La nouvelle a été annoncée le 7 février dans la Lettre du Continent. La commission rogatoire dans l’affaire Sankara a été confiée au juge Cyril Paquaux. Pour le réseau Justice pour Sankara justice pour l’Afrique, il s’agit cette fois d’ « une avancée décisive dans la recherche de la vérité ». Cette information de grande importance n’a pas reçu l’écho qu’elle aurait mérité.

Publié le 22 février sur https://blogs.mediapart.fr/bruno-jaffre/blog

Par Bruno Jaffré

Levée du secret défense et commission rogatoire internationale

Lors de son voyage au Burkina, Emmanuel Macron avait promis la levée du secret défense en ces termes « J’ai pris la décision que tous les documents produits par des administrations françaises pendant le régime de Sankara et après son assassinat, … couvertes par le secret national soient déclassifiés et consultés en réponse aux demandes de la justice burkinabè ».

Le juge burkinabè, lorsqu’il avait fait cette demande en octobre 2016, avait en même temps demandé une commission rogatoire, sur laquelle aucune information n’avait filtré jusqu’ici aucune.

De quoi s’agit-il ? Une commission rogatoire est une disposition, toujours valide,  prévue par les accords de coopération,  en matière de justice,  signés en 1962 entre la République française et la république de Haute Volta, notifié dans le titre II du chapitre entraide judiciaire. Elle est transmise par la voie diplomatique et exécutée par les autorités judiciaires de l’État requis, la France dans le cas présent. En pratique un juge est nommé en France par le système judiciaire pour procéder à des auditions dont aurait besoin le juge d’instruction burkinabè pour poursuivre son instruction.

On note ici que l’exécution d’une commission rogatoire est de la compétence de la justice, bien que transmise par le ministère de affaires étrangères. Ce qui pourrait expliquer le silence d’Emmanuel Macron. Mais la levée du secret défense n’est pas non plus de la compétence du Président, mais du premier ministre pour ce qui est des instructions et des documents très secret défense, et des ministres concernés pour les documents secret défense.

Où en est l’enquête ?

La perspective de l’ouverture du secret défense, dit autrement de la déclassification de tous les documents  secret défense et de la poursuite de l’enquête en France ouvrent de nouvelles perspectives. C’est ainsi que le réseau « justice pour Sankara justice pour l’Afrique » qui mène campagne pour que toute la lumière soit faire sur l’assassinat du Président Thomas Sankara a réagi, dans un communiqué de presse en déclarant « C’est une avancée significative dans la recherche de la vérité et de la justice que nous saluons » (voir le communiqué à http://thomassankara.net/execution-de-commission-rogatoire-nouvelle-avancee-significative-laffaire-sankara/).

Jusqu’ici le juge François Yaméogo a enquêté sur le déroulement des évènements au Burkina et la chaine de responsabilité au Burkina. C’est ainsi que 14 personnes ont été inculpées, la plupart des militaires dont le général Gilbert Diendéré qui fut le numéro 2 de Blaise Compaoré,  le médecin qui a rédigé le certificat de décès ou figurait la mention « mort de mort naturelle » et son secrétaire, et des civils. Deux mandats d’arrêts internationaux ont été lancés contre Blaise Compaoré, réfugié en Côte d’Ivoire  et Hyacinthe Kafando le chef du commando.

Le juge François Yaméogo reste particulièrement discret, et les informations parviennent au compte-goutte par les avocats qui ont accès au dossier. Mais sa demande formulée en octobre 2016, en direction de la France, laisse entendre qu’il a des pistes sur une éventuelle implication française et surtout qu’il souhaite les poursuivre en France. C’est l’objet de la commission rogatoire internationale : Interroger des témoins identifiés après les auditions déjà effectués à Ouagadougou, ou acteurs de l’époque résidant en France, ce qu’il n’est pas en mesure de faire depuis le Burkina Faso. Et sans doute a t’il transmis au juge français une liste de personnes qu’il souhaiterait voir interroger. L’instruction et le dossier restent cependant burkinabè, et le juge français transmettra donc les nouvelles pièces du dossier à la justice burkinabè.

Quelles perspectives ?

Les archives diplomatiques  à la Courneuve sont riches de milliers de documents couvrant la période de 1984 à 1988, concernant les rapports entre le Burkina Faso et la France. Pourtant aucun document ou presque ne laisse transparaitre la participation ou la préparation d’un complot. Ces archives contiennent essentiellement de longs rapports extrêmement bien documentés et fournis sur la situation dans le pays et des échanges entre diplomates, dont le rôle n’est pas de préparer des complots mais plutôt de détendre les relations bilatérales. Nous y reviendrons plus en détail dans un article à venir.

