La chute du capitaine Sankara, ou pourquoi on ne peut pas faire la Révolution sans les masses

  

Ce texte publié en 1988, mais non signé, est issu d’une revue proche de l’extrême gauche maoïste. Il alimente très sérieusement la réflexion sur la révolution burkinabé montrant une bonne connaissance de ce qui s’y est passé. Si l’article est assez critique il reste néanmoins beaucoup moins hostile que ne l’étaient les analyses du PCRV d’alors qui n’a pas hésité à qualifier la prise du pouvoir de putsch militaro-fasciste. Notons d’ailleurs  que les militants du PCRV ont mis de l’eau dans leur vin, reconnaissant maintenant des aspects positifs à la révolution burkinabé notamment face à la jeunesse burkinabé qui a fait massivement de Thomas Sankara leur héros de référence. Au-delà des prises de position des auteurs, cet article rappelle de nombreuses informations, projets et réalisations de la révolution qui rafraichiront bien des mémoires et intéresseront tous ceux qui n’ont pas connu cette révolution.  On note une aussi l’absence d’évocation d’un complot international alors qu’aujourd’hui les témoignages le confirmant se multiplient. B. J.

 

La poitrine criblée de balles, sa Kalachnikov quelques mètres plus loin dans la poussière d’Ouagadougou, le Capitaine de la «révolution» du Burkina Faso, Thomas Sankara, a été assassiné dans un coup d’Etat de palais le 15 octobre 1987. Plusieurs membres de son entourage, militaires et conseillers, gisaient morts à ses côtés sur les lieux de l’embuscade.

Des soldats agissant en faveur des ministres rivaux du Conseil National de la Révolution (CNR) au pouvoir qu’il présidait, balancèrent rapidement les corps dans une Jeep et réapparurent avec des pelles, en pleine nuit, afin de les ensevelir dans une fosse commune creusée à la hâte.

Avec la mort de Thomas Sankara, c’est une «expérience» au niveau de la réforme radicale qui disparaît, expérience qui avait suscité les espoirs de beaucoup de gens en Afrique et même ailleurs.

Le Burkina Faso était la plus récente tentative pour trouver une «voie indépendante» conduisant à la libération nationale, sans qu’ait lieu une guerre révolutionnaire des masses, sans la direction d’un authentique parti politique prolétarien, et sans la science du marxisme-léninisme-pensée maotsétoung.

Le coup d’Etat ressemblait au dénouement sanglant d’une pièce de théâtre dont la fin, comme dans les tragédies grecques, est inscrite déjà dans sa propre structure.

Sankara n’était en rien un communiste révolutionnaire (et la plupart du temps il ne prétendait pas l’être), mais sa position militante et anti-impérialiste, son style confiant et désinvolte, son allure militaire à la Che Guevara, et la plupart de ses tentatives peu orthodoxes pour «révolutionner» un des pays les plus pauvres du monde, ont captivé l’imagination de beaucoup de jeunes Africains et d’intellectuels qui suivaient ses innovations de très près; chez eux, sa mort devint un sujet aigu de controverse et a soulevé des questions essentielles : Quel genre de révolution dirigeait-il et sa voie était-elle vraiment celle qui pouvait libérer l’Afrique?

Le Burkina Faso, anciennement Haute-Volta est un pays sans accès à la mer dont la frontière Nord s’étend à travers 3000 kilomètres du Sahel, une région serai-aride à la lisière méridionale du désert du Sahara.

Il se trouve au carrefour de différents itinéraires qui pénètrent l’Afrique coloniale.

La conquête coloniale de la Haute-Volta remonte à la terreur qui régna en 1895, période durant laquelle un capitaine de la Marine française conduisit ses hommes à travers le plateau central, tuant sur leur passage hommes et animaux, pillant et brûlant les villages.

Faisant partie du morcellement de l’Empire français ouest-africain, ses frontières ont été régulièrement modifiées jusqu’à 1947.

L’immense majorité de sa population est rurale, des bergers et des paysans.

Son économie, jamais développée, était déséquilibrée et a stagné tout d’abord en raison du pillage colonial et plus tard a été ravagée par des sécheresses et des famines répétées, entraînant «l’aide» étrangère provenant d’une foule d’impérialistes occidentaux et de leurs représentants parasites du F.M.I, de la Banque Mondiale, de la F.A.O, de la C.E.E, des U.S. Peace Corps etc.

La population, principalement musulmane, se divise en de nombreuses communautés ethniques parlant plus de soixante langues et dialectes.

Sur 8 millions de personnes environ, 90 % habitent la campagne, qui est entièrement sous l’emprise d’Ouagadougou, la capitale.

La population urbaine se compose d’une minuscule classe ouvrière moderne, un assez grand nombre d’employés du gouvernement allant des bureaucrates au plus haut niveau, aux simples gardiens, le personnel militaire, des artisans, des employés défendant les intérêts de la France, et une petite mais rapace classe de commerçants. La ville est une création de l’impérialisme et un drain parasite sur le pays tout entier.

En 1932, la France a même relié administrativement la Haute-Volta à la beaucoup plus riche, colonie côtière de sa frontière méridionale, la Côte d’Ivoire, rendant officielle sa fonction de gigantesque réservoir de main d’œuvre pour travailler dans les plantations et les champs ivoiriens.

Aujourd’hui, deux millions de Burkinabé continuent de travailler en Côte d’Ivoire, et, au fur et à mesure que le désert avance, la migration vers le Sud se poursuit aussi. La France a rétabli «l’autonomie» de la Haute-Volta en 1953 et, par la suite, a accordé l’indépendance formelle en 1960 à une minuscule bourgeoisie compradore, qui a maintenu sa présence néocoloniale sous la domination d’officiers de l’armée, solidement fidèles et corrompus, qui avaient été renversés à tour de rôle déjà depuis dans un grand nombre de coups d’Etat, parfois avec le soutien de puissants syndicats de fonctionnaires.

C’était à peine choquant que le règne politiquement radical de Sankara finisse d’une manière aussi brusque. D’autant plus que, les moyens véritables par lesquels Sankara est venu au pouvoir et la nature même du pouvoir d’Etat dont il a pris la succession, sont la raison fondamentale qui a fait qu’il ne pouvait pas mener une révolution complète.

 

1. S’emparer du pouvoir par le haut : le corps d’officiers de gauche

Sankara appelait sa révolution, la «révolution démocratique populaire», dont le but était d’amener les gens du peuple à «assumer le pouvoir».

En fait, se trouve concentrée ici la plus grande partie du problème : le pouvoir politique n’a jamais été saisi par en bas, par la guerre populaire.

Au contraire, apparaissant comme le chef charismatique d’une aile de l’armée férocement nationaliste et anticolonialiste, le jeune capitaine radical Sankara s’est trouvé Premier Ministre en novembre 1982, lorsqu’un commandant-médecin de l’armée, Jean-Baptiste Ouédraogo, s’empara de la Présidence avec la collaboration des officiers de gauche et des syndicats. Sankara invita le Président libyen Kadhafi à Ouagadougou en avril 1983 et fut diligemment arrêté peu après que l’envoyé des Affaires Africaines français fût arrivé dans la ville, inquiet d’un réalignement diplomatique possible. Des jeunes manifestaient à Ouagadougou et les amis officiers de gauche de Sankara se sont retirés dans le camp de l’élite paracommando, dans la ville Burkinabé, au sud de Pô, et se sont mis à planifier une rébellion pour le faire réintégrer.

Le 4 août 1983, cette colonne de futurs ministres entra dans la capitale Ouagadougou et s’empara du gouvernement, proclamant «la révolution».

Ce coup de «gauche» reposait entièrement sur une ligne militaire bourgeoise dont la tactique était de déjouer les forces de l’alliance de droite et des «modérés» à l’intérieur de l’armée néo-coloniale temporairement désorganisée.

C’était au mieux une tentative qui, et dans le but d’avoir prise sur le pouvoir d’Etat, exigeait des efforts précipités pour consolider sa base sociale urbaine parmi les organisations radicales de gauche qui étaient influentes dans les secteurs petit-bourgeois urbains, en particulier dans l’éducation et parmi les fonctionnaires.

Comme Sankara l’a dit franchement : «sans eux, nous n’aurions pas pu gagner, ils préparaient les masses pour nous».

Et, quelque peu surprenant, «notre principal soutien vient des travailleurs organisés» (il veut dire, bien sûr, les syndicats reposant sur les fonctionnaires dans la capitale !).

