Nous publions ci-dessous la lettre ouverte d’un Français résidant au Burkina Faso. Il a tenu à s’exprimer à propos d’une interview vidéo accordée le 13 octobre 2017 à Impact TV. Il y affirme que la France n’a rien à voir avec l’assassinat de Thomas Sankara. L’auteur de cette lettre ouverte M. Christian Darceaux répond point à point aux arguments de l’ambassadeur de France.

La rédaction


                                                         

Monsieur l’Ambassadeur,

Le 13 octobre 2017 vous avez accordé une interview à la chaîne Impact TV, diffusée sur le Faso.net le 16 dont voici ci-dessous quelques extraits.

Comme beaucoup de Français résidant ici et d’amis Burkinabè, j’ai ressenti un malaise en la découvrant.

Ambassadeur de la France, il est légitime et infiniment respectable que vous exprimiez la position officielle de mon pays, qui, jusqu’à présent, nie toute responsabilité dans l’assassinat de Thomas Sankara. Mais la façon dont vous l’avez fait semble avoir heurté la sensibilité de nombreux compatriotes, comme d’amis du pays où nous vivons.

Dès le début de l’entretien vous donnez le ton : « Il y avait mille raisons burkinabè pour que les dirigeants de la révolution s’entretuent ».

Peut-être…Vous n’en évoquez aucune. Mais, surtout, il y avait mille et une raisons pour que le président Sankara ait dérangé des « grands de ce monde », comme on dit. Ses prises de positions, à de nombreuses tribunes, sur le FMI, la Banque Mondiale, la dette, l’interventionnisme occidental en Afrique, le manque de courage de nombreux dirigeants africains, ou leur complicité, il est impossible de tout citer…, tout cela pouvait nourrir de solides inimitiés. Ses réussites économiques et sociales pouvaient donner des idées, et bousculer un « ordre » établi. Il n’est qu’à constater l’aura qu’il a aujourd’hui dans la jeunesse burkinabè, et bien au-delà, pour s’en convaincre. Votre propos vise-t-il à occulter cela ?

« s’entretuent »… Il est étrange d’entendre ainsi mis sur le même plan un Président assassiné et ses assassins. Thomas Sankara était en survêtement, désarmé, comme ses compagnons qui ont trouvé la mort en même temps que lui. Lui faire porter une intention criminelle n’est pas très sympathique pour sa famille, ses amis, celles et ceux qui respectent l’homme et son action.

Vous insistez, en anticipant les conclusions des enquêtes judiciaires en cours dans un pays indépendant et en « conseillant » les juges d’instruction :

« Il ne faut pas chercher ailleurs qu’au Burkina les commanditaires ».

Puis, sans que personne n’ait évoqué le Président de la République de l’époque, vous affirmez :

« François Mitterrand n’était pas homme à organiser ou à laisser faire de tels actes… Il a été mis devant le fait accompli. »

Le propos n’est pas de faire l’inventaire de l’action de F.Mitterrand, ni son procès. Comme chacun d’entre nous, il a ses parts d’ombre et de lumière.

Cependant, votre affirmation est démentie par l’Histoire :

En 1957, Ministre de la Justice, F.Mitterrand donna un avis défavorable au recours en grâce de Fernand Iveton qui fut guillotiné. Ce militant français, qui avait pris fait et cause pour les indépendantistes algériens du FNL, n’était responsable d’aucune mort. Cette exécution est un assassinat politique.

En 1985, Président de la République, il commandita l’attentat contre le Rainbow Warrior, navire affrété par Green Peace, qui œuvrait contre les essais nucléaires à Mururoa. Cela coûta la vie au photographe portugais Fernando Pereira.

Plus proche de nous, et plus dramatique, le rôle de la France pour appuyer, aider peut-être, les génocidaires des Tutsis au Rwanda, n’est pas éclairci. Des indices concordants laissent hélas craindre le pire. Dans ce cas aussi, la vérité gagnerait à ce que les archives soient ouvertes. Une plainte a été déposée à la cour européenne de justice pour que les historiens puissent faire leur travail.

Enfin, M. l’Ambassadeur, vous concluez « de façon générale, l’assassinat politique est mal porté dans les démocraties ».

Mal porté, très certainement, c’est pour cette raison qu’il est le plus souvent nié. Mais il est hélas pratiqué, rarement reconnu et assumé.

La Belgique a présenté ses regrets au peuple congolais pour sa responsabilité dans l’assassinat de Patrice Lumumba. Cette honnêteté est tout à son honneur.

La liste des assassinats politiques serait longue pour les Etats-Unis ou Israël, par exemple, qui, en général, pratiquent la dénégation ou le silence.

Pour ce qui concerne la France, on peut rappeler entre autre :

  • l’empoisonnement à Genève, en novembre 1960, du dirigeant camerounais, Félix Roland Mumié, opposé au colonialisme français, assassiné par un « retraité » du SDEC.
  • l’enlèvement, en octobre 1965, par les services secrets français du leader marocain Ben Barka et sa disparition.
  • beaucoup plus récemment, les assassinats ciblés, assumés par le président F.Hollande dans un livre interview paru il y a peu.
  • et pour terminer cette liste, hélas non exhaustive, le massacre de dizaines, voire plus de 200, selon un historien, d’algériens le 17 octobre 1961 à Paris, par les forces de police. Ce crime d’Etat, malheureusement avéré, et non encore assumé à ce jour, jette une ombre sur votre dénégation de l’assassinat politique dans les démocraties.

Voici exprimées dans cette lettre, quelques unes des raisons qui ont motivé ce malaise évoqué en début de courrier.

Les exprimer sous forme de lettre ouverte a été un problème de conscience.

Il n’est pas si simple d’exprimer publiquement, à l’étranger, des désaccords importants avec l’Ambassadeur de son pays.

Mais votre expression publique était très forte, trop péremptoire peut-être.

La démocratie, dont nous nous revendiquons, se nourrit de ces débats conflictuels qui permettent d’approfondir la réflexion collective.

Je vous prie de recevoir, Monsieur l’Ambassadeur, mes salutations les plus respectueuses.

Christian Darceaux

Bobo Dioulasso

Officier de l’Ordre du Mérite du Burkina

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