Nous avons regroupé ici 3 articles de Jeune Afrique. La Rédaction.

Burkina Faso : qui a peur de la tombe de Thomas Sankara ?

publié le 13/03/2014 sur le site http://www.jeuneafrique.com/

Par Pierre Mareczko

Le 2 avril prochain, le tribunal de grande instance de Ouagadougou se prononcera sur la demande d’identification du corps qui se trouve dans la tombe supposée de l’ancien président burkinabè Thomas Sankara. Retour sur un feuilleton judiciaire qui dure depuis près de vingt ans.

Depuis le 29 septembre 1997, date de la première plainte pour assassinat déposée par la veuve de Thomas Sankara, Mariam, et par ses deux enfants, l’affaire qui n’était jusque là que politique a pris des allures de véritable feuilleton judiciaire dans lequel les procédures se suivent et se ressemblent… Tribunaux déclarés “incompétents”, plaintes “irrecevables”… La famille n’obtient aucune réponse sur les circonstances de la mort de l’ancien président du Burkina Faso.

Les avocats de la partie civile continuent néanmoins de solliciter les autorités judiciaires du pays. Le 15 octobre 2010, ceux-ci assignent l’État devant le Tribunal de grande instance de Ouagadougou en demandant l’identification du corps qui repose dans la tombe du cimetière de Dagnoën, où Thomas Sankara aurait été inhumé dans la nuit du 15 octobre 1987. Après plusieurs renvois, la décision du tribunal a été remise au 2 avril prochain. Contacté par Jeune Afrique, Me Prosper Farama, avocat de la famille dans cette affaire, justifie sa demande par un argument surprenant : “Jusqu’à présent, personne ne peut prouver juridiquement que Thomas Sankara est bel et bien mort“. Retour sur les faits.

Nous sommes le 15 octobre 1987, il est près de 16h. Des coups de feu retentissent au sein du Conseil de l’entente de Ouagadougou. Au pouvoir depuis 1983, Thomas Sankara et douze de ses camarades tombent sous les balles des kalachnikovs. Quelques heures plus tard, l’état d’exception est décrété par Blaise Compaoré qui se hisse au pouvoir ; 27 ans plus tard, il y est toujours. La question qui intéresse la famille Sankara est simple : que s’est-il passé dans l’intervalle entre l’assassinat et l’officialisation du coup d’État ?

Décharge publique

Selon une version communément admise, les corps des victimes auraient été transportés au cimetière de Dagnoën qui, à l’époque, faisait plutôt office de décharge publique. Le lendemain, la rumeur sur l’emplacement des corps se répand dans toute la capitale et les premiers curieux découvriront des mottes de terre surplombés de papiers portant les noms des victimes dont celui de l’ancien président. Ce sont à ce jour les seuls témoignages tendant à prouver que le corps de Sankara est bel et bien dans sa tombe.

Selon Me Benewendé Sankara, président du parti sankariste l’Union pour la renaissance (Unir/Ps), le pouvoir en place n’a jamais officialisé l’emplacement du corps de Thomas Sankara. “Jusqu’à la fin des années 90, nous vivions sous la menace d’un État sauvage et barbare qui s’en prenait physiquement à ceux qui évoquaient la mémoire du capitaine“, précise l’avocat. Selon lui, il a fallu attendre la mort de Norbert Zongo – ce journaliste assassiné dans des circonstances troubles alors qu’il enquêtait sur la mort du chauffeur de François Compaoré, petit frère de Blaise – pour libérer la parole sur les crimes politiques impunis.

Inquiété par les manifestations populaires qui lui sont de plus en plus hostiles, le pouvoir lance, en 2001, un “processus de réconciliation” à l’attention des victimes de crimes politiques depuis l’indépendance du pays en 1960. Excuses publiques, indemnités financières… Cela ne suffit pas à la veuve Sankara ainsi qu’à ses deux enfants pour qui la vérité doit précéder la “réconciliation”.

Trois juges

Profitant d’une demande du Comité des Nations unies pour les droits de l’homme datée du 5 avril 2006, laquelle exhorte le Burkina Faso à faire la lumière sur les circonstances de la mort de Sankara, la famille entame une première procédure sur requête puis demande une assignation en référé afin de procéder à l’exhumation de la tombe et d’effectuer des tests ADN sur la dépouille. Le 11 mars 2011, le juge estime la demande “irrecevable” et procède à l’annulation de l’assignation en référé. L’avocat de la famille demande alors une assignation ordinaire, procédure beaucoup plus longue qu’en référé. “Aujourd’hui, le dossier est traité par une composition collégiale de trois juges”, explique Me Farama, “on peut donc espérer avoir plus de chance qu’avec un seul”.

