je demande à mes amis : “Pourquoi si peu de réaction au Burkina après la mort de Sankara”. Une question que l’on me pose d’ailleurs très souvent en France lors des débats. L’un parle de la peur, du désespoir du manque de perspective. Mais on se serait révolté pour mettre qui? On avait assassiné celui en qui on croyait! On allait se faire tuer pour qui pour quoi? On se remémore aussi les appels à manifester le soutien au front populaire qui n’ont même pas rassemble quelque dizaine de personnes. Je crois avoir enfin compris.
D’autres parlent de la passivité des burkinabés. L’un ajoute qu’ils ne veulent pas mourir, combien je les comprends, contrairement aux arabes. Ici encore le pouvoir apparaît effectivement très impopulaire mais que les perspectives ne sont pas là et que sans doute les partis de l’opposition ne sont pas au niveau de la demande populaire. Des jeunes racontent encore que leurs parents exprimèrent alors une certaine satisfaction, durant les débuts de la rectification, mais que quelques années après ils ont véritablement compris ce que la révolution a apporté.
Vers le 20ème anniversaire
Le potentiel pour réussir un très bel anniversaire en hommage à Sankara, au combat qu’il a mené parait énorme. La première chose c’est de parler de cette période, informer mais aussi former. Il ne faut pas mythifier cette période révolutionnaire, donner aux gens à pouvoir analyser, mettre le doigt sur les contradictions. Tenter d’y voir sur les erreurs, les insuffisances, sans omettre bien sur les énormes succès. Ce n’est pas tous les jours une partie de plaisir mais le résultat est là. La demande est énorme et les gens paraissent disponibles. Le comité d’organisation à la lourde responsabilité de mettre tout cela en place. Il va lui falloir, taire les animosités politiques, savoir s’ouvrir au-delà de ceux qui se disent “sankaristes” et des membres des partis sankaristes, savoir déléguer les responsabilités, faire preuve de créativité d’ambition mais aussi de finesse politique. Composés, d’artistes, de dirigeants sankaristes, de personnalités engagées de la société civile, et de plusieurs jeunes militants, il semble en avoir les moyens si chacun se sent accepter et responsabilisé. Faisons lui confiance pour nous proposer rapidement un programme. Le collectif international compte déjà des représentants dans une trentaine de pays et des initiatives ont déjà eu lieu dans quelques pays.
Il y a lieu d’être optimiste pour peu que chacun se mette dès maintenant au travail.
Bruno Jaffré
On trouvera aussi un reportage sur la commémoration à Ouagadougou à l’adresse 7http://thomassankara.net/?p=0572