Malgré ses sympathies pour le sort des paysans et indubitablement l’authentique désir d’améliorer leur condition de vie, Sankara ne comptait pas sur eux et ils ne sont jamais devenus sa base sociale : sa vision des choses et sa ligne politique coïncidaient au contraire avec celle de la petite bourgeoisie urbaine, et, dès le début, elle était celle qui ne pouvaient pas libérer la large majorité des masses laborieuses du Burkina Faso.

Il est vrai que Sankara avait atteint un certain degré de popularité. Bien que la majorité des masses jouait principalement un rôle d’observateur, en général, elle ne s’opposa pas à lui.

Il avait confiance, sachant qu’avec le temps les gens finiraient par se rallier à sa révolution.

En ce qui concerne le dilemme délicat qui est de se débarrasser de l’héritage de l’armée néo-coloniale, Sankara pensait qu’il pouvait la transformer en une armée populaire par le biais de «l’éducation politique»; «Nous voulons que l’armée se fonde dans le peuple», disait-il.

Bien que Sankara ait considéré sa direction comme «la représentation démocratique du peuple», en réalité la lutte pour le pouvoir politique était centrée à l’intérieur du Conseil National de la Révolution (le CNR) qui donnait une représentation aux principales tendances de gauche et servait de véhicule aux quatre patrons militaires – Sankara, Blaise Compaoré, Jean-Baptiste Lingani et Henri Zongo – afin d’essayer d’arbitrer les querelles politiques et de rapiécer les morceaux pour former une «unité» qui leur permettrait de fonctionner et de mener un programme de réforme.

En fait, si Sankara et ses amis militaires radicaux pouvaient être notés sur la base de leurs intentions et de leurs bonnes idées, ils auraient eu la moyenne. Sankara voulait aider les masses paysannes pour mettre fin au poids étouffant des chefs tribaux à la campagne, en finir avec la corruption des responsables gouvernementaux et la vénalité des fonctionnaires urbains, rendre la femme égale à l’homme et alléger son fardeau, atteindre rapidement le but de deux bons repas par jour et toute l’eau nécessaire à chaque foyer de paysan en moyenne.

Il voulait compter sur «nous-mêmes» et non pas sur les colonialistes et les impérialistes pour bâtir l’économie et il espérait développer la culture africaine et forger des alliances fortes avec d’autres Etats africains progressistes.

Il voulait être véritablement indépendant, s’opposait à toute forme d’hégémonie ou de domination étrangère et se proclamait faire cause commune avec «tous les peuples du monde prêts à nous aider dans notre lutte contre l’injustice et la tyrannie».

 

2. Compter sur la petite-bourgeoisie

Le problème politique sous-jacent au concept de la révolution de Sankara, était l’incapacité de se baser sur une analyse correcte des classes et de saisir la seule idéologie qui pouvait libérer les opprimés : celle du prolétariat, la science du Marxisme – Léninisme – pensée maotsétoung.

Bien qu’il ait avoué qu’il était influencé et attiré par quelques aspects du marxisme-léninisme, il empruntait d’une manière éclectique ces idées qui correspondaient à sa vision de classe petite bourgeoise radicalisée – celle des officiers de grade inférieur mécontents dans une armée néocoloniale – et il les combinait avec celles proches du panafricanisme et du «bon vieux» nationalisme usé.

«Il n’y a pas de politique sans idéologie. Pour nous, les idéologies offrent un éclairage, des moyens d’analyse permettant de cerner les réalités de la société… La dignité humaine, c’est ça notre idéologie». Il ne croyait en aucun moule autre que celui du Burkinabé qu’il essayait de forger: «C’est une pratique constante de l’eurocentrisme que de vouloir trouver des pères spirituels aux leaders du Tiers Monde…

Pourquoi veut-on à tout prix nous mettre dans un créneau idéologique, nous classifier ?…

Il ne peut y avoir de salut pour nos peuples que si nous tournons radicalement le dos à tous les modèles que les charlatans ont essayé de nous vendre vingt années durant… Nous retenons des expériences des autres ce qu’elles ont de dynamique et de créateur».

Pour façonner son modèle Burkinabé, Sankara a pris le cri de bataille des Cubains: «La patrie ou la mort ! Nous vaincrons !» De l’Albanie, il emprunta la pique et le fusil comme symbole national.

Il calquait ses Comités de Défense de la Révolution (CDR) sur son allié le plus proche, le Ghana, qui à son tour les avait pris de Cuba.

Surtout, il a «retenu» un mélange riche de révisionnisme moderne des Soviétiques et de «socialisme» africain condamné que les Soviets ont engendré, auquel il a ajouté quelques concepts et politiques développés par Mao Tsétoung pour la révolution dans les pays colonisés, malheureusement sans la vision scientifique de Mao ni son insistance sur la nécessité d’une guerre révolutionnaire contre l’impérialisme et ses alliés.

Le cocktail des vues politiques de Sankara pouvait être disséqué en un grand nombre de tendances et influences concurrentes opérant sur la scène politique de l’opposition à Ouagadougou et à Paris.

Le spectre politique «de gauche» comprenait des militaires, un groupe d’officiers «progressistes» dans l’armée néo-coloniale entraînée par les Français et les Marocains et qui s’appelait le ROC (Regroupement d’Officiers Communistes) qui a été étroitement lié à des organisations politiques dans les milieux intellectuels.

Parmi celles-ci ont figuré : le PAI (Parti Africain d’Indépendance ), des révisionnistes pro-soviétiques basés parmi les cadres administratifs et des forces politiques dirigeantes derrière l’organisation de masse connue sous l’appellation LIPAD (Ligue Patriotique pour le Développement) ; les «prochinois» (révisionnistes pro-Deng Xiaoping) ULC-R (Union des Luttes Communistes Reconstruite) avaient beaucoup d’influence sur les campus universitaires avec les pro-albanais du Parti Communiste Révolutionnaire Voltaïque (PCRV) qui dirigeait le Syndicat Général des Étudiants et cinq syndicats de fonctionnaires ; l’association syndicale la plus forte, la CSV (Confédération des Syndicats Voltaïques) et quelques autres cercles marxistes et trotskistes. Des postes ministériels furent partagés parmi ces forces de gauche, sauf pour les pro-albanais qui étaient devenus l’opposition loyale – jusqu’à ce que l’Albanie proclame son soutien à Sankara et suggère qu’ils en fassent autant.

Pendant que le débat dans le gouvernement et dans les cercles de gauche continuait, restait un problème tout à fait pratique : les impérialistes n’avaient jamais été éjectés du Burkina Faso et, la révolution de Sankara dès sa conception, était menée et développée par en haut, d’une façon qui ne s’appuyait pas et ne pouvait pas s’appuyer (malgré la rhétorique) sur la lutte consciente des masses populaires; elle n’était pas capable de formuler un véritable programme révolutionnaire basé sur les intérêts de classe – un programme qui non seulement propose, mais qui en pratique mette en mouvement une révolution de Démocratie Nouvelle pour briser les chaînes néo-coloniales et semi-féodales et qui amène les conditions nécessaires pour passer à la seconde étape de la révolution socialiste prolétarienne.

Seul ce processus est capable de transformer les rapports de production désarticulés et arriérés, en rapports de non exploitation et de libérer pleinement le potentiel de la paysannerie et d’autres masses révolutionnaires.

 

3. Le programme de Sankara

Le cercle militaire de Sankara a donné un «Discours d’Orientation Politique» en octobre 1983, un mélange de notions nationalistes, pan-africanistes et socialistes nourrissant un programme de réformes.

Dès le début, Sankara était pris dans le dilemme que le soutien de la «révolution» était centré presque exclusivement parmi les couches de la population urbaine qui jouissaient d’une position plus confortable par rapport à l’énorme paysannerie appauvrie.

En même temps, il était clair que, même le programme réformiste de Sankara ne pouvait pas être appliqué sans au moins réduire le fardeau extrême que représentait pour le régime le financement de l’appareil de l’Etat (et surtout les salaires des fonctionnaires qui jusqu’en 1983 dévoraient plus de 75% du budget).

Sankara mena une vive bataille contre la corruption en faisant payer des amendes aux contrevenants et en le poursuivant devant des tribunaux populaires.

Il réduisit les salaires des fonctionnaires de 20% à 30%, élimina les allocations logement, les prêts bancaires automatiques et des investissements parallèles lucratifs, imposa de lourdes taxes («contributions») y compris le douzième mois de salaire et, périodiquement, envoya des fonctionnaires dans les champs pour participer à des projets nationaux et pour combattre les «tendances petite-bourgeoises».

