Par Merneptah Noufou Zougmoré

« Les intellectuels doivent étudier le passé non pour s’y complaire, mais pour y puiser des leçons ou s’en écarter en connaissance de cause si cela est nécessaire. Seule une véritable connaissance du passé peut entretenir dans la conscience le sentiment d’une continuité historique indispensable à la consolidation d’un État multinational » disait Cheikh Anta Diop dans l’avant-propos de son ouvrage « Unité culturelle de l’Afrique noire ». Le 7 février 1986 s’éteignait à Dakar au environ de 15 heures l’auteur de Nations nègres et Culture « le livre le plus audacieux qu’un nègres ait jusqu’ici écrit et qui comptera à n’en pas douter dans le réveil de l’Afrique ». Ces propos sont d’Aimé Césaire. Ce lourd héritage intellectuel et politique est porté en Afrique et dans sa diaspora par des jeunes. Quelle est l’actualité de l’œuvre de Cheikh Anta Diop ? C’est à cette interrogation que l’écrit tente de répondre.

 En 1949 Cheikh Anta Diop inscrivait sur le registre de la Sorbonne le sujet de sa thèse de doctorat ès-lettre. L’intitulé était : « L’avenir culturel de la pensée africaine ».  Suivra l’inscription de la thèse complémentaire le 20 avril 1951 avec pour titre : « Qu’étaient les Egyptiens prédynastiques ». La thèse principale était sous la direction de Gaston Bachelard et la thèse complémentaire était dirigée par Marcel Griaule, l’auteur de Dieu d’eau. Griaule était le spécialiste de la tradition Dogon. Il avait consacré plusieurs travaux de recherche au pays dogon.  Malheureusement le doctorant n’arrivera pas à se constituer un jury pour le doctorat. En 1956 l’auteur de l’Antériorité de civilisations nègres : Mythe ou Vérité Historique se réinscrit à nouveau pour la thèse. Cette fois-ci le travail ne porte pas directement sur l’Egypte. Il s’intéresse aux formes d’organisations sociales en Afrique et en Europe. La thèse principale s’intitule : « Étude comparée des systèmes politiques et sociaux de l’Europe et de l’Afrique, de l’Antiquité à la formation des États modernes. » Le sujet complémentaire : « Domaine de patriarcat et du matriarcat dans l’antiquité classique ». Elles seront éditées plus tard sous forme de livre avec pour titre, « Afrique noire précoloniale » et « Unité culturelle de l’Afrique noire ».

Il parvient à soutenir le 9 janvier 1960. Après la soutenance, il rentre définitivement au Sénégal. Mais auparavant ses premiers travaux dont il avait eu du mal à constituer le jury seront édité par la Maison d’édition Présence Africaine sous le titre de : « Nation nègres et Culture-De l’Antiquité nègres égyptienne aux problèmes culturels de l’Afrique noire d’aujourd’hui » en 1954.  La sortie de ce livre démultiplie la célébrité de Cheikh Anta Diop. Alors qu’il était déjà connu grâce aux conférences qu’il animait déjà dans le milieu africain en France qui prenait faits et causes pour la libération du continent. Son activisme dans l’association des étudiants du Rassemblement démocratique Africain (AERDA) faisait déjà de lui un jeune leader des causes des opprimés.

L’Egypte, un sujet permanent dans l’œuvre de Diop

Il consacrera toute sa vie à la connexion de l’histoire africaine avec l’Égypte pharaonique. La preuve qu’il y tenait, c’est quand l’UNESCO lui a demandé d’intervenir dans l’écriture de l’Histoire générale de l’Afrique. Comme préalable avant qu’il n’intervienne, il avait demandé qu’on convoque un colloque pour qu’avec ses pairs ils s’entendent sur certains préalables. Cette rencontre s’était tenue au Caire du 28 janvier au 3 février 1974 dans la capitale égyptienne. Avant la tenue du colloque, il avait fait cette confidence à Théophile Obenga, son disciple avec lequel il devait défendre la thèse de l’Égypte nègres : « Si l’on sort vaincu, alors je n’écrirai plus sur ces questions » et après le rendez-vous du Caire, il disait au même Obenga : « Jamais un tel aréopage scientifique ne pourra encore être réunis en Egypte même. Une page de l’historiographie africaine a été tournée, définitivement, au Caire. La vérité finit toujours par triompher. La vérité, il faut le savoir, est concrète, même en sciences historiques. »

Le premier africain à cheminer sur le plan scientifique avec Diop a été le même Théophile Obenga. Il avait auparavant fait des études de philosophie et avait une parfaite maîtrise du latin et du grec. Il découvre Nation nègres et Culture dans l’effervescence des années 1960. Par souci d’acquérir la connaissance directe, l’actuel chef de file de l’école diopienne s’initie à l’Egyptologie. Il s’inscrit alors au Collège de France, à la Sorbonne, à l’Université de Genève et à l’École pratique des hautes études pour bénéficier de la formation en Égyptologie et de l’initiation en hiéroglyphe.