Pour lui, l’indépendance de la justice est directement mise en cause dans cette affaire. La possible responsabilité du président Compaoré dans l’assassinat de Sankara n’y est, selon lui, pas pour rien. “Nous ne nous arrêterons pas là“, prévient-il, “si le tribunal rejette encore notre demande le 2 avril, nous ferons appel, puis nous ferons un pourvoi en cassation si ça ne suffit pas“. Déterminé, Me Farama sait que ces procédures sont un moyen de pression important sur un pouvoir de plus en plus affaibli. “Aujourd’hui, beaucoup de gens considèrent Sankara comme un héros et un martyr, imaginez un seul instant que son corps ne soit pas dans la tombe“, dit-il. Une telle révélation n’arrangerait sans doute pas les affaires du pouvoir en place…

Pierre Mareczko, à Ouagadougou

Source : http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20140313164549/

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 © Burkina 24

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Burkina Faso : Sankara, es-tu là ?

Publié le 20/03/2014 sur le site http://www.jeuneafrique.com

Par Clarisse Juompan-Yakam

Est-ce bien l’ancien président Thomas Sankara, assassiné en 1987, qui a été inhumé à Ouagadougou ? Sa famille a saisi la justice. Et attend toujours les réponses.

Prendre son mal en patience pendant que les juges tergiversent. C’est la seule option offerte à la famille de Thomas Sankara, qui a vu la justice burkinabè repousser au 2 avril sa décision (attendue le 5 mars) sur l’identification de la dépouille de l’ancien président assassiné le 15 octobre 1987. Motif invoqué : des pièces complémentaires ont été demandées aux requérants. Des documents qui, selon Me Ambroise Farama, dernier arrivé au sein du groupe d’avocats représentant la famille, n’ont aucun lien avec le fond du dossier : “A-t-on besoin, pour savoir qui repose dans cette tombe, du rapport [du Comité des droits de l’homme] des Nations unies [sur l’affaire Sankara] ? Si ces documents étaient si importants, le juge les aurait exigés avant la mise en délibéré. Il y a une volonté manifeste d’empêcher la justice de suivre son cours.”

Entendre des responsables des services secrets français

Un point de vue que partage Bruno Jaffré, biographe de Thomas Sankara, pour qui le mystère entourant la mort du leader du Conseil national de la révolution n’a que trop duré. Jusqu’ici, toutes les procédures judiciaires engagées par la famille ont été rejetées d’une manière ou d’une autre. L’enjeu : l’ouverture d’une enquête qui lèverait le voile sur l’existence éventuelle d’un complot international, plusieurs témoins ayant évoqué l’implication de la CIA et de la France. Une stratégie a été élaborée en concertation avec le réseau Justice pour Sankara, justice pour l’Afrique : la famille et les avocats étudient l’ensemble des procédures judiciaires à mener, y compris en France, le réseau international se chargeant de médiatiser le sujet.

À cette fin, certains préconisent l’ouverture d’une enquête parlementaire dans l’Hexagone. Une telle initiative permettrait, selon ses partisans, d’entendre des personnalités qui étaient alors au pouvoir, y compris des responsables des services secrets français.

Deux précédentes tentatives en ce sens sont restées lettre morte. Bruno Jaffré espère que les députés, emmenés par les élus du Front de gauche et d’Europe Écologie-Les Verts, pourront en proposer une troisième à l’Assemblée courant juin. Des contacts ont été pris en ce sens, peu fructueux pour l’heure : le seul député socialiste avec qui Justice pour Sankara, justice pour l’Afrique a eu un échange s’est déclaré opposé à une telle enquête. Il a en revanche promis l’ouverture des archives diplomatiques de la période précédant l’assassinat de Thomas Sankara. Mais Bruno Jaffré, qui y a eu accès pour préparer la biographie de l’ancien chef d’État, les juge sans grand intérêt.

Pourtant, l’auteur ne désespère pas. Pour lui, les magistrats burkinabè pourront difficilement rejeter la demande de la famille, notamment du fait du contexte politique actuel marqué par la contestation. Mais cette possibilité d’ouvrir une enquête, si elle se concrétisait, risquerait très vite de devenir une épineuse question de politique intérieure. Car la classe politique n’a pas forcément intérêt à voir le mystère de la mort de Sankara élucidé, du côté du pouvoir comme de l’opposition. D’autant que celle-ci compte désormais en son sein Salif Diallo, ex-bras droit de Blaise Compaoré démissionnaire du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP, au pouvoir). Celui-là même qui était présent au domicile de l’actuel chef de l’État le jour de l’assassinat de Sankara. Pour Bruno Jaffré, il en sait beaucoup, mais parlera-t-il ?