Les employés du gouvernement devaient porter des habits de coton cultivé localement et n’étaient plus autorisés à manger des fruits et des légumes importés.

Sankara montra l’exemple lui-même en acceptant un très bas salaire, déclarant toutes ses possessions devant le bureau des fraudes, et en faisant remplacer les Mercedes Benz du gouvernement par de simples Renault.

D’autres réformes comprenaient la construction de nouveaux logements, un programme de vaccinations de masse (appelé «l’approche de commando»), par lequel trois millions d’enfants furent immunisés contre les maladies mortelles courantes en 15 jours, et des campagnes d’alphabétisation d’après le modèle de celles menées au Nicaragua et à Cuba.

Il a amené des femmes au gouvernement et a proposé des mesures de grand envergure pour frapper l’oppression sociale, y compris pour abolir le mariage forcé, les dots, la vente des jeunes filles, la polygamie et la pratique de mutilations sexuelles qu’est l’excision (clitorectomie).

Pour briser les vieilles traditions oppressives, les hommes étaient censés aller au marché une fois par semaine.

A la campagne Sankara encourageait une bataille contre la désertification en lançant une campagne de plantation d’arbres.

Dans cette campagne, chaque cérémonie de naissance, de mort ou de mariage était célébrée en plantant des arbres.

Il y avait aussi des campagnes pour empêcher les feux de brousse, pour arrêter l’errance du bétail et pour canaliser les maigres eaux de la rivière voltaïque pour faire de l’énergie hydroélectrique et pour favoriser l’irrigation.

L’armée fut réorganisée en éliminant ou expulsant les vieux éléments droitiers et en réduisant le nombre d’officiers dirigeants.

Les huit mille soldats devaient être transformés en «activistes du développement» pour participer à l’agriculture et à la construction nationale.

En 1984, lors du premier anniversaire de la «révolution», Sankara a changé le nom du pays en Burkina (mot Moré qui signifie une personne libre) Faso (mot Dioura pour la patrie) : le «pays des hommes debout».

Mais toutes ces mesures ne pouvaient être que quantitatives, des modifications relativement mineures qui laissaient intact le rapport de base parasitaire entre l’appareil d’Etat et la population et entre la capitale et la campagne. Le seul résultat de ces mesures fut de mettre en colère la même couche de population sur laquelle le régime s’appuyait.

 

4. Une agriculture semi-féodale, désarticulée par l’impérialisme

Plus de 90% de la population Burkinabé active sont des paysans engagés dans l’agriculture – éleveurs et cultivateurs.

C’est une agriculture extrêmement primitive et arriérée. La plupart des terres cultivables sont utilisées pour l’agriculture de subsistance, et à l’exception du sud, sont relativement non- fertiles et difficiles à cultiver. Les outils et méthodes d’exploitation rudimentaires, y compris la culture extensive, le problème du nomadisme et le manque d’engrais et de pesticides contribuent tous à la médiocrité des rendements.

La récolte de céréales n’est que de 540 kg par hectare, comparés aux 4833 kg par hectare en France ! A ceci s’ajoutent les conditions climatiques particulièrement difficiles et erratiques, la plus sérieuse étant la baisse du taux de pluviométrie de 30% en 20 ans.

Dans les conditions semi-arides du Sahel, qui s’étend à travers les régions du nord, les buissons disparaissent et, avec le problème généralisé du déboisement, la dégradation des sols, l’érosion et la non-rotation des champs, ainsi que les pénuries sévères d’eau et le manque d’irrigation généralisée, la désertification avance. De nombreuses études ont démontré que «la désertification» n’est ni un acte de Dieu, ni un simple résultat du hasard climatique, mais plutôt est largement le fait de l’homme et est en grande partie due aux relations impérialistes.

Bien que quelques régions aient montré la capacité de produire davantage, telle la ceinture de céréales autour de Dédougou à l’ouest, le manque de routes et de moyens de réfrigération, couplés à une économie dirigée vers une production à des fins d’exportation, ont incité certains paysans à s’orienter davantage vers la culture du coton et des denrées non-périssables.

L’investissement des capitaux s’est fait seulement dans la culture du coton qui a été développée par les colonialistes dans les régions fertiles du sud, prenant une part disproportionnée des ressources et des experts disponibles.

90% des exportations sont des produits agricoles, principalement le coton et le bœuf, accessoirement le beurre de noix karité, les arachides et des fruits et légumes hors-saison destinés avant tout aux pays voisins et à la France.

Le revenu national moyen par tête d’habitant n’est guère plus de 200 $, le reste de la production alimentaire est largement destiné à la consommation et à l’échange direct et à la vente sur le marché local, souvent à la merci de la classe de commerçants exploiteuse qui achète et revend les céréales durant les saisons basses à gros bénéfices.

Le millet, le sorgho, le maïs sont les principales cultures vivrières de base.

Quelques produits artisanaux comme le beurre karité, pour les huiles et le savon, et la bière locale, appelée dolo, permettent un léger échange monétaire que les femmes peuvent utiliser pour acheter quelques produits de base, pour affûter ou réparer leurs outils ou acheter un morceau de craie si elles ont un enfant à l’école.

Dans les vingt années depuis l’indépendance, l’alphabétisation a augmenté de 5% à seulement 16% et a stagné en dessous de 6% à la campagne, avec deux fois plus de garçons que de filles admis à l’école.

Comme c’est le cas de beaucoup de situations néo-coloniales, les «instruits» allaient soit à la ville, soit dans les pays voisins pour trouver des emplois appropriés vu que la trésorerie nationale faible ne pouvait pas embaucher constamment de nouveaux fonctionnaires, et peu furent-ils à ce moment-là qui voulaient retourner à la misère accablante et au travail exténuant de la vie paysanne.

La vie est dure ; les problèmes tout à fait fondamentaux de nourriture et d’eau potable suffisante restent un obstacle majeur à la campagne.

A cause d’une division du travail tribale traditionnelle dans la plupart des nombreux groupes ethniques divers, les femmes sont responsables de la totalité des besoins matériels de leurs enfants, ainsi que de ceux que le chef de lignée leur confie jusqu’à l’âge de sept ans, formant ainsi dans beaucoup de cas une communauté fermée. Dans une journée type, ce sont elles (et leurs filles dès le plus jeune âge) qui doivent marcher de dix à quinze kilomètres pour chercher de l’eau, ramasser du bois et entretenir le feu, portant pioche, provisions et nourrisson pour planter leurs champs (sur la plus mauvaise terre et la plus éloignée de la maison) avant de rentrer moudre le millet, faire le ménage et préparer le repas du soir.

Elles retournent de nouveau chercher de l’eau le soir et passent une grande partie de la nuit à faire brasser de la bière à partir du millet et du sorgho, ce qui peut être vendu sur le marché local.

L’espérance de vie est de 44 ans, mais seulement de 35 pour les femmes.

Les impérialistes classent le Burkina Faso au neuvième rang des pays les plus pauvres du monde.

La situation dont Sankara a hérité et qu’il a essayé de réformer est semblable aux autres carcasses néo-coloniales que les impérialistes occidentaux ont créé en Afrique, et malgré le fleuve de rhétorique sur l’aide philanthropique aux misères du Tiers Monde qui s’écoule du FMI et de la Banque Mondiale, la plus grande misère du Burkina Faso est l’impérialisme lui-même.

Parallèlement aux vieux rapports des classes semi-féodaux existent les rapports entre les nations opprimées et oppressives : des paysans à peine capables de se nourrir piochant le peu de bonnes terres qui existent pour cultiver des haricots verts qui seront vendus à Paris pendant les mois d’hiver; l’élevage de bétail pour l’exportation vers d’autres pays africains bien que le bœuf ne soit pas une partie importante du régime alimentaire Burkinabé ; une économie stagnante, non diversifiée, dont le budget central fut dirigé pendant des décennies par la France et ses transnationaux.

Les impérialistes français appliquaient une division nette du travail pour leurs colonies ouest-africaines : le Congo et le Tchad cultivent le coton ; le Sénégal les arachides ; le Gabon le bois.

En plus de leur utilisation servir comme chair à canons pour les guerres européennes et coloniales, des centaines de milliers de gens de Haute-Volta étaient envoyés pour faire du travail forcé sur les plantations françaises de café et de cacao en Côte d’Ivoire. L’arriération du Burkina convient à l’impérialisme et ceci est un facteur critique dans son développement.

