A l’occasion de la commémoration du 36e anniversaire de l’assassinat de Thomas Sankara et de douze de ses compagnons (15 octobre 1987 – 15 octobre 2023), l’historien de la Révolution burkinabè, auteur de plusieurs ouvrages sur l’histoire du Burkina, Bruno Jaffré, s’est prononcé sur les récentes décisions du gouvernement en hommage au père de la révolution et des sujets connexes. Malgré le poids des décennies de recherches et de combats sur de multiples fronts, cet ami et défenseur de l’idéal de Thomas Sankara n’a perdu aucune once de son énergie et de son engagement. « Que faut-il faire pour lui rendre hommage ? Pour moi, le plus important, c’est de le connaître, de l’étudier et de s’en inspirer, mais en parfaite connaissance de ce qu’il était, de ses pensées et de ce qui a été réalisé pendant la Révolution, souvent sous son impulsion. Le moins qu’on puisse dire, c’est que nombreux sont ceux, parmi ceux qui se proclament ‘‘sankaristes’’, qui ne semblent pas trop le connaître ni s’en inspirer réellement », relève Bruno Jaffré dans cette interview réalisée en ligne, dans l’actualité de la commémoration.

Lefaso.net : Le gouvernement burkinabè vient successivement d’élever Thomas Sankara en héros de la nation et de rebaptiser l’une des plus grandes et célèbres avenues, Charles-de-Gaulle, en « Boulevard Thomas-Sankara ». Quel commentaire ces actes vous inspirent-ils ?

Bruno Jaffré : Il m’est difficile aujourd’hui de m’exprimer dans un organe de presse burkinabè sans dire quelques mots sur la situation que vit le Burkina. Je voudrais, avant de répondre à vos questions, exprimer ma solidarité et ma compassion avec le peuple burkinabè. Je m’informe quotidiennement dans la presse burkinabè en ligne, et me suis abonné à d’autres journaux. J’observe avec admiration la résilience des populations et la très forte mobilisation en premier lieu des Burkinabè, partout dans le pays, pour accueillir les PDI (personnes déplacées internes), avec le soutien d’ONG et d’organismes internationaux. Je m’insurge, ici en France où je vis, du peu d’informations sur le drame que vit le Burkina, les incessantes attaques meurtrières dont sont victimes de nombreux villages au Burkina.

Il convient ici de saluer les victimes de plus en plus nombreuses, que ce soit parmi les combattants FDS (Forces de défense et de sécurité) et VDP (Volontaires pour la défense de la patrie) ou les civils. Comme dans toutes les guerres, il existe aussi des exactions regrettables. Je ne suis pas sans critique sur la façon dont est menée la transition, mais il ne m’appartient pas, pour l’instant, de m’exprimer, d’autant plus que ce n’est pas le sujet de l’interview. Le débat doit pouvoir se mener, avant tout, en toute liberté entre Burkinabè. Je voudrais de ce point de vue exprimer mon admiration pour la presse écrite diversifiée, les médias qui, en hommage à Norbert Zongo, continuent leur travail dans des conditions difficiles.

Cela dit, et pour revenir à votre question à proprement dite, je pense que chaque gouvernement va désormais montrer qu’il veut laisser quelque chose pour honorer Thomas Sankara. Celui de Blaise Compaoré l’avait fait, en son temps, si je ne me trompe, consacrant héros de la nation Thomas Sankara avec Nazi Boni, Ouezzin Coulibaly et Philippe Zinda Kaboré. Je n’ai pas de commentaires particuliers. C’est un acte symbolique qui correspond à une demande de la population. Pour les Burkinabè, Thomas Sankara est considéré comme un héros depuis bien longtemps. Selon les textes, « le héros de la nation bénéficie des privilèges suivants : consécration d’une journée d’hommage ; réalisation de monument ; construction de tombeau et mausolée ; baptême de rues, avenues, places ou édifices publics en son nom ; décoration. » Beaucoup de ce qui est prévu à la suite de cette consécration existe déjà.