Tout juste peut-on déceler que des documents sont absents, probablement classifiés « secret défense » ou « très secret défense », alors que l’on trouve quelques documents « confidentiel défense »  C’est dans l’ordre des choses. A quoi serviraient les classifications sinon ?

Les documents, s’ils existent, contenant des informations sur les activités des agents français seraient plutôt classés dans les archives de la DGSE, dont il n’est quasiment jamais question à la Courneuve. On comprendra mieux alors l’importance d’une promesse de levée du secret défense et l’exécution d’une commission rogatoire, indispensable dans la recherche de la vérité.

 Bien sûr, des doutes subsistent quant à la mise à disposition sans restriction des archives comme l’a exprimé un récent communiqué du réseau international « Justice pour Sankara justice pour l’Afrique » (voir à http://thomassankara.net/declassification-documents-lassassinat-de-thomas-sankara-veillerons-a-promesse-soit-tenue/). « Nous avons découvert (NDLR grâce aux rencontres avec des victimes ou leurs soutiens en butte au secret défense) que de telles promesses leur ont déjà été faites sans qu’elles ne soient réellement suivies d’effet. Aucune des déclassifications obtenues dans ces différents dossiers et pourtant très médiatisées par le pouvoir en place n’ont en réalité donné de résultat. Au contraire, les familles des victimes ou leurs amis, se sont trouvés en butte à toutes sortes de manœuvres, parfois de pressions, voire de menaces, de mensonges. » Et lorsque des documents sont versés au dossier, ils sont souvent amputés, parfois même étrangers au dossier, comme ce fut le cas lors de l’instruction sur l’assassinat de Mehdi Ben Barka. Des pages en sont même retirées ou partiellement blanchies comme dans l’affaire des journalistes Ghislaine Dupont et Claude Verlon  assassinés en 2013 au Mali. En sera-t-il de même  dans l’affaire Thomas Sankara ?

C’est en cela que la Commission rogatoire est l’indispensable complément à la levée du secret défense. D’abord parce que dans le cas des opérations secrètes, tout n’est sans doute pas répertorié dans des documents. Par ailleurs une instruction permet de procéder à des auditions dans un cadre judiciaire, et de contraindre les personnes à s’y rendre, de confronter des témoins etc…

De nouvelles révélations pourraient aussi venir de la presse. De nombreux journalistes s’intéressent au dossier. Les médias en rendent compte très régulièrement. Beaucoup évoquent sans la rejeter, l’éventuelle participation de la France à l’assassinat de Thomas Sankara. Cette médiatisation suscite de nouvelles vocations. On peut espérer que de nouvelles investigations seront donc lancées ou poursuivies en parallèle à l’instruction judiciaire, comme c’est souvent le cas en France lors d’affaires judiciaires importantes.

Un test de la volonté de changement de la politique africaine du gouvernement Macron

On comprendra, en lisant ce titre, qu’affirmer qu’il n’y a plus de politique africaine de la France ne nous a guère convaincu. Mais tel n’est pas notre propos ici.

Le président Emmanuel Macron n’a pas hésité à déclarer que la « colonisation était un crime contre l’humanité » ce que n’avait jamais osé faire les précédents Présidents de la République. Quelle sera son degré d’implication dans l’affaire ? Va-t-il contrôler directement les déclassifications ? Dans quelle mesure a-t-il les coudées franches, alors qu’il est le garant de la continuité de l’Etat et donc tenu de protéger ses fidèles serviteurs?

La France est, par ailleurs, engagée dans plusieurs opérations militaires à l’étranger. N’a-t-il pas besoin de ménager les chefs de l’armée, comme ceux des services de renseignement, qui n’aiment guère que l’on touche au sacro-saint secret défense qui leur garantit une tranquillité si ce n’est une certaine impunité. La recherche de la vérité sur la complicité française au génocide des Tutsis au Rwanda ou sur la mort de Maurice Audin sont  emblématiques à ce propos. Autres exemples, le naufrage du Bugaled Breizh  du à un sous-marin en 2004, et l’explosion de la Maison des têtes à Toulon (voir l’ouvrage de Max Clanet publié en 2014 aux éditions le spot intitulé Blessures de Guerre : comment l’explosion de la maison des Têtes de Toulon a été étouffée pour raison d’Etat) jusqu’ici inexpliquée sont par exemple deux catastrophes pour lesquelles les enquêtes n’ont pu être menées à bien du fait de l’impossibilité d’obtenir des documents en provenance de l’armée, en grande partie du fait du secret défense.