Comme il a été déjà mentionné, une des particularités les plus frappantes et les plus importantes du Burkina Faso est son rapport avec la Côte d’Ivoire au sud. Les deux millions de Burkinabés qui y travaillent représentant 60% des jeunes hommes entre 18 et 35 ans du Burkina Faso, c’est donc un pourcentage énorme de la ressource la plus précieuse du pays : les masses laborieuses.

Leurs revenus contribuent de manière importante à faire vivre les familles paysannes au Burkina.

L’agriculture de subsistance au Burkina Faso est l’envers de la médaille de l’agriculture des plantations en Côte d’Ivoire, avec ses besoins en main d’œuvre à bas prix.

Pour surveiller ce réservoir en Haute Volta ainsi que ses investissements relativement modestes dans le coton en tant que culture commerciale, la France soutenue par une bourgeoisie bureaucrate, conserve son armée coloniale et distribue une aide à caractère plutôt de soutien que de développement.

 

5. L’extension de la révolution à la campagne burkinabé

Dans son Discours d’Orientation Politique, Sankara jura de mener «une âpre lutte contre la nature… et contre la domination impérialiste de notre agriculture».

Il était bien décidé à donner la priorité au développement de la campagne, «en donnant au slogan de l’autosuffisance alimentaire son vrai sens, trop usé à force d’être répété sans conviction».

En 1984, il nationalisa les terres, et il ôta aux chefs traditionnels les privilèges administratifs et financiers.

Il condamna les «exploiteurs du peuple déguisés en chefs villageois».

Pour atteindre ses buts dans l’agriculture, le CNR prépara un Plan pour le Développement Populaire (PDP) sur 15 ans pour jeter les bases du premier plan quinquennal de 1985 à 1990.

Le PDP visait d’abord le cheminement vers l’autonomie économique et ensuite l’indépendance par le biais d’un nombre de projets financés par l’Etat qui bâtiraient une infrastructure de base et répondraient aux besoins les plus pressants des masses urbaines et rurales.

En faisaient partie le forage de puits, la construction de petits barrages en terre, de réservoirs, et des projets d’irrigation et le développement de potagers à travers les 30 provinces.

On comptait de gros projets «d’intérêt national» nécessitant les investissements massifs et une mobilisation à l’échelle de la nation tels que le barrage hydroélectrique à Kompienga, le barrage d’irrigation à Bagré et le chemin de fer Ouagadougou-Tambao.

Le véhicule politique principal créé par le CNR au pouvoir pour mener à bien ses politiques à tous les niveaux et dans tous les secteurs de la société a été les Comités de Défense de la Révolution ; «des organisations de masse permettant au peuple d’exercer son pouvoir démocratique» et de participer activement à la construction du pays.

Ils avaient comme devoirs d’éduquer politiquement les masses, de les associer aux changements révolutionnaires, d’organiser des projets collectifs d’intérêt national, et de «défendre militairement la révolution contre les ennemis internes et externes de la révolution par “l’entraînement militaire” des militants CDR.

Établis dans les 7000 et quelques villages que compte le Burkina ainsi que dans chaque grande école, usine, quartier et unité administrative dans les zones urbaines, les CDR devinrent les autorités nouvelles, et ainsi la lutte politique à l’intérieur du régime qui n’avait jamais été résolue lors de la prise du palais présidentiel, fut reproduite à l’intérieur des CDR.

De vieux éléments de droite et des partis, écartés du pouvoir, plus des chefs déposés les infiltraient, et les tendances rivales de gauche se disputaient le contrôle de la direction des diverses régions. Dans les villes, La lutte incluait une contradiction supplémentaire où les responsables syndicaux concurrençaient les CDR, qui, du moins au début, leur prenaient leur base sociale. A un certain point, ceci dégénéra en conflit politique ouvert, alors que les syndicats de professeurs et fonctionnaires contestaient le pouvoir des CDR et refusaient de leur être subordonnés.

Pour l’essentiel, les effectifs des CDR étaient composés d’énergiques et enthousiastes jeunes supporters du nouveau régime, bénéficiant d’une large liberté pour mettre en mouvement les changements qu’ils estimaient nécessaires.

Au départ, ils étaient littéralement armés pour défendre la révolution, jusqu’à ce que «trop d’incidents, d’abus» mettent un terme à cette politique.

Du point de vue politique, ils remplacèrent la base du parti politique au pouvoir et, dans le contexte, représentaient en fait la formation d’une nouvelle classe de chefaillons.

Sans aucun doute, cette initiative juvénile lança de nombreux projets valables, allant de la construction d’écoles et dispensaires, le creusement de fossés et l’aménagement de places de marchés, jusqu’à l’organisation de cours de lecture et d’écriture, ainsi que la mise en œuvre des objectifs du PDP.

A la campagne, les CDR s’occupaient de services communautaires et jouaient un rôle important pour surveiller des ventes de céréales, empêcher les marchands de faire payer le double du prix officiel du millet, ce qui, comme un des dirigeants des CDR le dit, aurait signifié la mort de faim de certains paysans.

De part leur haine des vieilles structures basées sur les chefs villageois, les jeunes entrèrent naturellement en conflit aigu avec les autorités qu’ils avaient remplacées, conflit qui se trouvait spécialement concentré dans la perception des impôts, activité qui était auparavant le devoir du chef, lequel prenait sa part. Plus tard, cet impôt fut aboli, ce qui s’avéra être un des plus grands coups porté à l’ancien ordre.

Bien que les CDR aient été créés pour servir de véritable maillon avec les masses, au moins un observateur se lamenta que les paysans eux-mêmes restaient souvent sous l’emprise des chefs villageois, surtout en pays Mossi, et dans la rivalité qui opposait les CDR aux chefs villageois, personne ne défendait les intérêts des paysans.

 

6. Réforme agraire contre révolution agraire

L’expérience au Burkina Faso consiste surtout en une nouvelle illustration douloureuse du fait qu’il n’existe pas de demi-mesure de sevrage vis-à-vis de l’impérialisme si la libération reste le but à atteindre.

Sankara ciblait l’impérialisme comme l’ennemi numéro un.

Il s’est débattu avec verve en faveur de l’objectif de l’autosuffisance dans la production alimentaire et en faveur d’une économie nationale planifiée et indépendante.

Mais le programme économique des CNR les empêchait même de se rapprocher du but d’amener des Burkinabés à compter sur eux-mêmes et d’atteindre leur juste but de se nourrir.

Tout comme Sankara et ses amis ne s’appuyaient pas sur la lutte des masses pour mener une guerre populaire pour renverser l’impérialisme et la réaction dans le but de prendre le pouvoir, ils n’ont pas compté fondamentalement sur les masses de paysans pour transformer la base économique de la société dans leur propres intérêts révolutionnaires et pour mener une lutte dans la superstructure afin de briser la tradition et sa mainmise arriérée sur les rapports sociaux.

C’est une question complexe, mais la réforme agraire n’était pas capable de mobiliser les masses parce quelle n’était pas fondée sur la rupture totale d’avec les modes de production pré-capitalistes qui dominent en réalité la campagne Burkinabé et pèsent de tout leur poids sur les relations sociales.

Tout en analysant correctement la paysannerie comme une classe ayant «payé la plus grande dette en terme de domination et exploitation impérialistes», et comme la «force principale», le Discours d’orientation politique implique de façon incorrecte que l’introduction du mode capitaliste de production a transformé ou éliminé les modes pré-capitalistes.

En réalité, les vieilles et nouvelles formes d’exploitation se sont enchevêtrées.

En outre, bien que la production ait légèrement augmentée, surtout dans le secteur du coton déjà développé par le capitalisme, comment cela met-il fin à l’exploitation impérialiste des paysans lorsque les rapports entre la machine néo-colonialiste «qui doit être détruite» et l’impérialisme n’ont pas changé ?

La productivité a augmenté au bénéfice de qui ? Celui de l’Etat ?

C’est à dire, la croissance d’une bourgeoisie urbaine et bureaucrate totalement dépendante de l’impérialisme, alliée à une classe de commerçants parasite ?

