Nous publions ci-dessus un extrait d’un article publié sous le titre “Le tissage chez les Mossi du Burkina Faso : dynamisme d’un savoir-faire traditionnel” publié dans la revue Afrique contemporaine 1/2006 (no 217), p. 203-215. Le livre cité plusieurs fois dans l’article “Sankara, T. (2001), L’émancipation des femmes et la lutte de libération de l’Afrique, Pathfinder Press, Toronto.” n’est autre que l’édition du discours de Thomas Sankara prononcé le 8 mars 1987, accessible aussi à thomassankara.net/?p=40.
Nous n’avons publié ici que l’extrait de l’article qui traite de la période révolutionnaire mais vous pouvez lire l’article dans sa totalité à http://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2006-1-page-203.htm.
La rédaction
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par Anne Grosfilley
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18 L’arrivée au pouvoir, en 1983, de Thomas Sankara va avoir une très grande incidence dans le secteur du tissage féminin. Le discours qu’il prononce quelques années plus tard, le 8 mars 1987 à l’occasion de la Journée internationale de la femme, illustre d’une part son appui à l’émancipation de la femme, et d’autre part son engagement à la promotion des tissages locaux ou dan fani. De manière remarquable, le pupitre duquel il parle est recouvert d’un tissage réalisé par une tisseuse sur un métier amélioré [[Sankara, T. (2001), L’émancipation des femmes et la lutte de libération de l’Afrique, Pathfinder Press, Toronto. ]].
19 Nous retiendrons deux phrases essentielles dans son discours : [La femme doit] « s’engager davantage, dans l’application des mots d’ordre anti-impérialistes, à produire et consommer burkinabè en s’affirmant toujours comme un agent économique de premier plan – producteur comme consommateur des produits locaux » [[Sankara, T. (2001), L’émancipation des femmes et la lutte de libération de l’Afrique, Pathfinder Press, Toronto. p 31]]. Plus loin, il précise : « La femme dans son foyer devra mettre un soin à participer à la progression de la qualité de la vie. En tant que Burkinabè, bien vivre, c’est bien se nourrir, c’est bien s’habiller avec les produits burkinabè » [[Sankara, T. (2001), L’émancipation des femmes et la lutte de libération de l’Afrique, Pathfinder Press, Toronto. p 38]].
20 Thomas Sankara fixe alors un double objectif : produire et consommer. La production de dan fani va alors se structurer. Progressivement, les femmes qui tissent s’organisent en coopératives et sortent ainsi de l’invisibilité du statut de ménagère pour acquérir une reconnaissance sociale. C’est ainsi que se forme par exemple, en 1984, la Coopérative de production artisanale des femmes de Ouagadougou (COPAFO), située au centre de Ouagadougou, à côté des anciens établissements Peyrissac. Leur présidente, Marie-Odette Ouedraogo, me confia qu’elle avait appris le tissage en 1972, dans le centre social de Vilbagro, et exerçait ce métier à son domicile [[Entretien du 10 février 1998, à la COPAFO]]. L’exemple d’autres coopératives de femmes lui a fait comprendre qu’en se regroupant les femmes gagnaient davantage qu’en travaillant de manière individuelle à la maison. Elle s’associa alors avec d’autres tisseuses, des couturières formées à Dapoya et des teinturières, pour former la coopérative qui comptait 22 membres en 1998.
21 De même, fut créée l’UAP Godé (Unité Artisanale de Production) dans le quartier de Kamsonghin. Marceline Savadogo, la coordinatrice de l’unité, nous a expliqué qu’il s’agissait en fait d’une structure du ministère de l’Action sociale [[Entretien du 4 mars 1998, à l’UAP Godé]]. Le ministère a équipé le centre, c’est-à-dire a financé la construction de l’établissement, a acheté les métiers à tisser et a procédé au recrutement des tisseuses. Comme nous le précise Mme Savadogo, il s’agit d’un centre de production et non d’apprentissage. Les femmes travaillent sous un grand préau, qui leur permet de tisser tout au long de l’année, sans souci des saisons. Leur production est vendue dans la boutique de la coopérative, qui donne sur l’avenue Ouezzin Coulibaly.