Une certaine opinion estime que le vrai hommage qu’on puisse rendre à Thomas Sankara, c’est de s’approprier les valeurs de travail et d’intégrité de celui-ci dans les comportements de tous les jours, que de faire dans le symbolisme. Comprenez-vous une telle opinion ?

Bien-sûr que je la comprends. Thomas Sankara était travailleur et intègre. C’est un modèle pour la jeunesse burkinabè, la jeunesse africaine et les peuples du monde entier, pour ceux qui le connaissent. Que faut-il faire pour lui rendre hommage ? Pour moi, le plus important, c’est de le connaître, de l’étudier et de s’en inspirer, mais en parfaite connaissance de ce qu’il était, de ses pensées et de ce qui a été réalisé pendant la Révolution, souvent sous son impulsion. Le moins qu’on puisse dire, c’est que nombreux sont ceux, parmi ceux qui se proclament « sankaristes », qui ne semblent pas trop le connaître ni s’en inspirer réellement. On ne peut que s’étonner de ce point de vue de constater que l’on prône parmi les sankaristes le retour de la chefferie traditionnelle que Thomas Sankara qualifiait de « force rétrograde » ! Une relecture du DOP (Discours d’orientation politique) ne ferait pas de mal !

Il reste énormément de choses à faire, en dehors des monuments et baptêmes d’édifices publics. Il y a des gens qui travaillent dans l’ombre qu’il faut saluer. Je pense par exemple au service des archives de la télévision, dont le responsable se bat au quotidien pour récupérer les images, malgré le manque criant de moyens. Il y a le groupe Facebook « Archives Burkina », très actif, dont les animateurs sont bénévoles, 191 000 membres, qui partage des archives de toute sorte de l’histoire du Burkina, mais aussi sur Sankara et la Révolution. Je voudrais aussi citer le service des archives nationales, très bien organisé, qui permet l’accès à de nombreux documents. J’en ai trouvé d’inédits sur la Révolution. Sans doute y a-t-il d’autres initiatives que je ne connais pas.

Je profite de cette interview pour signaler que j’aimerais bien entrer en contact avec des universitaires historiens au Burkina, je n’en connais guère. Y a-t-il beaucoup de travaux d’étudiants ou de chercheurs qui travaillent sur la Révolution ? Je suis très souvent contacté par des étudiants en France, mais jamais par des étudiants au Burkina. Pourquoi ? Il y a tellement de sujets de masters sur la Révolution qui pourraient passionner des historiens en formation.

Si je puis me permettre, il y a bien d’autres héros dans l’histoire du Burkina qui méritent tous autant d’être honorés. Norbert Zongo l’est aussi, mais uniquement par le monde de la presse, semble-t-il. Est-ce un héros de la presse ou un héros national ? Mais au-delà, ils sont certainement très nombreux, et les historiens doivent se faire entendre de ce point de vue.

A ma connaissance, il n’y a aucun travail fait sur le bilan quantitatif de la Révolution, à partir des séries statistiques. Et s’il existe, en tout cas, il n’est guère popularisé, sinon j’en aurai eu vent. Il y a bien quelques livres qui donnent des chiffres, mais il est temps qu’un véritable bilan chiffré exhaustif et fiable soit réalisé. Je me rappelle très bien que, du temps de la Révolution, l’institut de statistiques était parfaitement opérationnel. Cela dit, rappelons ici l’existence de plusieurs ouvrages écrits pas des Burkinabè, Valère Somé, Basile Guissou, Alfred Sawadogo, Pascal Zagré, Jean-Hubert Bazié et l’ouvrage de l’actuel Premier ministre Kyelem de Tambèla, et sans doute d’autres que je ne connais pas.

Il reste beaucoup à faire ; des travaux de recherche, mais aussi populariser ses idées, pour ne pas s’en tenir qu’à quelques citations connues par cœur. Il est temps de se mettre au travail et d’aller au-delà des commémorations annuelles.

Vous êtes incontestablement un historien de la Révolution burkinabè – vous l’avez prouvé par les nombreux ouvrages – et vous êtes considéré comme le principal biographe de Thomas Sankara, dont vous étiez d’ailleurs l’ami. Quels sont les instants, les images de cette époque qui vous reviennent à l’esprit chaque 15 octobre ?