A l’occasion d’une conférence en mars 1984, lorsque le gouvernement décréta la nationalisation de toutes les terres, leur répartition selon les besoins familiaux, et la mise en exécution d’une réforme agraire, qui «briserait les vieux rapports de production féodaux … du fait des paysans pauvres et moyens eux-mêmes… abolissait la vieille propriété foncière… promouvait la production agricole à grande échelle…», ces décrets devinrent de simples incantations plutôt que la réalité parce qu’ils ne faisaient pas partie d’une authentique Révolution de Démocratie Nouvelle – et, en plus, n’étaient détruits ni le vieux rapport de classe entre les pays impérialistes exploiteurs et la nation opprimée du Burkina Faso, ni les rapports entre l’exploité et l’exploiteur à la campagne.

Le système de propriété foncière et rapports de classe dans la Haute-Volta et dans les pays africains semblables, mérite une étude approfondie et diffère à maints égards de la féodalité et la semi-féodalité telle qu’elle est apparue de façon classique en Asie ou en Europe.

La propriété foncière en Haute Volta a été liée à l’organisation hiérarchique tribale, décrite par de nombreuses sources comme «féodale ou semi-féodale» parce qu’autrefois fonctionnait le système exploiteur des corvées, c’est à dire du travail gratuit en plus de certaines faveurs que le chef extorquait des paysans qui travaillaient la terre, laquelle était tenue par la tribu et «appartenait» à la lignée ancestrale, mais était «gérée» par les chefs.

Ceci était accompagné d’une superstructure tribale correspondante qui renforçait le patriarcat, la polygamie et la hiérarchie dans la tribu.

Figure parmi les plus oppressifs des pouvoirs tribaux, la pratique des chefs aristocratiques qui consistait à régner par «le don de femmes».

Plus le vassal était loyal, plus il recevait de femmes, quoique le chef pouvait les reprendre s’il avait un compte quelconque à régler.

Les paysans donnaient leurs filles au chef pour une redistribution dans les lignées.

Les filles de leurs filles à leur tour, devaient être rendues, pour qu’il ait un approvisionnement constant.

Ceci n’est pas de l’histoire ancienne. Les harems de la cour de l’empereur de Mossi à la veille de la révolution en 1983 comportaient 350 femmes, sans compter les esclaves femmes.

Les autorités tribales, déchues de leurs anciens pouvoirs politiques et économiques, n’ont pas été éliminées en tant que force et les vieilles coutumes avaient tendance à persister.

(Certaines ont trouvé que c’était à leur avantage d’intégrer la direction des CDR, mais d’autres complotaient leur revanche).

Par exemple, même après l’établissement d’assemblées populaires dans chaque village, les paysans continuaient souvent à élire leurs anciens maîtres aux conseils supérieurs. Malgré l’interdiction de la pratique tribale qui consistait à offrir des cadeaux aux maîtres «spirituels», qui agissaient en parallèle aux chefs et garantissaient la fertilité et de bonnes récoltes, les paysans combinaient souvent un moyen d’offrir leurs chèvres ou leurs vaches la nuit ou hors de la vue des CDR.

Un autre exemple encore plus parlant, cité par Jean Ziegler dans son livre récemment publié, La Victoire des Vaincus, les longues queues de Bellahs, ou esclaves de la tribu Tamachek, attendant de ramener des céréales à leurs maîtres; ils ont essuyé un refus tout d’abord des CDR qui disaient que la servitude avait été abolie; les Bellahs répliquèrent : «Ne nous embêtez pas.

Vous, vous êtes ici pendant quinze jours, mais les Tamacheks, eux, sont là pour toujours» !

Bien qu’aucun de ces incidents ne soit surprenant, et Sankara lui-même était conscient de la mainmise continue de la tradition sur les paysans, il avait tendance à voir les rites et pouvoirs tribaux comme de simples coutumes «culturelles» que les paysans laisseraient tomber plutôt que de voir que ces domaines superstructurels puissants étaient le reflet des véritables rapports sociaux matériels, toujours existants, même s’ils coexistaient avec ceux du capitalisme ou de l’impérialisme.

Le but d’une révolution agraire menée par le prolétariat et parmi la paysannerie est précisément de briser le vieux système de propriété, d’extirper la superstructure arriérée féodale (ou semi- féodale) et d’affecter «la terre à celui qui la cultive» en la distribuant par tête.

Cette politique de distribution de la terre par tête et non par famille, soit dit en passant, porte un coup sévère aux vieux rapports patriarcaux de la propriété, puisque, d’un coup, des femmes possèdent elles aussi des terres, et en cas de divorce et d’autres changements, elles peuvent participer sur un meilleur pied d’égalité.

Le fait de faire des producteurs des propriétaires indépendants de leurs terres est un aspect important de leur libération des modes de production pré-capitalistes.

La construction d’un solide fondement pour l’économie nationale ne peut qu’être basée sur la destruction de ces vieux rapports et non pas en les adaptant ou les réformant.

Ce stade représente la révolution bourgeoise, parce que la réforme de la terre ne dépasse pas le capitalisme.

Mais en même temps, il fournit le sine qua non pour toute véritable et authentique avancée vers la révolution socialiste: «le nouveau type de révolution démocratique déblaye le terrain pour le capitalisme, d’une part, et, d’autre part, crée les éléments préalables du socialisme», comme l’exprime Mao Tsétoung.

C’est seulement après la destruction des modes pré-capitalistes que l’on peut mettre en avant la question de quelle voie dans l’agriculture libérera la paysannerie – le capitalisme ou le socialisme.

Fondées sur l’initiative, le savoir et l’enthousiasme révolutionnaire des paysans eux-mêmes, des formes coopératives peuvent être élaborées pas à pas, telles que l’aide mutuelle, les équipes de travail et à la fin des coopératives, au fur et à mesure que les avantages deviennent évidents aux yeux des paysans pauvres.

Le prolétariat est contre la «coopération» bidon qui n’est pas basée sur la destruction des vieilles structures et rapports féodaux.

De tels efforts ne font que déguiser et, à la longue, incorporer les vieilles relations.

En réalité au Burkina Faso, il s’avéra impossible de passer même à une forme de capitalisme d’Etat (les fermes d’Etat déclarées créées mais inexistantes) sur la base d’une agriculture semi-féodale et sans rompre avec l’impérialisme.

L’autre front majeur de la Révolution de Démocratie Nouvelle, celui qui est inextricablement lié aussi à la mise en œuvre de la révolution agraire, c’est la nécessité de rompre avec l’impérialisme et de construire ainsi une économie nationale, indépendante et autonome.

Dans un pays où nourrir la population et résoudre la pénurie d’eau sont des priorités immédiates, l’industrie – l’industrie légère – doit être créée essentiellement pour servir l’agriculture, avec du matériel modeste tel que les pompes, les puits et les outils, au lieu de produire pour l’exportation ou de développer des ressources non nécessaires à ces buts primordiaux.

Cela implique de mettre au deuxième plan de la ville et de ne pas soutenir un Etat trop lourd en haut et surtout de ne pas fonder la survie sur l’aide impérialiste.

Diverses formes de la coopérativisation ont été essayées pour encourager les villageois à produire plus, ou plutôt elles ont été imposées, une pratique contre laquelle Mao met fermement en garde.

Etant donné que les associations de village n’étaient pas des initiatives des masses elles mêmes, les paysans voyaient peu d’intérêt à y participer, sauf, ironiquement, dans quelques cas où ils se sont groupés sur une base bourgeoise pour les créer lorsqu’ils se sont aperçus que c’était un moyen d’obtenir des prêts bancaires et des crédits!

Des coopératives prématurées, quant à elles, étaient artificielles, comme le dit le même rapport de la conférence pour l’agriculture en 1984, et avaient tendance à être reprises en main par les bureaucrates, les propriétaires fonciers, les marchands ou les soldats salariés, «qui ne craignaient pas de piller les ressources des coopératives parce que la seule chose qu’ils risquaient était d’être envoyés à un autre village où ils pouvaient recommencer…»

 

7. Un peu d’autonomie et un peu de dépendance

En 1983, le France fournissait 40% du budget de la Haute-Volta, quelque 70 millions de dollars. II existait également un effectif de quelques 3500 français travaillant à divers niveaux.

La plupart de l’aide injectée par le biais d’organismes français a été affectée à l’assistance technique et le développement rural aussi bien qu’à l’extraction de l’or.

Malgré une «voltaïsation» de l’économie après l’indépendance, le commerce et les entreprises de l’alimentation française (brasseries, huiles comestibles, moulins et raffineries de sucre), le textile et d’autres (tabac, chaussures, etc.) ont réussi à se maintenir en bonne position et ont continué à recevoir un traitement extrêmement favorable pendant les premières années de la «révolution». En 1986, lorsque le gouvernement Burkinabé décida de renouveler les avantages fiscaux exorbitants de la société IVOLCY (une firme de vélos «voltaïque», filiale de la transnationale française CFAO) au détriment des producteurs locaux burkinabé de vélos, ces bourgeois nationaux furent bien entendu outragés.