22 Grâce aux infrastructures permettant de travailler quelle que soit la saison, le tissage devint une profession à part entière, créatrice d’emplois, même au-delà de la formation des coopératives. On peut noter par exemple que l’Association des tisseuses du Kadiogo (ATK) regroupe plus de 600 femmes [[CCIABF, 14 octobre 2002, Webmaster, « Techniques et savoir-faire »]] qui travaillent à la maison selon leur disponibilité.
23 Cette organisation de la production des femmes se conjugue avec un objectif de consommation locale, c’est-à-dire que les rouleaux d’étoffes tissées ne sont pas destinés à l’exportation, mais s’adressent avant tout à la population autochtone. Ce principe donna lieu au mouvement « Faso dan fani », par lequel Thomas Sankara contraint son peuple à revêtir les étoffes locales. Almissi Porgo, le conservateur du Musée National, nous relata cette période : « Sous la Révolution, l’habit traditionnel était imposé comme tenue de service. Imposé, c’est-à-dire qu’il y avait un décret pris par le gouvernement qui imposait qu’un fonctionnaire ne se présentait pas au service en d’autre tenue que dans une tenue confectionnée à travers le tissu faso dan fani. Et celui qui ne le faisait pas était passible de sanctions. Ce qui fait que le tissage s’est développé durant cette période-là. Tout le monde devait s’habiller avec ce tissu [[Entretien du 23 février 1998]] »
24 Cette mesure assura de fait une clientèle importante aux coopératives nouvellement créées et aux tisseuses à domicile. Cette action révèle l’objectif quantitatif que Thomas Sankara s’était fixé comme priorité : il fallait que les femmes produisent beaucoup de dan fani et rapidement, car elles avaient un marché assuré.
25 Son successeur, Blaise Compaoré, qui accède au pouvoir en décembre 1987, s’oriente davantage dans une recherche de qualité. Il met fin à la politique autoritaire du faso dan fani, mais ne néglige pas l’avenir de l’artisanat de son pays. En 1988, il institutionnalise notamment le SIAO (Salon international de l’artisanat de Ouagadougou). Thomas Sankara avait créé ce salon en 1984, pour la promotion exclusive de l’artisanat burkinabè. Blaise Compaoré décide de l’internationaliser pour qu’il devienne une vitrine de l’artisanat africain, et en fait un événement biennal organisé au mois d’octobre des années paires. Au cours de cette foire, sont décernés une série de prix de la part de l’OUA (Organisation de l’Unité africaine), de l’UNESCO (Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture), de l’ACCT (Agence de la francophonie), de TV5 CIRTEF (Conseil international des radios-télévisions d’expression française), de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine) et de l’OAPI (Organisation africaine de la propriété intellectuelle). L’obtention du prix TV5 CIRTEF en 1998 et du troisième prix UNESCO en 2000 par l’UAP Godé illustre un tournant réussi pour cette coopérative de femmes. Marceline Savadogo reconnaît elle-même un changement de qualité, en précisant que les couleurs des fils sont aujourd’hui mieux fixées, et les dimensions respectées. Selon elles, « avec le caractère obligatoire, les gens se méfiaient, ils portaient ça malgré eux, et maintenant, ils se sont rendus compte que la qualité y est ».
26 Pour promouvoir à nouveau le dan fani dans une période où la clientèle féminine s’orientait vers les pagnes industriels imprimés, le ministère de la Communication et de la Culture mit en place le Concours de la meilleure étoffe, le 8 mars 1996 pour la Journée de la femme . En juin 2006, le gouvernement burkinabè, en partenariat avec l’Ambassade de France, projette d’organiser le salon « Fibres et matières d’Afrique, pour une mode équitable ». Ces événements révèlent une dernière étape dans l’histoire du dan fani : le prolongement de la qualité dans la créativité, insufflé par les créateurs de Haute Couture.
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Anne Grosfilley
Source : http://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2006-1-page-203.htm