Après Obenga suivront ses cadets tels que Aboubacary Moussa Lam, Babacar Sall, Yoporeka Somet et bien d’autres africains tous brillants. Yoporeka Somet est l’auteur de plusieurs ouvrages dont le dernier est « Egypte ancienne, un système Africain du monde ». Il est par ailleurs un des animateurs de la revue ANKH, la revue d’Egyptologie et de Civilisation Africaine. L’œuvre de Cheikh Anta Diop en plus d’être ostracisé dans les universités occidentales va subir les effets d’une conspiration de silence en Afrique. Pendant 21 ans, on ne l’autorisera pas à enseigner dans l’Université qui porte aujourd’hui son nom, alors que pendant la période c’était le centre d’acquisition des connaissances pour la sous-région ouest-africaine et même au-delà. Il sera confiné pendant toutes ces années à l’Institut fondamental d’Afrique noire (IFAN).

En plus des activités scientifiques, Cheikh Anta Diop va se consacrer dès son retour au Sénégal aux activités politiques. Il subira l’hostilité des autorités de l’époque avec à leur tête Léopold Sedar Senghor, le patron du parti unifié, l’Union progressiste sénégalais (UPS). Du Bloc des masses sénégalaises au Rassemblement national démocratique (RND), c’était la croix et la bannière et la loi des 3 courants viendront mettre en rade, le parti de Diop. Dans les années Senghor au milieu des années 1970, il ne pouvait pas agir dans le paysage politique. Sa formation politique ne faisait pas parties des 3 obédiences dont les textes avaient fait le choix. Il s’agissait d’un parti communiste, libéral et socialiste. Le RND avait refusé de s’enfermer dans ces carcans et l’explication du fondateur était qu’aucune idéologie n’était par essence étrangère à l’Afrique qui était leur terre d’enfantement. Le RND sera autorisé à agir publiquement avec un récépissé à l’accession d’Abdou Diouf au pouvoir au Sénégal.

L’héritage de l’œuvre au Burkina Faso

En avril 1986 pendant qu’organisait le symposium en vue de la création de l’Institut des peuples noirs (IPN), le professeur Cheikh Anta Diop avait été invité et devait livrer la conférence inaugurale du symposium. Malheureusement il décède le 7 février 1986. Pour la suite des activités de l’IPN, il faisait partie des figures emblématiques africaines que l’institut prenait pour référence.

Autour d’un universitaire comme le docteur Beteo Denis Nébié s’était constitué un noyau de jeunes dans un cadre associatif appelé Génération Cheikh Anta Diop (GCAD) des années plus tard après la tenue du symposium, pour étudier et diffuser l’œuvre monumentale du «  Pharaon des temps modernes ». Pendant plus d’une décennie Nébié et ses enfants (c’est ainsi que les détracteurs de la GCAD appelaient les jeunes scotchés à Nébié) vont écumer le pays pour diffuser l’œuvre dans les lycées et collèges. Il y avait aussi souvent des débats à l’université et dans certaines familles autour des idées de l’auteur de Civilisation ou Barbarie. Sur une question comme celle des langues la GCAD a gagné la bataille.

Aujourd’hui dans les médias toutes les organisations qui sollicitent un service à la Radio ou à la Télévision n’hésitent pas à adjoindre les langues locales qui ont plus d’effet dans la communication que la langue officielle qui est le Français. Hormis cette question des langues, les jeunes partout en Afrique demandent à ce qu’on introduise les œuvres fécondes des africains comme celles de Cheikh Anta Diop dans les programmes d’enseignement. La preuve, ce sont les manifestations des étudiants il y a quelques années au Sénégal. L’objectif de ce débrayage était qu’on enseigne les œuvres de l’enfant de Chatou (c’est le village de Cheikh Anta) à l’Université.

Pour ce qui concerne le Rassemblement national démocratique (RND), c’est un parti qui a survécu à son fondateur mais il n’a plus la même envergure qu’au temps du magistère du précurseur de l’Egyptologie en Afrique. L’actuel responsable du parti est Dialo Diop. Mais au-delà du Sénégal les jeunes politiques dans toutes les parties de l’Afrique se revendiquent de l’œuvre politique de Diop. Avec le recul et les actualités des pays du continent, on est en droit de penser que l’histoire est en train de donner raison à Cheikh Anta Diop. Les preuves de sa clairvoyance politique sont consignées dans ses écrits politiques et dans les « Fondements politiques, culturels et économiques d’un État fédérale d’Afrique noire » qui est un de ses ouvrages politiques majeurs. Dans ces deux œuvres il abordait déjà dans les 1960 de la fragilité du système sécuritaire du continent et de l’accaparement des élites de nos pays des maigres ressources. Il dénonçait en outre le train de vie de nos États et les faits que les fonctions politiques soient des privilèges pour le personnel politique en Afrique. L’exemple d’une institution comme l’Assemblée Nationale au Burkina Faso avec les avantages indus des députés montre à souhait qu’on n’est pas sortie de l’auberge et que le fait d’avoir très tôt vue ces travers place l’œuvre de l’intellectuel et le politique Cheikh Anta Diop au cœur de la réflexion politique aujourd’hui dans le continent berceau de l’humanité.

Merneptah Noufou Zougmoré   

LAISSER UN COMMENTAIRE

Saisissez votre commentaire svp!
SVP saisissez votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.