Cela coïncida avec une politique globale d’importation de toutes sortes de biens de consommation, des produits industriels et alimentaires, quoique les articles de luxe aient été presque entièrement supprimés, au grand dam des vautours de la classe marchande – ceux qui étaient liés aux monopoles européens hautement structurés et les marchands de longue date du Moyen-Orient, courants partout en Afrique occidentale, tous les deux utilisant le réseau de petits marchands traditionnels dans les rues et à la campagne.

Mais des mesures telles que l’importation de concentré de tomates lorsqu’une usine de traitement de tomates près de Bobo-Dioulasso est tombée en panne, au lieu de la dépanner, agissaient évidemment en leur faveur.

On peut voir une autre forme de dépendance dans le petit secteur industriel. Des sociétés essentiellement françaises (des capitaux français à hauteur de 80%), qui datent de l’époque coloniale, ont été développées au nom de la réduction des importations.

En réalité, en important des acides gras pour fabriquer des huiles des savons, elles concurrencent et remplacent des produits artisanaux fabriqués à partir de karité ; ou bien en important des équipements pour fabriquer des boissons non alcoolisées et de la bière européenne produites à 5000 fois le coût d’un hectolitre de dolo produit localement à partir du sorgho, cette activité promue par l’impérialisme ignore l’utilisation des matières premières locales, réduit de façon importante le nombre de gens employés, implique qu’on investit des capitaux pour de la bière, rien de moins, et détruit des revenus importants, bien que modestes, des paysans tout en n’encourageant aucune autre activité économique secondaire sauf les bars et la vente d’alcools! Tant que le gouvernement donnait à ces sociétés des avantages fiscaux, les paysans pouvaient acheter la bière gazeuse plus prestigieuse au lieu de la variété maison quand ils avaient quelques sous de plus lors des récoltes.

En plus de l’aide des pays impérialistes occidentaux (les États – Unis, l’Allemagne de l’Ouest, le Danemark et les Pays Bas, et bien entendu la France), la Banque Mondiale, le FMI, la CEE et d’autres organismes intergouvernementaux ont aidé la Haute-Volta à garder la tête au-dessus de l’eau, assez pour commencer mais pas pour terminer de nombreux projets «de développement agricole», juste assez pour endiguer les disettes massives, et pour garder un contrôle solide sur l’avenir de ce pays et pour assurer son non-développement contrairement à d’autres pays riches en matières premières et stratégiques, tels que le Nigéria et l’Afrique du Sud.

Le FMI appuyait une politique de «libre échange», c’est à dire, la politique de la ruine des paysans, par le biais d’importation de céréales à meilleur marché, rendant le Burkina Faso plus dépendant.

Très souvent, cette «aide» destructive fut engloutie par des absurdités évidentes telles que des immeubles de bureaux confortables pour les représentants de la Banque Mondiale, ou le règlement des 42 millions de dollars que la FAO accorda aux projets de construction dont le tiers du budget fut absorbé par des nécessités telles que des générateurs pour alimenter les climatisations pour les conseillers italiens, qui refusaient d’engager des paysans Burkinabé.

Après la sécheresse de 1984-85, de l’aide arriva trop tard et fit chuter les prix des céréales pendant l’année suivante – c’est à dire, elle n’aidait pas à nourrir la population lorsque celle-ci en avait besoin, et ruina le marché local quand elle arriva… Un accident ?

Dès le début de la révolution, dans son Discours d’orientation politique, Sankara dénonça violemment «l’impérialisme, qui dans toutes ses formes, essaye de nous exploiter avec sa soi-disant aide, qui n’est qu’un moyen d’aliénation…»

Plus près de la vérité furent ses supplications éclectiques dans une interview donnée au moment où il rendit visite aux Nations Unies en automne 1984:

«Nous pouvons nous en servir et nous avons besoin d’aide des nations développées, mais une telle aide n’est pas si généreuse ni si fréquente en ce moment.

La France y contribue. La part des U.S. est dérisoire, surtout lorsqu’on voit les richesses et la prospérité de ce pays-là. Nous devons faire attention aussi quant à l’aide parce que nous ne pouvons pas l’accepter au risque de perdre notre indépendance. Et en fin de compte, nous savons qu’il faut nous appuyer sur nous-mêmes.»

Trois jours après son premier grand discours sur la politique étrangère en octobre 1983, dans lequel Sankara soutenait le Nicaragua, la lutte salvadorienne et le Polisario de la République Arabe Démocratique Sahraouie, et dénonçait l’invasion américaine de la Grenade, l’envoyé spécial de Reagan entra sans ménagement dans son bureau avec une note diplomatique du gouvernement des USA qui menaçait de «réexaminer ses accords de coopération et programmes d’assistance» si le Burkina persistait à se mêler des affaires d’Amérique centrale dont, la note concluait, «il ne connaît rien» .

Le dilemme auquel Sankara faisait face était de frayer une voie «anti-impérialiste» à l’intérieur d’un appareil d’Etat bourgeois hérité, totalement dépendant de l’aide impérialiste et sujet aux relations impérialistes entre l’oppresseur et l’opprimé.

Une tâche impossible. Ainsi, plutôt que de traiter l’aide étrangère comme un reflet de ce rapport, son gouvernement essayait de le reformer, le Secrétaire Général national des CDR l’a illustré parfaitement ainsi : « Ils utilisaient l’aide pour des Mercedes; nous, on s’en sert pour des pioches, des bêches et des brouettes…»

En réalité, bien que Sankara ait promis, avec le Programme du Développement du Peuple (le PDP), de viser de nombreuses petites réalisations qui «transformeraient le Burkina Faso en un vaste champ…», il mettait en avant (comme le font souvent les Soviétiques dans de tels pays) l’injection massive d’investissements dans quelques grandioses projets de construction qui, pensait-il, attireraient des donateurs d’aide et lui procureraient le prestige et la confiance dont il avait besoin.

La plupart sont devenus des fiascos embarrassants tels que le projet d’irrigation de Sourou, lequel fut conçu pour construire un barrage sur la rivière de la Volta Noire, dans le but de fournir deux récoltes de céréales par an.

Sankara vida les coffres de l’Etat pour pouvoir le terminer (avec des bulldozers français) avant l’importante célébration du premier anniversaire de la révolution, le 4 août 1984.

La structure fut achevée en temps voulu, les eaux furent recueillies et canalisées, mais alors il ne restait plus un sou pour le matériel d’irrigation pour utiliser l’eau, laquelle s’évapora. Au lieu de permettre une expansion de la terre et de compter sur le peuple pour inventer et utiliser des moyens peu coûteux d’irrigation, le projet finit par drainer la trésorerie et par réduire la terre cultivable disponible.

Un exemple d’un projet industriel totalement inutile pour le développement de l’économie burkinabé sur une base indépendante, c’est le chemin de fer de Tambao au nord, qui appelait le peuple à mener une «bataille du rail» et à construire trois cents kilomètres de tronçons pour sortir du pays ses réserves inexploitées de manganèse, d’or et de bauxite. Après la pause de 35 kilomètres, il ne restait plus d’argent et plus de rails.

Lorsque la Banque Mondiale refusa d’aider à terminer le travail parce que le projet était trop cher, il fut abandonné.

 

8. Une dépendance non-alignée

La France était plus qu’irritée par la montée au pouvoir de Sankara, particulièrement par sa prise de position internationale, parce que le Burkina Faso a toujours été un important carrefour dans la sphère d’influence française en Afrique Occidentale (Le Burkina Faso ne fut jamais au cœur des surprofits français dans son empire d’Afrique occidentale, pourtant la France s’en est bien portée étant donné les conditions diplomatiques difficiles et sa décision de ne pas développer les forces productives).

En tout cas, la France n’avait jamais l’intention de partir, bien qu’elle ait du supporter des critiques acérées de temps en temps, tandis que la politique française, comme le dit Le Monde du 17 octobre 1987, fut celle de «ne pas décourager des révolutionnaires qui mettent de l’eau dans leur vin». De l’autre côté il y avait Sankara, critiquant à droite et à gauche les pyromanes impérialistes qui incendient nos forêts, qui, en même temps, tendait obstinément sa main pour quémander plus d’argent.