J’étais à Ouagadougou le 15 octobre (1987, ndlr). J’y suis arrivé début juillet 1987. Le ministre Fidel Toé, en charge alors de la Fonction publique, m’avait demandé de venir donner des cours aux employés de son ministère pour prendre en main les premiers ordinateurs qu’il avait reçus de la Corée du Nord. On m’avait alors logé dans le quartier de la cathédrale et prêté une petite moto pour me déplacer. Vers 16h, je me rendais donc au sport de masse à l’ENAM (École nationale d’administration), derrière les locaux de la RTB de l’époque, qui, je crois, abritent maintenant la radio. J’ai été stoppé par deux hommes en armes alors que je longeais le mur de la base aérienne. J’ai fait demi-tour et je suis rentré chez moi. On entendait des tirs.

Mon voisin immédiat était le responsable de la sécurité des CDR (Comités de défense de la révolution). Il m’a dit de rester chez moi et de ne pas sortir. Lui était parti à sa permanence, mais tout était bouclé. On ne savait pas ce qui se passait. Les nouvelles me sont arrivées le lendemain. J’étais triste bien-sûr, inquiet. Je suis resté au Burkina jusqu’à la mi-novembre. Je me suis mis dès le soir du 15 octobre à écrire mon premier ouvrage paru en 1989 sous le titre « Burkina Faso, les années Sankara, de la Révolution à la rectification ». C’est un livre qui tente de faire un premier bilan de la Révolution et quelques analyses, mais aussi des reportages. J’y raconte ce qui se passe à Ouaga, les premiers jours après l’assassinat de Thomas Sankara et de ses compagnons, pour les gens qui ne sont pas les acteurs de premier plan.

La ré-inhumation des restes des victimes s’est faite dans une division de la famille Sankara, d’une part entre membres de la famille et d’autre part entre une partie et les autorités (gouvernement). Comment avez-vous vécu ces moments ?

Très mal. Un mélange de tristesse et de colère. Il se trouve que j’ai des contacts avec des membres de plusieurs familles. Je sais ce qu’ils ont enduré. Eux qui ont attendu près de 30 ans pour faire leur deuil, dont ils ont finalement été privés, pour des raisons étonnantes, pour ceux qui ne voulaient que les inhumations se fassent au Conseil de l’entente pour d’étonnantes raisons. Je prépare un livre sur l’ensemble de l’affaire Sankara. Un chapitre sera consacré à cet épisode où je raconterai en détail ce qui s’est passé. La décision a été prise dans la précipitation. Avec quels arguments ? Il fallait faire vite car l’armée s’apprêtait à lancer une grande offensive, et les inhumations devaient être faites avant. Il fallait enterrer les corps des suppliciés, car sinon leurs âmes allaient continuer à flotter.

Il fallait absolument les mettre au repos sinon la guerre ne pouvait être gagnée. Un traditionaliste est venu assister à la réunion des familles avec les autorités et c’est l’argument qu’il a défendu. Ajoutant l’autre argument selon lequel, dans la tradition, les personnes décédées par accident doivent être enterrées là où elles ont été tuées. Une coutume à géométrie variable, semble-t-il ! Les autorités militaires se sont rangées derrière ces arguments. Les familles s’étaient mises d’accord sur un lieu qui a été refusé, sans que la raison ait été rendue publique. Elles se sont vu imposer ce lieu. Non seulement les familles en sont sorties divisées, mais certaines familles se sont elles-mêmes divisées. Vous n’imaginez pas combien cet épisode livre une mauvaise image du Burkina à l’étranger où nombreux sont ceux qui se sont mobilisés pour la justice.