Un drame en plusieurs actes

– 1987 Assassinat de Thomas Sankara
– 1997 Dépôt à Ouagadougou d’une plainte contre X pour assassinat. La cour se déclare incompétente, les faits ayant été perpétrés dans une enceinte militaire
– 2006 Le Comité des droits de l’homme des Nations unies recommande à l’État de reconnaître le lieu d’inhumation et de rectifier l’acte de décès (qui mentionne une mort naturelle)
– 2011 puis 2012 Propositions de création d’une commission d’enquête parlementaire en France
– 2014 Examen par la justice burkinabè de la demande d’exhumation du corps de Sankara pour permettre une reconnaissance officielle de sa sépulture au cimetière de Dagnoen, à Ouagadougou

Par Clarisse Juompan-Yakam

Source : http://www.jeuneafrique.com/Article/JA2775p044.xml0/

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Burkina Faso : Zongo et Sankara, les fantômes chahuteurs de Compaoré

31/03/2014 à 18:18 Par Damien Glez

Au moment où le régime du président burkinabè, Blaise Compaoré, est fragilisé, deux assassinats officiellement non élucidés remontent à la surface : ceux de Thomas Sankara et de Norbert Zongo. La justice du Burkina Faso va-t-elle convaincre de sa bonne foi ?

Bien qu’il se mure dans un silence de comateux, Blaise Compaoré ne doit pas beaucoup fermer l’œil. Après 26 ans de pouvoir, le sommeil du président burkinabè est sans doute perturbé par une défiance politique tout à fait inédite. À l’heure où le principal parti qui le soutient – le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) – souffre d’une hémorragie de militants de premier plan, deux dossiers judiciaires se rappellent au mauvais souvenir du premier magistrat du Faso. Et réveillent concomitamment deux fantômes : celui d’une plume-à-gratter et celui d’un frère d’arme iconique qui viennent chatouiller les orteils du “beau Blaise”.

28 mars 2014, 15 ans après l’assassinat de l’homme de presse burkinabè Norbert Zongo, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples évoque “un certain nombre de carences dans le traitement de cette affaire par la justice nationale”. Saisie par les avocats des héritiers du journaliste d’investigation, elle vient de rendre un long arrêt. Le juge Gérard Niyungeko indiquait vendredi 28 mars que la justice burkinabè n’avait pas fait ce qu’il fallait pour identifier et présenter devant la justice les auteurs de l’assassinat, ce qui pourrait être considéré comme une violation des traités internationaux qui garantissent la protection des droits de tout citoyen. En cause : des problèmes de timing dans les procédures et un manque d’empressement à explorer plusieurs pistes tracées, à l’époque, par la Commission d’enquête indépendante. Norbert Zongo enquêtait sur l’assassinat du chauffeur du frère du président Compaoré. Est-il dans l’intérêt du régime burkinabè de laissait penser que ceci pourrait expliquer cela ?

Hasard du calendrier, une autre juridiction doit s’exprimer ce 2 avril. La Chambre civile du tribunal de grande instance de Ouagadougou doit annoncer son verdict sur une demande d’exhumation du corps de Thomas Sankara, président du Burkina Faso disparu lors d’un coup d’État qui porta au pouvoir l’actuel locataire du palais. Le 15 octobre 1987, quinze responsables de la “Révolution démocratique et populaire” – dont son président – auraient été enterrés au cimetière de Dagnoën, sans que leurs familles puissent les identifier. Les ayants droit de Sankara souhaitent que leurs dépouilles soient expertisées, afin que l’on connaisse avec certitude leurs identités et que l’on infirme éventuellement la “mort naturelle” officiellement évoquée sur les actes de décès. En avril 2006, déjà, le Comité des droits de l’homme de l’ONU demandait à l’État burkinabè de garantir aux familles une justice impartiale. Celle-ci commence par la preuve des enterrements…

Portée symbolique

Bien sûr, les militants qui commémorent, chaque 13 décembre, l’assassinat de Norbert Zongo se font peu d’illusion sur la possibilité d’une issue judiciaire, quelques années après le décès du seul inculpé dans cette affaire, l’ancien responsable de la garde présidentielle, Marcel Kafando. Bien sûr, peu d’hypothèses accréditent la thèse selon laquelle le corps de Thomas Sankara ne se trouverait pas à Dagnoën. Mais les deux rebondissements de cette semaine ont une portée symbolique certaine. Zongo et Sankara sont les deux icônes de la jeunesse burkinabè, majoritaire dans le pays. La reconnaissance du mauvais traitement judiciaire de la disparition de l’un et la puissance dramaturgique de l’exhumation de l’autre galvaniseraient une population qui se surprend, depuis une année, à imaginer la fin du régime actuel.

Blaise Compaoré n’est plus éligible, si l’on s’en tient au verrou constitutionnel justement élaboré suit à l’émotion suscitée par la mort de Zongo. Le président est pris dans un étau, oppressé entre la loi fondamentale qui lui indique la sortie et la pression d’une opposition requinquée, capable de compromettre sa modification. Il n’avait vraiment pas besoin qu’on ressuscite des fantômes ; ni Sankara, le chantre de l’intégrité burkinabè, ni Zongo, le porte-voix des sans-voix. Ultime énigme : des perspectives judiciaires dans le ciel de Compaoré sont-elles de nature à lui faire lâcher le pouvoir, comme convenu, ou à s’accrocher à son immunité présidentielle ?

Damien Glez

Source : http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20140331181301/

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