L’un des épisodes les plus amusants dans ce genre fut «l’incident» diplomatique entre Sankara et le Président français François Mitterrand lors d’un banquet d’Etat à Ouagadougou en novembre 1986.

Sankara invita son hôte «socialiste» à joindre ses gestes à ses paroles, il accusa la France de ne rien faire pour terminer la guerre Iran-Irak ou les guerres régionales au Tchad et au Sahara, et le dénonça pour avoir reçu sur le sol français le bandit Savimbi (chef de l’UNITA en Angola) et l’assassin d’Afrique de Sud Pieter Botha. Levant son verre à l’amitié franco-burkinabé, Mitterrand rétorqua : «La Capitaine Sankara a le tranchant d’une belle jeunesse, mais il tranche trop … Si vous avez besoin de nous, vous nous le direz. Et sinon, on s’en passera».

En vérité, politiquement et autrement, la France a poursuivi ses efforts en vue de « re-stabiliser» la situation : les socialistes envoyèrent une lourde cargaison d’armes au Président Jean-Baptiste Ouédraogo dès mai 1983, le moment où Sankara fut arrêté, pour empêcher son retour au pouvoir.

Un an plus tard, le gouvernement socialiste refusa de recevoir le militaire n°2, Blaise Compaoré, venu négocier de l’aide française, en protestation à l’exécution récente par le régime de sept comploteurs.

De surcroît, il courait des bruits périodiques comme quoi la guerre de frontières de trois jours avec le Mali en 1985 pour une étroite bande de terre appelée l’Agacher, dans laquelle périrent quelques 300 personnes, fut instiguée pour le compte de la France, qui venait de rénover et de renforcer les liens avec le président malien Moussa Traoré, pour tester le soutien militaire dont Sankara disposait réellement.

Puis se produisit le coup d’Etat d’octobre 1987 – aux dépens de Sankara et ce fut la fin de ces plaisanteries.

Plus d’une source bien renseignée ont donné des preuves qu’il a été «téléguidé de l’étranger» à partir des relations douillettes entre le Président de la Côte d’Ivoire, Houphouët Boigny – un des prétendants les plus en vue pour le titre de valet officiel de l’Afrique Occidentale pour l’impérialisme français – et le Capitaine Blaise Compaoré, le successeur de Sankara, qui a promis une coopération plus étroite avec Paris dans le cadre de son programme de «rectification». La femme de Compaoré, une franco-ivoirienne, est la filleule du chef d’Etat ivoirien. Comme l’hebdomadaire français Le Nouvel Observateur l’évoque, Blaise a «d’excellentes références», en somme, et sans l’aide active de la Côte d’Ivoire, aucun putsch n’étant réalisable.

Sankara avait boycotté des tentatives de créer un Commonwealth français et à maintes reprises avait dénoncé la «balkanisation» de l’Afrique lors des sommets de non-alignés et de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA).

Il refusa d’assister aux sommets franco-africains de 1984 et de 1985, les appelant «des entraves organisationnelles de l’époque coloniale», et tint à leur place son propre sommet avec Kadhafi.

Que penser de la liaison Libye-Burkina?

Les deux ont eu de fréquents échanges, mais ce qui comptait c’était les armements fournis par la Libye : des chars lance-roquettes soviétiques et surtout des fusils kalachnikov, le tout en supplément du stock militaire de maintien fourni par les français augmenta considérablement le potentiel opérationnel du Burkina et aida à la «réorganisation» de l’armée néo-coloniale.

Au niveau diplomatique, on dit que Sankara a poliment refusé de se joindre à la proposition incessante de Kadhafi de «fusionner leur deux pays», et certaines sources disent même que ses tentatives de construction de l’unité entre l’Afrique Arabe et Noire s’orientaient plus vers la coopération avec l’Algérie après le refus de Kadhafi d’accorder à Sankara les honneurs officiels lors d’une de ses visites à Tripoli. En plus, il effectua la première visite d’Etat à la République Sahraouie Arabe et Démocratique dans ce but.

Les liens les plus étroits qu’entretenait Sankara furent en fait ceux avec le régime de J.J. Rawlings au Ghana, inspiré lui aussi par un coup d’Etat militaire.

Les deux formulèrent un traité de défense réciproque à partir de novembre 1983 et effectuèrent même des manœuvres militaires conjointes.

Cette alliance avait l’air de déranger des amis loyaux des français, tels que le Gabon et la Côte d’Ivoire et, en termes régionaux, la possibilité d’un axe pro-soviétique allant de Tripoli à Accra en passant par Ouagadougou n’était pas une perspective plaisante pour la France ou l’impérialisme occidental dans son ensemble.

Sankara voyagea à Cuba et en Union Soviétique, mais disait qu’il ne jouait pas Moscou contre Paris.

Il montrait d’une attitude contradictoire envers l’Union Soviétique et le bloc de l’Est, et au sein de son milieu et de ceux qui le soutenaient, la lutte fut âpre à ce propos.

La carte soviétique représentait une tentation d’espoir pour diminuer la dépendance de la France, mais cette même dépendance verrouillait l’Etat burkinabé dans une certaine orbite.

L’aide Soviétique était, comme c’est souvent le cas en Afrique, canalisée à travers d’autres régimes «non-alignés» prosoviétiques.

Cuba, si parfaitement qualifié dans le domaine des cultures commerciales non-alimentaires, avec de nombreuses années d’expérience comme néo-colonie soviétique, proposait d’aider le Burkina Faso à bâtir son industrie sucrière. Le Ghana et Cuba aidèrent à construire une piste d’aéroport, la Libye donna quelques 10 millions de dollars, et d’autres aides provenaient de l’Angola, du Mozambique, de la Roumanie et de la Corée du Nord, qui envoya du fer et du ciment pour construire des théâtres populaires à Ouagadougou et Bobo Dioulasso.

D’autre part, Sankara annonça que les troupes soviétiques devraient quitter l’Afghanistan et il favorisa le maintien des liens diplomatiques avec l’Albanie.

La Chine, pour sa part, fit don d’une centaine de puits dans le cadre d’une campagne pour réduire les pénuries d’eau.

Elle donna également plusieurs millions de dollars pour construire un «stade du 4 août», et quelques hôpitaux.

Malgré toute cette «aide amicale» de sources non-occidentales, Sankara évita de confondre ce qu’il appelait la lutte pour l’indépendance du néo-colonialisme français avec «les réactions épidermiques».

A des amis qui furent étonnés à son envoi rapide d’une délégation aux côtés de Jacques Chirac quand la «droite» regagna une majorité parlementaire en mars 1986 en France, rassurant sur les intentions de Burkina, Sankara, en plaisantant, remarqua : «Même si Jean-Marie Le Pen arrive un jour au pouvoir à Paris, nous lui enverrons une délégation et nous garderons des relations avec la France» !"

 

9. Contre l’apartheid et l’oppression des femmes

Une attention toute particulière fut consacrée, aussi bien par des amis que par le gouvernement de Sankara, au renforcement de la capitale Ouagadougou comme un important centre africain pour des manifestations politiques, culturelles et sportives.

Elle devint un pôle d’attraction pour des artistes et des intellectuels, une Mecque pour des dirigeants révisionnistes et sociaux-démocrates partout dans le monde, de Yasser Arafat à Daniel Ortega du Nicaragua.

On donnait des concerts de reggae dans le nouveau stade, et le Festival de Film Panafricain de Ouagadougou devint l’événement culturel de l’Afrique Noire, rassemblant des artistes et avec la participation du grand public.

Le régime encouragea sa réputation d’une sorte de centre anti-apartheid en organisant un nombre de séminaires et de manifestations.

Dans le combat de Sankara pour populariser la «libération» des femmes, on forma un groupe de rock féminin : les «Colombes de la Paix».

La question de l’oppression des femmes aurait suffit à elle seule à régler le sort de la voie Burkina, particulièrement par la publicité qu’elle faisait pour l’idée selon laquelle la libération des femmes et la révolution vont de pair, suscitant ainsi beaucoup de faux espoirs et une opposition exacerbée.

Car Sankara et compagnie, tout comme ils traitaient les contradictions de classe de fond au Burkina Faso – avec une phraséologie très militante aux allures gauchisantes qui était dans son essence très «droitière» (économiste et irréalisable) et qui ne comptait jamais sur les masses et leur lutte – abordaient la question de la femme de la même manière révisionniste comme le dit une femme, «il semble que la révolution est pour les hommes et les femmes dans les villes, pas pour nous». Leur point de vue sur la libération à travers la production économique reconnaissait les rapports oppressifs entre les hommes et les femmes; il a été difficile d’ignorer ou d’éviter les conséquences répandues de la poursuite du commerce des femmes comme marchandises, du travail qui les fait mourir jeunes, leur absence de voix dans les mariages arrangés et les affaires politiques, leur mutilation sexuelle pour assurer la domination mâle.