Pour en finir avec ce sujet, bien triste, il faut bien le dire, dans une longue lettre signée par une quarantaine de personnes, dont certains animateurs du CIM-TS (Comité international mémorial Thomas-Sankara), qui pourtant faisaient campagne pour les inhumations au Conseil de l’entente, on peut lire : « Une solution intermédiaire pourrait consister à opter pour des cénotaphes au Mémorial Thomas-Sankara. Un cénotaphe est un monument funéraire élevé à la mémoire d’une personne ou d’un groupe de personnes et dont la forme ou l’ornementation rappelle un tombeau, mais qui ne contient pas de corps (contrairement au mausolée). Le monument aux morts est ainsi le plus souvent un cénotaphe. Il peut s’agir également d’une tombe réelle, mais où le corps du défunt ne repose plus pour telle ou telle raison ». Autrement dit, un accord paraissait donc possible. En réalité, la décision a été prise comme un coup de force, par les autorités, alors que l’argument de la précipitation n’avait aucune consistance. Depuis, j’ai eu vent de déclarations de deux responsables dans les rouages de l’Etat selon lesquelles, il serait toujours possible de déplacer les corps. L’affaire est-elle vraiment terminée ?

Pendant plus de trois décennies, vous attendiez désespérément le jugement du dossier Sankara et ses douze compagnons, ouvert finalement le 11 octobre 2021. Avec le verdict (condamnation des accusés à de lourdes peines), peut-on dire que Bruno Jaffré a les attentes comblées et que la fièvre de justice pour Sankara a maintenant baissé ?

Oui, depuis 2008, nous animons, avec des camarades, la campagne internationale « Justice pour Thomas Sankara, justice pour l’Afrique ». Nous avons lancé plusieurs campagnes, avec la page Facebook « Justice pour Sankara, justice pour l’Afrique ». Au début, puisque le pouvoir de Blaise Compaoré bloquait toute avancée via la justice, d’abord pour l’ouverture d’une enquête indépendante, puis pour une commission d’enquête au parlement français (vous remarquerez que rapidement, nous avons interpellé la France), puis pour l’ouverture du secret-défense. Nous avons organisé des conférences de presse, y compris au Burkina, de nombreuses réunions publiques dans différents pays d’Europe, lancé différentes campagnes de signatures dont la plus importante a recueilli 16 000 signatures.

On peut se rapporter à la jeunesse ici, qui n’imagine pas quelle était la nature du régime de Blaise Compaoré qui bénéficiait de nombreux relais en France qu’il fallait dénoncer. Si nous avons largement contribué à ce que l’affaire de l’assassinat de Thomas Sankara et ses compagnons ne tombe pas dans l’oubli, au bout, c’est bien le peuple burkinabè qui a permis qu’enfin une enquête judiciaire s’ouvre au Burkina Faso, grâce à la formidable insurrection de 2014. Qu’il me soit permis ici de remercier, encore une fois, le colossal travail fait par le lieutenant-colonel François Yaméogo, le juge d’instruction, pour l’engagement dont il a fait preuve dans cette affaire et le courage qu’il a eu en demandant l’ouverture du secret-défense.

Bien-sûr que ce procès a en partie comblé nos attentes. Nous ne cesserons cependant de regretter qu’il n’ait pas été filmé, ce qui est une grave erreur, car des grands procès historiques ont été filmés, sans que cela ait soulevé des problèmes. Cette décision nous prive, nous, mais surtout les générations futures, de documents historiques précieux. Les noms des responsables de cette décision dramatique resteront aussi dans l’histoire de cette affaire.

Mais nous n’avons fait que la moitié du chemin. Si des témoignages durant le procès ont traité du complot international, l’enquête n’a pas vraiment pu avoir lieu, du fait du retard dans la livraison des documents. Je peux affirmer aujourd’hui que, dans les documents fournis par la France, il n’y a pas de documents « secret-défense », mais seulement des documents « confidentiel-défense », qui est le niveau de secret le plus bas. Par conséquent, la promesse du président Macron faite au Burkina en 2017 n’a pas été tenue !

Lorsque j’étais au Burkina en juin 2023, un juge était en charge du dossier. Mais il n’avançait guère, car la justice militaire était en attente d’une autre nomination. Je ne sais pas si, depuis, un juge a été nommé ou pas, et si oui, s’il a commencé son enquête. Je me permets juste de souligner que même s’il est de bonne volonté, il ne peut pas enquêter correctement depuis le Burkina, en France notamment. Il existe des moyens d’avancer. Je suis allé voir plusieurs avocats, pour discuter avec eux. Je ne peux en dire plus, mais il faut que la justice burkinabè prenne des initiatives, sinon que les avocats des victimes posent des actes pour relancer l’enquête. Il vous appartient comme journalistes présents dans le pays, de savoir où on en est.