Certaines questions restent en suspens. Les déclassifications seront-elles totales ? Le juge Cyril Paquaux instruira-t-il en toute neutralité ? S’engagera-t-il totalement dans cette enquête ?  En aura-t-il le temps et les moyens. Les réseaux françafricains, les réseaux militaires tenteront ils de soustraire des pièces compromettantes ? Comment ne pas évoquer ici les nombreux obstacles pour empêcher que n’éclate la vérité sur l’assassinat du juge Borrel à Djibouti, le dernier en date était la destruction des scellés en décembre 2014 par les services judiciaires ?

Le fruit d’un long combat.

Ces avancées sont le résultat d’une longue campagne entamée après la volte-face de la commission des droits de l’homme de l’ONU en 2008 qui avait abandonné l’interpellation du Burkina après avoir été saisi par un collectif d’avocats. Cette campagne a donné lieu à des centaines de réunions publiques et des rassemblements sur la voie publique dans de nombreux pays, à deux pétitions rassemblant respectivement plus de 14000 et près de 7000 signatures. Petit à petit, les demandes vont se préciser en direction de la France ; ouverture des archives, mise en place d’une enquête indépendante, et enfin tout récemment, soutien aux demandes du juge François Yaméogo, notamment via la deuxième pétition. Prenant appui sur des courriers de parlementaires burkinabè  deux demandes d’enquête parlementaire (voir http://www.assemblee-nationale.fr/13/propositions/pion3527.asp et http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/propositions/pion0248.pdf) avaient été déposées auprès de l’Assemblée nationale française, appuyées par un volumineux dossier (voir à http://thomassankara.net/dossier-realise-dans-le-cadre-de-la-demande-denquete-parlementaire-sur-lassassinat-de-thomas-sankara-mai-2015/). Plusieurs courriers furent envoyés à tous les députés. Trois conférences de presse vont se tenir au palais Bourbon, dont une en présence de Mariam Sankara, deux autres à Ouagadougou l’une en présence de Sams’K Le Jah, l’autre avec Smockey, qui seront à l’origine de la création du Balai citoyen, mais aussi d’avocats de la famille, et de députés locaux. La médiatisation sera assurée par une dizaine de communiqués de presse, plusieurs tribunes libres, et de nombreuses autres interventions dans les médias.

L’insurrection populaire de 2014 au Burkina Faso fut décisive

Mais c’est surtout du Burkina Faso qu’est venue la relance de l’affaire vie l’ouverture d’une véritable instruction judiciaire, grâce à la population de ce pays. L’insurrection fin octobre 2014, massive, a entraîné la fuite de Blaise Comparé, soustrait à la justice de son pays par l’armée français qui l’a exfiltré en Côte d’Ivoire. La vérité sur l’assassinat de Thomas Sankara, inspirateur de l’insurrection, adulé par une large partie de la population, et particulièrement sa jeunesse, était une des revendications de la population. Le nouveau pouvoir s’est empressé de la satisfaire en nommant très rapidement le juge Yaméogo pour lancer enfin une enquête qui a rapidement avancée.

L’impatience est grande dans ce pays d’aller au procès. Plusieurs journalistes se sont empressés d’annoncer un procès début 2017, à tort, alors que tardaient à venir les réponses demandes du juge François Yaméogo. A tort ! Certains ont écrit que l’octroi de la  nationalité ivoirienne à Blaise Compaoré, empêchait son extradition. Il n’en est rien. Cette affirmation ne repose sur aucun texte officiel.

La pression sur Emmanuel Macron (voir https://blogs.mediapart.fr/bruno-jaffre/blog/281117/macron-au-burkina-comprendre-ce-qui-va-se-passer), lors de son voyage au Burkina, fut de nouveau décisive. Il avait annoncé clairement avoir choisi ce pays pour la première visite officielle an Afrique après le Mali, justement parce que son peuple s’était insurgé contre le dictateur Blaise Compaoré, et avait organisé une transition exemplaire en toute indépendance. Comment dans ces conditions aurait-il pu venir dans ce pays, annoncer vouloir la rupture sans promettre une collaboration de la France dans la recherche de la vérité sur l’assassinat de Thomas Sankara.

L’affaire vient donc de prendre une toute nouvelle tournure après les annonces de la collaboration de l’Etat et de la justice française. Jamais les conditions n’ont été aussi favorables pour accéder à la vérité. S’il faut se garder de trop d’illusion, on peut raisonnablement espérer que cette fois effectivement des éléments nouveaux seront versés au dossier.

Bruno Jaffré

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