Cependant, avec leur approche vis à vis de la révolution rurale qui ne visait pas la dissolution de tous les vieux rapports de production, ils étaient incapables de surmonter les inévitables défis lancés réellement pour déchaîner les masses de femmes.

Ainsi, ils étaient déroutés par des phénomènes tels que des femmes qui défendaient la polygamie comme moyen de partager la charge de travail atrocement lourde, de leur permettre d’espacer les éternelles grossesses «en faveur de la lignée» et de se reposer un peu.

Étant incapable d’appliquer une politique prolétarienne de résolution de la question de la femme, c’est à dire en l’intégrant au déchaînement des femmes (et des hommes) pour déraciner les vieux rapports réactionnaires entre les gens, le régime était réduit à la formulation de décrets proclamant les droits de la femme, laquelle, dans l’absence de véritable transformation ne pouvait que rester aussi vide que «l’interdiction» en Inde du système des castes.

Suite à ces décrets, le régime était obligé de le combiner avec un «programme pratique» qui revenait à faire dépendre la libération des femmes tout d’abord de l’augmentation du nombre de charrues et puits, par exemple. En réalité, ce point de vue est une variante de la «théorie des forces productives» commune aux révisionnistes de tout bord qui voient dans l’augmentation des forces productives, et non de la lutte révolutionnaire des masses, la clé du progrès social.

 

10. Le renversement de Sankara

Les secteurs urbains, qui avaient soutenu les efforts de Sankara, commençaient à ressentir une déception quant à son moins en moins disposés à tolérer des mesures de réformes qui touchaient à leur confort (tout aussi maigre qu’ils puissent paraître par rapport à ceux des pays aisés).

Les fonctionnaires et autres cessaient de participer régulièrement à des meetings politiques et au travail rural volontaire; beaucoup d’intellectuels émigraient à la recherche de postes mieux rémunérés dans des pays voisins.

Parallèlement à cela, la lutte intestine au sein du CNR lui- même s’intensifia et les organisations de gauche se sont réalignées dans le but de tirer profit de l’érosion du soutien dont jouissait Sankara.

Les syndicats se mirent à montrer leur poigne, soutenus en cela par au moins deux des membres de l’étroit cercle militaire au pouvoir avec Sankara.

Après une grève au printemps de 1984, il avait licencié 1200 enseignants en les remplaçant par des instructeurs du CDR, et en limogeant le ministre LIPAD sous prétexte de vouloir pousser le Burkina dans les bras des soviétiques et de manipuler les CDR.

Le 1er mai 1987 après la présentation par les quatre plus importantes confédérations syndicales d’une demande commune pour le retour aux «libertés démocratiques», trente dirigeants des fonctionnaires salariés furent arrêtés, y compris le chef du LIPAD prosoviétique qu’une faction, prétend-on, voulait même exécuter. L’ULC révisionniste prochinoise, prétendument modérée, fut évincée du gouvernement.

Une scission de plus en plus ouverte se déclara au sein du CNR, les syndicats et les CDR étant opposés.

Sankara avait proposé l’élargissement du CNR et la formation d’un parti unique pour tenter d’unifier et de souder des groupes révolutionnaires en pleine scission.

Au sein de l’année, de nombreux personnages militaires les plus en vue, y compris Blaise Compaoré, préférèrent un front au parti unique.

Grâce aux tensions croissantes et aux manigances, des plans de coups d’Etat furent jetés.

Malgré la popularité continue de Sankara, particulièrement parmi les jeunes et les étudiants, plus il tentait d’apposer son tampon «indépendant» au cours des événements, en louvoyant dans la mer des querelles réformistes, en espérant qu’une tendance militaire révolutionnaire pourrait enfin émerger, plus la fragile base non-prolétarienne sur laquelle il avait bâti sa révolution, était en train de s’écrouler sous ses pieds.

Lorsqu’il s’empara de la Présidence, Blaise Compaoré dissout le CNR, forma un Front Populaire et promis de réintégrer les enseignants licenciés, en effectuant une «rectification» tout en maintenant les buts de la révolution.

La ligne officielle émanant d’Ouagadougou veut que Sankara ait été un homme isolé, autocratique, qui essayait de faire taire une grande partie de la gauche qui l’avait aidé à accéder au pouvoir.

Alors qu’il est probable que Compaoré trouve utile de continuer à déclamer des slogans de «gauche», son ascension au pouvoir criminel a mis un terme brutal à l’expérience de Burkina Faso et a signifié à une reconnaissance plus «sobre» de la réalité du néo-colonialisme.

Tout régime authentiquement révolutionnaire, affrontant la tâche gigantesque du déracinement des vieux rapports oppressifs au Burkina, se trouvera face à des obstacles extrêmement difficiles.

Depuis la chute de Sankara, la presse bourgeoise se rengorge de son incapacité à se maintenir comme le "trublion" en Afrique Occidentale française.

Il ne s’agit pas du fait que le Capitaine Sankara avait échoué, mais du fait que sa «révolution» ne pouvait qu’échouer.

Sankara tenta de mobiliser la paysannerie mais ne pouvait compter sur elle qui représente le fondement et la base principale de soutien de toute véritable transformation révolutionnaire dans un pays comme le Burkina Faso.

Il voulait s’arracher des griffes de l’impérialisme, mais s’est mis à la tête d’un appareil d’Etat réactionnaire créé par les impérialistes eux-mêmes.

 Le fait qu’il ait été abattu par la même armée néocoloniale dans laquelle il servait, démontre une fois de plus, comme si le prolétariat avait besoin à nouveau d’une telle leçon, qu’il n’y a pas de substitut à la destruction de l’appareil d’Etat par les masses révolutionnaires.

La prise de pouvoir par Sankara en 1983, relativement indolore, gardait en fait essentiellement intacts l’ancien pouvoir d’Etat et l’ancien système social.

Malgré cela, les impérialistes occidentaux n’étaient pas indifférents à cette tentative de déviation de la voie néo-coloniale traditionnelle, et leurs besoins globaux dans le monde d’aujourd’hui accélérèrent leurs manipulations politiques et financières dans le but de normaliser le scénario, après avoir toléré un bref flirt avec la social-démocratie africaine.

La réalisation de ce scénario qui a pour effet de resserrer l’étau sur les opprimés renforce le verdict selon lequel, d’une part, aucune classe sociale autre que le prolétariat ne peut représenter ses intérêts authentiquement révolutionnaires et que, d’autre part, aucun raccourci n’est possible vers la libération de l’impérialisme, dans la voie difficile et exigeante de la guerre populaire et la lutte consciente des masses.

 

Source : http://www.contre-informations.fr/doc-inter/afrique/burkinafaso1.html

1 COMMENTAIRE

  1. La chute du capitaine Sankara, ou pourquoi on ne peut pas faire la Révolution sans les masses
    Ce texte apparait politiquement assez daté à la lueur de la situation du monde d’aujourd’hui. Les critiques qu’il formule n’auraient pu être surmontées que par une coercition terrible, ce qui est suggérer d’ailleur si on prend la peine de lire entre les lignes. Il n’en reste pas moins d’une grande qualité informative et éclaire d’une lumière crue quelles ont du être les immmenses difficutées qu’à du affronter Sankara dans la mise en oeuvre de la Révolution.
    Son courrage et sa droiture morale n’en sont que plus méritoire. Il avait choisit certe un chemin difficile mais quel autre aurait il pu prendre sans risquer de plonger son pay dans une guerre civile ? Sur quelles masses laborieuses aurait il pu s’appuyer dans une sociétée encore structurée féodalement ?
    Il a, avec un grand courrage, préfférer prendre le risque d’être sacriffié plus tôt que de sacriffier son peuple.
    C’est malheureusement ce qui arriva et comme Alliende au Chilli il fut assassiné par son homme de confiance. Il a donnée sa vie pour son pay et ce ne sera pas en vain. Sur les ferments de sa dépouille germeront les pousses de nouvelles Révolutions. Comme le Che en Amerique Latine, sa mémoire servira d’étoile pour guidée les nouvelles génération dans leurs combats pour la Liberté et la Justisce !

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