Pourquoi tenez-vous tant au volet international du dossier et pensez-vous qu’il puisse vraiment aboutir avec cette quasi-absence de mobilisation citoyenne nationale en faveur de ce volet ?

Il ne s’agit pas d’une question personnelle. Les familles avec lesquelles je suis en contact sont très motivées pour que l’on continue dans la recherche de la vérité. Il a été question d’un complot international durant le procès. Il faut éclaircir ce volet. La justice est bien-sûr la mieux placée pour le faire. Mais les journalistes peuvent aussi enquêter et doivent le faire. Au Burkina, en Côte d’Ivoire, en France, en Sierra Leone, au Liberia, en Libye, si tant est que c’est possible et même aux États-Unis. Je peux vous annoncer qu’une maison de production m’a sollicité pour contribuer à une enquête sur l’assassinat de Thomas Sankara, avec un réalisateur très connu dans le milieu des documentaristes et que ces producteurs cherchent très activement les financements, et qu’ils soient conséquents, pour que nous bénéficions des moyens nécessaires pour mener une enquête approfondie. A suivre…

La mobilisation citoyenne est-elle inexistante ? Au Burkina, l’effroyable situation que vit le pays avec les attaques terroristes n’est pas propice à la mobilisation citoyenne. Et en plus, Blaise Compaoré, Gilbert Diendéré, Jean-Pierre Palm et d’autres accusés ont été déclarés coupables et jugés. Au Burkina, tout le monde pense que la France est impliquée et cela satisfait suffisamment la grande majorité des Burkinabè. Mais pour moi, ça ne suffit pas. La vérité reste à trouver. On ne peut se contenter d’affirmation sans preuve. Il faut donc que l’enquête reprenne et soit menée à son terme. Il en va aussi de la réalité historique. De notre côté, nous continuons à sensibiliser des députés pour que le non-respect de la parole du président Macron soit dénoncé, et que le secret-défense soit levé. D’autres initiatives viendront, mais il faut pour cela que la justice militaire ait repris l’enquête. J’avais pris des contacts avec des députés du parlement français pour une initiative en France pour le 15 octobre, mais nous avons jugé que tant que nous n’étions pas sûrs que l’enquête était effective au Burkina, ce n’était pas opportun.

Où en sont les recherches sur Thomas Sankara et la Révolution ? Et vous-mêmes avez des travaux en cours ?

Je voudrais d’abord signaler que le site thomassankara.net publie très régulièrement de nouveaux documents, notamment des discours et des interviews inédits. L’équipe du site que j’anime comprend une trentaine de Burkinabè, mais aussi des contributeurs d’autres pays. Tout le monde est évidemment bénévole. Je profite de l’occasion que vous me donnez pour lancer de nouveau un appel à volontaires burkinabè pour intégrer l’équipe. Des jeunes historiens seraient bienvenus, notamment ceux qui écrivent correctement sans difficultés, pourvu qu’ils soient aussi passionnés.

Par ailleurs, les archives nationales burkinabè contiennent aussi pas mal de documents à Ouagadougou sur la Révolution. Il en est de même en France, aux archives diplomatiques, à la Courneuve dans le 93, et aux archives nationales à Pierrefitte, aussi dans le 93, où malheureusement, il faut souvent demander des dérogations pour consulter les documents des cabinets présidentiels. Ce que je tente de faire actuellement. On peut s’adonner à de vrais travaux d’historiens. Pourtant, le seul ouvrage réalisé par un historien nous est venu des États-Unis, en la personne de Brian Peterson, une contribution importante, dans la mesure où il a pu consulter les archives américaines.

