Moukoko Priso SG de l’UPC à propos de Thomas Sankara : "L’essentiel est qu’il vit dans la mémoire des jeunes Africains"

Le SG de l’Upc analyse l’action et l’héritage du défunt leader burkinabè.


Dans votre parti, Thomas Sankara est un nom auquel on se réfère souvent pourquoi?
On se réfère à Thomas Sankara à l’Upc parce qu’en son temps, il y a 20 ans et même plus, c’est un homme qui a engagé une démarche dont nous pensions qu’elle était une contribution réelle à la libération de l’Afrique. Suivant en cela une tradition upéciste, nous regardions avec beaucoup de sympathie et de camaraderie ce qui se faisait au Burkina Faso. A cette époque-la, les syndicats au Burkina étaient très actifs. Quand il y a eu la jonction des syndicats et du mouvement des jeunes officiers, c’était la preuve que l’armée en Afrique pouvait emprunter des chemins autres que celui de la répression néocoloniale. Cette démarche a été positive.

Mais en quoi cette politique aurait été bénéfique pour le Burkina Faso?
La réponse à cette question découle de la première. Au lieu de s’en tenir à ce que faisait beaucoup d’armées en Afrique, ils ont dit, ses camarades et lui, "nous nous mettons au service de notre peuple". Le nom de baptême du pays, Burkina Faso, pays des hommes intègres, était tout un programme. Au Cameroun aujourd’hui, nous voyons bien ce que cela peut signifier. Très rapidement, Sankara avait déjà vu ce que la corruption pouvait causer à un pays qui essaye de se libérer. Il avait vu ce processus de décomposition et l’a arrêté. Le Cameroun constitue un contre-exemple typique à cet égard.
Ses méthodes révolutionnaires comme il les nommait lui-même étaient qualifiées de violentes par d’autres. La révolution a fini par manger son enfant…
Je ne sais pas si la question suggère qu’elles sont imputables à la personne de Sankara. Je ne peux toutefois pas juger le mouvement ne l’ayant pas vécu de l’intérieur. Je me méfie cependant de la tendance à penser que ce sont les révolutions qui usent de méthodes violentes alors que les régimes réactionnaires en place en usent au quotidien. C’est une démarche intellectuellement curieuse. Ceci étant dit, cela ne signifie pas qu’il n’en ait pas existé. Je crois donc qu’il faut être relativement prudent. Nul ne peut dire que la révolution française de 1789 ne devait avoir lieu parce qu’elle a été violente. On ne peut dire qu’elle n’a pas été positive. Pareillement, ceux qui condamnent la violence au Burkina Faso devraient condamner l’Anc qui s’est battue contre l’apartheid. Et qui sait si au Cameroun, nous aurions obtenu cette fausse indépendance si l’Upc ne s’était pas battue pour cela.

Certains pensent que Sankara était d’un angélisme regrettable. Aurait-il dû ou pu prendre des mesures contre Compaoré?
Ce que vous dites rentre en contradiction avec votre précédente question. Le tempérament des gens, il faut le dire, est souvent minimisé dans l’histoire des révolutions. Je me souviens en effet qu’au cours d’une interview à Jeune Afrique, il a dit si Blaise mon frère prépare un coup contre moi ce sera imparable. C’est un peu angélique effectivement, mais les peuples ont aussi besoin de leaders qui les fassent rêver. Imaginons que les rôles aient été inversés et que Sankara ait éliminé les officiers Zongo, Lingani et Compaoré avec qui il avait fait la révolution, on aurait dit c’est un ingrat.
En septembre 1987, la direction de l’Upc en clandestinité avait eu une rencontre avec des révolutionnaires burkinabè qui nous disaient également qu’il ne faudrait pas qu’un coup nous surprenne. Nous n’étions donc pas très surpris. Mais l’idée a couru que ceux qui l’ont fait ont pris les devants, nous n’avions pas cependant les moyens de le vérifier. Nous regrettions que les divergences entre camarades aient été résolues ainsi.

Mais au regard de l’attitude actuelle de Compaoré, à qui l’on reproche d’être le fauteur de trouble en Afrique occidentale, ne peut-on pas dire qu’il était vraiment en train de tourner le dos à la révolution?
C’est une question délicate à plusieurs titres. Beaucoup considèrent que le Burkina Faso a marqué quelques points positifs. Pour faire un bilan exhaustif faute de vivre les choses de l’intérieur. Au moment du coup, l’on entendait par exemple dire que la main ivoirienne était derrière, mais dans quelle mesure cela est vrai ou faux, il faut rassembler des éléments pour le savoir. Cependant, le caractère sincère et droit de Sankara gênait beaucoup de monde. A cet égard il faut se souvenir de son discours devant le président français Mitterand, à qui il tenait des propos similaires à ceux de Lumumba, en juin 1960, devant le roi des Belges au moment de la proclamation de l’indépendance du Congo. Et on sait comment ces puissances résolvent ces problèmes : avec beaucoup de cynisme.
Il faut également dire, pour en revenir à votre question, que les gens évoluent et peuvent être amenés à faire d’autres choses positives. Est-ce que la contribution du président burkinabè actuel à la résolution de la crise ivoirienne à travers l’accord de Ouagadougou n’est pas un élément positif de sa diplomatie, au moins dans la région? Cependant, les gens n’oublient pas Sankara et peuvent avoir du mal à admettre qu’il y ait des choses positives. Dans les processus révolutionnaires, ces problèmes ont existé, on a ainsi entendu des gens dire qu’après l’assassinat d’Ernesto Guevarra, Fidel Castro a tourné le dos aux objectifs initiaux. En somme, je ne me considère donc pas en position d’émettre un jugement péremptoire.
Ce qui est bien cependant,c’est qu’aujourd’hui encore Sankara reste cité parmi les jeunes qu’il a marqué par son action comme d’autres : Hoji ya Henda en Angola, Steve Biko en Afrique du Sud et Osende Afana au Cameroun. Le fait qu’il reste incrusté dans la mémoire des jeunes est une bonne chose pour l’avenir de l’Afrique.

Source : Quotidien Mutations (Cameroun) du 15 octobre 2007 http://www.quotidienmutations.info/mutations/octobre/1192411984.php

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