Je suis très régulièrement sollicité par des étudiants en France qui réalisent des masters ou des thèses sur Sankara et la Révolution, mais jamais par des Burkinabè au Burkina. Je ne demande pas mieux que de répondre à des demandes, à les aider dans leur recherche et à collaborer avec des historiens burkinabè ou dans d’autres pays. J’ai eu par exemple des contacts importants avec Brian Peterson.

Il ne faut surtout pas laisser croire que l’on sait tout sur Thomas Sankara. Bien au contraire. Pour ma part, j’en apprends tous les jours… ou presque. Et beaucoup de documents n’ont pas encore été exhumés. Le régime de Blaise Compaoré a tout fait pour éliminer la mémoire de Thomas Sankara et de la Révolution, et notamment en détruisant des documents. Mais tout n’a pas été détruit. Par exemple, avant l’insurrection, beaucoup disaient que les archives de la télévision avaient été détruites. C’est loin d’être le cas. Par contre, le travail de réhabilitation est colossal.

Et de nombreux documents non-exhumés sont au Burkina. Je connais pour ma part plusieurs collaborateurs (vivants ou décédés) du président qui ont (avaient) des documents que, pour l’instant, ils ont refusé de rendre publics. Peut-être même sont-ils arrêtés par la douleur qu’ils ressentiraient en les rouvrant. Il faut vite prendre des initiatives pour les récupérer, avant qu’il ne soit trop tard. Ces personnes ont besoin de confiance pour confier leurs archives personnelles. Mieux vaut donc des initiatives hors du monde politique, mais plutôt du côté des historiens, universitaires ou pas, et des archivistes. Pour ma part, je suis prêt à participer à un tel travail. On pourrait imaginer une commission d’historiens, d’archivistes, d’auteurs et éventuellement de membres de la famille Sankara, si elle le souhaite, qui consisterait à aller à la rencontre de ceux qui ont des documents et qu’ils négocient à quelles conditions ils pourraient les confier à un organisme public. Les archives nationales semblent le mieux indiqué !

Le site thomassankara.net contient déjà pas mal de documents et j’invite les passionnés à aller les lire, comme par exemple les textes de la réorganisation agraire et foncière, ou du projet de réforme de l’éducation. Mais nous ne disposons d’aucun document sur les réunions du CNR par exemple, alors que certains acteurs ont dû prendre des notes… Ni même des écrits personnels de Thomas Sankara qui nous éclaireraient sans aucun doute sur beaucoup de ses réflexions politiques, de ses projets.

Un autre exemple de mes recherches pour l’anecdote. Je devais, le 11 octobre (2023, ndlr), intervenir dans un séminaire à la Sorbonne intitulé « Marx au 21e siècle » sur le thème « Les Marxistes peuvent-ils négliger la Révolution sankariste (1983-1987) ? ». On a peut-être un peu tendance à oublier que Thomas Sankara était fortement influencé par ce qu’on a coutume d’appeler le marxisme-léninisme. Or, les marxistes semblent jusqu’ici ignorer la Révolution burkinabè, pourtant extrêmement riche d’enseignements pour le continent africain, mais aussi pour les marxistes. Le séminaire a été annulé sur toute l’année. Il semblerait que certains conférenciers, dont je ne fais cependant pas partie, ont été dénoncés comme infréquentables, raison pour laquelle le séminaire a tout simplement été entièrement annulé pour toute l’année. Je chercherai une opportunité pour présenter la conférence une autre fois. Je voudrais cependant ajouter que durant la préparation de cette conférence, j’ai découvert les travaux d’Amilcar Cabral qui mériteraient d’être mieux connus au Burkina.

Pour terminer, je suis désormais à la retraite. Évidemment, mon énergie n’est pas celle de ma jeunesse. Je réponds toujours à tous ceux qui me sollicitent dans le cadre de leurs recherches. Ma connaissance du sujet leur fait gagner souvent beaucoup de temps. Le site thomassankara.net contient 2 100 articles. Difficile de s’y retrouver. La recherche sur Thomas Sankara et la Révolution se poursuit. Elle a besoin de nouveaux passionnés pour avancer.

Interview réalisée par Oumar L. Ouédraogo (Lefaso.net)

Source : https://lefaso.net/spip.php?article124983

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